Un vent de réforme souffle sur les bancs de l’autorité judiciaire.
Peu de temps après de nombreuses prises de position publiques des plus hauts magistrats contre les effets de la législation récente sur le rôle et le statut de l’autorité judiciaire, c’est au tour de la conférence des premiers présidents de prendre la parole.
On se souvient en effet de la délibération commune du premier président de la Cour de cassation et des premiers présidents des cours d’appel adoptée le 1er février 2016, qui appelait le constituant à intervenir « pour reconnaître et asseoir effectivement l’Autorité judiciaire dans son rôle de garant de l’ensemble des libertés individuelles, au-delà de la seule protection contre la détention arbitraire ». Cette délibération soulignait également la nécessité de « porter le budget de la justice judiciaire à la hauteur de ses missions », et recommandait l’engagement d’une réforme de nature à garantir « de manière indiscutable et perceptible pour l’ensemble de la société », l’indépendance de l’autorité judiciaire.
C’est dans la continuité de celle-ci que s’inscrit la délibération des premiers présidents adoptée le 20 mai 2016 qui porte sur le statut du juge des libertés et de la détention (JLD) et que nous nous proposons d’examiner ici.
Celle-ci exige « la mise en place d’un service dédié doté de moyens adaptés » aux prérogatives du juge des libertés et de la détention, constamment élargies au fil des réformes de la procédure pénale1.
La délibération de la conférence des premiers présidents préconise ainsi l’adoption d’une nouvelle dénomination du juge des libertés et de la détention, reflétant davantage son rôle dans la procédure pénale, qui excède aujourd’hui largement le contentieux de la détention et de l’habeas corpus : il serait ainsi devenu un véritable « juge des libertés ».
L’extension de la compétence de ce « juge des libertés » doit également s’accompagner d’une réforme de la procédure à la hauteur de ses nouvelles prérogatives : le respect du contradictoire doit ainsi être réaffirmé lors des audiences se tenant devant le JLD et celui-ci doit se voir imparti le temps nécessaire à l’étude et à l’analyse du dossier.
Enfin, afin de garantir des décisions adaptées aux enjeux de chacune des affaires, le « juge des libertés » doit également pouvoir avoir recours à la co-saisine ou à la collégialité dans les dossiers les plus complexes, permettant ainsi de garantir une plus grande prévisibilité des décisions pour le justiciable.
La conférence des premiers présidents appelle donc les pouvoirs publics à octroyer au « juge des libertés » le budget et les moyens nécessaires au bon exercice de ses fonctions telles que récemment redéfinies, dès lors qu’ils « sont seuls de nature » à donner au « juge des libertés » « le cadre indispensable à l’exercice de ses missions essentielles et à la garantie des droits des citoyens ».
Le constat de l’élargissement des prérogatives du juge des libertés et de la détention est en effet indiscutable.
L’insuffisance de ses moyens l’est tout autant.
Toutefois, si on ne peut que saluer l’initiative prise par la conférence des premiers présidents, nous nous devons d’aller encore plus loin.
Les évolutions récentes appellent en effet à une réflexion de fond sur le statut du JLD, qui suppose d’aller au-delà d’un débat sur des questions budgétaires ou sur l’adoption d’une nouvelle dénomination.
C’est d’ailleurs l’approche partiellement adoptée par la Chancellerie qui a proposé la création d’un statut pour le juge des libertés et de la détention, « nommé avec toutes les garanties pour lui-même et pour le justiciable2 ». L’adoption du projet de loi « J213» par l’Assemblée nationale le 24 mai 2016, fait ainsi du juge des libertés et de la détention, au même titre que le juge d’instruction, le juge des enfants ou le juge chargé de l’application des peines, un magistrat spécialisé nommé par décret du président de la République4.
En revanche, et ce contrairement à son nouvel homologue le juge d’instruction, les missions du juge des libertés et de la détention ne sont toujours pas précisément définies au sein de la procédure pénale.
En effet, s’il est chargé de trancher le contentieux de la détention provisoire, mais aussi de prendre des décisions sur les mesures d’enquêtes les plus attentatoires aux libertés (perquisitions de nuit, prolongation de la garde à vue en matière de terrorisme et de stupéfiants, autorisations des nouvelles techniques d’enquêtes par loi sur la délinquance et la criminalité organisée, etc.), le rôle du juge des libertés et de la détention n’est pas clairement déterminé, eu égard au parquet et au juge d’instruction. Et, sur cette question essentielle, les réformes tout juste adoptées par l’Assemblée nationale n’apportent aucune réponse.
Procédons à une rapide comparaison des textes encadrant le rôle du parquet et du juge d’instruction intervenant également au stade de la phase préparatoire du procès pénal.
