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Le droit en débats

Réforme de la procédure civile et « référé en la forme » : lever les dangers de l’imprécision sémantique

Dans le cadre des Chantiers de la justice, le rapport intitulé « Amélioration et simplification de la procédure civile » porte en page 17 le souhait que l’acte de saisine judiciaire numérique puisse générer pour le demandeur l’obtention d’une date adaptée à la nature de la procédure qu’il engage. 

Par Yves Strickler le 12 Février 2018

À la lecture de cette proposition, dans un récent dossier de Dalloz actualité isset(node/188966) ? node/188966 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>188966, notre collègue et amie Corinne Bléry indique qu’elle souscrit aisément à l’affirmation selon laquelle « l’obtention de cette date tout comme la possibilité pour le justiciable d’avoir accès à tout moment par voie dématérialisée à l’avancée de sa procédure constituent des réponses aux attentes essentielles et légitimes du justiciable quant à la prévisibilité de la durée de son procès ». Elle est cependant plus réservée sur une autre affirmation qui consiste à dire qu’il « n’y aura [du fait de l’obtention d’une date] plus lieu à conserver la distinction entre assignation en référé et assignation en la forme des référés, ce qui conduira à ouvrir le chantier de clarification du dispositif, appelé de ses vœux par le professeur Y. Strickler » et dit que cela la « laisse perplexe : quel est le lien ? ».

Mon nom apparaissant dans ce rapport comme dans l’analyse de Mme Bléry, je ressens le devoir d’y apporter une touche complémentaire : la proposition faite par les auteurs du rapport peut en réalité être lue de deux manières. Négativement, comme positivement.

Si l’on raisonne en termes d’obtention de dates, il est effectivement a priori bien délicat de percevoir un lien possible entre, d’un côté, la suppression de la distinction de l’assignation en référé et l’assignation en la forme des référés et, de l’autre, le souhait de voir modifier le dispositif de la si mal nommée « forme des référés » : il faudra toujours que les parties et le juge sachent de quoi il retourne et quels seront en conséquence les pouvoirs juridictionnels du juge saisi… si l’obtention de la date doit être adaptée à la nature de la procédure qu’il engage, comme c’est la forme procédurale des référés qui est utilisée dans les deux hypothèses, cela ne règle en effet pas, de ce seul fait, la question de savoir si on est en procédure de référé véritable ou dans une procédure en la forme des référés…

Mais si l’on relit la proposition qui est faite par le rapport, il semble bien qu’une vision plus positive puisse en être déduite : lors de la fixation de la date, il s’agit d’adapter le calendrier à la nature de la procédure en cause ; il sera alors, logiquement, indiqué de manière claire le chemin sur lequel l’affaire est engagée et donc possible de dire si la date donnée l’est pour une audience de référé ou une autre, « en la forme », ce qui permettrait d’évacuer les risques de confusion dénoncés. Ainsi, on remplacerait la distinction entre assignation en référé et assignation en la forme des référés par ce « rendez-vous d’orientation judiciaire » qui, parce qu’il orientera selon le type de procédure, clarifiera la voie empruntée.

Le rapport indique que « l’acte de saisine judiciaire numérique doit générer pour le demandeur l’obtention d’une date qui sera adaptée à la nature de la procédure qu’il engage [et précise que la] date de ce “rendez-vous” d’orientation judiciaire sera fixée selon un calendrier mis à disposition par la juridiction ». Si, dans ce calendrier, apparaissent les dates qui correspondent au référé véritable et celles des cas (nombreux) correspondant aux référés en la forme, il y aura en effet moins d’intérêt à conserver la distinction entre assignation en référé et assignation en la forme des référés. Et si, en plus, cela doit « conduire à ouvrir le chantier de clarification du dispositif », la lecture du rapport en devient immédiatement plus positive, car cela montre que la prise de conscience de la nécessité de revoir le dispositif de la forme des référés est réalisée.

