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Le droit en débats

Protection du secret des affaires : nouveau joueur, nouvelle tentative, mêmes erreurs

La commission spéciale en charge de l’examen du projet de loi sur l’activité et la croissance, dit « projet de loi Macron », a adopté le 17 janvier dernier plusieurs amendements destinés à introduire dans le code de commerce un régime de protection du secret des affaires.

Par Kami Haeri le 29 Janvier 2015

Ces amendements sont inspirés de la proposition de loi du 16 juillet 2014 relative à la protection du secret des affaires, dont l’objectif reste inchangé : protéger des actifs intellectuels sensibles de l’entreprise en donnant un cadre réglementaire visant à prévenir, dissuader et réprimer les atteintes au capital stratégique d’une entreprise qui échappent à la protection accordée aux brevets, marques ou secrets de fabrique.

Cette proposition de loi, désormais intégrée au projet de loi qui est discuté à l’Assemblée nationale, fait également écho à une proposition de loi n° 3985 présentée par l’ancien député Bernard Carayon, visant à sanctionner l’atteinte au secret des affaires, adoptée le 23 janvier 2012 par les députés mais abandonnée notamment en raison du calendrier des élections présidentielles de 2012.

Cette nouvelle tentative de consacrer dans notre droit une protection du secret des affaires anticipe également la transposition d’une future directive sur le sujet présentée le 28 novembre 2013 par la Commission européenne et qui s’inscrit dans une logique identique de préservation du savoir-faire et de la compétitivité des entreprises européennes.

Contenu et champ d’application du texte

Créant un titre V intitulé « Du secret des affaires » au sein du livre premier du code de commerce, le texte proposé définit le secret des affaires selon trois critères cumulatifs : le caractère non public de l’information « en ce qu’elle procède d’une conjonction d’éléments publics qui, assemblés, revêtent un caractère inédit que l’on souhaite protéger » ; sa valeur économique ; et les « mesures de protection dites raisonnables », mises en place afin d’en maintenir le secret.
Sans être explicite sur ce point, le projet semble laisser le champ libre aux entreprises pour qualifier discrétionnairement de « secret » au sens de la loi toute information qu’elle identifierait et d’en protéger la diffusion.

En outre, contrairement aux dispositions envisagées par la proposition de loi Carayon, le texte présenté fait avant tout du juge civil le gardien principal du secret des affaires et dote celui-ci de pouvoirs importants destinés à protéger les actifs économiques et en sanctionner la violation.
Ainsi, les deux premiers alinéas du futur article L. 151-2 du code de commerce posent comme principe général l’interdiction de violer le secret des affaires tandis que le troisième qualifie la faute susceptible d’engager la responsabilité civile de son auteur, étant précisé que la simple violation suffit pour caractériser la faute. Par ce biais, il semblerait que les entreprises victimes puissent obtenir réparation du préjudice subi ou requérir du juge des mesures spécifiques pour endiguer l’atteinte.

Le futur article L. 151-3 définit quant à lui les mesures provisoires ou conservatoires en référé ou sur requête, répondant ainsi aux impératifs de la vie économique. Ainsi, si les éléments de preuve rendent vraisemblable l’atteinte au secret des affaires, le tribunal pourra interdire la réalisation ou la poursuite des actes mis en cause, la subordonner à la constitution de garanties ou bien ordonner la saisie conservatoire des biens du prétendu auteur de l’atteinte pour assurer le recouvrement de dommages et intérêts.

En complément, plusieurs dispositions établissent de larges pouvoirs pour le juge saisi d’une violation ou d’un risque de violation. Il peut recourir à toute mesure jugée nécessaire sous couvert de proportionnalité : faire interdiction à toute personne de prendre connaissance ou de faire une quelconque utilisation ou communication de l’information concernée et prohiber tout acte subséquent, tel que la commercialisation de marchandises ou de services élaborés au moyen du secret des affaires concerné ; ou ordonner la saisie de tout support contenant l’information concernée, des fruits de l’atteinte au secret des affaires ainsi que de tout matériel, instrument ou objet quelconque s’y rapportant et permettant son utilisation ; voire ordonner que les produits de l’atteinte au secret des affaires soient rappelés ou écartés définitivement des circuits commerciaux.

Autre mesure intéressante, la protection du secret des affaires est garantie quelle que soit la loi (française ou étrangère) applicable aux relations contractuelles entre les parties dès lors que l’obtention, l’utilisation ou la révélation du secret des affaires a eu lieu ou risque de se produire en France (futur art. L.151-6 du même code). L’article L. 151-7 prévoit quant à lui que, lorsque la production en justice de pièces porte atteinte au secret des affaires, le tribunal peut en refuser la production.

