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Le droit en débats

Tapis rouge pour une gouvernance d’entreprise réconciliant efficacité et éthique

Par Ivan Tchotourian le 24 Mai 2013

C’est avec une certaine impatience que le rapport d’information sur la transparence de la gouvernance des grandes entreprises était attendu (Assemblée nationale, Rapport d’information sur la transparence de la gouvernance des grandes entreprises, présenté par les députés Jean-Michel Clément et Philippe Houillon, no 737, 20 févr. 2013). C’est à la fin février 2013 que ce rapport a été publié. Dès les premières lignes, le ton est donné : « […] la mission a dégagé des pistes de réflexion ainsi que des propositions concrètes et opérationnelles pour assurer un meilleur équilibre entre la loi et les codes de gouvernement d’entreprise, ou "codes de gouvernance", pour favoriser la mise en œuvre d’une gouvernance stable et ouverte aux diverses parties prenantes de l’entreprise, et enfin pour mettre une gouvernance plus responsable au service de stratégies à long terme ».

Un changement de culture au service de l’intérêt général de l’entreprise : pour atteindre cet objectif ambitieux, les rapporteurs orientent leurs propositions autour d’une série d’objectifs tout aussi ambitieux. En premier lieu, la mission d’information souhaite un meilleur équilibre entre la loi et les codes de gouvernance et remet en cause la « sacro-sainte » autorégulation. Observant l’insatisfaction de la situation actuelle résultant des articles L. 225-37, alinéa 7 et L. 225-68, alinéa 8, du code de commerce, il est préconisé de s’appuyer sur l’exemple britannique et d’instaurer une obligation légale de se référer à un code de gouvernance.

En complément, la mission d’information souligne que le législateur devrait énoncer des questions sur lesquelles les codes de gouvernance devraient se pencher. Il en irait ainsi de l’organisation de la gouvernance des entreprises, des relations des organes dirigeants des entreprises avec les actionnaires et les parties prenantes, de la façon dont les organes dirigeants prennent en compte les préoccupations attachées à la responsabilité sociale des entreprises, des modalités de détermination et des conditions de versement de l’ensemble des éléments de la rémunération globale des dirigeants, et des contours de la politique salariale et de l’échelle des rémunérations.

Ensuite, des sanctions (injonctions et, à un moindre degré, sanctions pécuniaires) sont envisagées en cas de manquement à l’obligation de se référer à un code de gouvernance d’entreprise ou de l’incapacité des entreprises « […] à expliquer de façon exacte, précise, sincère et circonstanciée les dérogations qu’elles feraient aux recommandations du code de gouvernance auquel elles se référeraient ». Par ailleurs, constatant le monopole des entreprises, de leurs associations et des organisations représentatives des employeurs dans l’élaboration des codes, la mission d’information propose à la manière de ce qui est fait en Allemagne d’associer les parties prenantes à cet exercice de la manière suivante : à la suite d’une consultation de ces dernières, l’Autorité des marchés financiers établirait un document préparatoire qui devrait alors faire l’objet d’une négociation interprofessionnelle. En deuxième lieu, « [l]a mission entend formuler un certain nombre de propositions qui répondent [au] souci de diversifier la gouvernance des grandes entreprises et de mieux impliquer aussi bien les actionnaires, aujourd’hui très volatiles, que les salariés, aujourd’hui trop peu entendus ». Pour ce faire, il est préconisé, dans un premier temps, par la mission d’information d’élaborer un code de bonnes pratiques à l’attention des investisseurs sur le modèle britannique du « UK Stewardship Code » qui permettrait, notamment, de mettre sous le feu de la rampe les agences de conseil en politique de vote ; d’octroyer automatiquement un droit de vote double aux actionnaires qui détiendraient leurs titres depuis au moins deux ans tout en réservant à l’assemblée générale extraordinaire la possibilité de décider du contraire ; d’abaisser à certaines conditions le seuil requis pour déposer des résolutions en assemblées générales ; d’exiger des informations de la part des fonds d’investissement de type fermé pour mettre en lumière leurs stratégies ; de neutraliser les droits de vote attachés à des titres financiers empruntés. Autant de propositions destinées à contrer la passivité des actionnaires, à mieux encadrer l’empty voting et à lutter contre les stratégies court-termistes.

