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Le droit en débats

La réforme des juges de proximité

Par Michel Marque le 16 Septembre 2016

La loi organique n° 2016-1090 du 8 août 2016 relative aux garanties statutaires, aux obligations déontologiques et au recrutement des magistrats ainsi qu’au Conseil supérieur de la magistrature, qui supprime les juges de proximité à compter du 1er juillet 2017, a été publiée au Journal officiel le 11 août 2016.

Lors de travaux préparatoires de la loi n° 2002-1138 du 9 septembre 2002 d’orientation et de programmation pour la justice qui a créé les juridictions de proximité, le rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale du Sénat justifiait cette réforme car « la justice est trop éloignée du citoyen. Cet éloignement n’est pas seulement géographique, mais aussi temporel – dès lors que les décisions sont rendues dans des délais inacceptables –, voire psychologique, le fonctionnement de la justice suscitant souvent l’incompréhension des justiciables ».

Ainsi, ces nouvelles juridictions devaient donner une « réponse simple, rapide et efficace aux petits litiges de la vie quotidienne ».

Ce rapprochement entre la justice et le citoyen n’est pas nouveau puisque l’émergence d’un « juge citoyen » est apparue avec les lois des 16 et 24 août 1790 sur l’organisation judiciaire qui instituaient les juges de paix choisis parmi les citoyens éligibles aux administrations de département et de district et âgés de trente ans accomplis.

La loi du 9 septembre 2002 qui a instauré la juridiction de proximité a été suivie par la loi organique n° 2003-153 du 26 février 2003 relative aux juges de proximité. Après seulement deux années d’exercice, la juridiction de proximité a été profondément réformée par la loi n° 2005-47 du 26 janvier 2005 relative aux compétences du tribunal d’instance, de la juridiction de proximité et du tribunal de grande instance en accroissant très sensiblement la compétence de ces juges citoyens.

Si les inquiétudes et les doutes des magistrats professionnels ont pu paraître légitimes lors de l’arrivée de ces nouveaux juges non professionnels, force est de constater qu’après treize ans d’exercice, les juges de proximité avaient trouvé toute leur place sur la scène judiciaire.

S’il n’était pas contesté que l’activité des juges de proximité avait obtenu une légitimité au sein du contentieux du tribunal d’instance, la juridiction de proximité, autonome dans son fonctionnement, ne pouvait pas donner satisfaction sur le plan de la cohérence juridictionnelle.

Comme le souligne le rapport remis par la Commission Guinchard au ministre de la justice le 30 juin 2008, « l’institution d’un nouvel ordre de juridiction a considérablement compliqué l’organisation judiciaire en matière civile et conduit à des situations que plusieurs auteurs ont pu qualifier d’ubuesques ou de kafkaïennes, notamment lorsqu’en l’absence de juge de proximité, les fonctions de ce dernier sont exercées par le juge d’instance ».

Cette commission préconisait de supprimer la juridiction de proximité tout en maintenant les juges de proximité pour statuer en matière pénale, sur les contraventions des quatre premières classes mais en supprimant leurs compétences en matière de contentieux civil. Elle repositionnait ces juges non professionnels en tant qu’assesseurs pour l’ensemble des formations collégiales du tribunal de grande instance, tant en matière civile que pénale.

C’est donc sur la base de ces propositions que la loi n° 2011-1862 du 13 décembre 2011 relative à la répartition des contentieux et à l’allègement de certaines procédures juridictionnelles avait fixé la suppression des juridictions de proximité au 1er janvier 2013.

Il est apparu rapidement que ce bouleversement ne pouvait être supporté par les tribunaux d’instance comme le soulignait la commission des Lois du Sénat qui constatait « que toutes les personnes qu’elle a entendues au cours des auditions s’accordaient pour considérer que les juridictions d’instance, fortement éprouvées par les précédentes réformes, ne seraient manifestement pas en mesure d’absorber la charge contentieuse qui leur sera transférée, du fait de la suppression de cette juridiction ».

Ainsi, après un premier report fixé au 1er janvier 2015 par la loi n° 2012-1441 du 24 décembre 2012 relative aux juridictions de proximité, la loi n° 2014-1654 du 29 décembre 2014 a reporté à nouveau la suppression des juridictions de proximité au 1er janvier 2017 pour l’intégrer dans la grande réforme de la justice.

