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Le droit en débats

Statue de Jean-Paul II, l’affaire est-elle vraiment close ?

Par Charles Prats le 31 Octobre 2017

Le Conseil d’État vient de rendre son arrêt dans l’affaire de la statue du pape Jean-Paul II érigée dans le Morbihan à Ploërmel, dans le cadre d’un contentieux vieux de plus de dix ans (v. Dalloz actualité, 30 oct. 2017, obs. M.-C. de Montecler isset(node/187357) ? node/187357 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>187357).

Le Conseil d’État a précisé dans son communiqué que, « dès lors que la croix constitue un signe ou un emblème religieux au sens de l’article 28 de la loi du 9 décembre 1905 et que son installation par la commune n’entre dans aucune des exceptions ménagées par cet article, sa présence dans un emplacement public est contraire à cette loi ».

La lecture complète de l’arrêt et les premières réactions de la commune de Ploërmel, qui indique réfléchir à une saisine de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) laissent cependant entrevoir que l’affaire est loin d’être finie car de nombreux éléments de droit ne semblent pas avoir été soulevés devant le Conseil d’État, n’apparaissant pas dans l’arrêt.

Une absence de contrôle de conventionnalité qui pourtant pose question

La lecture fine de l’arrêt permet de constater qu’à aucun moment les moyens tirés de la violation de conventions internationales ou de normes communautaires n’ont été articulés devant le Conseil d’État.

L’artiste créateur d’une œuvre dispose classiquement d’un droit moral sur celle-ci et de droits patrimoniaux. L’arrêt précise que l’auteur aurait cédé ses droits patrimoniaux à la commune de Ploërmel. En revanche, son droit moral est inaliénable, perpétuel et imprescriptible, et attaché à sa personne. À ce titre, il peut s’opposer à toute modification de l’œuvre, en l’espèce la statue, l’arche et la croix la surplombant.

Ce droit, codifié à l’article L. 121-1 du code de la propriété intellectuelle en droit français, est aussi garanti par de nombreuses normes internationales qui s’imposent aux autorités françaises en application de l’article 55 de la Constitution et qui doivent conduire à écarter une norme législative nationale contraire.

Dans le cas présent, un élément d’extranéité existe dans le dossier car l’artiste est russe.

En l’espèce, l’article 6 bis de la Convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques du 9 septembre 1886, ratifiée à la fois par la France et la Fédération de Russie, prévoit qu’« indépendamment des droits patrimoniaux d’auteur, et même après la cession desdits droits, l’auteur conserve le droit de revendiquer la paternité de l’œuvre et de s’opposer à toute déformation, mutilation ou autre modification de cette œuvre ou à toute autre atteinte à la même œuvre ». Le respect de la convention de Berne viendrait donc s’opposer à l’exécution de l’arrêt du Conseil d’État si l’artiste russe auteur de l’œuvre le décidait…

Et d’autres traités internationaux viennent au secours de la statue de Jean-Paul II en renforçant la position de l’artiste.

En effet, la CEDH est venue préciser que le droit d’auteur est un droit fondamental protégé par l’article 1er du premier protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme qui garantit le droit au respect de ses biens (CEDH 29 janv. 2008, n° 19247/03, Balan c. Moldavie). La question de la violation potentielle de la Convention européenne et de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg par les termes de l’arrêt du Conseil d’État du 25 octobre 2017 n’est donc pas une pure vue de l’esprit. C’est certainement à cela que faisait référence la commune de Ploërmel dans ses premières réactions après le rendu de la décision du Conseil d’État.

Enfin, il faut rappeler que l’article 17 de la Charte européenne des droits fondamentaux, qui a même valeur que les traités de l’Union, précise que « la propriété intellectuelle est protégée ».

Il y a donc dès lors potentiellement une question de violation du droit communautaire et un possible intéressement à l’affaire de la Cour de justice de l’Union européenne…

Il est fort dommage que ces moyens n’aient pas été soulevés par la commune de Ploërmel et l’association intervenante volontaire devant le Conseil d’État car l’arrêt aurait pu statuer sur ceux-ci et éclairer la jurisprudence pour l’avenir.

Mais l’affaire ne semble néanmoins pas close.

Une voie procédurale toujours ouverte à l’artiste russe ayant créé l’œuvre

L’imbroglio pourrait s’étendre en cas de mise à exécution de l’arrêt du Conseil d’État qui vient d’être rendu prévoyant la suppression d’une partie seulement de l’œuvre globale car l’artiste, dont le droit moral n’a pas été restreint, pourrait saisir le juge des référés pour faire cesser le trouble manifestement illicite que constituerait une tentative de modification de son œuvre sans son accord.

Il pourrait même aller plus loin et saisir le juge pénal d’une plainte en contrefaçon sur le fondement de l’article L. 335-3 du code de la propriété intellectuelle, puisque l’exécution telle quelle de la décision du Conseil d’État aboutirait à une représentation de son œuvre en violation des droits de l’auteur tels que définis par la loi. La Cour de cassation a en effet ouvert cette voie dans un arrêt du 3 septembre 2002, publié au Bulletin (Crim. 3 sept 2002, n° 01-83.738) en précisant « qu’est un délit de contrefaçon toute reproduction, représentation ou diffusion, par quelque moyen que ce soit, d’une œuvre de l’esprit en violation des droits de l’auteur, tels qu’ils sont définis et réglementés par la loi […] que la représentation consiste dans la communication de l’œuvre au public par un procédé quelconque, et notamment par présentation publique […] qu’une nouvelle représentation de l’œuvre est réalisée par sa communication au public sous une forme altérée ou modifiée ».

Par ailleurs, la lecture de l’arrêt permet de constater que l’artiste ayant créé l’œuvre n’a pas été appelé dans l’instance devant le Conseil d’État, ni en intervention forcée ni en intervention volontaire.

L’arrêt portant un évident préjudice à son droit moral sur l’œuvre, la voie de la tierce opposition lui est donc ouverte et il aurait toute faculté pour soulever les moyens tirés de la violation des normes communautaires et des normes internationales par l’arrêt qui vient d’être rendu.

En ce cas, la haute juridiction se trouverait contrainte de poser une question préjudicielle à la CJUE pour statuer sur la violation ou la non-violation de l’article 17 de la Charte européenne des droits fondamentaux ; puis devrait statuer sur la violation éventuelle de la convention de Berne ; puis sur la question du respect ou non de la Convention européenne des droits de l’homme. Et ensuite l’artiste pourrait saisir la CEDH si l’arrêt ne lui donnait pas satisfaction.

On voit donc que cette affaire pourrait bien faire voyager la statue bretonne de Jean-Paul II de Paris à Luxembourg puis à Strasbourg, en revenant rapidement par la voie de la tierce opposition devant le Conseil d’État, puis devant la Cour de justice de l’Union européenne, puis devant la Cour européenne des droits de l’homme… N’ayez pas peur !