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Le droit en débats

L’indigne « droit » de frapper les enfants a encore de beaux jours devant lui

Par Martine Herzog-Evans le 09 Février 2017

Les recherches sur la parentalité accompagnée de châtiments corporels, y compris « modestes » tels que claques et fessées, et l’impact à moyen et long terme représentent un tel volume qu’il est impossible d’en reprendre l’essentiel ici. Le fait d’importance considérable pour le pénaliste est que les recherches et méta-analyses ont constamment montré, outre des conséquences globalement très fâcheuses pour le développement de l’enfant (E.T. Gershoff et A. Grogan-Kaylor, Spanking and child outcomes : Old controversies and new meta-analyses, Journal of Family Psychology, 2016, 30[4], 453-469), un lien entre violence à l’âge adulte et violences subies dans l’enfance (parmi de nombreux ex., v. E.T. Gershoff, Corporal punishment by parents and associated child behaviors and experiences : A meta-analytic and theoretical review. Psychological Bulletin, 2002, 128[4], 539-579) et des performances scolaires significativement diminuées (A. Grogan-Kaylor, The effect of corporal punishment on antisocial behavior in children. Social Work Research, 2004, 28[3], 153-164). Aucun chercheur sérieux ne peut nier qu’il s’agit d’un facteur développemental essentiel dans l’apprentissage social de la violence (J. Morizot et L. Kazemian, The Development of Criminal and Antisocial Behavior, Theory, Research and Practical Applications. Springer, 2015), mais aussi, de manière indirecte, mais tout aussi certaine, de la « fabrication » du trouble de la personnalité antisociale, qui représente, du point de vue criminologique, l’un des trois facteurs statistiquement les plus puissants dans le devenir délinquant (J. Bonta et D. Andrews, The Psychology of Criminal Conduct, 6e éd., Routledge, 2017). C’est la raison pour laquelle l’ONU (not. dans le cadre de la CIDE) et l’Europe (tant au niveau de l’UE, du Parlement du Conseil de l’Europe, que du Comité des droits sociaux) ont développé une approche « zéro tolérance » à l’endroit des États permettant toujours aux parents de recourir au châtiment corporel (M. Herzog-Evans, Châtiments corporels : vers la fin d’une exception culturelle ?, AJ fam. 2005. 212 ). De très nombreux États ont d’ailleurs prohibé de tels châtiments tant à l’école qu’à la maison (v. la liste sur le site Corpun). La prohibition de toutes violences en Suède en 1979 avait ainsi réduit considérablement le nombre d’enfants battus (J.D. Durrant, Evaluating the success of Sweden’s corporal punishment ban. Child Abuse and Neglect, 1999, 23[5], 435-448). C’est qu’il existe hélas un continuum entre violences dites « légères » et violences sévères. Les interdire purement et simplement réduit donc les violences sévères.

Face à la pression et au concert grandissant de nations, la France a tenté de préserver son exception culturelle au moyen d’une manipulation juridique aisée à démonter. En effet, les gouvernements successifs répondaient aux instances internationales et européennes qu’en réalité, les châtiments corporels étaient bel et bien prohibés. Ils citaient à l’appui de cette affirmation l’article 222-13 du code pénal, lequel prévoit que constitue une violence aggravée le fait pour un ascendant d’exercer des violences non suivies d’ITT, ce qui inclut les traditionnelles claques et fessées, et la sanction est plus élevée encore s’agissant d’une victime mineure de quinze ans. La réalité, toutefois, est que les condamnations sont rarissimes, d’une part, en raison du peu d’intérêt des parquets pour ce type de faits, mais, d’autre part et surtout, parce que la jurisprudence prétend puiser dans la coutume une norme contra legem autorisant les parents à user du droit de correction – la même qui était soutenue naguère par la jurisprudence pour accorder aux hommes un droit de correction marital. Le lecteur a bien lu : la jurisprudence a choisi une infraction violente dont les victimes sont parmi les plus vulnérables pour violer le principe fondamental de légalité, lequel a toujours signifié qu’aucune source pénale ne peut être autre que législative – voire, pour les contraventions, règlementaire. Pire encore, la jurisprudence fait ici jouer le « correctif » (sic) issu de la coutume contre l’application d’une qualification pénale dont l’énoncé est limpide. Pour s’adapter à la moindre tolérance des Français pour les châtiments corporels plus sévères, au fur et à mesure des décennies, la jurisprudence a prétendu pouvoir distinguer entre châtiments légers et éducatifs (sic) et châtiments moins légers (v. la jur. citée in AJ fam. 2005. 212, obs. M. Herzog-Evans, préc.). Comme l’avait fait remarquer la Cour suprême d’Israël, lorsqu’elle avait à son tour prohibé les châtiments corporels (Cour suprême d’Israël, janv. 2000, Appel criminel, 4596/98 Plonit c. A.G. 54[1] P.D. p. 145), le principe de légalité pénale ne saurait pourtant se satisfaire d’une dichotomie aussi floue que « léger versus non léger » lorsqu’il s’agit de décider de ce qui est punissable et ce qui ne l’est point. En tout état de cause la qualification de l’article 222-13 est constituée sans qu’une ITT soit exigée.

