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Le droit en débats

Présentation d’un avant-projet de réforme des sûretés

Par Association Henri Capitant le 03 Octobre 2017

Sur la demande du ministère de la justice, l’Association Henri Capitant a constitué une commission en vue d’élaborer un avant-projet de réforme du droit des sûretés. Aux travaux de cette commission, présidée par Michel Grimaldi, ont participé Laurent Aynès, Pierre Crocq, Philippe Dupichot, Charles Gijsbers, Maxime Julienne, Philippe Simler, Hervé Synvet et Philippe Théry. Le lecteur trouvera ci-dessous une présentation générale de cet avant-projet, dont le texte peut être consulté en ligne sur le site de l’Association Henri Capitant (http://www.henricapitant.org/contact) ou sur la version feuilletable du Recueil (www.dallozrevues.fr).

 

La réforme accomplie en 2006. La grande réforme du droit des sûretés, opérée il y a maintenant plus de dix ans par l’ordonnance n° 2006-346 du 23 mars 2006, a réalisé une profonde rénovation de la matière.

Rénovation formelle, d’abord, qui a grandement amélioré l’accessibilité et la lisibilité du droit des sûretés : par la création d’un nouveau livre du code civil entièrement dédié aux sûretés réelles et personnelles (autrefois dispersées aux quatre coins du code) ; par un nouveau plan d’exposition des sûretés réelles fondé sur la nature de l’assiette (et non plus sur l’existence ou non d’une dépossession du débiteur) ; par la consécration légale de garanties couramment pratiquées dans les milieux d’affaires (mais jusqu’alors absentes de la loi civile), telles la garantie autonome, la lettre d’intention, la réserve de propriété et le droit de rétention.

Rénovation substantielle, ensuite, qui, dans un esprit d’équilibre, s’est efforcée de concilier l’efficience économique attendue par le créancier et la protection due au débiteur : par la modernisation du gage (désormais possible avec ou sans dépossession du constituant, sur des biens présents ou sur des biens futurs, en garantie de créances actuelles ou de créances à venir) ; par l’assouplissement du régime du nantissement de créance (tant au stade de sa constitution qu’à celui de son dénouement) ; par l’introduction de nouveaux modes de réalisation communs à toutes les sûretés conventionnelles (attribution judiciaire et pacte commissoire) ; par la création de nouvelles variétés de sûretés immobilières de nature à diminuer le coût des garanties et à mobiliser les actifs immobiliers (hypothèque rechargeable et prêt viager hypothécaire).

Les raisons d’une réforme en 2017. Trois raisons, qui toutes se rattachent à l’exigence de sécurité juridique et au souci de l’attractivité du droit français, expliquent l’urgence d’une réforme en 2017.

En premier lieu, il faut parachever la réforme de 2006. Cette réforme, en effet, ne fut que partielle compte tenu des termes de la loi d’habilitation, qui avait exclu du périmètre de celle-ci le cautionnement et les privilèges : sûretés qui, de ce fait, restent encore, dans le code civil du moins, sous l’empire de textes remontant pour la plupart à 1804. Or il est indispensable, dans l’intérêt des acteurs économiques (créanciers et cautions), de clarifier le droit du cautionnement, très fragilisé par l’intarissable contentieux que suscitent notamment le formalisme qui l’encadre et l’exigence de proportionnalité. Tout comme il est nécessaire, si l’on veut que le droit français reste un modèle, de supprimer des privilèges mobiliers tombés en désuétude (par ex., le privilège de l’hôtelier) ou de lier à la date de leur inscription l’opposabilité de tous les privilèges immobiliers soumis à publicité (par ex., le privilège du vendeur d’immeubles ou le privilège du prêteur de deniers).

En deuxième lieu, il importe d’ajuster la réforme de 2006. Celle-ci, comme toute loi nouvelle, a donné lieu à certaines difficultés d’interprétation qui embarrassent les milieux économiques. La réflexion doctrinale et jurisprudentielle a aujourd’hui atteint une maturité qui permet de clarifier des points encore incertains : par exemple, en affirmant le caractère exclusif du droit qui découle d’un nantissement de créance, en reconnaissant la possibilité – jusqu’alors débattue – d’établir un gage sur des meubles immobilisés par destination, ou en dotant le nantissement de monnaie scripturale du régime qui lui fait actuellement défaut. De même est-il temps de tirer les conséquences de la modernisation du droit commun du gage opérée en 2006 en supprimant des régimes spéciaux rendus inutiles (warrant hôtelier, warrant industriel, gage commercial, etc.).

En troisième lieu, il convient d’assurer la cohérence entre la réforme de 2006 et les réformes ultérieures : consécration de la fiducie par la loi n° 2007-211 du 19 février 2007 et l’ordonnance n° 2009-112 du 30 janvier 2009, réforme du gage des stocks par l’ordonnance n° 2016-56 du 29 janvier 2016, réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, sans oublier les réformes successives des procédures d’insolvabilité. Déjà l’ordonnance n° 2017-748 du 4 mai 2017 est venue préciser le statut de l’agent des sûretés : personnage clé des crédits syndiqués, qui est une figure fiduciaire originale. Mais il faudrait aussi, par exemple, que de nouvelles règles définissent l’opposabilité des exceptions dans les sûretés sur créances, au regard des nouvelles règles régissant la cession de créances. De même, rien ne s’oppose, en matière de sûretés réelles, à l’admission généralisée de l’attribution judiciaire et au libre jeu du pacte commissoire en cas de liquidation judiciaire.

