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Le droit en débats

Le secret professionnel de l’avocat : vers une ambiguïté entretenue ?

Par Yann Czernik le 17 Septembre 2015

Au-delà de ce titre sciemment provocateur, où je me fais pour ainsi dire « l’avocat du diable » (quel paradoxe pour un commissaire de police…), je tiens à partir du postulat suivant : en matière financière, comme dans toute autre spécialité de police judiciaire, l’enquêteur se trouve parfois confronté à l’occasion d’opérations de police, notamment lors de perquisitions au domicile d’un mis en cause, à des documents (courriers, courriels…) susceptibles d’orienter utilement l’enquête pénale mais qui s’avèrent être des échanges entre la personne visée par nos investigations et son avocat.

Il arrive que ces mêmes documents recèlent des indices objectifs dans lesquels ce même conseil va au-delà de sa simple fonction d’auxiliaire de justice et distille des éléments pouvant engager sa responsabilité, et va ainsi devenir complice de l’infraction pénale initialement imputable à son client, voire auteur à part entière d’un délit distinct. Quid alors de la saisie, du placement sous scellés et de l’exploitation du document ?
Autre situation ambiguë que les enquêteurs connaissent parfois, celle du placement en garde en vue d’un avocat ou de son audition en tant que suspect libre : peut-il invoquer systématiquement son obligation de respect du secret professionnel pour refuser de répondre aux questions des officiers de police judiciaire (OPJ) et quelles sont les limites à l’invocation de ce secret professionnel ?

Je tenterai d’apporter, dans ces quelques lignes, un éclairage essentiellement de praticien et de technicien du droit pénal plus que de juriste.

Il apparaît à ce stade de notre réflexion que concilier l’enquête policière et le respect du secret professionnel de l’avocat s’avère parfois source de tension entre deux exigences : d’une part, celle de garantir la protection des intérêts des clients des avocats (droits de la défense, mais aussi protection du secret des affaires et de la vie privée par exemple) et, d’autre part, celle de garantir à l’enquête pénale toute son efficacité.

Confronté à des dossiers où le positionnement de l’avocat en tant que « simple conseil » ou en tant que probable « futur mis en cause » n’est pas clairement établi, l’OPJ se retrouve dans une posture ô combien indélicate et, en fonction des situations, est confronté à une opposabilité quasi stalinienne du secret professionnel de l’avocat.

Notre étude porte donc sur l’accessibilité (ou non) par la police judiciaire de renseignements détenus par les avocats, tant du point de vue de la procédure, que du fond.

Au-delà des moyens coercitifs de collecte d’informations au domicile ou au cabinet d’un avocat de type perquisitions, saisies et placements sous scellés, de réquisitions ou par d’autres techniques d’enquêtes de types interceptions informatiques ou téléphoniques, il s’agit essentiellement de percevoir et d’anticiper l’étendue du droit de l’avocat d’opposer le secret professionnel à nos enquêteurs lors de son audition, en tant que simple témoin ou en tant que mis en cause (suspect libre ou gardé à vue).

Car c’est bien le principe du secret des correspondances entre l’avocat et son client qui garantit l’exercice effectif des droits de la défense : les communications et échanges entre un avocat et son client sont donc de prime abord confidentiels et ne peuvent valablement être exploités que sous certaines conditions. Ainsi par exemple, constitue une violation à ses obligations professionnelles l’avocat qui, lui-même en garde à vue, divulgue des éléments de nature à incriminer ses clients.

Le principe du secret professionnel est d’ordre public et l’exploitation d’informations obtenues en violation de ce principe serait susceptible d’entacher la régularité desdites informations qui seraient de facto inexploitables dans le cadre de notre procédure judiciaire, voire pire, risquerait de compromettre toute la procédure ultérieure.

Quel que soit le cadre de l’enquête pénale, l’ambiguïté du secret professionnel de l’avocat réside également dans le fait de considérer procéduralement l’avocat soit en tant que simple conseil, soit en tant que mis en cause.