Dans un second temps, plusieurs propositions visent non seulement à mieux associer les salariés au processus décisionnel des entreprises (not. par le biais d’une représentation obligatoire des salariés non-actionnaires dans les conseils d’administration et ces conseils spécialisés dans les entreprises de plus de 5 000 salariés), mais encore à développer une culture de l’échange et favoriser un dialogue social plus fructueux (ce qui se traduirait par une formation accrue de plusieurs catégories de salariés, une incitation à amender les codes de gouvernance existant pour inviter à la création de comités des risques, une réforme de la législation bâtie autour du délit d’entrave). Loin de constituer un thème périphérique, la mission d’information désire renforcer la place des femmes et des personnes issues de la diversité. L’amélioration de la transparence dans le rapport de gestion et l’obligation de mettre en place des plans d’action sont les solutions privilégiées.

En troisième lieu, le rapport d’information réagit à ce qu’il qualifie de « […] déresponsabilisation des dirigeants-mandataires sociaux ». Afin d’atteindre cet objectif, il conviendrait de limiter les cumuls de fonctions pour les mandataires sociaux ; d’introduire une action de groupe et de renforcer la sanction pécuniaire des dirigeants en cas de faute de gestion ; de publier les politiques de rémunération et une description lisible, précise et exhaustive des rémunérations individuelles ; d’utiliser l’instrument fiscal pour corriger les excès dans les rémunérations ; de faire une place accrue aux critères de performance extra-financiers et de long terme ; de réformer le régime des stock-options et des actions gratuites ; et de rendre obligatoire la création d’un comité des rémunérations. In cauda venenum, deux propositions en matière de rémunération méritent d’être mises en lumière tant elles rompent avec le discours ambiant. La première est l’interdiction pure et simple d’une forme de rémunération : celle des retraites chapeaux. La seconde est la reconnaissance d’un droit de vote des actionnaires sur la politique de rémunération et les montants versés individuellement qui, même s’il ne fait pas l’unanimité au sein des membres de la mission d’information (obligatoire vs. consultatif), demeure une proposition.

Vœu pieux sans effet juridique futur ou volonté d’œuvrer à réformer les règles du jeu en matière de gouvernance ? S’il est difficile de répondre avec certitude en l’état actuel, ce rapport enrichira les débats du projet de loi sur la modernisation de la gouvernance des entreprises annoncé par le ministre de l’économie et des finances. De plus, ce rapport s’inscrit en droit fil des travaux recherchant le sens à donner à la gouvernance d’entreprise en un début de millénaire bien chaotique. Pour rappel, le corporate governance est au cœur des réflexions menées non seulement par les États (États-Unis par ex. avec le rapport de l’American bar association publié en 2009), mais encore par des organisations supranationales telles l’Union européenne (V. la publication du Plan d’action de la Commission pour moderniser le droit des sociétés et renforcer la gouvernance en décembre 2012) ou l’OCDE (V. son rapport intitulé « Corporate governance and financial crisis : conclusions and emerging good practices to enhance implementation of the principles »).

Finalement, alors que l’encadrement de la gouvernance a évolué depuis une vingtaine d’années, ce dernier n’a pas connu de véritable révolution. Sans que ce rapport ne choisisse clairement cette voie (la concentration sur l’axe dirigeants-actionnaires reflète un attachement, même non avoué, aux préceptes de la théorie de l’agence et le thème de la dissociation des fonctions de président et de directeur général témoigne d’un manque d’ambition), le temps est peut-être au changement notamment dans les liens qu’entretiennent droit et gouvernance d’entreprise. La crise économique et financière de ces dernières années amène à repenser la place de l’autorégulation et du rôle secondaire des États à l’image de ce qu’énonce la maxime du Chien d’Or exprimée sous une image en bas relief située dans la vieille cité de Champlain : « Je suis un chien qui ronge lo - En le rongeant je prend mon repos - Un tems viendra qui nest pas venu - Que je mordray qui maura mordu ».