Accueil
Le quotidien du droit en ligne
-A+A
Le droit en débats

Projet de loi relatif au renseignement : un texte mortifère

Le projet de loi relatif au renseignement présenté par le premier ministre, le garde des Sceaux, le ministre de la défense et le ministre de l’intérieur, est mortifère au plan des libertés individuelles et des libertés publiques.

Par Vincent Nioré le 14 Avril 2015

Ce texte doit être condamné ne serait-ce que parce qu’il procède d’un gouvernement en fin de règne qui tente de trouver une nouvelle légitimité par l’intrusion dans la vie privée et professionnelle notamment des professionnels bénéficiant ou assujettis au secret professionnel et nourrissant la prétention de surpasser cette fatalité qui place sa raison d’être dans l’inauguration des chrysanthèmes.

Rappelons les propos du député Jean-Jacques Urvoas, rapporteur du projet, au Journal du Dimanche du 23 mars citant le premier ministre sur la présence actuelle d’une « zone grise » où apparemment les services spécialisés de renseignement ont toute liberté pour agir.

D’où la nécessité d’encadrer cette zone par un texte, selon le rapporteur.

Ainsi, faut-il préférer une loi liberticide à une « zone grise », par laquelle les services de renseignement surveillent impunément l’ensemble des citoyens, ce qui semble être le cas aujourd’hui ?

La réponse est évidemment non.

D’une manière générale, le projet autorise en matière de sonorisations, fixations d’images de certains lieux ou véhicules, captations des données informatiques, à propos du recours aux techniques électroniques de recueil de renseignements, tout ce que le code de procédure pénale interdit concernant les avocats en matière de criminalité et de délinquance organisées.

Le projet de loi ne prévoit aucune limite au recueil des renseignements s’agissant des personnes concernées préalablement identifiées comme présentant une menace. Dès lors, les avocats, comme les journalistes, sont susceptibles d’être concernés.

En effet, le projet prévoit expressément en son article L 853-1 du code de la sécurité intérieure : « 1° La captation, la fixation, la transmission et l’enregistrement de paroles prononcées à titre privé ou confidentiel, ou d’images dans un lieu privé ».

Les cabinets, domiciles et véhicules d’avocats sont directement concernés.

De plus, est prévu le recueil auprès de serveurs délocalisés où transitent des informations confidentielles :

« 2° La captation, la transmission et l’enregistrement de données informatiques transitant par un système automatisé de données ou contenues dans un tel système ».

Les intérêts publics concernés sont :

« 1° La sécurité nationale ;
2° Les intérêts essentiels de la politique étrangère et l’exécution des engagements européens et internationaux de la France
3° Les intérêts économiques et scientifiques essentiels de la France ;
4° La prévention du terrorisme ;
5° La prévention de la reconstitution ou du maintien de groupement dissous en application de l’article L. 212-1 ;
6° La prévention de la criminalité et de la délinquance organisées ;
7° La prévention des violences collectives de nature à porter gravement atteinte à la paix publique ».

Retenons, par exemple, la matière de la prévention de la criminalité et de la délinquance organisées prévue au projet.

Rappelons pour mémoire les dispositions de l’article 706-73 du code de procédure pénale (CPP) relatif à la criminalité et à la délinquance organisées :

