À l’occasion de son discours à la Nation lors du Congrès de Versailles, le président de la République, prenant l’opinion publique à témoin, a voulu donner des gages à tous celles et ceux qui contestent le projet de loi du 22 juin 2017 renforçant la lutte contre le terrorisme et la sécurité intérieure en annonçant, d’une part, la fin de l’état d’urgence et, d’autre part, le nécessaire contrôle du juge judiciaire.
En réalité, nous avons assisté à une entreprise de mystification qui souligne en creux la duplicité du discours présidentiel en matière de protection de nos libertés.
En effet, comment prétendre à une fin de l’état d’urgence lorsqu’en même temps, le parlement est saisi d’une sixième loi de prorogation de ce dispositif d’exception, suivi du projet de loi antiterroriste dont l’objet est de pérenniser l’état d’urgence pour l’inscrire dans le droit commun comme l’a déclaré avec brutalité le ministre de l’intérieur devant les sénateurs.
Cependant, le discours des plus hautes autorités de l’État n’est pas nouveau et s’inscrit dans la continuité des gouvernements précédents. Il suffit, pour s’en convaincre, de faire le rappel des dispositions adoptées en matière de lutte contre le terrorisme ces dernières années, pour constater que le projet de loi litigieux vient couronner et consacrer un abandon progressif de nos libertés publiques et individuelles, quoi qu’en dise le président de la République.
Aussi et à l’approche de nouveaux débats parlementaires portant sur la sécurité des Français, il nous est apparu essentiel de rappeler les dispositions antiterroristes de ces cinq dernières années, indépendamment du régime de l’état d’urgence, pour en tirer cinq conclusions.
Rappelons que, depuis 2012 et les attaques de Mohamed Merah, les gouvernements successifs se sont en effet employés à apporter une réponse législative au terrorisme qui ne rimait pas forcément avec efficacité. Cette multiplication de textes de lois sécuritaires a nécessairement eu pour conséquence de porter atteinte aux droits et libertés fondamentaux au point que le Conseil constitutionnel a jugé nécessaire de rappeler tout récemment : « En premier lieu, d’une part, la législation comprend un ensemble d’infractions pénales […] et de dispositions procédurales pénales spécifiques ayant pour objet de prévenir la commission d’actes de terrorisme. […]
D’autre part, le législateur a également conféré à l’autorité administrative de nombreux pouvoirs afin de prévenir la commission d’actes de terrorisme. »
Les textes principaux sont les suivants :
- l’ordonnance du 12 mars 2012 relative à la partie législative du code de la sécurité intérieure ;
- la loi du 21 décembre 2012 relative à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme ;
- la loi du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme ;
- la loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement ;
- la loi du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France ;
- la loi du 22 mars 2016 relative à la prévention et à la lutte contre les incivilités, contre les atteintes à la sécurité publique et contre les actes terroristes dans les transports collectifs de voyageurs ;
- la loi du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale ;
- l’ordonnance du 24 novembre 2016 portant réforme du dispositif de gel des avoirs ;
- la loi du 21 juillet 2016 prorogeant l’application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence et portant mesures de renforcement de la lutte antiterroriste.
L’analyse de ces dispositions appelle de notre part les conclusions suivantes :
Premièrement, un nombre grandissant de prérogatives dans la lutte contre le terrorisme sont laissées à la discrétion de l’administration sous le contrôle a posteriori du juge administratif : gel des avoirs, assignations à résidence, interdiction de sortie du territoire, blocages administratifs des sites internet, etc. Ainsi et alors que l’autorité judiciaire est gardienne de la liberté individuelle d’après l’article 66 de la Constitution de 1958, le juge judiciaire est écarté du contrôle de l’application de ce nouvel arsenal législatif.
Deuxièmement, les incriminations relatives aux faits de terrorisme se sont multipliées : à titre d’exemple, sont ainsi encadrés et punis par la loi la préparation d’actes de terrorisme, l’entreprise individuelle terroriste, le voyage en zone de combat et la consultation de sites terroristes. La multiplicité de ces dispositions interroge sur leur utilité réelle et l’on peut craindre que ces incriminations ne servent davantage les effets d’annonce que la poursuite effective des actes.
