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Enquête sur la qualité de vie des avocats : balance ton cabinet

Dans le cadre d’une démarche de responsabilité sociétale, la commission Égalité et Diversité du syndicat des Avocats Conseils d’Entreprises (ACE), a initié en 2017 une grande enquête nationale sur la qualité de vie des avocats, en collaboration avec l’Association Moms à la Barre, dont les résultats sont analysés au travers de la présente synthèse. Les conclusions de cette enquête ont en effet pour vocation de fournir, en 2018, certains constats objectifs nécessaires pour guider de façon prospective la réflexion et l’action des institutions de la profession et de l’ensemble de ses acteurs.

Cette enquête a permis d’actualiser une étude sur l’impact de la maternité dans la carrière d’avocate menée en 2013 par l’association Moms à la Barre au sein du barreau de Paris, en l’élargissant à l’ensemble des confrères, quels que soient leur genre et leur barreau d’appartenance, et en ajoutant un volet plus général sur la qualité de vie incluant des questions sur le stress, le harcèlement et la discrimination.

Plusieurs milliers de réponses émanant de multiples barreaux et de confrères de tous âges ont été collectées en à peine quelques semaines, démontrant une sensibilisation notable pour ces sujets et composant un panel significatif et instructif eu égard aux questions évoquées. Les avocats ayant répondu à l’enquête pourront par commodité être dénommés ou qualifiés ci-après par les vocables : sondés, avocats sondés, etc.

Bien que l’enquête ait été diffusée auprès de tous, les réponses recueillies ont été très majoritairement féminines (73 %). Signalons que le choix a été fait de proposer comme hypothèse de réponse l’option « sexe neutre », laquelle a été cochée à 8 reprises.

Toutes les formes d’exercice ont participé (collaboration : 43,66 %, exercice individuel : 34,38 %, en association : 21,96 %) avec une répartition assez égale selon l’ancienneté au barreau.

Une qualité de vie paradoxale et un stress préoccupant

Sur le principe, les avocats sondés sont majoritairement contents d’exercer la profession (très : 26,5 % et assez : 53,6 % contre 17,9 % ensemble pour les peu ou pas du tout (2 %) satisfaits).

Toutefois, il est intéressant de constater que lorsque l’on aborde plus en détail la qualité de vie des avocats, les réponses sont plus nuancées, voire s’opposent.

En premier lieu, se pose la question du stress lié aux conditions d’exercice.

Dans une volonté de sensibilisation, les enquêteurs, conscients de la banalisation du facteur stress – voire de l’encouragement au stress – dans la vie professionnelle actuelle, en particulier chez les cadres supérieurs ou assimilés, ont scindé la réponse positive en deux options : un stress excessif ou un stress normal.

La réponse est éloquente : plus de 99 % des avocats interrogés ont indiqué être stressés du fait de leurs conditions d’exercice.

Parmi les sondés, seuls 0,78 % estiment ainsi ne subir aucun stress, tandis que 48,20 % le jugent excessif. La plupart (49 %) répond subir du stress mais en le qualifiant de normal, corroborant ainsi la banalisation du stress dans la profession.

Le stress est pourtant susceptible d’engendrer des troubles de la santé.

À cet égard, les avocats ayant répondu à l’enquête pensent majoritairement que leur profession les expose particulièrement aux troubles de la santé (beaucoup : 37 %, assez : 47 %) alors que d’autres, de façon beaucoup plus marginale, estiment l’être peu (12,5 %) ou pas du tout (3,5 %).

Parmi les facteurs de stress, l’élément économique semble jouer un rôle prépondérant.

Ainsi, les avocats sondés estiment que les aspects économiques (revenus, dépenses, investissements) de leur activité sont un facteur de stress qu’ils jugent très important (47 %), présent mais normal (39 %), rares étant ceux qui considèrent que ces aspects seraient peu ou pas responsables de leur stress (14 %).