« La procédure applicable à l’enquête, la poursuite, l’instruction et le jugement des crimes et des délits suivants est celle prévue par le présent code, sous réserve des dispositions du présent titre :
1° Crime de meurtre commis en bande organisée prévu par le 8° de l’article 221-4 du code pénal ;
2° Crime de tortures et d’actes de barbarie commis en bande organisée prévu par l’article 222-4 du code pénal ;
3° Crimes et délits de trafic de stupéfiants prévus par les articles 222-34 à 222-40 du code pénal ;
4° Crimes et délits d’enlèvement et de séquestration commis en bande organisée prévus par l’article 224-5-2 du code pénal ;
5° Crimes et délits aggravés de traite des êtres humains prévus par les articles 225-4-2 à 225-4-7 du code pénal ;
6° Crimes et délits aggravés de proxénétisme prévus par les articles 225-7 à 225-12 du code pénal ;
7° Crime de vol commis en bande organisée prévu par l’article 311-9 du code pénal ;
8° Crimes aggravés d’extorsion prévus par les articles 312-6 et 312-7 du code pénal ;
8° bis Délit d’escroquerie en bande organisée prévu par le dernier alinéa de l’article 313-2 du code pénal ;
9° Crime de destruction, dégradation et détérioration d’un bien commis en bande organisée prévu par l’article 322-8 du code pénal ;
10° Crimes en matière de fausse monnaie prévus par les articles 442-1 et 442-2 du code pénal ;
11° Crimes et délits constituant des actes de terrorisme prévus par les articles 421-1 à 421-6 du code pénal ;
12° Délits en matière d’armes et de produits explosifs commis en bande organisée, prévus par les articles L. 2339-2, L. 2339-3, L. 2339-10, L. 2341-4, L. 2353-4 et L. 2353-5 du code de la défense ainsi que par les articles L. 317-2, L. 317-4 et L. 317-7 du code de la sécurité intérieure ;
13° Délits d’aide à l’entrée, à la circulation et au séjour irréguliers d’un étranger en France commis en bande organisée prévus par l’article L622-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;
14° Délits de blanchiment prévus par les articles 324-1 et 324-2 du code pénal, ou de recel prévus par les articles 321-1 et 321-2 du même code, du produit, des revenus, des choses provenant des infractions mentionnées aux 1° à 13° ;
15° Délits d’association de malfaiteurs prévus par l’article 450-1 du code pénal, lorsqu’ils ont pour objet la préparation de l’une des infractions mentionnées aux 1° à 14° et 17° ;
16° Délit de non-justification de ressources correspondant au train de vie, prévu par l’article 321-6-1 du code pénal, lorsqu’il est en relation avec l’une des infractions mentionnées aux 1° à 15° et 17° ;
17° Crime de détournement d’aéronef, de navire ou de tout autre moyen de transport commis en bande organisée prévu par l’article 224-6-1 du code pénal ;
18° Crimes et délits punis de dix ans d’emprisonnement, contribuant à la prolifération des armes de destruction massive et de leurs vecteurs entrant dans le champ d’application de l’article 706-167 ;
19° Délit d’exploitation d’une mine ou de disposition d’une substance concessible sans titre d’exploitation ou autorisation, accompagné d’atteintes à l’environnement, commis en bande organisée, prévu à l’article L. 512-2 du code minier, lorsqu’il est connexe avec l’une des infractions mentionnées aux 1° à 17° du présent article ;
20° Délits de dissimulation d’activités ou de salariés, de recours aux services d’une personne exerçant un travail dissimulé, de marchandage de main-d’œuvre, de prêt illicite de main-d’œuvre, d’emploi d’étrangers sans titre de travail prévus aux 1° et 3° de l’article L. 8221-1 et aux articles L. 8221-3, L. 8221-5, L. 8224-1, L. 8224-2, L. 8231-1, L. 8234-1, L. 8234-2, L. 8241-1, L. 8243-1, L. 8243-2, L. 8251-1 et L. 8256-2 du code du travail.
Pour les infractions visées aux 3°, 6° et 11°, sont applicables, sauf précision contraire, les dispositions du présent titre ainsi que celles des titres XV, XVI et XVII ».

 Si l’on effectue une comparaison avec les dispositions du code de procédure pénale, de tels procédés sont interdits :

En matière de captation des données informatiques, l’article 706-102-1 du CPP prévoit :

« Lorsque les nécessités de l’information concernant un crime ou un délit entrant dans le champ d’application de l’article 706-73 l’exigent, le juge d’instruction peut, après avis du procureur de la République, autoriser par ordonnance motivée les officiers et agents de police judiciaire commis sur commission rogatoire à mettre en place un dispositif technique ayant pour objet, sans le consentement des intéressés, d’accéder, en tous lieux, à des données informatiques, de les enregistrer, les conserver et les transmettre, telles qu’elles s’affichent sur un écran pour l’utilisateur d’un système de traitement automatisé de données, telles qu’il les y introduit par saisie de caractères ou telles qu’elles sont reçues et émises par des périphériques audiovisuels. Ces opérations sont effectuées sous l’autorité et le contrôle du juge d’instruction ».

