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Le droit en débats

La médiation face aux enjeux du numérique et du service public de la justice : quelles perspectives ?

Par Natalie Fricero et Fabrice Vert le 24 Janvier 2018

La médiation se définit comme un processus structuré par lequel deux ou plusieurs parties tentent de parvenir à un accord avec l’aide d’un tiers, le médiateur (L. n° 95-125, 8 févr. 1995, art. 21). Elle fait partie des modes amiables de résolution des différends (au même titre que la conciliation et la procédure participative assistée par avocat) dont les avantages sont bien connus et qui participent de la justice alternative que les pouvoirs publics encouragent. Le service public n’est pas absent de l’organisation et du fonctionnement de la médiation : les textes encadrent le processus judiciaire ou conventionnel, le juge joue un rôle essentiel de proposition, il intervient pour homologuer l’accord issu d’une médiation et lui conférer la force exécutoire, et pour statuer sur le contentieux de l’exécution forcée de l’accord et sur sa validité en cas de contentieux ultérieur. La médiation entretient des liens évidents avec la justice : elle peut intervenir dans un cadre contractuel en amont de la saisine d’un juge, ou pendant l’instance, ou même après le prononcé d’un jugement !

Contrairement à la justice traditionnelle, qui relève du monopole de l’État, la médiation ne correspond pas à un domaine monopolistique : elle est donc régie par la liberté d’entreprendre des acteurs privés et la liberté contractuelle des parties. Elle est donc directement impactée par les nouveaux modes de régulation sociale que constituent les outils numériques, et les algorithmes. De nombreuses plateformes de médiation en ligne apparaissent, développées par des professionnels du droit (avocats, huissiers de justice, notaires) ou des privés (legal techs). L’ouverture publique des données du service public de la justice (fondée sur la loi du 7 oct. 2016 pour une République du numérique, v. le rapport de la mission d’étude sur l’open data des décisions de justice, présidée par Loïc Cadiet, déc. 2017) permettra d’identifier les solutions statistiquement les plus probables dans un contentieux donné, ce qui offrira au justiciable la possibilité de choisir entre un accord amiable et une décision judiciaire (Synthèse de la CNIL, Comment permettre à l’homme de garder la main ?, déc. 2017, p. 66). Comme le démontre le rapport de l’Institut Montaigne, le numérique remet en question les modes d’accès au service public, son rapport avec les justiciables et finalement la pertinence des modalités d’exercice de ses missions (Justice : faites entrer le numérique, rapport, nov. 2017, prés. par Guy Canivet, p. 81).

Ce contexte suscite de nombreuses questions auxquelles un État de droit doit répondre : comment moderniser la justice pour intégrer le numérique, comment simplifier la justice pour l’adapter aux nouveaux besoins des justiciables, comment garantir aux citoyens un égal accès au juge et un règlement amiable équitable des différends ? Cela revient à poser la question de la place du service public dans l’organisation et le fonctionnement de la justice amiable ou alternative numérique !

Les différents rapports issus des chantiers mis en place par le ministère de la justice, dans le prolongement de la volonté du président de la République de moderniser la justice (v. le discours prononcé à l’audience solennelle de la Cour de cassation du lundi 15 janvier 2018) énoncent de nombreuses propositions permettant au service public de la justice de développer une politique publique ambitieuse relative aux modes amiables de résolution des différends et plus particulièrement de la médiation en ligne. La création au sein du ministère de la justice de structures dédiées aux modes amiables (présentes à la Direction des affaires civiles et du Sceau [DACS], au Service de l’accès au droit et à la justice et de l’aide aux victimes [SADJAV]) révèle que la préoccupation des autorités est de garantir aux justiciables des processus de qualité, respectueux des droits fondamentaux.