Sur l’aspect économique d’ailleurs, pour ¾ des sondés (73 %), leurs revenus professionnels ne sont pas en adéquation avec le temps et l’énergie consacrés au métier.

Néanmoins, le cadre de travail reste majoritairement propice au bien-être des avocats (très : 21 %, assez : 50 %).

L’opinion est plus mitigée en ce qui concerne la conciliation vie privée/vie professionnelle puisque si la satisfaction est majoritairement exprimée (tout à fait : 9 %, assez : 50 %), nombreux sont ceux qui s’en plaignent (41 %).

Invités à s’exprimer librement sur leur éventuelle satisfaction à exercer la profession d’avocat, il ressort des réponses obtenues des sondés que si ce métier conserve une réelle attractivité grâce à son sens, qui fait que l’avocat se sent utile, à sa stimulation intellectuelle, à son évolution constante, à la diversité de ses tâches, aux sentiments d’indépendance et de liberté qui s’y attachent, les avocats se plaignent néanmoins beaucoup d’un certain manque de reconnaissance, de conditions d’exercice éprouvantes – parmi lesquelles le stress et les difficultés à concilier tiennent une part importante – ressenties comme se dégradant ces dernières années, tout autant que les relations avec les clients, les confrères et les magistrats.

Les confrères déplorent également des charges trop lourdes, une inflation des tâches administratives et de la législation ainsi qu’une concurrence trop forte avec les notaires et experts comptables, estimant souvent que la profession n’aurait pas su défendre son périmètre d’intervention.

Ces différents résultats, qui peuvent parfois paraître paradoxaux, entraînent des réponses disparates à la question d’un éventuel départ de la profession.

Ainsi, 28 % des sondés envisagent de quitter la profession pour un meilleur équilibre avec leur vie familiale, ou pour une autre raison (13 %). 47 % n’y songent pas. D’autres enfin souhaitent rester avocats mais tout en élargissant leur champ d’action ou y ajoutant une autre activité (12 %). Parmi les activités envisagées, figurent très souvent celles de coaching, formation, médiation, mandataire en transactions immobilières. Étonnamment, peu de souhaits exprimés de devenir juristes d’entreprise. Et un boulanger !

Ce désir de changement semble, selon les résultats de l’enquête, pouvoir s’expliquer notamment par la proportion d’avocats estimant les perspectives d’évolution au sein des métiers traditionnels de l’avocat comme étant insuffisantes (53,5 %), mais de nombreux autres (40,5 %) les jugent encore assez bonnes, et seulement 6 % très bonnes.

Harcèlement et discrimination

Parmi les difficultés rencontrées par les avocats dans leur exercice professionnel, les situations de harcèlement ou de discrimination sont malheureusement assez fréquentes.

Ainsi, 35 % des sondés estiment avoir subi une discrimination et 26 % un harcèlement au cours de leur vie professionnelle d’avocat.

Précisons que les motifs de discrimination les plus couramment relevés sont en premier lieu le genre et précisément le fait d’être femme, la maternité, puis viennent les considérations raciales /ethniques, l’origine sociale, l’âge et le physique.

Pour les victimes de harcèlement, celui-ci ressort très majoritairement d’ordre moral (87,8 %), rarement strictement sexuel (3,6 %), parfois une combinaison des deux (8,6 %).

Toutefois, ces chiffres sont à pondérer en fonction du genre.

En effet, sur une hypothèse de réponses exclusivement féminines, les résultats sont augmentés à 43 % pour la discrimination et à 28,2 % pour le harcèlement. Surtout le type de harcèlement est substantiellement modifié selon le genre puisque le harcèlement moral descend à 82,9 % tandis que celui d’ordre sexuel est porté à 5,3 %, la combinaison des deux également augmentant à 11,8 %.