Le ministère public « exerce l’action publique et requiert l’application de la loi, dans le respect du principe d’impartialité auquel il est tenu ». Il est représenté par le procureur de la République5 qui « met en œuvre la politique pénale définie par les instructions générales du ministère de la justice précisées et, le cas échéant, adaptées par le procureur général6 ». Le juge d’instruction, lui, est « chargé de procéder aux informations ». « Il ne peut, à peine de nullité, participer au jugement des affaires pénales dont il a connu en sa qualité de juge d’instruction7 ».
Or aucun chapitre ni aucune section du code de procédure pénale ne définit symétriquement le rôle du juge des libertés et de la détention.
Comment l’expliquer, alors que le rôle du juge des libertés et de la détention est sans cesse croissant ?
Les grandes problématiques de la procédure pénale sont pourtant connues, et cela depuis de nombreuses années.
On peut les simplifier de la manière suivante.
D’un côté, la lenteur et la lourdeur des procédures d’instruction, diligentées par un juge d’instruction surpuissant ayant une double casquette d’enquêteur et de juge, et que l’on souhaiterait cantonner aux affaires les plus complexes, quand la question de sa suppression n’est pas directement envisagée8.
De l’autre, l’impossible réforme du parquet9, à cheval entre la magistrature et l’exécutif, dont on ne parvient pas à déterminer le véritable statut et conduisant à l’adoption de réformes ayant un impact très limité sur le statut du ministère public10.
Il semble que, refusant de s’atteler à ces deux importantes questions, le législateur a donc créé un juge des libertés et de la détention.
Sa création a en effet permis de renforcer les pouvoirs du parquet au détriment de ce juge d’instruction qui dérange, tout en évitant que le ministère public soit taxé d’être un hoplite de l’exécutif, puisque ses décisions les plus attentatoires sont contrôlées par un juge du siège, pris en la personne du juge des libertés et de la détention.
Le juge des libertés et de la détention semble en effet être devenu le parfait alibi des mesures prises par le parquet au stade de l’enquête, tout en permettant d’éviter la lourdeur et les risques réels ou fantasmés de la procédure de l’instruction judiciaire.
Alors, « haro sur le juge des libertés et de la détention », devons-nous demander sa suppression dès lors que nous considérerions qu’il n’est qu’un avatar de l’accusation ?
Une telle interrogation est excessive, tant le rôle du JLD est devenu central au sein de la procédure pénale et notamment dans ce que l’on pourrait appeler l’arsenal législatif antiterroriste. Surtout, en cas de suppression du JLD, elle conduirait à la consécration d’un ministère public surpuissant, dont les pouvoirs ne seraient soumis à aucun contrôle du juge du siège.
En définitive, il ne faut pas se contenter de cette situation en demi-teinte dans laquelle nous sommes. En réalité, il nous faut obtenir une définition claire du rôle du juge des libertés et de la détention devenu le juge du contentieux de la détention ainsi que de l’ensemble des mesures les plus attentatoires aux libertés décidées au sein de l’enquête, tout en garantissant qu’il dispose des moyens et du temps nécessaire pour prendre suffisamment connaissance des dossiers dont il a à juger, et se départir des avis de ses homologues magistrats.
À bon entendeur.
Avec Adélaïde Jacquin, élève avocate au sein du cabinet Vigo.
1 Notamment la loi sur la criminalité et la délinquance organisée « renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale », qui transfert une partie des pouvoirs du juge d’instruction aux magistrats du Parquet, sous le contrôle du JLD.
2 V. l’article en ligne.
3 Projet de loi de modernisation de la justice du 21e siècle adopté par l’Assemblée nationale en 1ère lecture, ensemble avec le projet de loi organique relatif aux garanties statutaires, aux obligations déontologiques et au recrutement des magistrats ainsi qu’au Conseil supérieur de la magistrature (JUSB1514050L) également adopté le 24 mai 2016.
4 Projet de loi organique relatif aux garanties statutaires, aux obligations déontologiques et au recrutement des magistrats ainsi qu’au Conseil supérieur de la magistrature (JUSB1514050L) adopté le 24 mai 2016.
5 C. pr. pén., art. 39.
6 C. pr. pén., art. 39-1.
7 C. pr. pén., art. 49.
8 J. Pradel, Haro sur le juge d’instruction, D. 2006. 244 ; Tous les péchés du juge d’instruction méritent-ils sa mise à mort ? D. 2009. 438 .
9 V. la réforme constitutionnelle portant réforme du CSM et du mode de nomination des magistrats du parquet et l’article du Monde.
10 Loi n° 2013-669 du 25 juillet 2013 relative aux attributions du garde des Sceaux et des magistrats du ministère public en matière de politique pénale et de mise en œuvre de l’action publique, et qui supprime les instructions individuelles.