Une première méthode pourrait consister à généraliser les expérimentations tentées par les juridictions pour développer la médiation judiciaire et la conciliation, qui s’appuient sur des « unités de médiation » (comme, notamment, la cour d’appel de Paris, celle de Pau ou le tribunal de grande instance de Créteil, dont le président, Stéphane Noel, vient de créer une unité des modes amiables de résolution des différends).

Une autre méthode consisterait à mettre en place une plateforme publique de médiation en ligne, en s’inspirant d’une expérience de médiation en ligne qui articulait la médiation et les procédures judiciaires, conduite avec succès sur le ressort de la cour d’appel de Paris dont les premiers présidents successifs, de Pierre Drai à Chantal Arens en passant par Guy Canivet et Jean-Claude Magendie, ont toujours prôné un développement de la médiation. Il s’agit du Forum des droits sur l’internet, organisme para-public, qui avait développé à partir de 2004 un service gratuit de médiation en ligne. Compétent pour les litiges liés à la société numérique impliquant au moins un particulier, il était saisi plus particulièrement pour les différends en matière de commerce en ligne et de fourniture d’accès à internet.

Le 7 avril 2009, dans le but d’inscrire « la médiation dans la réalité judiciaire », la cour d’appel de Paris avait signé une convention expérimentale avec le Forum des droits sur l’internet. Le bilan de cette expérience, pilotée conjointement par Marie-Françoise Le Tallec, secrétaire générale du Forum, et Fabrice Vert, référent médiation de la Cour, en coopération étroite avec des juges d’instance du ressort a été positif puisque 66 médiations ont été menées sur quelques mois dans le cadre de ce partenariat avec un taux d’accord de 92 %.

Le rapport Delmas-Goyon (Le juge du 21e siècle, déc. 2013) a relevé cette expérience et préconisé de « créer une plate-forme de règlement en ligne des litiges répondant à l’objectif de favoriser, par le recours aux nouvelles technologies numériques, la résolution amiable des conflits » (proposition n° 17). On retrouve cette même idée de création d’une plateforme publique de médiation ou de conciliation en ligne dans le rapport de l’Institut Montaigne : « un portail de saisine de la justice pourrait offrir aux parties de soumettre et de documenter leur conflit sur une plateforme unique – publique – de dialogue et de conciliation rattachée à la juridiction. En cas d’échec, c’est le même dossier qui continue son chemin au sein de la même institution, étant transmis avec tous ses éléments à un juge, en état d’être tranché au regard des règles de droit applicables » (p. 51). Le rapport sur l’amélioration et simplification de la procédure civile (F. Agostini et N. Molfessis), envisageant un recours aux modes amiables à tous les stades de la procédure, préconise d’intéressantes mesures d’organisation et de régulation des modes amiables et, particulièrement, estime que l’institution judiciaire doit se positionner sur cette offre de résolution amiable en ligne. Il insiste sur le fait que le service public doit réguler les dispositifs de résolution en ligne développés par les professions ou le secteur privé (notamment par un agrément des plateformes et l’élaboration d’un cahier des charges, p. 27).

Le rapport sur la transformation numérique (J.-F. Beynel et D. Casas, Chantiers de la justice, janv. 2018) propose une méthode un peu différente : il part du constat d’une offre de modes alternatifs en ligne très diversifiée et novatrice, qui pourrait assurer le traitement de la phase initiale amiable en amont de la saisine du juge. Afin de crédibiliser les acteurs et le processus, le service public de la justice labelliserait les plateformes, afin de s’assurer que les garanties essentielles soient effectives (compétence, déontologie des plateformes). Un Conseil national de la médiation pourrait labelliser les plateformes ?

En conclusion, et en dépit de la variété des propositions, un objectif unique apparaît : celui de placer le service public au centre de la justice alternative, pour permettre à l’État de droit de remplir ses missions régaliennes et de les adapter aux grandes mutations actuelles ! Après le droit d’accès à un tribunal, un nouveau droit de l’homme pourrait émerger, un droit à un règlement équitable numérique…