Mais le rendez-vous d’orientation suffira-t-il à régler les difficultés récurrentes ? Cela est moins sûr.

Il ne se passe en effet pas de mois sans qu’un avocat, un magistrat, un expert judiciaire ou un universitaire ne s’interroge sur le concept de « forme des référés », racontant ce dossier où un avocat a saisi le juge des référés alors qu’il aurait dû le porter devant le juge « en la forme des référés », ou cet autre dossier où le juge saisi « en la forme » avait commis l’erreur de statuer par ordonnance de référé véritable, ou encore ce recours perdu car la personne, pensant disposer d’un délai d’appel d’un mois car la décision est au fond, avait oublié que la forme des référés impose le délai de quinze jours… L’on devrait certes savoir que la procédure suivant « la forme des référés » n’est pas celle des référés normaux mais qu’elle débouche sur une décision au principal, hélas, l’application de ce dispositif a toujours donné lieu à de multiples difficultés1. Le président Marcel Foulon et moi avons à plusieurs reprises plaidé pour une réforme profitable, simple et facilement réalisable des référés en la forme. Peut-être le temps est-il venu de la réaliser.

Elle peut l’être par un chantier qui ne supposerait pas grands travaux. Un pas important serait réalisé par la création d’une section 1 bis dans le code de procédure civile, qui serait intitulée « Ordonnance au fond » et qui serait constituée de deux articles. Ordonnance car le mot évoque la décision d’un juge unique ; au fond car c’est la marque d’une décision rendue au principal ; et le tout sans utiliser le mot référé qui est de nature à brouiller les pistes et embrumer les esprits. En comparaison, on signalera que la forme des référés se rencontre parfois dans des pays francophones ainsi dans le code de commerce de la république de Djibouti ; mais l’expression a été interprétée par les juges et avocats de cet État comme renvoyant… au référé ordinaire. « Vous voulez, Acis, me dire qu’il fait froid ; que ne me disiez-vous : "il fait froid" ? Vous voulez m’apprendre qu’il pleut ou qu’il neige ; dites "il pleut, il neige" »2.

La proposition complétant celle du rapport serait alors la suivante :

  • Article 481-1 : L’expression « ordonnance au fond » est substituée aux expressions « comme en matière de référés » ou « en la forme des référés ». Un juge du tribunal compétent est chargé de ce contentieux. Il connaît des litiges attribués par conventions internationales au président statuant en la forme des référés.
     
  • Article 481-2 : Les articles 480, 481, 485, alinéa 2, 486, 487, 489, 490, 491 et 492 du présent code s’appliquent à l’ordonnance au fond. La procédure devant le premier juge est orale.

Il resterait à savoir ce qu’il y a lieu de faire de l’actuel article 492-1 créé par le décret n° 2011-1043 du 1er septembre 2011. Les deux articles nouveaux remplacent les points 1° et 2°  de ce texte ; quant au point 3° de l’article 492-1, qui énonce que « l’ordonnance est exécutoire à titre provisoire, à moins que le juge en décide autrement », cette mention gagnerait à être supprimée car la décision que rend le juge en la forme des référés (et qu’il rendra si la proposition ici réitérée est adoptée par « ordonnance au fond ») doit être, comme les véritables ordonnances de référé, exécutoire à titre provisoire3. L’actuel article 492-1 pourra donc alors être abrogé en son entier.

 

 

 

1. V. M. Foulon et Y. Strickler, Les référés en la forme, Dalloz, 2013 ; v. aussi M. Foulon et Y. Strickler, Le décret n° 2011-1043 du 1er septembre 2011 et la procédure en la forme des référés, D. 2011. 2668 .
2.  La Bruyère,
De la société, § 7.
3. Par ex. note M. Foulon et Y. Strickler, sous Versailles, 14e ch., 28 janv. 2016, n° 15/05821, JCP 2016. 397.