La publication des nouveaux textes sur la justice du 21e siècle réactualise le débat sur la médiation obligatoire. Posée en ces termes : « faut-il, ou non, rendre la médiation obligatoire ? », la question impose une réflexion sur les valeurs qui sous-tendent la médiation, en particulier le respect absolu de la liberté des médiés. L’approche narrative (White et Epson), pour sa part, associe les valeurs au « paysage de l’intention ». Le droit pénal de son côté nous enseigne que l’intention n’est pas punissable car elle n’a pas d’effet concret. Je propose donc de mener la réflexion à partir du « paysage de l’action ».
Avant cela, on peut poser la question en termes d’incitation à la médiation. Il s’agit alors du cadre dans lequel se prend, ou non, la décision d’avoir recours à la médiation. Cet angle préserve les principes de liberté, d’autonomie et de responsabilisation chers aux philosophes de la médiation.
Et, de fait, la loi ou le règlement trouverait sans difficulté à placer deux ou trois entonnoirs propres à augmenter le recours aux MARD. On pense pêle-mêle :
- à l’obligation de justifier d’un préalable loyal de discussion voire de négociation avant de saisir le juge, préalable qui pourrait être sanctionné d’irrecevabilité de la demande ;
- à la suppression de l’article 700 du code de procédure civile pour celui qui n’aurait pas accepté de participer loyalement à une discussion pour tenter de résoudre amiablement le litige ;
- à la priorité de traitement, par le juge, des litiges ayant fait l’objet d’un MARD qui n’a pas abouti.
Certains textes vont déjà dans ce sens et, en réaction, nombreux sont les avocats qui soutiennent que, de tout temps, ils essayent de rapprocher leurs clients respectifs. C’est sans doute vrai. Pour autant, deux préalables sont souvent négligés. Le premier est un travail pour aider le client à clarifier ses objectifs : gagner sur l’autre ou avoir raison, laisser un tiers décider pour ne pas avoir à prendre la responsabilité de la décision ou sortir d’un conflit. Chaque objectif comporte un aléa et un coût, ce qui impose à l’avocat de confronter le client à son objectif et au coût associé, ce qu’il ne fait que trop rarement. Le second se rapporte à l’état d’esprit : il est question, d’essayer de négocier, c’est-à-dire de tenter, et non de s’engager, en l’ayant préparé, dans un processus de négociation.
Or, tout comme l’intention, la tentative de tentative n’est pas punissable, car, là encore, l’auteur est trop loin du résultat pour que cela soit pris en compte. Les MARD sont ainsi relégués, par leur détracteurs, au rang d’incantation ou de vœux pieux, à l’exception, un peu, du droit collaboratif et de la procédure participative qui imposent une formation spécifique à la négociation et rendent concret le chemin vers l’accord. Dans les autres cas, l’accord se trouve parce qu’il n’était pas raisonnablement possible de faire autrement. Un peu comme si la négociation et le fait de parvenir à un accord avaient été obligatoires. La négociation obligatoire : nous y revoilà !
À ce stade, on ne peut faire l’économie de la problématique du « j’exige que tu sois volontaire ». Il faut, pour ce faire, avoir recours aux travaux de l’école de Palo Alto sur les effets des paradoxes de la communication et, en particulier ceux affinés par Gorgio Nardone, pour qui on sort d’un paradoxe par un contre-paradoxe.
L’histoire, rapportée par Paul Watzlawick, illustre la notion de contre-paradoxe : un jeune homme se jette d’un pont pour mettre fin à ses jours et, sur l’ordre d’un policier qui le menace avec son arme de service, s’exécute et regagne la rive.
Appliquons le raisonnement à la médiation. Le postulat veut que le conflit soit un paradoxe relationnel : il est à la fois ce qui sépare et ce qui lie. Le contre-paradoxe, pour sortir du conflit, est que les parties doivent accepter de se rapprocher. Le contre-paradoxe est renforcé s’il vient de l’extérieur, telle l’intervention du policier. Autrement exprimé, l’école de Palo Alto, qui est la base théorico-pratique de l’intervention en médiation, invite, en toute logique, pour l’efficacité même du processus, à le rendre obligatoire.
Imposer aux parties en conflit d’être volontaires pour en sortir : c’est exactement ce que fait le médiateur (quoi qu’il s’en défende) via l’alliance puis le fameux accord sur le désaccord. Pourquoi, dès lors, interdire à la loi de rendre la médiation obligatoire et quelle en serait la traduction juridique ?
Tout d’abord, aux juristes qui mettent en avant des problèmes de droit insolubles (qu’ils sont très logiquement les seuls à pouvoir résoudre), on peut répondre que deux personnes en bonne intelligence ne vont pas voir un juge. Autrement exprimé, pour être en conflit, il faut d’abord ne pas s’entendre. C’est cette entente qui doit être suffisamment restaurée et le recours aux juges marque d’abord l’échec de cette restauration. Pour éviter cet échec, l’idée devient alors acceptable d’autoriser le déni de justice en première intention. Il s’agirait de refuser de juger tant que les parties n’auraient pas justifié de la mise en œuvre préalable, effective et loyale, d’un MARD.