L’avocat en tant que conseil

La problématique qui se pose pour chaque enquêteur tient à ce que l’on peut, doit ou non saisir lors de nos perquisitions au domicile d’un potentiel mis en cause dès lors qu’un simple document fait état d’un lien entre ce dernier et son conseil.

Les enquêteurs vont alors se poser un grand nombre de questions : les notes d’un avocat analysant un contrat, ou par exemple le choix d’une procédure d’attribution d’un marché public rédigée par un avocat pour son client, peuvent-elles ainsi par exemple être saisies et surtout exploitées lorsque ce contrat ou cette procédure font l’objet d’une enquête ? Y a-t-il atteinte aux droits de la défense et au secret professionnel ? Doit-on considérer qu’il s’agit d’une simple note juridique ou d’un argument de poids qui pourrait influencer le cours de l’enquête pénale ?

La position face à ces interrogations variera selon qu’elle sert le client ou non. Mais l’essentiel est de pouvoir déterminer si l’on peut réellement en faire état en procédure. Et rien n’est clairement tranché en la matière. Pire, les doutes des enquêteurs s’entrecroisent parfois avec l’hésitation (voire la frilosité) de certains parquetiers ou juges d’instructions.

La même problématique se pose également lors de l’audition d’un avocat placé en garde en vue. Placé sous l’épée de Damoclès, l’OPJ doit concentrer ses questions sur des éléments visant à mettre directement en cause l’honnêteté et la probité de l’avocat en démontrant exclusivement sa culpabilité via sa participation active aux faits délictueux, par exemple via des versements d’argent ou d’avantages qui ne constituent pas des honoraires ou qui ne correspondent à aucune facture ou prestation réelle, etc., et surtout à rien d’autre.

Dans un dossier, il est arrivé qu’un avocat placé en garde à vue, car complice d’une infraction pénale, refuse systématiquement de répondre aux questions de l’enquêteur arguant du fait de son obligation du secret professionnel.
Alors oui, bien sûr, en audition, comme toute personne entendue, l’avocat est libre de faire des déclarations, de mentir ou de se taire. Mais si l’OPJ possède suffisamment d’éléments contre un avocat, c’est un leurre de penser que sa profession serait un paravent absolutoire de toute responsabilité pénale.

L’avocat en tant que mis en cause

La loi et la pratique font que nous ne nous rendons pas au domicile d’un avocat comme chez tout autre justiciable. À mon sens, la protection due à ce statut particulier est pleinement assurée et le respect des prérogatives des avocats est total.

La loi nous oblige à bon nombre de contraintes aussi bien pour son domicile que pour son cabinet : présence d’un magistrat, présence du bâtonnier. Les OPJ ne sont pas autorisés à fouiller le temps de la perquisition, puisque pas habilités, ni à lire la correspondance professionnelle d’un avocat.

Or, pour distinguer ce qui relève du domaine privé de la sphère professionnelle, pour savoir ce qui peut être objectivement intéressant pour l’enquête pénale, et ce qui ne l’est pas, il faudrait justement pouvoir consulter ces documents.

Dans certaines situations, le magistrat ne sait pas toujours ce qu’il doit saisir, car il n’est pas plongé depuis des mois, voire des années comme c’est le cas en matière financière, dans le dossier. De façon concrète, les perquisitions dans des cabinets d’avocat sont toujours délicates et se déroulent finalement au bon vouloir du bâtonnier ou de son représentant, selon qu’il accepte ou non la demande fréquente du magistrat d’autoriser les OPJ à fouiller.

Les écoutes sont également très encadrées. La pratique fait que leur délicate mise en œuvre nous amène, de toute façon, à nous interroger préalablement sur les éléments de « preuve » qui nous permettent de suspecter un avocat.

Pour conclure, je considère à titre personnel que le secret professionnel de l’avocat ne devrait se concevoir que sous deux aspects tranchés :
– soit la conversation, le courriel ou le document participe à la défense au pénal de son client ;
– soit il s’agit du ressort d’un autre type de contentieux ou du simple conseil juridique. Dans cette seconde acception, nous retrouvons la liberté de la preuve et nous n’avons alors aucune raison valable de priver la procédure judiciaire de cette parcelle de vérité.