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Le droit en débats

Pour la création du tribunal judiciaire

La période de rendez-vous démocratiques qui s’ouvre et la formation d’une nouvelle équipe gouvernementale seront sans doute, comme en pareilles circonstances, l’occasion d’évoquer la réforme du fonctionnement judiciaire sous l’angle d’une possible refonte de la carte judiciaire. Beaucoup s’accordent déjà à dire que la refonte territoriale des régions devra aboutir, dans ce nouveau cadre, à une réduction du nombre des cours d’appel à l’effet de parvenir à une meilleure cohérence des juridictions du second degré, tant avec la nouvelle organisation administrative qu’avec l’architecture budgétaire des cours d’appel en vigueur depuis plusieurs années, certaines d’entre elles assumant la gestion d’un budget opérationnel de programme (BOP) pour le compte d’autres cours d’appel dites « unités opérationnelles » (UO). Mais l’appréhension des thématiques d’organisation judiciaire et de gouvernance doit, selon nous, passer, pour les juridictions de première instance, plutôt que par une refonte ex abrupto du nombre des tribunaux de grande instance (TGI) ou d’instance (TI), par une redéfinition de leur gouvernance, de leur fonctionnement et de leur accès.

La conférence des présidents de tribunaux de grande instance (CNPTGI), qui regroupe plus de 130 présidents de TGI sur 164, a inscrit sa réflexion, depuis plusieurs années, dans le sens de la recherche d’un échelon plus pertinent de gouvernance qui ne soit pas nécessairement départemental, en vue de la définition d’une nouvelle cartographie organisationnelle, non plus seulement que territoriale, des différents tribunaux de l’ordre judiciaire.

Elle a promu et soutenu, en son temps, le projet de tribunal de première instance (TPI), à implantations territoriales constantes, puis a fait le constat de l’échec de la mise en œuvre de cette idée. Ce projet s’est, en effet, heurté à des craintes ou résistances multiples, souvent exprimées en réaction à un dessein qu’il ne portait pas en germe, alors même qu’il se limitait, dans un premier temps, à permettre une fusion des tribunaux de grande instance et d’instance d’un même site judiciaire.

Poursuivant sa réflexion en fonction des orientations retenues dans le cadre de l’élaboration de la loi de modernisation de la justice du XXIe siècle, la CNPTI a alors engagé celle-ci dans la voie du tribunal unique. Ce dernier présentait l’avantage, par le dépassement du seul aspect territorial du TPI, d’un changement de paradigme, pour appréhender la carte judiciaire de façon plus horizontale, par une refondation de l’organisation judiciaire, des procédures et de l’accès à la justice et non par une liste nominative de tribunaux à supprimer, bien qu’une telle optique n’exclue pas, a priori, toute fermeture de site judiciaire, sans pour autant faire de telles suppressions un préalable à toute mesure de rationalisation des moyens. L’instauration d’un tribunal unique doit donc pouvoir être appréhendée, pour l’essentiel, à court terme, sans modification des lieux de justice.

Prenant le pas du futur tribunal de Paris, qui regroupera en 2018 le tribunal de grande instance et les tribunaux d’instance parisiens en une entité unique, l’assemblée générale annuelle de la CNPTGI, qui s’est tenue le 10 mars 2017 au palais de justice de Bobigny, a souhaité organiser un colloque intitulé « Vers le tribunal unique », de façon à envisager cette problématique à travers trois axes centraux et préalables à toute réforme : repenser les procédures, repenser l’accès à la justice et repenser l’organisation judiciaire.

C’est l’agrégation de ces trois dimensions qui peut, selon nous, permettre d’entrevoir une réforme efficiente de l’organisation judiciaire et de la gouvernance des juridictions pour appréhender celle-ci, non comme une fin en soi mais comme un moyen de parvenir à l’objectif d’un meilleur service rendu au citoyen. Celle-ci passe par l’instauration d’une entité judiciaire à entrée unique, à l’organisation plus lisible pour le plus grand nombre et offrant un accès numérique et physique aisé et centralisé, à la gouvernance budgétaire et organisationnelle unique et aux procédures bien identifiées et simplifiées autour de deux grands circuits procéduraux : la procédure écrite avec représentation obligatoire par avocat et la procédure orale avec ou sans représentation.

