Par arrêt Jurisystem du 11 mai 2017, la Cour de cassation vient confirmer l’interdiction faite à une société qui n’est pas constituée par des avocats, d’utiliser les noms de domaine www.avocat.net et www.iavocat.fr en ordonnant en outre leur transfert immédiat au Conseil national des barreaux (CNB).
Comme beaucoup d’autres Legaltech en effet, cette société a pour objet l’intermédiation entre les avocats et leurs clients. À cette occasion, elle proposait d’autres prestations accessoires, consistant en la mise à disposition de fiches juridiques d’information du public et un comparateur d’avocats. Jurisystem croyait avoir trouvé la formule magique, que la Cour rejette en ce qu’elle est « de nature à créer dans l’esprit du public non averti (…) une confusion sur la qualité de ses interlocuteurs ».
L’une de ses autres activités retenait particulièrement l’attention, s’agissant de la communication qu’elle organisait autour de la comparaison des avocats qu’elle mettait en avant sur son site.
Afin d’interdire cette pratique, la cour d’appel avait qualifié la violation des obligations déontologiques par la société d’une part, et affirmé, d’autre part, que cette violation constituait une faute délictuelle qu’elle aurait commise. La Cour de cassation contredit cependant cette interprétation et affirme, plutôt clairement, que « si l’article 15, alinéa 1er, du décret susvisé interdit à tout avocat d’intégrer, à l’occasion d’opérations de publicité ou de sollicitation personnalisée, tout élément comparatif ou dénigrant, cette restriction a pour objectif d’assurer le respect des règles professionnelles visant à l’indépendance, la dignité et l’intégrité de la profession d’avocat ; que les tiers ne sont pas tenus par les règles déontologiques de cette profession, et qu’il leur appartient seulement, dans leurs activités propres, de délivrer au consommateur une information loyale, claire et transparente ».
La Cour de cassation écarte l’applicabilité de notre déontologie à une société tierce, de même que pour les décisions à caractère normatif du CNB qui ne peuvent être opposées à des tiers non avocats. Pour qu’un tiers y soit soumis, il faudrait que le décret valant code de déontologie le prévoie expressément.
Ce faisant, elle paraît aussi autoriser l’activité de comparateur d’avocats, dès lors que le site concerné met en œuvre une « information loyale, claire et transparente » susceptible de satisfaire aux obligations de l’article L. 121-1 du code de la consommation. Il s’agit donc d’une évolution sensible de la jurisprudence qui va bouleverser les différentes manières de s’adresser au public.
Certains considèrent que la réponse de la Cour de cassation serait due à un pourvoi formé sur un fondement juridique qui n’aurait pas été le plus efficace. La comparaison avec les décisions récentes nous invite pourtant à une interprétation différente.
Dans son arrêt du 26 avril 2017 qui concernait une association employant des chirurgiens-dentistes (Civ. 1re, 26 avr. 2017, n° 16-14.036, D. 2017. 988 ), la Cour de cassation précisait que cette association n’était pas soumise à la déontologie de cette profession, mais sanctionnait pourtant l’association pour la mise en œuvre de mesures de publicité qui constituait une concurrence déloyale au motif que « l’association avait procédé à des actes de promotion de l’activité de ses centres et que ces actes dépassaient le cadre de la simple information objective sur les prestations offertes ». Ce n’est donc pas tant le principe de la publicité qui aurait été sanctionné, que le fait que celle-ci ne soit pas objective sur les prestations offertes.
La Cour continue donc à faire prévaloir cette autorisation de la publicité en précisant les règles, qui imposent qu’elle soit « loyale, claire et transparente ». C’est, sans le dire, appliquer des principes équivalents à ceux de la profession d’avocat, mais aussi permettre d’autres démarches pourvu que cette trilogie soit respectée.
Or rien n’interdit à un comparateur de mettre en œuvre des critères objectifs d’évaluation des avocats. Il peut s’agir du nombre de cas traités par le site, de la rapidité à répondre à la demande, de la rapidité à traiter un dossier, etc. L’émergence du Big Data va largement favoriser ce mouvement.
La loi n° 2016-1321 pour une République numérique du 27 octobre 2016 prévoit la mise à disposition du public l’ensemble des décisions de justice. Les confrères, comme les comparateurs, pourront donc utiliser ces données pour faire valoir leur participation aux contentieux, notamment pour confirmer leur activité dominante ou leur connaissance de domaines et de recours très spécifiques. De même, il sera possible à n’importe quel outil informatique d’analyser quantitativement, sinon qualitativement, le taux de succès de chaque confrère devant les juges.
Voici donc des éléments qui permettent de donner une information « loyale, claire et transparente » de notre activité juridictionnelle, quand bien même notre exercice ne se résume pas à cela. À nouveau, c’est à nous qu’il appartient de pouvoir mettre en œuvre cette information plutôt qu’attendre que des opérateurs indépendants le fassent.
Ce faisant, nous resterons maîtres de notre communication et pourrons mettre en avant l’intérêt de notre déontologie. Si ces intermédiaires prospèrent aussi, c’est peut-être par nos défauts à faire connaître et valoriser ce qui constitue le marqueur de notre profession.
Nous pouvons donc nous réjouir que la Cour de cassation ait affirmé que les tiers n’étaient pas soumis à cette déontologie afin de continuer à être seuls à pouvoir faire valoir ce qui constitue une opportunité stratégique, pourvu que nous sachions la mettre en avant. C’est une invitation à laquelle la pire réponse serait de répondre « I’d prefer not to », comme le héros d’Herman Melville, Bartleby, qui organise lui-même son propre désœuvrement.