Ce qui aurait dû être une agréable réunion de famille – introduite par le toast liminaire de Jean-Yves Le Borgne, « le pénal parle au pénal » – a viré au règlement de comptes façon Festen dont la principale cible a été la Conférence du stage et son monopole sur les permanences criminelles (lire l’article de Julien Mucchielli à ce sujet).
Le procès fait à la Conférence du stage est infondé dès lors que chacun connaît, en réalité, le dévouement, le désintéressement, le professionnalisme des secrétaires et pour faire bref, la rudesse de cette année de folie qu’est l’année de la Conférence pour ses élu(e)s ; aussi le monopole précité est-il justifié et non pas seulement au nom d’une tradition prétendument surannée. N’ayant pas eu le courage de me présenter, j’invite pourtant ses contempteurs à la passer !
Au-delà des prises à partie et de la pertinence ou non de certains propos, le déroulement et le contenu de cette « assemblée générale » incitent, cependant, à la réflexion. Pourquoi autant d’émotion ? Quelles sont les questions posées par les jeunes pénalistes ou celles et ceux qui aspirent à le devenir au travers de leurs interventions ?
À cet égard, j’ai la conviction que les jeunes pénalistes en devenir ont la conviction, à juste titre, d’être victimes d’une injustice.
En effet, ne peuvent s’inscrire sur les listes des commissions d’office que les avocats ayant suivi la formation dispensée par l’« Ecole de la défense pénale ». Or, cette formation est réservée, sauf erreur de ma part, aux quelque 350 premiers inscrits, alors que chaque promotion de l’EFB comprend près de 1800 avocats.
De plus, jusqu’à une date très récente, les inscriptions étaient ouvertes sur une période très brève sans que celle-ci ne soit communiquée à l’avance. En résumé, au mieux c’était la loterie ou Koh Lanta, au pire cela relevait de l’art de la divination. Progrès notable depuis le « concert » de la Mutualité, l’Ordre a adressé un courriel aux sortants de l’EFB pour leur signifier que les inscriptions démarraient… aujourd’hui, jeudi 16 janvier ; le numerus clausus est-il maintenu, on n’en sait rien mais on peut le présumer ?
Comment les futurs pénalistes peuvent-ils se satisfaire d’une telle situation ? Comment ne pas comprendre qu’ils peuvent être étreints par l’angoisse, l’amertume provoquée par une immense déception ?
En effet, on leur a répété en boucle qu’il fallait développer sa clientèle personnelle, assurer son indépendance. Pour les pénalistes, figurer sur les listes de commission d’office constitue le moyen principal non seulement pour se former et travailler son aisance professionnelle (exercice de la plaidoirie, contact avec le client, élaboration de la stratégie de défense en un temps limité) mais aussi constituer l’embryon d’une clientèle. Or, pour la grande majorité d’entre eux, pleins d’allant et d’enthousiasme, on leur claque violemment la porte au nez selon un processus dont on ne peut pas dire qu’il soit :
- marqué par une grande transparence,
- et orienté effectivement vers plus de professionnalisme.
Et pourtant Pierre-Olivier Sur l’a souligné lui-même, certains de nos confrères commis d’office se caractérisent parfois par leur médiocrité. Or, l’avocat commis d’office a très mauvaise presse auprès des justiciables. Si l’on veut combattre ce cliché avec efficacité, il faut donc améliorer la formation et atteindre l’excellence pénale, objectif individuel et collectif à la fois.
Enfin, aujourd’hui, il y beaucoup plus d’avocats inscrits que de permanences disponibles.
A priori, seuls les meilleurs pénalistes (c’est-à-dire, en principe les mieux formés) devraient être appelés pour défendre les citoyens confrontés à un risque pénal sérieux, actuel et grave. Ce n’est pas le cas aujourd’hui.
Comment répondre à la double exigence d’accueillir les « candidats-pénalistes » d’une part et d’autre part d’atteindre le nirvana de l’excellence pénale ?
À ce stade, je vais me contenter de poser quelques questions tout en ayant parfaitement conscience que je puis donner l’impression (ce qui n’est pas mon intention) de me comporter en inspecteur des travaux finis ou en donneur de leçons, ce qui pourrait être insupportable aux yeux de certains lecteurs, de celles et ceux qui sont en responsabilité, et de celles et ceux qui affrontent une situation de précarité professionnelle.
Le postulat ordinal actuel est connu : il est nécessaire de limiter le nombre d’avocats inscrits sur les listes afin d’éviter l’implosion de l’« Ecole de défense pénale » et d’assurer l’effectivité du système de la commission d’office pénale.
Dans ce cas :
- quelle est la légitimité des avocats de 10,15, 20 ans de barreau à se maintenir sur les listes ? N’est-il pas de la responsabilité de chacun d’assurer un roulement dans l’accès à la défense pénale, notamment au profit des plus jeunes ?
- en tout état de cause, pourquoi n’y a-t-il pas aucune évaluation de la compétence, de la motivation et des connaissances de fond en procédure pénale des personnes inscrites sur les listes (surtout quand cette inscription remonte à plusieurs années) ?
- s’agissant de l’inscription des jeunes diplômés, pourquoi ne pas permettre à tous les sortants de l’EFB de suivre la formation dispensée par l’« Ecole de défense pénale » et de soumettre ces derniers à un examen portant sur le droit pénal et la procédure pénale, afin de déterminer celles et ceux qui seraient éligibles à l’inscription sur les listes ? La mise en en place d’un examen en e-learning devrait permettre de rendre supportables les coûts induits pour la profession ?
Il faut en finir :
- avec une compétence fondée uniquement sur la seule capacité de l’impétrant à être posté devant son ordinateur à la minute d’ouverture des inscriptions en ligne ;
- idem pour les permanences GAV… Ahh, le premier jour de chaque mois, à partir de minuit, quel pied pour les insomniaques et les noctambules ou le « lumpen-collaborateur » ! Dès minuit et quart, la plupart des dates de permanence sont saturées, et en définitive, point de salut à la levée du jour. Il faut rendre hommage à ces jeunes avocats qui dorment avec leur ordinateur, leur agenda et leur mobile dans leur petit lit… Plus sérieusement cette situation ne peut perdurer, il faut trouver une solution technique (ce qui ne semble pas insurmontable a priori) pour que les inscriptions puissent être effectuées sereinement à une heure décente.
Bien sûr le débat est ouvert et la situation difficile mais on ne peut oublier que les enjeux sont de taille :
1) Redynamiser la défense pénale à Paris en mettant l’accent sur la nécessité de se former constamment par une mise à jour régulière de ses compétences.
2) Ne pas désespérer les plus jeunes avocats, compétents, rigoureux, avides d’en découdre après de très longues années d’étude et de formation, de défendre et de défendre encore les plus démunis, les défendre tous !
Cette responsabilité incombe au premier chef à notre bâtonnier Pierre-Olivier Sur, à notre vice-bâtonnier Laurent Martinet (désormais également président de l’EFB). Le mandat d’un bâtonnier n’est pas trop court pour ce faire, c’est le temps qui est compté… le temps du présent de l’excellence pénale pour les plus jeunes avocats.