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Le droit en débats

Droit des obligations : une « petite loi » porteuse de grands changements ?

Par Gaël Chantepie et Mathias Latina le 19 Octobre 2017

Le Sénat a examiné en séance plénière le 17 octobre 2017 le projet de loi de ratification de l’ordonnance du 10 février 2016. Aux termes d’un débat assez bref, mais intéressant, le texte présenté par la commission des lois a été pour l’essentiel adopté. On y retrouve ainsi les retouches techniques ou politiques permettant à la fois de préciser certains points en débat et de restreindre les pouvoirs du juge sur le contrat (V. Droit des obligations : réformer la réforme ?). Sans y revenir, les débats ayant conduit à la « petite loi » adoptée le 17 octobre 2017 permettent de percevoir les contours de la future loi de ratification.

Il faut souligner l’intérêt des débats qui se sont tenus dans l’hémicycle. Non seulement les échanges entre la garde des Sceaux et le rapporteur montraient une très bonne maîtrise des enjeux du texte, mais plusieurs interventions de sénateurs ont enrichi la discussion, faisant ressortir la dimension politique du droit des contrats. La lecture des amendements révèle d’ailleurs une maîtrise insoupçonnée des ressources des droits anglais et allemand par les parlementaires – à moins qu’il faille y déceler la plume de quelque universitaire.

Quoi qu’il en soit, l’ensemble des sénateurs a sans surprise regretté que la loi de ratification soit examinée un an après l’entrée en vigueur de l’ordonnance. Si, effectivement, le calendrier électoral n’était pas propice à un examen rapide, c’est peut-être le court délai entre l’adoption et l’entrée en vigueur de l’ordonnance qui est ici à blâmer. Cette situation a conduit M. Pillet, rapporteur devant la commission des lois, à plaider pour les modifications les plus limitées. Exit donc les discussions sur les amendements proposant la réintroduction de la cause ou celles visant à supprimer purement et simplement l’article 1171 du code civil. Cela étant, il ne faudrait pas croire que le texte finalement adopté ne recèle pas de grands changements. Mais ce sont ceux que la commission des lois avait proposés.

Le texte étant promis à des modifications à l’occasion de la discussion devant l’Assemblée nationale, faut-il s’arrêter immédiatement sur la version adoptée par le Sénat en première lecture et lire le compte-rendu des débats parlementaires ? Oui, pour deux raisons. D’une part, ces débats permettent de préciser la position du gouvernement sur le texte de l’ordonnance de manière plus complète que dans le rapport au président de la République. Il n’est qu’à voir, par exemple, la discussion sur l’abus d’un état de dépendance, finalement restreint à l’abus d’un état de dépendance économique (C. civ., art. 1143). La garde des Sceaux a précisé deux points : la dépendance pouvait être économique, sociale ou psychologique ; l’abus de dépendance pourrait, dans sa version actuelle, s’appliquer « à l’égard des personnes âgées en situation de dépendance, des personnes illettrées ou sous l’emprise d’une secte par exemple ». Manifestement, le gouvernement inclut dans les situations de dépendance, qui procèdent d’une relation (emprise sectaire, dépendance affective ou sociale des personnes âgées), des situations de vulnérabilité (illettrisme, fragilité des personnes âgées). Plutôt que de réduire le champ d’application de l’abus d’un état de dépendance aux seuls cas de dépendance économique, peut-être serait-il préférable de préciser que la dépendance résulte d’une relation interpersonnelle, plutôt que d’une qualité de la victime.

D’autre part, les débats rendent visibles les désaccords entre le gouvernement et la commission des lois. Si aucun des amendements présentés par la garde des Sceaux n’a été adopté le 17 octobre, on relèvera que certaines modifications apportées par la commission des lois n’ont pas appelé de réaction de sa part. De manière prévisible, les retouches purement techniques ne susciteront sans doute plus de discussion. De manière moins prévisible, des modifications aussi importantes que la nouvelle définition du contrat d’adhésion (« Le contrat d’adhésion est celui qui comporte des clauses non négociables, unilatéralement déterminées à l’avance par l’une des parties ») n’ont pas été débattues. En revanche, les points de désaccord entre le gouvernement et le Sénat devraient donner lieu à une nouvelle discussion devant l’Assemblée nationale, avec un rapport de force différent. Ce sera le cas, notamment, du lien entre devoir d’information et réticence dolosive, de l’abus d’un état de dépendance, du délai de l’action interrogatoire dans le pacte de préférence, de la révision pour imprévision ou de l’application de la loi dans le temps. En d’autres termes, si le texte est appelé à évoluer lors de la navette parlementaire, on peut déceler plus précisément désormais les contours définitifs de la loi de ratification.