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Le droit en débats

La problématique de la constitution de partie civile des fondations

Par Rémi Lorrain le 11 Septembre 2014

Addendum : la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du 21e siècle est venue corriger les oublis soulevés par l’auteur dans cet article daté du 11 septembre 2014. Les articles 2-1 à 2-6 et 2-8 à 2-23 du code de procédure pénale et l’article L. 480-4 du code de l’urbanisme font ainsi désormais référence aux fondations reconnues d’utilité publique (article 43 de la loi précitée) ».

De plus en plus fréquemment, on voit apparaître, lors des procès pénaux, sur le banc des parties civiles, des personnes morales proches des associations mais qui n’en sont pas : les fondations. Afin de justifier leur présence, elles invoquent souvent la défense de l’intérêt collectif qu’elles représentent. Mais de telles constitutions de parties civiles sont-elles véritablement possibles ? Et sur quel fondement ?

A titre de rappel, un groupement (association ou autre) ne peut pas, en principe, se constituer partie civile pour demander réparation du dommage causé par une infraction à des intérêts collectifs de portée générale (jurisprudence constante depuis Cass. Crim., 18 octobre 1913 : Gaz. Pal. 1913 p.603). Cela se justifie notamment par le fait que le préjudice dont se prévaut le groupement résulte d’un trouble aux intérêts généraux de la société ; sa réparation est donc assurée par l’action publique (Cass. Crim., 6 mars 1990, n°88-81.385).

Par exception, on sait que ces groupements peuvent se constituer partie civile sur deux fondements :
 

- soit ils parviennent à établir un préjudice personnel découlant directement des faits délictueux et leur action est alors fondée sur l’article 2, alinéa 1 du CPP.
- soit – par dérogation aux principes généraux de la procédure pénale – ils sont habilités à agir en vertu d’un texte spécial (par exemple, les articles 2-1 et s. du CPP ou d’autres textes issus d’autres codes) et peuvent ainsi exercer l’action civile relative aux faits portant préjudice même indirect à l’intérêt collectif qu’ils représentent.

Ainsi, bien que les habilitations législatives se soient multipliées ces dernières années, le principe général reste celui de l’irrecevabilité de l’action des associations et autres groupements fondée sur la défense de l’intérêt collectif qui constitue leur objet social.

Par conséquent, si le groupement (association ou autre) n’est pas au nombre de ceux visés par les articles 2-1 à 2-23 du code de procédure pénale, il est irrecevable à agir dès lors que celui-ci ne justifie pas avoir subi un dommage direct et personnel en raison de la spécificité du but et de l’objet de sa mission.
 

Ce principe d’irrecevabilité est sans cesse - et encore récemment – rappelé par la jurisprudence. Ainsi, il est régulièrement rappelé qu’aux termes de l’article 2 du code de procédure pénale et sauf dérogation législative, l’action civile ne peut être exercée devant les juridictions pénales que par celui qui a subi un préjudice personnel prenant directement sa source dans l’infraction poursuivie et qu’il n’en est pas ainsi d’une association qui, n’entrant pas dans les prévisions des articles 2-1 et suivants du code précité, a « pour objectif la lutte contre les accidents de la circulation » et dont le préjudice moral allégué n’est pas distinct du préjudice social dont la réparation est assurée par l’exercice même de l’action publique (Cass. Crim., 12 avril 1988 : Bull.146).

De même, encore récemment, dans une affaire où les prévenus ont été condamnés pour tromperie sur les qualités substantielles d’un vin, une association qui s’est constituée partie civile a été déclarée irrecevable car celle-ci ne figurait pas parmi les personnes énumérées par les articles 2-1 et s. du code de procédure pénale et qu’elle ne pouvait établir un préjudice découlant directement des faits délictueux (Cass. crim., 29 oct. 2013, n° 12-84.108 – V. également Cass. crim., 7 janv. 2014, n° 12-80.024).

D’où la question du fondement de la constitution de partie civile des fondations car celles-ci n’apparaissent pas non plus aux articles 2-1 et s. du CPP.

Une petite précision, justifiée par des consonances proches, s’impose. Il n’est pas question ici de discuter de la recevabilité des fédérations dont certaines sont d’ailleurs habilitées à agir (par exemple l’article 2-15 du CPP ou encore l’article L131-10 du Code du sport) et dont d’autres, n’étant pas visées par les textes, ne peuvent agir. Une fédération d’associations doit en effet justifier d’un préjudice personnel et direct pour être déclarée recevable en sa constitution et elle ne saurait fonder ses droits sur ceux des associations fédérées (Cass. Crim. 22 juillet 1964 : Bull.242) ; de même, une fédération ayant pour objet de « réunir, d’animer et de coordonner » différentes associations habilitées à agir en justice ne peut pas exercer elle-même l’action civile (Cass. Crim., 28 septembre 2004, n°03-86.604).

