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Le droit en débats

La fin du collège de l’instruction : Beaucoup de bruit pour rien ou La Comédie des erreurs1 ?

Par Thomas Cassuto le 31 Mai 2016

À l’occasion des débats sur le projet de loi sur la justice du 21e siècle2, texte au large spectre qui retouche de nombreux pans du droit sans apporter de grandes modifications, à l’exception notable de la déjudiciarisation nécessaire du divorce par consentement mutuel, le gouvernement a présenté un amendement adopté en première lecture le 24 mai 2016 par l’Assemblée nationale qui supprime, avec une sobriété exemplaire, la collégialité de l’instruction. Il s’agit ici d’une illustration des vicissitudes de la conduite, dans la durée, d’une réforme de la procédure pénale.

La collégialité de l’instruction était inapplicable. C’était évident dès l’origine. C’était criant avec les reports successifs de l’entrée en vigueur de la réforme en 2009, 2010 et 20133. C’était déraisonnable par les temps budgétaires que nous traversons et même dispendieux au regard de la tendance générale à l’extension des compétences des juridictions à juge unique. Cette abrogation interroge donc sur la cohérence législative (1) au regard de l’évolution inquiétante de la procédure pénale (2). Elle offre l’occasion de formuler quelques idées (3).

1. L’abrogation nécessaire de la collégialité de l’instruction

La lecture des débats au Sénat, en date du 26 mars 2016, confirme les motifs de la suppression de la collégialité de l’instruction jamais entrée en vigueur. Pour le garde des Sceaux, il était inenvisageable de reporter une nouvelle fois l’entrée en vigueur de la loi de 2007 ni de supprimer purement et simplement la réforme. Restait donc à envisager sa mise en œuvre, sans recourir à la création des 300 postes de magistrats nécessaires, en restreignant sa portée à une demande du juge, du parquet ou des parties et en limitant les décisions relevant de sa compétence.

Le rapporteur du projet de loi au Sénat, Michel Mercier, ancien ministre de la justice, se demandait alors s’il ne fallait pas « dire la vérité » à savoir que « nous sommes matériellement incapables de mettre en œuvre la collégialité de l’instruction […] au moment ou apparaît plus fortement le couple formé par le parquet et le juge des libertés et de la détention ». Selon lui, il convenait de « reconnaître une erreur en votant, poussés par l’émotion qu’a suscitée une affaire particulière, la collégialité de l’instruction ». Dans le même temps, il s’interrogeait sur « l’équilibre entre les tâches qui seront confiées aux magistrats ». Surtout, le rapporteur mettait en évidence que la solution proposée par le garde des Sceaux nécessiterait de supprimer les juges d’instruction dans les juridictions dépourvues de pôle. Ceci revenant à dire que la réforme de la carte judiciaire n’était pas achevée.

Pour sa part, le sénateur Jacques Mezard rappelait le caractère néfaste du vote d’une loi sous le coup de l’émotion et de s’émouvoir à son tour de la désertification judiciaire qu’entraînerait la proposition du gouvernement et qu’il valait mieux tirer les conséquences d’un échec. Le sénateur Alain Richard faisait écho à ces critiques en s’inquiétant de l’instauration d’une carte judiciaire à deux vitesses.

Le vote sans débat de l’article 14 bis du projet de loi démontre que l’Assemblée nationale s’est convaincue que ce qui était absolument nécessaire en 2007 ne l’est absolument plus en 2016. À défaut de s’économiser en débats, le parlement aura fait un cadeau à Bercy en lui épargnant cette réforme. En toute hypothèse, la symbolique est forte. Une loi de modernisation vient supprimer une réforme du début du millénaire qui ne sera jamais entrée en vigueur. On se croirait revenus en 1993.

Cette valse-hésitation pose en réalité une question d’ordre constitutionnel. Une loi peut-elle être votée si elle n’est pas financée ? Et ce, alors que nul n’ignorait que l’État avait mieux à faire que de créer les 300 postes de magistrats nécessaires au plan de charge du collège de l’instruction.

2. Reflet d’une évolution préoccupante de la procédure pénale

Il s’agit là d’une tendance qu’il faut disséquer. Depuis 2007, le rôle du juge d’instruction n’a, en apparence du moins, cessé de régresser. En apparence, car sa saisine reste obligatoire pour les affaires criminelles, c’est-à-dire les plus graves. Il est également au cœur de la lutte contre le terrorisme, la criminalité organisée et la grande délinquance financière, au travers de pôles nationaux ou régionaux. Noblesse oblige, cette légitimité est également bien réelle pour la très grande majorité des avocats et pour le Conseil national des barreaux. Elle se trouve même renforcée lorsqu’il s’agit de coopération judiciaire internationale qui est une composante essentielle, voire décisive, des principaux dossiers, outre les garanties uniques qu’offre cette juridiction pour le respect du contradictoire, le droit des parties à un procès équitable, etc. Il faut pourtant se garder de faire l’éloge de cette espèce en voie de disparition, que le législateur vient euthanasier silencieusement, satisfaisant la revendication d’une minorité contre la majorité de l’opinion.

