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Le droit en débats

Projet de loi Sapin II : une nouvelle forme de transaction pénale et beaucoup d’incertitudes

Par Kami Haeri le 29 Février 2016

Lors du conseil des ministres du 22 juillet 2015, le ministre des finances et des comptes publics avait annoncé un « projet de loi sur la transparence de la vie économique ». Le texte a été rebaptisé « loi Sapin II », Michel Sapin étant déjà à l’origine de la loi anti-corruption de 1993. Plusieurs versions de ce texte ont circulé depuis l’automne et un projet finalisé sera en principe présenté au gouvernement le 23 mars prochain.

Ce texte instaure une obligation de mise en conformité imposée aux sociétés employant au moins 500 salariés ou appartenant à un groupe de sociétés dont l’effectif comprend au moins 500 salariés et dont le chiffre d’affaires est supérieur à 100 millions d’euros. Ces dernières seront tenues de prendre des mesures destinées à prévenir et à détecter la commission, en France ou à l’étranger, de faits de corruption ou de trafic d’influence (rédaction d’une charte éthique, dispositif d’alerte interne, cartographie des risques, formation, sanctions disciplinaires…). En cas de poursuite pour des faits de corruption ou de trafic d’influence, le texte prévoit la « prise en compte » de l’existence d’un plan de détection anti-corruption pour diminuer la peine et instaure une peine de mise en conformité pour les sociétés dont le plan se serait révélé insuffisant.

Le dispositif repose sur la création d’une agence nationale de prévention et de détection de la corruption, dotée de larges prérogatives afin de lutter contre la corruption. Cette agence diffusera des lignes directrices relatives à la nouvelle obligation de prévention de la corruption et contrôlera son respect. Elle sera, en outre, chargée de contrôler le respect de la loi n° 68-678 du 26 juillet 1968 (dite « loi de blocage ») en cas de procédure étrangère de mise en conformité. L’Agence disposera pour l’accomplissement de ses missions de pouvoirs très étendus.

Dans le premier projet établi à l’automne 2015, il avait été envisagé d’instaurer une obligation de prévention contre les risques de corruption sanctionnée pénalement. Un tel dispositif - qui aurait abouti au prononcé de condamnations pénales en l’absence même de faits de corruption - a finalement été abandonné au profit d’un manquement donnant lieu à une sanction administrative prononcée par la commission des sanctions de la future agence (jusqu’à 200 000 euros pour les personnes physiques et 1 000 000 euros pour les personnes morales, éventuellement assortie de mesures de publication).

Parallèlement, est créée la « convention de compensation d’intérêt public » - sorte de deferred prosecution agreement qui permettrait d’échapper aux poursuites en acceptant de signer avec le parquet un accord impliquant le versement d’une compensation financière et la mise en œuvre d’un plan de mise en conformité sous le contrôle d’un moniteur à l’américaine. Tant que l’action publique n’aura pas été mise en mouvement, le procureur de la République pourra ainsi proposer aux personnes morales (uniquement) une convention imposant (i) le versement au Trésor public d’une somme « proportionnée aux avantages tirés » des manquements dans la limite de « 30 % du chiffre d’affaires moyen annuel des trois dernières années » et (ii) la mise en œuvre, sous le contrôle de l’agence, d’un programme de mise en conformité dont les frais seront supportés par la personne morale mise en cause.

Si de nombreuses entreprises françaises, soumises aux dispositions du FCPA et du UK Bribery Act faisaient déjà preuve d’une grande maturité en matière de compliance, ce texte constitue une véritable révolution dans la législation française anti-corruption. Il met à la charge de celles-ci d’importantes obligations.

Toutefois, de nombreuses incertitudes demeurent. En effet, les modalités de fixation de la compensation financière sont imprécises et difficiles à quantifier en l’état du projet puisque l’on ne connait ni les critères retenus pour évaluer « les avantages tirés », ni l’assiette du chiffre d’affaires considéré (celui de l’entité légale concernée ou du groupe de sociétés auquel elle peut appartenir ?).

Par ailleurs, le projet actuel exclut les personnes physiques de la convention de compensation d’intérêt public, exposant ainsi les dirigeants à des poursuites pénales malgré la signature d’une convention au bénéfice de l’entreprise.

Enfin, ne prévoyant pas d’extinction de l’action publique avant l’exécution de l’ensemble des obligations du programme de mise en conformité (qui pourra durer trois ans), quelle sera la conséquence d’une action mise en œuvre par un tiers entre la signature de la convention et son exécution définitive ? La situation de l’entreprise sera d’autant plus incertaine que le projet de loi prévoit la publication intégrale de la convention sur le site de l’agence, ce qui pourrait susciter la mise en œuvre de poursuites judiciaires de la part de tiers. Or, il est légitime que l’entreprise souhaite conserver confidentiels les faits ayant conduit à la signature de la convention. Il est donc impératif, afin que ce dispositif soit efficace, qu’il gagne en cohérence et en précision.