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Le droit en débats

Il ne faut pas sacrifier les droits des demandeurs d’asile « relocalisés »

Par Jean-François Dubost le 22 Septembre 2015

L’Union européenne « développe une politique commune en matière d’asile, d’immigration et de contrôle des frontières extérieures, qui est fondée sur la solidarité entre États membres », précise l’article 67 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE). L’actualité depuis le mois d’avril ne cesse de nous démontrer que, si la solidarité est un principe fondateur de la politique de l’asile européenne, ce dernier peine à se concrétiser à l’heure où les réfugiés en auraient le plus besoin.

Depuis 1999, un système juridique d’accueil et de protection des demandeurs d’asile tente de se mettre en place. Un espace politique unique ne doit offrir qu’un seul lieu d’asile. Seul un État doit être responsable de l’examen d’une demande d’asile. Tous les États doivent donc appliquer des normes communes en matière d’asile. Telle est la logique du système d’asile européen commun. En son centre, le règlement Dublin III détermine l’État responsable de l’accueil du demandeur, de l’examen de sa demande et, s’il est réfugié, de son intégration. Les États frontières de l’Union sont les principaux sollicités puisque le règlement lie franchissement irrégulier de frontière et examen d’une demande d’asile.

Après un mois d’avril particulièrement meurtrier en Méditerranée, la Commission européenne propose aux États le dispositif de « relocalisation ». Il s’agit de répartir entre États membres l’accueil de personnes présentes sur le territoire de certains États qui sont dans l’incapacité d’honorer toutes leurs obligations en matière d’asile – la Grèce et l’Italie, à cette époque. Le message est clair, au moins du point de vue symbolique, les États membres sont appelés à être solidaires.

Sur une proposition de 40 000 personnes concernées, l’accord de principe entre les États portera sur 32 000 personnes seulement. Le 14 septembre 2015, la proposition de la Commission de répartir l’accueil de 120 000 nouvelles personnes n’emportera pas d’adhésion collective, en dépit de la situation humanitaire dramatique en Grèce ou en Hongrie et des efforts de l’Allemagne et de l’Autriche. Pour certains États, ces questions au mieux relèvent de la seule responsabilité des États concernés et au pire doivent être traitées au travers d’un prisme uniquement centré sur le contrôle des frontières. Aux antipodes de ce qu’impose donc le respect du droit d’asile.

Le recours à la détention est à craindre

Techniquement, la relocalisation permet d’identifier des personnes en « besoin manifeste de protection » pour ensuite les installer dans un autre État membre. Le besoin manifeste de protection renvoie à une détermination prima facie de certaines nationalités, celles bénéficiant d’un taux de protection en Europe au moins égal à 75 % (Syrie et Érythrée à ce jour).

Ce dispositif se couple avec les « hotspots » ou « centres d’enregistrement » installés dans les États membres frontières (Grèce, Italie et désormais Hongrie). Ils doivent faciliter l’identification des personnes éligibles parmi les nouveaux arrivants.

Face à la crise, la solution est de distinguer au plus tôt celles et ceux qui doivent légitimement être protégés. Les autres, souvent qualifiés par simplisme de « migrants économiques », doivent être renvoyés.

Mais entre un besoin manifeste de protection et une absence manifeste de besoin de protection, il y a la majorité des demandeurs d’asile qui sollicitent une protection en Europe et dont aucun processus ne pourra se débarrasser aussi facilement, sauf à violer le principe de non-refoulement. Le respect du droit d’asile exige que toutes les autres demandes, quel que soit leur taux de protection, soient examinées. Cette obligation continuera d’incomber aux États frontières. Des États dont les systèmes d’asile ne font pas l’objet, dans les propositions de la Commission, d’une assistance technique, financière et opérationnelle suffisante pour les remettre à niveau ni d’un contrôle renforcé.

En outre, le principal écueil de ce nouveau dispositif est bien évidemment de ne pas sacrifier les droits des personnes « relocalisées » aux attentes que cette « solution » a suscitées tant sur le terrain politique que parfois celui de l’opinion publique émue.

Dans quelles conditions sera pris en compte le droit au respect de la vie privée et familiale des personnes devant faire l’objet de la relocalisation ? Le consentement des personnes ne semble pas être requis. Cet élément, combiné avec l’obligation de prendre les empreintes digitales, conduit à se poser la question du degré de contrainte applicable pour obliger une personne à être relocalisée ? Le recours à la détention est à craindre. Dans ce cas, comment le dispositif se mettra-t-il en conformité avec les normes internationales très restrictives et qui requièrent un degré très élevé d’individualisation pour décider du recours à des mesures privatives de liberté ? Des voies de recours seront-elles disponibles pour contester une décision relative à la relocalisation ? Quelle assistance juridique et, en amont, quelle information seront fournies et dans quelles conditions ? Autant de questions dont les réponses sont rendues incertaines au regard des attentes fortes pesant sur ce dispositif.

S’ils ne sont pas solidaires, les États membres refusent d’être lucides. À quoi est vouée la « relocalisation » si elle n’accompagne pas une réforme en profondeur de la politique européenne de l’asile ? Vraisemblablement, à alimenter des débats sans fin sur de nouveaux nombres de personnes à accueillir par État.

Un changement radical est nécessaire. Il doit passer par des mesures simples :

  • cesser d’envisager l’examen d’une demande d’asile comme la sanction d’une absence de contrôle de ses frontières ;
  • construire de nouvelles règles d’allocation de responsabilité d’abord et avant tout fondées sur les droits et intérêts des personnes ;
  • introduire le principe de reconnaissance mutuelle des décisions de protection des réfugiés entre les États membres ;
  • reconnaître aux réfugiés la liberté d’installation en Europe.

En procédant de la sorte, la solidarité avec les États de premières arrivées ne serait plus ponctuelle ni laborieuse mais pleinement intégrée à un système d’asile européen commun davantage axé sur la protection des réfugiés plutôt que des égoïsmes nationaux ; comme l’exige l’article 67 du TFUE.

 

 

Le point de vue exprimé dans cette tribune l’est à titre strictement personnel.