C’est dans l’état de ces réflexions que la garde des Sceaux déposait sur le bureau du Sénat le 31 juillet 2015 deux projets de loi s’inscrivant dans la réforme « J21 » : un projet de loi organique relatif aux garanties statutaires, aux obligations déontologiques et au recrutement des magistrats ainsi qu’au Conseil supérieur de la magistrature et un projet de loi de modernisation de la justice du XXIe siècle.

Aux termes de ces deux projets, les juges de proximité étaient nommés au tribunal de grande instance afin de siéger au sein des formations collégiales. Ils perdaient le contentieux civil pour lequel ils avaient été créés. Ces textes étaient adoptés par le Sénat sans modification notoire concernant les juges non professionnels.

L’arrivée de monsieur Urvoas au ministère de la justice, soucieux entre autres « de mieux utiliser les moyens de la justice pour la rendre plus efficace, moins complexe, plus lisible », a radicalement changé l’avenir des juges de proximité. C’est ainsi que la commission des lois de l’Assemblée nationale lors de sa réunion du 3 mai 2016 a adopté une nouvelle proposition du projet en fusionnant le statut des magistrats à titre temporaire avec celui des juges de proximité, estimant à juste raison que ces deux statuts étaient très proches.

Le statut de magistrat à titre temporaire a été instauré par la loi organique n° 95-64 du 19 janvier 1995 en insérant dans l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature une sous-section dont le premier article 41-10 précisait avant la réforme que « peuvent être nommées, pour exercer des fonctions de juge d’instance ou d’assesseur dans les formations collégiales des tribunaux de grande instance, les personnes âgées de moins de soixante-cinq ans révolus que leur compétence et leur expérience qualifient particulièrement pour exercer ces fonctions ».

Ce recrutement orignal, puisqu’il permettait l’exercice de certaines fonctions par des magistrats non professionnels, a été un échec. Peut-être que cet échec relatif a été une source de réflexion dans l’avènement des juges de proximité en 2003, qui présentait d’importantes similitudes dans le mode de recrutement mais qui était doté d’un périmètre d’intervention beaucoup restreint.

En 2014, seulement quarante magistrats à titre temporaire sont affectés dans les juridictions.

Fusion du statut des juges de proximité et des magistrats à titre temporaire

Par un amendement de simplification du gouvernement, la commission mixte paritaire (CMP), qui s’est réunie le 22 mai 2016, a fixé l’entrée en vigueur de ce dispositif au 1er juillet 2017 qui verra également la suppression des juridictions de proximité.

Le texte élaboré par la CMP ayant recueilli l’accord des deux chambres, le texte final a été adopté par le Sénat le 6 juillet 2016 et par l’Assemblée nationale le 11 juillet 2016.

En application de l’article 61, alinéa 1er, de la Constitution et l’article 17 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, la loi organique a été soumise au contrôle obligatoire du Conseil constitutionnel saisi le 12 juillet 2016.

Dans sa décision n° 2016-732 DC du 28 juillet 2016, le Conseil constitutionnel a déclaré l’article 35 de la loi organique conforme à la constitution tout en réaffirmant que : « 73. Les fonctions de magistrat de l’ordre judiciaire doivent en principe être exercées par des personnes qui entendent consacrer leur vie professionnelle à la carrière judiciaire. La Constitution ne fait cependant pas obstacle à ce que, pour une part limitée, des fonctions normalement réservées à des magistrats de carrière puissent être exercées à titre temporaire par des personnes qui n’entendent pas pour autant embrasser la carrière judiciaire, à condition que, dans cette hypothèse, des garanties appropriées permettent de satisfaire au principe d’indépendance qui est indissociable de l’exercice de fonctions judiciaires. Il importe à cette fin que les intéressés soient soumis aux droits et obligations applicables à l’ensemble des magistrats sous la seule réserve des dispositions spécifiques qu’impose l’exercice à titre temporaire de leurs fonctions.
74. L’article 41-10 A de l’ordonnance du 22 décembre 1958 ne saurait, sans méconnaître le principe d’indépendance de l’autorité judiciaire, être interprété comme permettant qu’au sein d’un tribunal plus d’un tiers des fonctions normalement réservées à des magistrats de carrière puissent être exercées par des magistrats recrutés provisoirement, que ce soit à temps partiel ou à temps complet ».