Mais le législateur a institué une prohibition pour les avocats, c’est l’article 706-102-5 du CPP :

« En vue de mettre en place le dispositif technique mentionné à l’article 706-102-1, le juge d’instruction peut autoriser l’introduction dans un véhicule ou dans un lieu privé, y compris hors des heures prévues à l’article 59, à l’insu ou sans le consentement du propriétaire ou du possesseur du véhicule ou de l’occupant des lieux ou de toute personne titulaire d’un droit sur celui-ci.S’il s’agit d’un lieu d’habitation et que l’opération doit intervenir hors des heures prévues à l’article 59, cette autorisation est délivrée par le juge des libertés et de la détention saisi à cette fin par le juge d’instruction. Ces opérations, qui ne peuvent avoir d’autre fin que la mise en place du dispositif technique, sont effectuées sous l’autorité et le contrôle du juge d’instruction. Le présent alinéa est également applicable aux opérations ayant pour objet la désinstallation du dispositif technique ayant été mis en place.
En vue de mettre en place le dispositif technique mentionné à l’article 706-102-1, le juge d’instruction peut également autoriser la transmission par un réseau de communications électroniques de ce dispositif. Ces opérations sont effectuées sous l’autorité et le contrôle du juge d’instruction. Le présent alinéa est également applicable aux opérations ayant pour objet la désinstallation du dispositif technique ayant été mis en place.
La mise en place du dispositif technique mentionné à l’article 706-102-1 ne peut concerner les systèmes automatisés de traitement des données se trouvant dans les lieux visés aux articles 56-1, 56-2 et 56-3 ni être réalisée dans le véhicule, le bureau ou le domicile des personnes visées à l’article 100-7».

De même, s’agissant des sonorisations et des fixations d’images de certains lieux ou véhicules, l’article 706-96 du CPP prévoit :

« Lorsque les nécessités de l’information concernant un crime ou un délit entrant dans le champ d’application de l’article 706-73 l’exigent, le juge d’instruction peut, après avis du procureur de la République, autoriser par ordonnance motivée les officiers et agents de police judiciaire commis sur commission rogatoire à mettre en place un dispositif technique ayant pour objet, sans le consentement des intéressés, la captation, la fixation, la transmission et l’enregistrement de paroles prononcées par une ou plusieurs personnes à titre privé ou confidentiel, dans des lieux ou véhicules privés ou publics, ou de l’image d’une ou plusieurs personnes se trouvant dans un lieu privé. Ces opérations sont effectuées sous l’autorité et le contrôle du juge d’instruction.
En vue de mettre en place le dispositif technique mentionné au premier alinéa, le juge d’instruction peut autoriser l’introduction dans un véhicule ou un lieu privé, y compris hors des heures prévues à l’article 59, à l’insu ou sans le consentement du propriétaire ou du possesseur du véhicule ou de l’occupant des lieux ou de toute personne titulaire d’un droit sur ceux-ci. S’il s’agit d’un lieu d’habitation et que l’opération doit intervenir hors des heures prévues à l’article 59, cette autorisation est délivrée par le juge des libertés et de la détention saisi à cette fin par le juge d’instruction. Ces opérations, qui ne peuvent avoir d’autre fin que la mise en place du dispositif technique, sont effectuées sous l’autorité et le contrôle du juge d’instruction. Les dispositions du présent alinéa sont également applicables aux opérations ayant pour objet la désinstallation du dispositif technique ayant été mis en place ».

Mais le législateur a encore institué une prohibition pour les avocats :

« La mise en place du dispositif technique mentionné au premier alinéa ne peut concerner les lieux visés aux articles 56-1,56-2 et 56-3 ni être mise en oeuvre dans le véhicule, le bureau ou le domicile des personnes visées à l’article 100-7.
Le fait que les opérations prévues au présent article révèlent des infractions autres que celles visées dans la décision du juge d’instruction ne constitue pas une cause de nullité des procédures incidentes ».

S’agissant de l’interception de correspondances émises par la voie des télécommunications, l’article 706-95 du CPP prévoit :

« Si les nécessités de l’enquête de flagrance ou de l’enquête préliminaire relative à l’une des infractions entrant dans le champ d’application de l’article 706-73 l’exigent, le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance peut, à la requête du procureur de la République, autoriser l’interception, l’enregistrement et la transcription de correspondances émises par la voie des télécommunications selon les modalités prévues par les articles 100, deuxième alinéa,100-1 et 100-3 à 100-7, pour une durée maximum d’un mois, renouvelable une fois dans les mêmes conditions de forme et de durée. Ces opérations sont faites sous le contrôle du juge des libertés et de la détention.
Pour l’application des dispositions des articles 100-3 à 100-5, les attributions confiées au juge d’instruction ou à l’officier de police judiciaire commis par lui sont exercées par le procureur de la République ou l’officier de police judiciaire requis par ce magistrat.
Le juge des libertés et de la détention qui a autorisé l’interception est informé sans délai par le procureur de la République des actes accomplis en application de l’alinéa précédent, notamment des procès-verbaux dressés en exécution de son autorisation, par application des articles 100-4 et 100-5 ».