Deux exemples démontrent que, faute de véritablement moderniser la procédure, on laissera mourir de vieillesse le juge d’instruction que l’on remplacera par un succédané. Le premier résulte de la mise en œuvre de l’état d’urgence et notamment du transfert au préfet du pouvoir d’ordonner des perquisitions de nuit. Ces prérogatives existent déjà entre les mains du juge judiciaire en matière de terrorisme et de trafic de stupéfiants. On s’interrogera alors sur les véritables raisons qui ont commandé l’adoption et la mise en œuvre de la loi du 15 novembre 2015, sauf à y voir une défiance pure et simple vis-à-vis du juge judiciaire. On se souviendra que le parquet n’hésitait pas à ouvrir une information judiciaire à toute heure du jour et de la nuit pour permettre aux enquêteurs d’agir en urgence. Certains, pétris de nostalgie, diront que le juge d’instruction pouvait effectivement garder le contrôle de l’exécution de ces mesures en amont et en aval.

L’autre exemple, qui n’est que le corollaire du premier, est l’extension croissante des pouvoirs du juge des libertés et de la détention. À son égard, le législateur est entré dans une spirale infernale. Pour satisfaire une minorité active embarrassée par quelques affaires, il a été créé pour mettre un terme à la concentration des pouvoirs de l’enquête et de la détention entre les mains du juge d’instruction. Fausse bonne idée ont observé de nombreux spécialistes et des parlementaires. Une certaine affaire, qui sera suivie d’une commission d’enquête parlementaire éponyme, imputera au juge d’instruction les défaillances d’un système dans lequel il n’avait aucun pouvoir sur la détention provisoire. Le magistrat instructeur devient alors le bouc émissaire d’un système vicié dans sa conception.

À l’arbitraire supposé du juge d’instruction des années 1990, on a substitué le doute du juge des libertés et de la détention. Ce magistrat au statut en devenir est désormais un gardien quotidien des libertés individuelles en matière civile, administrative et pénale. Il multiplie les compétences et statue sur le siège à toute heure du jour et de la nuit sans avoir matériellement la capacité de connaître le fond des dossiers ni de suivre l’exécution des décisions qu’il rend. Conscient du rôle particulier accordé à ce magistrat, le législateur entend désormais, au travers du projet de loi organique, lui reconnaître un statut à part entière. On peut s’en réjouir. Il s’agit en réalité d’un entêtement dans une régression pour les libertés individuelles, si l’on en croit notamment la situation en matière de détention provisoire.

Cette évolution est le reflet d’une névrose législative ancienne qui commanderait aux pouvoirs publics d’agir, de réformer sans cesse pour ne pas laisser penser que l’on ne fait rien. Quitte à trop faire ou à mal faire. Ainsi, la réforme de la carte judiciaire n’a pas été menée à son terme. On a confondu accès au droit et au juge et proximité géographique. La fonction constitutionnelle de la justice c’est de garantir les libertés individuelles, de pouvoir être effectivement saisie pour appliquer la loi ou trancher un litige à l’issue d’une procédure qui, du fait de l’inflation législative, nécessite, qu’on le veuille ou non, l’assistance d’un avocat pour appréhender la forme et le fond. Si, à terme, quasiment tous les citoyens déclareront en ligne leurs revenus auprès de l’administration fiscale, comment justifier que la saisine du juge soit une question de kilomètres ?

3. Qui appelle d’autres idées

Les constatations ne suffisent pas. On peut suggérer au législateur quelques idées après avoir rappelé que le préalable à toute réforme de la procédure pénale devrait être la réforme du statut de la magistrature, a minima en garantissant l’indépendance du parquet. Cette réforme pourrait être complétée par la réduction du nombre d’échelons hiérarchiques et par le transfert au Conseil supérieur de la magistrature (CSM) de l’ensemble des compétences de la Chancellerie dans la gestion des carrières. On pourrait compléter ces modifications par la suppression des autorités administratives indépendantes qui concentrent des prérogatives normatives, d’exécution et de sanction. On parachèverait cette réforme en supprimant la séparation des ordres administratifs et judiciaires4.