Troisièmement, un régime d’exception a été aménagé au sein de la procédure pénale. On peut ainsi relever, parmi les nombreux aménagements prévus par le législateur, la possibilité de mener des perquisitions de nuit pour les affaires liées au terrorisme ou de prolonger la durée de la garde à vue jusqu’à 144 heures.
Quatrièmement, les moyens mis à disposition des services de renseignement ont été considérablement multipliés, notamment par le biais de l’adoption de la loi n° 2015-912 du 24 juillet 2015 relative au renseignement qui a introduit de nouvelles techniques de surveillance telles que l’installation chez les opérateurs de télécommunications de dispositifs surnommés « boîtes noires » visant à détecter les comportements suspects à partir des données de connexion, le recours nouveau ou facilité aux mécanismes d’écoute, les logiciels espions et les IMSI-catchers. La loi Renseignement a aussi remplacé la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS) par une Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR), plusieurs voix, dont celle de Jean-Marie Delarue, ancien président de la CNCIS, s’étant élevées pour dénoncer l’insuffisance de la nouvelle CNCTR pour effectuer un contrôle réel des interceptions de sécurité.
Cinquièmement, on constate que ces lois n’ont pas systématiquement été soumises au contrôle du Conseil constitutionnel. La grande majorité de ces lois ont en effet été votées tant par la majorité que par l’opposition si bien qu’il ne s’est pas (ou rarement) trouvé soixante députés ou sénateurs pour saisir le Conseil constitutionnel. Ainsi et alors que les dispositions antiterroristes adoptées ces dernières années ont impacté très négativement les droits et libertés fondamentaux, le contrôle de constitutionnalité ne s’effectue que ponctuellement au moyen des questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) transmises par les juridictions administratives et judiciaires.
En quoi les dernières annonces présidentielle et gouvernementale de cette semaine viennent-elles rompre avec la logique de ces dernières années (décrites ci-dessus) tout en assurant la restauration de nos libertés et la préservation de notre pacte républicain.
En rien !
En vérité, les assignés et perquisitionnés de l’état d’urgence d’aujourd’hui seront certainement les assignés et perquisitionnés de la loi antiterroriste de demain.
Aujourd’hui, à la satisfaction de certains syndicats de policiers, mais non des syndicats de magistrats, l’objectif premier demeure toujours la neutralisation de citoyens dont on pourrait anticiper les « comportements non conformes » et la radicalisation supposée. Le droit s’efface pour laisser place à des concepts flous tels que, par exemple, l’appartenance à l’entourage de personnes ou d’organisations…
Comment affronter efficacement ces chimères juridiques si les juges ne font pas prévaloir et respecter les principes de légalité et de nécessité des délits et des peines ?
Rassurez-vous, bonnes gens, vous ne risquez rien, cela ne vous concernera pas car ces mesures (fouilles indifférenciées, assignation, perquisitions, pose préventive de bracelet électronique, les interdictions de se réunir, de manifester, etc.) ne seront réservées qu’aux seuls terroristes… nous dit-on.
En d’autres termes, le président de la République et le gouvernement reconnaissent – quel aveu (!) – que l’état d’urgence a aussi permis la répression d’hommes et de femmes qui, ni de près ni de loin, n’avaient l’intention de mener des actions terroristes sur notre territoire mais seulement de manifester, à l’occasion, par exemple, de la COP 21 ou des lois El Khomri.
En définitive, le choix pour nos parlementaires est simple :
• rejeter ce projet de loi du 22 juin 2017 et ne pas porter atteinte davantage à nos libertés, aux valeurs de la République et à notre démocratie
• ou bien consacrer la logique de soupçon dans notre droit positif, favoriser la division de notre société et la stigmatisation des personnes de confession musulmane. Ainsi, la victoire serait totale pour les terroristes car nous aurions renoncé à nos principes fondamentaux au nom de la lutte contre les fanatiques.
Ce choix, c’est celui du courage, de l’indépendance et de l’honneur auxquels – semble-t-il – a renoncé le président de la République pour se réfugier dans l’artifice et la duplicité plutôt que de rompre avec les logiques du passé…