Au demeurant, la France avait été encore sanctionnée par le Comité des droits sociaux en 2014 (Approach, c. France, réclam. n° 92/2013) ; la Cour de cassation avait, quelques mois après seulement, montré qu’elle n’entendrait pas s’y soumettre en faisant une nouvelle fois application du concept de « droit de correction » (Crim. 29 oct. 2014, n° 13-86.371).

Reste que sanctionner pénalement un parent qui croit, à tort, bien faire, constitue aussi une violence faite envers l’enfant. Encore faut-il se rappeler que les tribunaux n’appliquent généralement point les tarifs prévus par les textes et les rares condamnations prononcées en la matière ont toujours consisté en des amendes.

Quoi qu’il en soit et pour ce motif, nous avions recommandé (M. Herzog-Evans, préc.) que le message de prohibition figurât dans le code civil, comme cela avait été le cas en Suède. Nous souhaitions ainsi affirmer plus clairement que la notion de « droit de correction » n’existait pas.

Cela fut presque chose faite avec l’article 222 du projet adopté devant ultérieurement aboutir à la loi n° 2017-86 du 27 janvier 2017, lequel avait modifié l’article 371-1 du code civil et devait désormais énoncer que l’autorité parentale visait à protéger l’enfant, et excluait « tout traitement cruel, dégradant, y compris tout recours aux violences corporelles ».

L’impact d’une telle réforme aurait pu être spectaculaire. Sur le plan pénal, la conséquence en aurait été limpide : dès lors que le législateur avait clairement prohibé « tout recours » – donc quelle qu’en soit la forme ou la gravité – aux « violences corporelles », la jurisprudence n’aurait plus été en mesure de prétendre qu’il existait une norme coutumière encore présente en droit positif autorisant les parents à « corriger » leurs enfants. Autrement dit, il n’aurait plus été possible de faire barrage à l’application de l’article 222-13 du code pénal.

S’agissant de son impact sur les pratiques parentales, l’on pouvait espérer que la présence des modifications législatives au sein du code civil permît d’en assurer plus aisément la diffusion auprès des parents. Pour lui donner une pleine visibilité, l’on aurait pu le faire figurer en exergue des carnets de santé. La baisse de la maltraitance en Suède avait été le résultat de larges campagnes – et ce dans la durée – d’information du public et en proposant des ateliers de parentalité dans les écoles ou l’équivalent des PMI. Lorsque l’on a appris à discipliner en recourant à la violence, l’on peut en effet manquer d’outils et de techniques permettant d’asseoir une autorité bienveillante et tranquille, mais ferme. Pour rappel, le mode de parentalité qui prévient le plus la délinquance est un modèle de supervision importante, qui réagit tant aux bonnes qu’aux mauvaises actions des enfants, pour un apprentissage social et un lien d’attachement maximal (Hing, Y.R. & Park, J.S. (2012). Impact of attachment, temperament and parenting on human development. Korean Journal of Pediatrics, 55(12), 449-454) ; c’est bien celui qui est le moins corrélé à la délinquance (M., Hoeve, S.H. Dubas, V. Eichelsheim, P. H. van der Laan, W. Smeenk et J.R. Gerris, The relationship between parenting and delinquency : A meta-analysis. Journal of Abnormal Psychology, 2009, 37[6], 749-775).

Il ne faut toutefois pas négliger le poids de la culture et des traditions, qu’il s’agisse des violences conjugales, dont la France ne s’inquiète, et fort mollement, que depuis fort peu de temps, ou, domaine tristement lié, de celui des violences faites aux enfants. Les partisans des violences faites aux enfants ont en effet saisi le Conseil constitutionnel. Ce dernier a, de manière honteuse – le mot n’est pas trop fort –, déclaré cette nouvelle disposition contraire à la Constitution pour des raisons de pure forme auquelles nous ne donnerons pas ici la dignité d’un commentaire (26 janv. 2017, décis. n° 2016-745 DC).

L’indigne « droit » de frapper a encore de beaux jours devant lui.