Selon les résultats de l’enquête, lorsque les avocats rencontrent une difficulté de ce genre, ils se tournent majoritairement vers leur famille et amis (62 %), mais également vers des confrères en qualité d’avocats (35 %), vers l’Ordre des avocats (8,5 %), plus rarement vers le milieu associatif ou syndical (2,2 %), et enfin vers d’autres interlocuteurs (sans précision : 10 %). Plus inquiétant, 15 % des avocats ayant répondu à cette question déclarent n’avoir pas osé en parler.

L’impact de la parentalité dans la carrière

Socle commun avec l’enquête de 2013, les résultats obtenus sont sensiblement identiques, démontant une faible évolution en la matière.

Toutefois, contrairement à l’enquête initiale, le questionnaire de 2017 était ouvert à tous et non plus seulement aux femmes, ce qui permet là-encore d’obtenir une pondération selon le genre, très présente dans ces questions.

La parentalité impacte la carrière de l’avocat dès ses prémices puisque selon 28 % des réponses, l’accueil de l’annonce par l’environnement de travail (managers, associés, clients) a été plutôt défavorable, pourcentage porté à 35 % pour les avocates.

L’impact se poursuit au-delà des prémices puisque 51% des sondés s’exprimant (60 % dans le groupe des avocates) ont rencontré une difficulté particulière au cours de l’une ou plusieurs de leurs périodes de parentalité, liée à leur statut.

Interrogés sur la période la plus compliquée à gérer à cet égard, les avocats visent celle de la collaboration qui arrive en tête avec 42 % (49 % des femmes), puis l’exercice individuel pour 16 % (18 % des femmes) et l’association (9 %).

De fait, 28 % des avocats qui se sont exprimés sur ce point ont changé de mode d’exercice du fait de leur parentalité, chiffre porté à 34 % pour les femmes, très majoritairement au profit d’un exercice individuel.

Malgré les efforts fournis par la profession en ce sens, 46 % des sondés (et 51 % des femmes) n’ont constaté aucune amélioration de leur situation au fil du temps (évolution des mentalités et meilleure acceptation de la parentalité par l’environnement, meilleure prise en charge, meilleure information…).

La pondération en fonction du genre s’inverse sur la question de l’arrêt de travail.

Ainsi, si 46 % des sondés n’ont pas pu prendre l’intégralité de leur(s) arrêt(s) maternité/ paternité/ adoption, ce chiffre descend à 39 % pour les femmes, démontrant que ce sont les hommes qui n’ont pas été en mesure de s’arrêter librement.

Les motifs des difficultés pour prendre l’intégralité de l’arrêt maternité/ paternité/ adoption sont variés et, de nouveau, différents selon le genre. En premier lieu, l’obligation imposée par les organismes sociaux de cesser toute activité pendant la durée de l’arrêt, empêchant le maintien de la clientèle (38% - pour les femmes 45 %), puis la réticence du cabinet (31,5 % - pour les femmes 35 %), la réticence de clients (31 % - pour les femmes 36 %), les difficultés financières (30 % - pour les femmes 36 %) et enfin une volonté personnelle (26 % - pour les femmes 16,5 %).

Étant précisé que 19 % des sondés ont rencontré des difficultés de trésorerie liées à un différé de versement de leurs indemnités maternité/ paternité/ adoption.

Et que 76 % des sondés ont continué à suivre leurs dossiers au cours de leur(s) période(s) d’arrêt maternité/ paternité/ adoption, sur demande du cabinet pour 20 % d’entre eux ou par obligation professionnelle dans les situations d’exercice individuel ou d’association (54 %).

Certains (28 %) se sont vu retirer des dossiers ou des clients sont partis du fait de leur future parentalité.

Outre leur environnement immédiat, 22 % des avocats sondés ont également rencontré des difficultés avec des magistrats ou des confrères pendant leur(s) période(s) de congé maternité/ paternité/ adoption, tels qu’un refus de prise en compte de l’arrêt pour la fixation d’une audience.

De fait, nombreux (74 %) et nombreuses (80 %) sont ceux et celles qui voudraient que les cabinets soient aidés à gérer l’absence des avocats pour parentalité, notamment par une sous-traitance ou un escadron de remplaçants.