Ce déni de justice serait apaisé par l’obligation faite au juge de s’assurer que les parties ont loyalement fait ce qu’il fallait pour éviter le « braquage à la mexicaine » très pédagogiquement exposé par Tarantino dans Inglorious Basterds.
Apparaît ici une autre manière de poser la question de la médiation obligatoire : quelles preuves doivent être exigées des parties, qu’une médiation (par hypothèse obligatoire) a été loyalement menée ?
Commentaires
3 remarques s'agissant de la question du caractère obligatoire de la médiation et conciliation préalablement à la saisine du juge (pour la conciliation, elle l'est déjà depuis la loi J 21 art. 4 pour les litiges de moins de 4000 € relevant du TI et pour la médiation familiale, à titre expérimental dans 11 TGI sans compter le décret de 2015 imposant de justifier de ses diligences en matière de règlement amiable de son litige préalablement à la saisine du juge):
1/ les MARDs sont utilisés plus comme un mode de gestion de crise de la justice et de désengorgement des juridictions à moindre coût que comme une alternative au procès dans l'intérêt exclusif des justiciables; Ils constituent un moyen de "déjuridictionalisation" de contentieux de masse dévoreurs de moyens et de temps et donc de privatisation de la justice civile au détriment des justiciables les plus modestes;
2/ Ensuite, rendre obligatoire la médiation/conciliation ou tout autre MARD produit un effet pervers: de nombreuses conciliations ou médiations devront être tentées dans des dossiers où l’on pressent que c’est voué à l’échec, ce qui risque de retarder voire de sacrifier les conciliations ou médiations non obligatoires qui auraient de grandes chances d’aboutir;
3/Enfin, s'agissant de la conciliation préalable obligatoire devant le TI par un conciliateur de justice bénévole: il s'agit d'un véritable déni de justice pour les justiciables notamment modestes, en les renvoyant vers un bénévole certes, de bonne volonté, mais mal formé, âgé, sans moyen ni pouvoir afin de soulager les juridictions en espérant que même en cas d'échec de la conciliation, le justiciable renoncera à saisir le juge; Or, l'accès au juge est un droit fondamental !!!!
Le discours ici tenu (comme ailleurs) sur les mérites de la conciliation et de la médiation me paraît incomplet : il fait régulièrement l'impasse sur la nature juridique de l'accord éventuellement signé par les parties. Sauf dans les domaines d'ordre public ( ex. l'autorité parentale), cet accord est une transaction (art. 2044 et s. code civil) un contrat utile, mais dangereux. Il implique des renonciations réciproques. On "coupe la poire en deux", mais le couteau ne passe pas du tout nécessairement au milieu de la poire : pas de contrôle de l'équivalence des renonciations. La transaction a une très grande force, il est très difficile de la remettre en cause : pas de nullité pour erreur de droit. Vous avez signé, puis, mieux informé juridiquement, découvert que vos droits étaient supérieurs à ce que vous pensiez ? Tant pis pour vous. La transaction n'a rien d'une "justice douce", et on informe mal les justiciables sur ce point.
Il est des cas où l'homme est en colère: Les émotions font partie de l'homme sain. Où il veut en découdre avec son adversaire, son ennemi. Et alors, il faut le lui permettre. Lui permettre de se respecter et de se faire respecter. La façon civilisée en est le procès. L'alternative, "sortir pour s'en expliquer entre hommes".
Peut être que la procédure s'apaise en négociation. Peut être que le demandeur encaisse plus qu'il ne gagne. Cela le regarde.
En France, l'homme est libre, le droit lui impose certaines formes pour manifester sa volonté mais il ne lui impose pas une volonté. Par conséquent, le recours obligatoire à la médiation est étranger au droit français.
La médiation obligatoire fait partie du répertoire de revendications associée à la médiation professionnelle, que j'ai défini en 2001, avec la publication de mon ouvrage "Pratique de la médiation professionnelle" aux éditions ESF, ouvrage qui fait autorité sur la formation des médiateurs.
Les arguments qui vont dans le sens de contrer le caractère obligatoire de la médiation en matière judiciaire sont de même envergure que ceux qui étaient avancés pour contester l'impérieuse nécessité de rendre l'instruction obligatoire en 1793.
Fort heureusement, même si ce n'est pas encore satisfaisant, l'instruction est devenue obligatoire.
Dans les situation de conflit, les personnes démontrent leur incapacité à savoir comment trouver une solution par elles-mêmes. C'est une chose de se dire, puisque c'est comme ça, on va les aider : on va prendre la décision à leur place et leur imposer cette décision. C'en est une autre de se dire : on les aide bien mieux en leur permettant de cheminer vers une décision qu'elles prendront ensemble. C'est cela la médiation obligatoire, un pendant de l'instruction obligatoire.