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Le droit en débats

Inévitables prisons ?

Si notre système pénal ne se réduit pas à la prison, puisqu’une large majorité des peines prononcées par les tribunaux répressifs ne débouche sur aucun enfermement, elle en est quand même la référence centrale, omniprésente dans les codes, l’imaginaire collectif et les médias. Il n’est pas surprenant que la sanction la plus lourde (en privant de liberté, on agit sur les corps) et visible (les prisons se voient) imprime sa marque à toute discussion sur les politiques pénales.

Par Didier Peyrat le 12 Avril 2013

Pierre-Victor Tournier, spécialiste de démographie pénale, aborde méthodiquement son sujet, traité à fond. Le livre regorge de renseignements précieux sur la prison et apporte des éléments de réponse à de nombreuses questions : qui récidive et pourquoi ? Quelle est l’ampleur réelle et l’évolution de la surpopulation carcérale ? Comment et pourquoi distinguer entre « stock » et « flux » (d’entrée et de sortie) ? Quelle part des agresseurs sexuels en détention ? Quelles origines sociales des détenus ? Pierre-Victor Tournier œuvre ainsi à la constitution d’un savoir sur la prison, y compris sur le plan statistique, car « une politique du chiffre juste » est la condition d’une lutte sérieuse contre la surpopulation carcérale.

On signalera le point de méthode louable qui est le sien : ne pas perdre de vue ce qui précède l’enfermement (le délit ou le crime préalables). Un exemple : les simple voleurs, sont une denrée rare en prison (7,5% des écroués), alors qu’en 1970 ils représentaient presque la moitié des incarcérés (49,4%). Voilà qui donne à réfléchir sur les mutations de la répression pénale. Aujourd’hui, les deux tiers des détenu(e)s ont été condamné(e)s pour des atteintes directes ou indirectes aux personnes. Il est donc difficile de désindexer le débat sur la prison du débat sur la violence (subie, perçue, imaginée) dans la société. Sera-t-il possible d’organiser la déflation carcérale, sans avoir obtenu une déflation de la délinquance violente ?

Le crime étant ce qu’il est, la prison est pour l’instant inévitable. Par contre, ce qui est sans doute évitable, c’est son fonctionnement actuel. Le livre est d’un réaliste, mais aussi d’un humaniste convaincu. Il n’est pas fatal que les prisons soient un univers de non droit, d’atteintes à la dignité et qu’y soit délivrée, par toutes sortes de modes de faire aussi défectueux qu’involontaires, une sorte de formation supérieure au mépris de l’autre. Comment apprendre à respecter la sécurité d’autrui, dans un système où l’on se révèle où l’on se révèle incapable de préserver la sécurité des détenus ? Préoccupé aussi de ce qu’il y a en fin de prison, l’auteur milite pour des dispositifs intelligents d’aménagement de peine et formule de nombreuses propositions pour changer la sortie de prison afin de limiter les récidives. Enfin, ces pages invitent à une réflexion sur le sens de la peine qui fonde ce qu’on peut nommer le réformisme pénitentiaire de Pierre-Victor Tournier.

A l’heure où, à l’occasion du rapport rendu par la conférence sur la prévention de la récidive, risquent de se réveiller les simplismes virulents du débat sur la sécurité et la justice, voici un travail qui assume en même temps la nécessité républicaine de la prison et l’impératif de sa transformation. Un livre qui tombe à pic.

Pierre Victor Tournier. La Prison, une nécessité pour la République, Préface de Élisabeth. Guigou, Buchet Chastel, févr. 2013. 19 €.