Les magistrats à titre temporaire ont vu leurs prérogatives précisées pour tenir compte du rattachement des tribunaux de police au tribunal de grande instance. L’article 41-10 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature est ainsi rédigé : « Peuvent être nommées magistrats exerçant à titre temporaire, pour exercer des fonctions de juge d’instance, d’assesseur dans les formations collégiales des tribunaux de grande instance, de juge du tribunal de police ou de juge chargé de valider les compositions pénales, les personnes âgées d’au moins trente-cinq ans que leur compétence et leur expérience qualifient particulièrement pour exercer ces fonctions ».

Le 1er juillet 2017, les juridictions de proximité seront donc supprimées et disparaîtront avec elles les juges de proximité, ce qui replace l’organisation du tribunal d’instance dans la situation d’avant 2002.

Toutefois, cette date lointaine a été fixée pour permettre une mise en œuvre de la réforme dans la sérénité et la compréhension de tous, professionnels du droit comme justiciables et dans l’attente de la promulgation de la loi de modernisation de la justice du XXIe siècle toujours en discussion au parlement.

Si la loi organique n° 2016-1090 du 8 août 2016 a réuni un certain consensus lors des débats parlementaires, le second volet de la réforme de la justice, avec le projet de loi de modernisation de la justice du XXIe siècle, s’est cristallisé sur des points clivants, notamment concernant le tribunal correctionnel des mineurs, le divorce par consentement mutuel sans juge, les actes d’état civil ou encore la collégialité des juges d’instruction.

Déposé selon la procédure accélérée, ce projet n’a pas recueilli d’accord lors de la réunion de la commission mixte paritaire du 22 mai 2016. Cet échec a donc conduit à relancer le débat parlementaire. En nouvelle lecture, un texte a été adopté par l’Assemblée nationale le 12 juillet 2016 et sera discuté au Sénat lors des séances du 27 au 29 septembre 2016.

Toutefois, les dispositions concernant la mise en œuvre de la suppression de la juridiction de proximité et de ses juges qui n’ont suscité aucun débat polémique ne devraient pas subir de grandes modifications.

La procédure du contentieux civil et pénal jusqu’au 1er juillet 2017

Jusqu’à cette date, les modes procéduraux ne changent pas, tant devant la juridiction de proximité que devant le tribunal de police qui relève de la compétence des juges d’instance.

À partir du 1er juillet 2017, « en matière civile, les procédures en cours devant les juridictions de proximité sont transférées en l’état au tribunal d’instance. Les convocations et assignations données aux parties peuvent être délivrées avant cette date pour une comparution postérieure à cette date devant le tribunal d’instance ». Cette disposition permet donc au greffe de convoquer devant la juridiction de proximité les parties pour toutes les audiences dont les jugements devront être rendus impérativement avant 30 juin 2017 et convoquer devant le tribunal d’instance les affaires nouvelles ne pouvant pas être audiencées avant le 1er juillet 2017.

En matière pénale, « les procédures en cours devant les tribunaux de police et les juridictions de proximité supprimés sont transférées en l’état aux tribunaux de police territorialement compétents. Les convocations et citations données aux parties et aux témoins peuvent être délivrées avant cette date pour une comparution postérieure à cette date devant le tribunal de police nouvellement compétent ». Cette disposition tient compte du transfert du tribunal de police au tribunal de grande instance à la même date.

Une réforme qui réduit les compétences d’attribution des magistrats à titre temporaire en matière pénale

Le projet de loi de modernisation de la justice du XXIe siècle, adopté en nouvelle lecture par l’Assemblée nationale et qui sera débattu fin septembre au Sénat, ajoute un nouvel alinéa à l’article 523 du code de procédure pénale qui précise que le tribunal de police est constitué d’un juge du tribunal de grande instance.