Si le volet consacré aux pouvoirs étendus du juge civil est incontestablement le plus novateur, le volet pénal du projet de loi est également renforcé : l’infraction de violation du secret des affaires est assortie d’une peine d’emprisonnement de 3 ans et d’une amende de 375 000 €. La tentative est sanctionnée par les mêmes dispositions et lorsque l’atteinte au secret touche aux intérêts économiques de la France, la peine est portée à 7 ans d’emprisonnement et à 700 000 € d’amende.

Il faut toutefois regretter une fois encore que le gouvernement ait souhaité profiter du débat sur le secret des affaires afin de tenter de redonner un nouvel élan à la loi n° 68-78 du 26 juillet 1968 (modifiée le 16 juill. 1980) dite « loi de blocage ». Cette loi qui, sous réserve des traités internationaux, permet de faire obstacle à la transmission d’informations économiques et stratégiques dans le cadre de procédures étrangères constitue un dispositif utile mais que les entreprises ont utilisé de manière parcimonieuse et en opportunité depuis son instauration.

Face à la globalisation des échanges, qui place les entreprises sous le regard, voire la tutelle, de régulateurs de différentes nationalités, celles-ci peuvent être amenées à choisir légitimement dans quelles conditions communiquer les informations qui leurs sont demandées. À cet égard, si elles peuvent exciper de la loi de blocage si nécessaire, elles peuvent être amenées à envisager de coopérer avec les autorités étrangères. La coexistence pacifique de ces deux approches a été respectée depuis plusieurs décennies à telle enseigne que la loi de blocage n’a été sanctionnée qu’une seule fois depuis sa promulgation. Augmenter sensiblement les peines encourues en cas de violation de ces dispositions comme le propose l’amendement SPE1815 (extension à une peine de 3 ans d’emprisonnement et de 375 000 € d’amende au lieu d’une peine d’emprisonnement de six mois et/ou d’une amende de 18 000 €) et remettre ainsi un projecteur sur une loi utile mais discrète, constitue une erreur manifeste d’appréciation des contraintes inhérentes à une économie globalisée et multi-régulée.

L’impossible mise en œuvre

Ce projet de loi a le mérite de tenter de donner une définition générale du secret des affaires là où une partie seulement des actifs intellectuels de l’entreprise faisait l’objet d’une protection formelle (marques, brevets, savoir-faire, etc.) mais les difficultés d’application inhérentes à un produit législatif aussi sophistiqué sont déjà prévisibles.

En premier lieu, la définition du secret des affaires proposée par ce texte semble laisser une place conséquente à l’appréciation discrétionnaire des entreprises quant à la qualification de leurs données : les conditions formelles d’identification et de protection des éléments couverts par le secret des affaires ne sont pas précisées à ce stade, pas plus que le projet de loi ne contient de disposition imposant un contrôle a priori des conditions d’octroi du secret. Ce n’est en réalité qu’au moment de la confrontation judiciaire que les conditions de protection des éléments invoqués seront débattues.

En second lieu, le projet de loi appréhende l’information comme un corpus délimité et homogène, alors même que ce n’est pas le cas dans la pratique. En effet, si le support peut être réputé appartenir à l’entreprise, la question du contenu et de sa transmission risque de faire l’objet de longs débats en revendication devant le juge. Un salarié ou un dirigeant quittant une entreprise peut-il effacer raisonnablement de sa mémoire l’expérience ou les informations générales auxquelles il a eu accès sous peine de se voir poursuivre et condamner pour atteinte au secret des affaires ? Il est nécessaire que l’entreprise soit protégée. Mais la limite de l’exercice réside inévitablement dans de possibles contentieux civils, commerciaux ou prud’hommaux trouvant leur source dans la violation prétendue de ce secret.

C’est précisément du fait de cette impossibilité pratique de qualification de l’information que le législateur français a historiquement pris soin de sanctionner l’usage déloyal de l’information économique plutôt que d’en tenter une protection hasardeuse, voire impossible : vol, abus de confiance, intrusion dans un système de données informatisé.

Si l’intention du législateur dans le cadre de ce projet de loi est donc honorable, car il est bien évidemment nécessaire de protéger le patrimoine économique des entreprises, ce dernier risque pourtant de se heurter à des difficultés de mise en œuvre en ne dotant pas son dispositif de contours précis et en ne l’assortissant pas d’une méthodologie spécifique. Le projet de loi va maintenant suivre les arcanes du processus parlementaire et il reste à espérer qu’il sera enrichi pour en permettre une application effective et éviter qu’il rejoigne dès son entrée en vigueur la grande famille des textes répressifs oubliés.