Nous avions déjà proposé, le 2 mars dernier, à la mission sénatoriale sur le « Redressement de la justice », avant même la récente renaissance du TPI par cette instance parlementaire sous la forme du tribunal unique de première instance (TUPI), la création d’un tribunal judiciaire regroupant toutes les juridictions de l’ordre judiciaire dans une même entité, l’idée principale sous-tendue par celle-ci étant, au-delà du seul glissement sémantique, que l’intérêt supérieur des citoyens justiciables devait désormais primer tous intérêts catégoriels ou divergences de vue des différents professionnels.

C’est par conséquent en cohérence avec l’évolution de sa réflexion collective que la CNPTGI a acté, lors du colloque préalable à son assemblée générale du 10 mars 2017, en présence des représentants de la Conférence nationale des procureurs de la République (CNPR), du Conseil national des barreaux (CNB) et de la Conférence des bâtonniers, qu’elle appelait désormais de ses vœux l’émergence du tribunal judiciaire, entité unique devant, à terme, constituer le pendant du tribunal administratif.

Le tribunal judiciaire que nous proposons peut toutefois laisser subsister leurs fonctionnements et spécificités propres à certaines juridictions, bien qu’étant regroupées au sein d’une seule et même structure. Seraient ainsi compatibles avec cette nouvelle entité unique l’organisation et le fonctionnement actuels des tribunaux de commerce et des conseils de prud’hommes, à l’instar d’autres juridictions judiciaires telles que le tribunal correctionnel, le tribunal pour enfants et le tribunal des affaires de sécurité sociale, actuellement rattachés au tribunal de grande instance sans que cela pose difficulté ou soit contesté par quiconque.

Dès lors, les questions de compétence des juridictions actuelles ne relèveraient plus de la sphère juridictionnelle mais de simples mesures d’administration judiciaire, avec une distribution des affaires civiles entre les différents pôles du tribunal judiciaire à partir d’un bureau d’ordre civil centralisé, comprenant un guichet unique qui permette une orientation préalable, sinon impérative, du moins suggérée, vers la médiation ou un mode alternatif de règlement du litige. Les règles de répartition entre les différents pôles – au rang desquels figureraient par conséquent le tribunal de commerce et le conseil de prud’hommes – seraient prévues, comme actuellement, par le code de l’organisation judiciaire et laissées, en cas de différend, à un arbitrage sans forme du président du tribunal judiciaire ou de son délégataire. Ainsi, de telles modalités aussi concrètes que rapides devraient permettre à nos concitoyens d’éviter les affres, incompréhensibles et inadaptés à notre temps, des exceptions d’incompétence et renvois d’une juridiction à une autre.

Dans le prolongement de cette distribution simplifiée des affaires, la saisine du tribunal judiciaire doit aussi s’entendre d’un acte de saisine unique normalisé, modélisé et garantissant la qualité de la justice, l’information des justiciables ainsi que les droits de la défense et supposer des délais de procédure civile unifiés par type de procédure.

Si le constat de la nécessité d’une entité unique nous semble désormais s’imposer, c’est, au vrai, que l’idée de tribunal judiciaire vient, plus largement, à la rencontre d’une réflexion partagée par bon nombre des acteurs de la justice sur la nécessité absolue de rendre plus lisible, pour le public, l’organisation judiciaire, de faciliter son accès à tous, de mutualiser les moyens matériels et humains ainsi que de renforcer la visibilité et la crédibilité de l’autorité judiciaire envers des décideurs publics locaux qui disposeraient ainsi d’interlocuteurs restreints.

Le tribunal judiciaire se doit par conséquent d’être conçu comme un tribunal accessible pour tous, intégrant l’outil informatique pour accélérer les échanges ou permettre une meilleure communication de l’information et offrant une organisation lisible et simplifiée, cependant qu’elle serait toujours aussi garante des principes du juge naturel, du procès équitable, du contradictoire et d’impartialité du juge.

Il devra, pour cela, disposer en tous ses services d’applicatifs informatiques performants et connectés nationalement, tandis que, pour les procédures sans représentation obligatoire, l’accompagnement du justiciable sera assuré par les conseils départementaux de l’accès au droit (CDAD) et maisons de justice et du droit (MJD) dotés des moyens de porter une véritable politique publique effective d’accès au droit coordonnée, au niveau régional, par les cours d’appel.

Le tribunal judiciaire doit surtout permettre une rénovation importante de l’administration et de la gouvernance des juridictions, avec pour objectifs la recherche d’une meilleure efficience et la qualité de la prestation judiciaire en termes de prévisibilité et de sécurité juridique, en lien avec l’importance croissante des partenariats locaux. Un directeur délégué ou secrétaire général, issu du corps des directeurs de greffe, doit être le responsable de la gestion administrative et budgétaire de l’arrondissement et mettre en œuvre les orientations définies, dans le cadre des politiques et projets de juridiction, par les chefs du tribunal judiciaire auxquels il rend compte de son action.