Rappelons également la règlementation de l’article 100-7 du CPP :

« Aucune interception ne peut avoir lieu sur la ligne d’un député ou d’un sénateur sans que le président de l’assemblée à laquelle il appartient en soit informé par le juge d’instruction.
Aucune interception ne peut avoir lieu sur une ligne dépendant du cabinet d’un avocat ou de son domicile sans que le bâtonnier en soit informé par le juge d’instruction.
Aucune interception ne peut avoir lieu sur une ligne dépendant du cabinet d’un magistrat ou de son domicile sans que le premier président ou le procureur général de la juridiction où il réside en soit informé.
Les formalités prévues par le présent article sont prescrites à peine de nullité ».

Or, le projet ne prévoit aucune information du bâtonnier et l’on sait que le texte actuel est à réformer par le recours au juge des libertés et de la détention (JLD). La seule possibilité pour le recueil des renseignements en matière judiciaire reste la perquisition de l’article 56-1 du CPP avec la garantie de la présence du bâtonnier avec son pouvoir de contestation.

Le projet prévoit également la possibilité pour le premier ministre de se passer de l’avis préalable de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR) dans l’hypothèse de « l’urgence liée à une menace imminente où à un risque très élevé de ne pouvoir effectuer l’opération ultérieurement ».

Il n’est pas prévu au niveau de la composition de la CNCTR la présence d’avocats.

D’une manière générale, il n’existe aucune obligation d’une autorisation judiciaire en amont.

Il faut déplorer l’absence du JLD alors que c’est ce juge qui doit autoriser les perquisitions des autorités administratives que sont, par exemple,  l’Autorité de la concurrence, l’administration fiscale ou encore l’Autorité des marchés financiers (AMF).

Rappelons que les dispositions de l’article L621-12 du code monétaire et financier obligent l’AMF à solliciter l’autorisation du JLD pour perquisitionner un cabinet d’avocats avec renvoi à l’article 56-1 du CPP donc à la présence du bâtonnier avec pouvoir de contestation.

En outre, pour la CEDH, la présence du Bâtonnier constitue une garantie spéciale de procédure en charge de la protection du secret professionnel (CEDH, 23 novembre 2010, MOULIN c. France, requête n° 37104/06) :

« Par ailleurs, la perquisition s’est accompagnée d’une garantie spéciale de procédure, puisqu’elle fut exécutée en présence du Bâtonnier de l’ordre des avocats, et que les observations formulées par celui-ci ont pu être ensuite discutées devant le juge des libertés et de la détention ».

La chambre criminelle de la Cour de cassation a érigé le bâtonnier en auxiliaire de justice protecteur des droits de la défense par un arrêt du 8 janvier 2013 (n°12-90063) :

« Attendu que le bâtonnier de l’ordre des avocats n’est pas, au sens de l’article R. 49-21 du code de procédure pénale, une partie lorsqu’il exerce les prérogatives qui lui sont données par l’article 56-1 dudit code à l’occasion d’une perquisition dans un cabinet d’avocat, dès lors qu’il agit dans le cadre d’une mission d’auxiliaire de justice chargée de la protection des droits de la défense ; qu’il ne pouvait donc soulever un moyen d’inconstitutionnalité du texte appliqué ».

Le secret professionnel de l’avocat est d’ordre public, si bien qu’il existe un ordre public du secret professionnel qui profite au citoyen justiciable.

Il ne s’agit pas de protéger une quelconque corporation des avocats qui n’existe pas mais bien le citoyen.

Le risque considérable pour la démocratie réside dans la captation d’informations précisément en matière de criminalité organisée par des procédés que condamne le code de procédure pénale à propos des avocats mais que ne manquera pas de valider la chambre criminelle de la Cour de cassation pour avoir été recueillis dans un cadre légal avant toute intervention de l’autorité judiciaire et dès lors, de manière licite.

Le projet actuel est doublement scélérat, par son contenu et par ses conséquences inéluctables qui entraineront en fait à court terme l’anéantissement irréversible du secret professionnel de l’avocat.