La réforme de la procédure pénale ne peut être pensée en faisant abstraction des réalités économiques, budgétaires, technologiques et criminalistiques. Il est temps de repenser dans le sens de la simplification la procédure d’instruction dont l’efficacité ne peut être remise en cause et dont l’évaluation économique s’impose notamment au regard des confiscations réalisées. Limitons-nous à quelques idées générales orientées vers l’efficacité.

Il est urgent de créer, au sein de la Direction centrale de la police judiciaire, un Service central du renseignement criminel qui serait chargé, en lien avec l’ensemble des services de police, de gendarmerie et les parquets, de centraliser le renseignement afin de produire, à destination conjointe des procureurs et des services d’enquête des notes de renseignement opérationnelles permettant de cibler des objectifs et d’orienter les enquêtes ou les instructions des autorités judiciaires.

Il faut ensuite assurer la conduite des investigations sous l’autorité et/ou le contrôle d’un magistrat du siège qui préserve la cohérence, l’efficacité, la diligence et les droits des parties à la procédure. Il faut également décrisper les débats autour de la détention provisoire afin que des principes simples soient établis pour distinguer le temps de l’urgence et le temps de la révision, la décision unique d’un juge du siège et le droit d’appel raisonné. Pourquoi faudrait-il que ce soit le magistrat qui connaît le moins bien le dossier d’enquête qui statue sur la détention provisoire ? Pourquoi ne pas simplifier au contraire la procédure qui conduirait le juge d’instruction, à l’issue d’une première comparution, sur réquisitions du procureur de la République, à délivrer un ordre d’incarcération provisoire susceptible de recours devant la chambre de l’instruction ? Pourquoi ne pas instaurer des règles de gestion de la détention provisoire qui permettent à la fois d’examiner en profondeur la situation des personnes mises en examen tout en soulageant les juridictions compétentes d’un contentieux répétitif ?

Il faut enfin que le processus pénal soit véritablement dématérialisé de la première à la dernière pièce de procédure et s’inscrive dans un flux qui s’affranchisse des contraintes physiques de la construction d’un dossier. La dématérialisation permet alors la simplification du formalisme tout en renforçant les garanties procédurales et les libertés individuelles. Elle serait l’occasion d’économies considérables. La modernisation de la justice pourrait inclure l’introduction d’une procédure simplifiée devant la cour d’assises lorsque les faits sont reconnus.

Dans un autre registre, il est indispensable de pousser l’Union européenne à développer les capacités de coopération judiciaire et promouvoir l’adoption d’instruments qui permettent de rendre les poursuites plus efficaces. L’instauration effective d’un procureur européen est au cœur de ces enjeux.

Conclusion

Avant de penser les prochaines réformes de procédure pénale, il faut prêter attention à l’intervention du premier président de la Cour de cassation devant l’Assemblée nationale lorsqu’il critique les orientations prises par le législateur en matière de police administrative et en matière de renforcement des pouvoirs du juge des libertés et de la détention détaché de la réalité des investigations, euphémisme pour signifier qu’il ne les maîtrise ni en amont ni en aval comme peuvent le faire le procureur de la République ou le juge d’instruction, et qui se retrouve investi de missions si variées qu’il ne peut développer des compétences propres en matière pénale et consacrer un temps approprié aux dossiers qui lui sont soumis5.

À l’heure où le Parlement vient d’adopter la loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, il faut saluer la lucidité des parlementaires admettant que la collégialité de l’instruction votée sous forme de vœu pieux est inapplicable. Cette situation pourrait refléter ce que William Shakespeare désignait comme les lenteurs de la loi et l’insolence de l’administration6. Il conviendrait que le législateur soit plus à l’écoute de ceux qui interprètent la loi pour inscrire la procédure pénale dans ce siècle afin que celle-ci, témoin de la fureur et du bruit de la vie des hommes, ne perde toute signification7.

 

 

 

 

 

1 W. Shakespeare, Much ado nothing et The Comedy of Errors.
2 Texte transmis au Parlement en juillet 2015.
3 La collégialité de l’instruction qui devait entrer en vigueur le 1er janvier 2010 a été reportée au 1er janvier 2017 par les lois du 12 mai 2009, des 29 décembre 2010 et 29 décembre 2013.
4 Dans le cadre de l’application de l’état d’urgence, le juge judiciaire peut constater l’irrégularité d’une décision du préfet mais ne peut prononcer son annulation.
5 
https://goo.gl/jhF4SO
6 The law’s delay / The insolence of office (Hamlet, III, 1).
7 Life’s but a walking shadow, a poor player / That struts and frets his hour upon the stage / And then is heard no more. / It is a tale / Told by an idiot, full of sound and fury, / Signifying nothing. (
Macbeth, V, 5).