Mais il s’agit de discuter de la recevabilité des fondations (des « véritables » fondations par opposition aux associations qui, parfois, utilisent le terme « fondation » dans leur dénomination). Ces fondations n’étant effectivement pas visées explicitement par les articles 2-1 et s. du CPP, il faudrait que l’expression « toutes les associations », omniprésente dans ces articles, recouvrent les « fondations » afin de pouvoir justifier leur recevabilité sur ce fondement. Cependant de nombreux arguments s’opposent à une telle assimilation.

Tout d’abord, à titre de rappel, s’agissant des définitions, il existe une véritable distinction. Alors que « la fondation est l’acte par lequel une ou plusieurs personnes physiques ou morales décident l’affectation irrévocable de biens, droits ou ressources à la réalisation d’une œuvre d’intérêt général et à but non lucratif » (article 18 de la loi du 23 juillet 1987 sur le développement du mécénat), « l’association est la convention par laquelle deux ou plusieurs personnes mettent en commun, d’une façon permanente, leurs connaissances ou leur activité dans un but autre que de partager des bénéfices. Elle est régie, quant à sa validité, par les principes généraux du droit applicables aux contrats et obligations » (Article 1 de la loi du 1er juillet 1901). Ainsi, on comprend qu’une fondation n’appartient pas à une sous-catégorie d’associations dans la mesure où la fondation peut être créée par une seule personne tandis que l’association nécessite au moins deux personnes. Il s’agit donc de deux réalités bien distinctes : « l’acte de fondation […] se distingue radicalement du contrat d’association » (Ass. nat., 27 août 1977, page 5290, Interieur, Fondations (dépôt d’un projet de loi relatif à leur définition et à leur protection), Réponse n°39407 du 1 juillet 1977).

Ensuite, autre différence majeure, l’association comprend des adhérents (ou parfois également appelés « membres ») tandis que la fondation n’en comprend pas. A cet égard, par exemple, les articles 2-3, alinéa 2 et R1 du CPP précisent que les associations de protection de l’enfance sont recevables dans leurs actions, même si l’action publique n’a pas été mise en mouvement, si l’association est inscrite auprès du ministre de la justice. Or, pour ce faire, elle doit remplir deux conditions : (i) justifier de l’existence d’au moins cinq années d’activité effective en vue de la défense ou l’assistance de l’enfant en danger et victime de toutes formes de maltraitance et (ii) justifier d’un nombre total d’adhérents supérieur ou égal à mille. On voit donc mal comment les fondations pourraient se prévaloir de cette dernière condition.
 

Enfin, le législateur lui-même ne s’y méprend pas et distingue explicitement les deux entités dans d’autres articles du code de procédure pénale. Par exemple, l’article 99-1 du CPP précise que « lorsque, au cours d’une procédure judiciaire ou des contrôles mentionnés à l’article L. 214-23 du code rural et de la pêche maritime, il a été procédé à la saisie ou au retrait, à quelque titre que ce soit, d’un ou plusieurs animaux vivants, le procureur de la République près le tribunal de grande instance du lieu de l’infraction ou, lorsqu’il est saisi, le juge d’instruction peut placer l’animal dans un lieu de dépôt prévu à cet effet ou le confier à une fondation ou à une association de protection animale reconnue d’utilité publique ou déclarée ».

Au surplus, on sait que l’argument consistant à puiser dans la reconnaissance d’intérêt public une quelconque habilitation d’agir en justice n’est pas valable (Cass. Crim., 22 novembre 1978, n° 77-90.564) et que l’habilitation législative ayant un caractère dérogatoire, celle-ci doit être d’interprétation stricte (Cass. Crim., 25 septembre 2007, n°05-88.324 : « attendu que, selon [les articles 2 et 2-1 du code de procédure pénale ] […] l’exercice de l’action civile devant les juridictions pénales est un droit exceptionnel qui, en raison de sa nature, doit être strictement renfermé dans les limites fixées par le code de procédure pénale »). Et au sein des articles 2-1 et s. du CPP, les groupements visés sont soit, le plus généralement, des associations, soit, parfois dans certains domaines, des personnes morales de droit public (article 2-7 du CPP), des fédérations d’associations (article 2-15 du CPP), des syndicats professionnels et de salariés (nouvel article 2-21-1 du CPP) mais jamais des fondations.

En conclusion, en l’état actuel des textes, les fondations (633 sont reconnues d’utilité publique au 1er juin 2014) ne peuvent donc qu’invoquer l’article 2 du CPP (et non pas les articles 2-1 et s. du CPP qui ne leur sont a priori pas applicables). Autrement dit, étant dans l’impossibilité de se prévaloir d’un préjudice indirect à l’intérêt collectif qu’elles représentent, elles sont alors contraintes, pour fonder leur éventuelle constitution de partie civile, de se prévaloir d’un préjudice direct et personnel. A défaut de changement législatif, cette différence de régime entre associations et fondations devrait contribuer à raréfier la présence de ces dernières lors des procès pénaux.