Avec l’émergence probable de cours d’appel plus vastes et peut-être toutes en charge d’un budget opérationnel de programme, le tribunal judiciaire est en outre un échelon d’intervention de proximité pertinent en matière budgétaire et de ressources humaines (formation continue, CHSCT, arbitrages de certaines dépenses non obligatoires jusqu’à un certain montant, délégations des agents). Véritable unité opérationnelle de gestion locale du BOP à un niveau organisationnel pertinent et plus flexible en terme de gestion, le tribunal judiciaire assure l’expression des besoins budgétaires en ressources humaines, en informatique, en fonctionnement courant et en matière immobilière, évitant ainsi la dilution administrative actuelle des responsabilités. Les ressources humaines sont gérées dans le ressort du tribunal judiciaire pour les magistrats et dans celui d’une même ville pour les fonctionnaires des greffes, avec maintien des pouvoirs de délégation des chefs des cours d’appel et possibilité de délégation, dans une même ville, par les chefs du tribunal judiciaire.

Le tribunal judiciaire doit enfin concourir, par une appropriation collective de ses différents acteurs, à faire émerger un nouveau modèle d’organisation susceptible de promouvoir de nouvelles cultures professionnelles et d’induire des modifications managériales. Il assure la promotion d’un véritable travail en équipe et d’échanges transversaux : les responsables de pôle rédigent un rapport annuel d’activité, exposent celui-ci en assemblée générale et participent à la présentation des actions et politiques judiciaires aux différents partenaires extérieurs, dans le cadre d’un conseil du tribunal judiciaire ouvert sur le modèle de l’actuel conseil de juridiction. Cette organisation dynamique est évaluée sur des critères de dialogues de gestion rénovés qui ne sont plus seulement quantitatifs mais qui comportent une obligation de reporting mise à la charge du président et du procureur du tribunal judiciaire, en distinguant leurs services propres et les services communs, de sorte à permettre de mieux apprécier les capacités des juridictions à répondre aux attentes de justice des citoyens et à impulser des projets.

Ainsi défini, le tribunal judiciaire nous semble éviter les écueils d’une refonte purement verticale de la carte judiciaire des juridictions de première instance et constituer aussi bien un niveau pertinent de gestion et d’administration qu’une unité juridictionnelle de proximité inscrite dans la réalité des territoires, le cas échéant sur plusieurs sites communs à un même tribunal judiciaire, tout en favorisant la mise en cohérence de sa gouvernance avec la réalité de ses interlocuteurs administratifs et des découpages territoriaux.

 

 

Par le conseil d’administration de la Conférence nationale des présidents de tribunaux de grande instance :

Joëlle Munier (présidente du TGI d’Albi), présidente de la CNPTGI,
Florence Peybernes (présidente du TGI de Valenciennes), vice-présidente,
Christophe Mackowiak (président du TGI de Versailles), vice-président,
Benjamin Deparis (président du TGI du Havre), secrétaire général,
Sylvie Rebboh (présidente du TGI d’Évreux), trésorière,
Yolande Rognard (présidente du TGI de Besançon), secrétaire générale adjointe,
Valérie Delnaud (présidente du TGI de Senlis), trésorière adjointe,
Marc Pouyssegur (président du TGI de Toulouse),
Claire-Marie Casanova (présidente du TGI de Vesoul),
Béatrice Blanc (présidente du TGI de Pointe-à-Pitre), siège des TGI et TPI d’outre-mer,
Stéphane Brossard (président du TGI d’Amiens), conférence régionale nord,
Nathalie Fèvre (présidente du TGI de Troyes), conférence régionale grand est,
Ollivier Joulin (président du TGI de Rennes), conférence régionale ouest,
Francis Jullemier-Millasseau (président du TGI de La Rochelle), conférence
régionale centre-ouest,
Renaud Le Breton de Vannoise (président du TGI de Bobigny), conférence régionale
Île-de-France,
Anne Manoha (présidente du TGI de Bourg-en-Bresse), conférence régionale centre-sud-est,
Sophie Mollat (présidente du TGI de Carcassonne), conférence régionale sud,
Julien Simon-Delcros (président du TGI de Périgueux), conférence régionale sud-ouest.