Ils voudraient aussi que l’Ordre des avocats les accompagne en leur proposant des modes de garde adaptés, notamment par la création de crèches avec des horaires plus souples et que les pères soient obligés de prendre leur congé paternité, ce qui permettrait de moins faire peser sur la seule mère l’impact de la parentalité.

Les avocats ayant répondu à l’enquête voudraient également bénéficier de certains avantages dévolus aux salariés tels que le congé parental, des jours de congé pour enfant malade, du télétravail.

Ils espèrent ainsi des mesures concrètes pour les aider à ne plus appréhender leur future parentalité.

En effet, avant l’arrivée de l’enfant, la perspective de la conciliation vie privée/vie professionnelle inquiète globalement les avocats (un peu : 37,5 %, beaucoup : 24 %).

Ils changent d’ailleurs leur rapport au travail pour 77,5 % d’entre eux et plus particulièrement 83,5 % d’entre elles. Ce changement passe majoritairement par une réorganisation de leur temps (télétravail, horaires fixes, etc.) pour une meilleure conciliation avec la vie familiale (59 %). Nombreux réduisent leur vie sociale pour parvenir à tout mener de front (49 %). D’autres supportent moins bien les exigences, en termes de stress et/ou d’horaires de leur travail (36 %). Enfin, certains (14 %) assument se reposer au cabinet du stress domestique (enfant qui pleure, dort mal, etc.)!

Parfois, le conjoint a dû adapter son emploi pour une meilleure conciliation vie privée / professionnelle (38 % des sondés) ou même le quitter pour s’occuper des enfants (4,5 % mais plus que 2 % pour les réponses féminines). Aucun changement n’a été opéré pour 48 % des sondés, ou 54% des avocates, démontrant que ce sont encore les femmes qui arrêtent ou suspendent leur activité professionnelle en cas de parentalité.

D’ailleurs, 80 % des avocats et 85,5 % des avocates estiment que la maternité demeure un frein dans une carrière, dont les sondés indiquent que l’effet pourrait n’être rattrapé que dans les 5 années suivant la naissance ou l’adoption (43,5 %), dans les 10 années (26 %) ou au contraire qu’il ne le sera jamais (30,5 %).

Pour rappel, en 2013, 82,87 % des avocates sondées du barreau de Paris avaient jugé la maternité comme un frein, avec l’espoir d’être compensé dans les 5 années suivant la naissance/adoption (33,7 %), dans les 10 années (22,2 %), ou jamais (27,5 %).

Conclusion

Les avocats demeurent très attachés à leur profession bien qu’ils déplorent souvent une dégradation des conditions d’exercice.

Exigeants, ils veulent continuer à jouir des bénéfices du caractère libéral de la profession grâce à la liberté et à l’indépendance du statut mais tout en bénéficiant d’avantages liés au salariat.

Préoccupés, ils s’inquiètent de leurs conditions d’exercice et mettent en exergue de nombreuses difficultés.

Pour aider les confrères à mieux s’adapter aux évolutions sociétales et professionnelles, en réduisant les frustrations et insatisfactions constatées, la synthèse des résultats de cette enquête doit permettre à tous les acteurs de la profession de se mobiliser, dès 2018, pour qu’évoluent les cadres sociologiques et juridiques de la profession d’avocat dans la perspective de l’amélioration des conditions de travail des professionnels.

En particulier, il est urgent de mettre en place des indicateurs de prévention, détection et lutte des risques psycho-sociaux et d’accompagner les confrères par des formations adaptées à l’activité managériale, essentielles à la qualité de chef d’entreprise que revêt tout avocat, notamment dans des situations telles que celles décrites par l’enquête, dont celles liées au stress, au harcèlement et à la discrimination, à la conciliation et à l’égalité.

L’univers des avocats est en pleine mutation, soyons-en acteurs, au bénéfice de tous !

 

L’infographie des résultats de l’enquête sur le site de l’ACE