Voilà les raisons qui établissent la pertinence d’une réforme qui, sans aucunement révolutionner les choses, ferait du droit français des sûretés un droit conforme aux exigences économiques et sociales de notre temps.

C’est dans cet esprit que, sur la demande du ministère de la justice, une commission constituée sous l’égide de l’Association Henri Capitant a établi un avant-projet de réforme qui s’articule autour des dix points suivants :

1. Dispositions générales

a. Définition de la sûreté en général, ainsi que des sûretés réelles et personnelles en particulier.
b. Proclamation de trois principes généraux : accessoriété des sûretés ; non-enrichissement du créancier ; liberté de choix du créancier dans le mode et l’ordre de réalisation des sûretés.
c. Proclamation de deux principes généraux en matière de sûretés réelles : libre disponibilité du bien grevé et indivisibilité quant à l’assiette et à la créance garantie.

2. Réforme du cautionnement

a. Unification, et intégration au code civil, du régime de la mention manuscrite et de la proportionnalité en étendant à toute personne physique, quelle que soit la qualité du créancier, la protection qui en résulte.
b. Unification, et intégration au code civil, du régime de l’obligation d’information due par le créancier professionnel.
c. Rattachement des sûretés réelles pour autrui à la figure du cautionnement (réel).
d. Clarification du régime des exceptions opposables par la caution au créancier.
e. Affirmation du caractère civil du cautionnement donné par un non-commerçant.
f. Simplification des recours avant paiement ouverts à la caution.
g. Encadrement du bénéfice de subrogation.
h. Clarification des conséquences de la dissolution de la société créancière, débitrice ou caution.

3. Amélioration du régime du gage de meubles corporels

a. Reconnaissance de la possibilité de constituer et de maintenir un gage sur des meubles immobilisés par destination (et indication du classement en cas de conflit avec une hypothèque immobilière).
b. Affirmation du caractère relatif de la nullité du gage de la chose d’autrui.
c. Articulation du régime du gage sans dépossession avec le droit des voies d’exécution afin de sécuriser les ventes sur saisie.
d. Détermination des pouvoirs du constituant sur la chose gagée, notamment des conditions dans lesquelles il peut en disposer.
e. Réglementation du gage avec entiercement sans déplacement du bien grevé.
f. Définition du rang du créancier gagiste.

4. Amélioration du régime du nantissement de créance

a. Harmonisation du régime du nantissement avec le nouveau droit des obligations : preuve de la date de l’acte, opposabilité des exceptions par le débiteur de la créance nantie.
b. Détermination du sort des sommes payées par le débiteur de la créance nantie avant l’échéance.
c. Affirmation du droit exclusif du créancier nanti sur la créance affectée en garantie.

5. Création de nouvelles sûretés mobilières

a. Consécration du nantissement de monnaie scripturale visant à donner un véritable statut aux sûretés sur sommes d’argent immobilisées sur un compte bloqué au nom du constituant.
b. Consécration de la cession de créance à titre de garantie qui, inspirée du nouveau régime de la cession de créance de droit commun, offrirait aux opérateurs – français et étrangers – un instrument très souple et connu du monde entier pour constituer des sûretés sur créances.

6. Suppression de sûretés mobilières spéciales tombées en désuétude

a. Suppression du gage commercial à la faveur d’une adaptation du gage de droit commun.
b. Suppression du privilège de l’hôtelier.
c. Suppression des warrants des stocks de guerre et du warrant industriel.
d. Abrogation des dispositions spécifiques au gage automobile dont l’unique particularité (tenant à l’inscription en préfecture) est intégrée au sein du régime du gage de droit commun.

7. Amélioration du régime des sûretés-propriétés

a. Affirmation du caractère systématiquement accessoire de la réserve de propriété qui prend fin en cas d’extinction de la créance, quelle qu’en soit la cause.
b. Détermination du régime des exceptions opposables par le sous-acquéreur en cas de report de la réserve de propriété sur la créance du prix de revente.
c. Assouplissement de la fiducie-sûreté par la triple dispense : d’avoir à évaluer le bien lors de la constitution de la sûreté, d’avoir à constater dans un écrit enregistré la transmission des droits résultant du contrat de fiducie à un nouveau bénéficiaire et d’avoir à recourir systématiquement à un expert lors du dénouement de la sûreté.

8. Amélioration du régime de la publicité des sûretés mobilières, par la centralisation de l’inscription de toutes les sûretés mobilières spéciales sur le registre créé par le décret n° 2006-1804 du 23 décembre 2006.

9. Amélioration du régime des sûretés réelles immobilières

a. Remplacement des actuels privilèges immobiliers spéciaux soumis à publicité par des hypothèques légales.
b. Rétablissement d’une hypothèque rechargeable ouverte à tous, mais extension à toutes les hypothèques légales de la protection actuellement offerte aux seuls créanciers publics contre un rechargement.
c. Élargissement des dérogations à la prohibition de l’hypothèque de biens à venir.
d. Affirmation du maintien de la couverture hypothécaire de la créance transmise par subrogation, non seulement pour le principal et les nouveaux intérêts, mais aussi pour tous les autres accessoires.

10. Amélioration du régime des modes de réalisation des sûretés

a. Affirmation de l’obligation de procéder à une expertise, y compris en cas d’attribution judiciaire, lorsque la propriété du bien affecté en garantie est acquise en paiement.
b. Affirmation de la possibilité de demander l’attribution judiciaire et de se prévaloir du pacte commissoire en cas de liquidation judiciaire.

 

Par Michel Grimaldi, président de la commission, Denis Mazeaud, président de l’Association Henri Capitant et Philippe Dupichot, secrétaire général de l’Association Henri Capitant