Aux termes de l’article 10 de ce projet de loi, le tribunal de police est constitué d’un juge du tribunal de grande instance et, « lorsqu’il connaît des contraventions des quatre premières classes, à l’exception de celles déterminées par un décret en Conseil d’État, ainsi que des contraventions de la cinquième classe relevant de la procédure de l’amende forfaitaire, le tribunal de police peut être constitué par un magistrat exerçant à titre temporaire ».

Il convient de rappeler qu’aujourd’hui, les magistrats à titre temporaire, lorsqu’ils sont affectés dans un tribunal d’instance, sont compétents pour l’ensemble du contentieux à l’exception de la départition prud’homale.

À ce titre, et depuis plus de vingt ans, les magistrats à titre temporaire, affectés comme juges d’instance, étaient compétents pour l’ensemble du contentieux contraventionnel y compris pour les contraventions de cinquième classe.

Le nouvel article 523 du code de procédure pénale, s’il venait à être adopté dans les termes actuels, aurait pour conséquence pour les magistrats à titre temporaire de ne plus connaître que le contentieux des quatre premières classes, à l’exception de celles déterminées par un décret en Conseil d’État, ainsi que des contraventions de la cinquième classe relevant de la procédure de l’amende forfaitaire.

Cette formulation ne fait que reprendre les dispositions légales de l’article 521 du code de procédure pénale sur les compétences de la juridiction de proximité.

Ainsi, en permettant aux juges de proximité d’intégrer le statut des magistrats à titre temporaire, le législateur entend réduire les compétences de ces derniers laissant à penser que les magistrats non professionnels de demain seraient moins compétents que ceux d’hier.

Ce changement de périmètre a également une conséquence non négligeable sur la part du contentieux contraventionnel dont auront à connaître les magistrats professionnels.

Un traitement du contentieux contraventionnel alourdi pour les magistrats professionnels

La loi organique du 8 août 2016 précise qu’en qualité de juge du tribunal de police, les magistrats à titre temporaire ne peuvent connaître que d’une part limitée du contentieux relatif aux contraventions. Cette formulation très générale a été précisée par le Conseil Constitutionnel dans son avis du 28 juillet 2016 en son point 74 en affirmant que les magistrats recrutés provisoirement, que ce soit à temps partiel ou à temps complet, ne pouvaient exercer plus d’un tiers des fonctions normalement réservées à des magistrats de carrière.

Selon les statistiques présentées par le ministère de la justice pour l’année 2014, sur un total de 447 138 décisions (jugements et ordonnances pénales), les tribunaux de police en ont rendu 48 933 et les juridictions de proximité 398 205 décisions représentant donc 89,05 % du contentieux contraventionnel.

Avant la réforme, le contentieux contraventionnel des quatre premières classes était de la compétence de la juridiction de proximité. Le tribunal de police ne relevant plus de la compétence des juges d’instance mais d’un ordre juridictionnel à part, le seuil d’un tiers fixé par la loi contraindra les magistrats professionnels à prendre en charge 66 % du contentieux des quatre premières classes outre celui de la cinquième classe représentant ainsi plus de 70 % du contentieux contraventionnel contre seulement 10,95 % aujourd’hui.

Par ailleurs, ce fractionnement du traitement des contraventions entre magistrats professionnels et non professionnels participe, pour le justiciable mais également pour les services des greffes, à complexifier la procédure d’un contentieux de masse et ne concourt pas à l’allègement et à la lisibilité de la procédure devant le tribunal de police.

Peut-être conviendrait-il, lors des prochains débats parlementaires, afin d’élargir le périmètre de magistrats à titre temporaire et de réduire par voie de conséquence les nouvelles charges des magistrats professionnels, de supprimer dans l’article 10 du projet de loi de modernisation de la justice du XXIe siècle l’aliéna de référence à la spécificité du traitement des quatre premières classes.

En conclusion, une page de la justice de proximité est tournée. La réforme de cette justice s’inscrit dans une démarche de simplification et de lisibilité.

Les mois à venir doivent permettre de mettre en place les nouvelles procédures et pour les juges de proximité qui en auront fait la demande avant le 12 septembre 2016, de subir la procédure de recrutement pour être nommés au 1er juillet 2017 magistrats à titre temporaire après avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature.