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Le droit en débats

Le troisième sexe

Par Stéphanie Mauclair le 12 Avril 2016

Le 22 mars 2016, la cour d’appel d’Orléans a rendu une décision très attendue concernant la reconnaissance par le droit d’un troisième sexe : le sexe neutre.

Par requête en date du 12 janvier 2015 sur le fondement des articles 99 du code civil et 1047 et suivants du code de procédure civile, un homme a demandé au procureur de la République de saisir le président du TGI de Tours afin qu’il remplace la mention masculin par celle de « sexe neutre » ou à défaut « intersexe » sur son acte d’état civil. Par jugement en date du 20 août 2015, le tribunal de grande instance (TGI) a fait droit à sa demande en ordonnant que soit substitué dans l’acte de naissance du demandeur la mention sexe neutre à la mention sexe masculin. Le procureur de la République près le TGI de Tours a interjeté appel de la décision. La cour d’appel d’Orléans a alors infirmé le jugement rendu.

Si l’arrêt ne donne pas raison au demandeur, la porte est laissée ouverte vers la reconnaissance du sexe neutre dans la législation.

Sur la demande de rectification de la mention du sexe sur l’acte de naissance, la cour rappelle qu’aux termes de l’article 57 du code civil, l’acte de naissance énonce le sexe de l’enfant. Elle constate que le demandeur ne présentait dès la naissance aucune différenciation sexuelle et qu’en l’absence de production d’hormone sexuelle aucun caractère sexuel secondaire n’est apparu. Il a alors été déclaré à l’état civil comme étant de sexe masculin.

Pour la cour, si le principe d’indisponibilité de l’état des personnes a pour conséquence que les éléments de l’état civil soient imposés à la personne, le principe du droit au respect de la vie privée conduit à admettre des exceptions. Les juges relèvent, en effet, que la recherche du juste équilibre entre la protection de l’état des personnes et le respect de la vie privée des personnes présentant une variation du développement sexuel leur permet d’obtenir soit une modification du sexe qui leur a été assigné s’il ne correspond pas à leur apparence ou à leur comportement social, soit de n’avoir aucune mention de catégorie sexuelle dans l’état civil. En l’espèce, le demandeur souhaite une modification de son sexe. Seulement, il présente un comportement et une apparence physique masculine en adéquation avec le sexe qui lui a été assigné à la naissance. On ne saurait donc faire droit à sa demande.

Il ressort de la décision que même si la cour refuse la rectification, elle n’en énonce pas moins les conditions d’admission. Il faut, d’une part, que soit constaté le caractère équivoque du sexe à la naissance. D’autre part, il faut relever l’inadéquation entre le sexe assigné à la naissance et le comportement social et l’apparence de la personne au jour où le juge statue. À ces deux conditions, la rectification est permise.

Si la rectification du sexe sur les registres d’état civil a depuis longtemps été admise et si l’on rejoint ici les conditions élaborées en matière de transsexualisme par la jurisprudence, la vraie question de la décision portait sur la reconnaissance d’une nouvelle catégorie sexuelle. Ainsi, quels sont les termes de l’option qui s’offre à une personne : homme/femme/neutre ?

Pour y répondre, la cour choisit de déplacer le débat sur un autre terrain, elle botte en touche pour rappeler que juge ne saurait faire œuvre de création. Or, admettre une nouvelle catégorie sexuelle est une question de création de la norme et non d’interprétation, c’est au législateur qu’il appartient de trancher.

Que faut-il en penser ? S’il est indéniable que la création d’une nouvelle mention qui pourrait figurer dans les actes d’état civil parait relever du pouvoir du législateur, il n’en reste pas moins que sur ces questions de société se sont bien souvent les juges qui ont montré la voie à l’évolution de la loi.

Que penser de la reconnaissance d’un troisième sexe ? Juridiquement, cette reconnaissance n’est pas sans poser question. L’appartenance d’une personne à un sexe est déterminant, pour être déclarée sur les registres de l’état civil, pour avoir des papiers d’identité en règle, pour se marier, pour apprécier la parité sur des listes électorales, pour faire l’objet de discrimination positive, il faut être un homme ou une femme.

En réalité deux points sont soulevés ici. D’abord, la question est celle de l’attribution du sexe à la naissance. Doit-on laisser vierge la mention du sexe pour laisser le choix à l’enfant ? Si aujourd’hui les parents ont jusqu’à deux ans pour se décider dans le cas très exceptionnel où l’enfant est né intersexué, il apparait que, bien souvent, ils demandent que l’enfant soit assigné à l’une des catégories le plus tôt possible. Dès lors qu’on admet l’absence de mention eu égard à l’intérêt de l’enfant, la question se posera de l’organisation pratique de ce qui deviendrait un droit pour l’enfant de ne pas être catégorisé homme ou femme. Et ce, alors même que ses parents pourraient vouloir prendre une décision en ce sens à sa naissance, toujours eu égard à l’intérêt de l’enfant et, parfois, sous l’influence du corps médical ou de la pression sociale. Faudra-t-il refuser le droit aux parents de faire ce choix pour ne rien imposer à leur enfant ? Une telle décision sera-t-elle toujours en adéquation avec l’intérêt de l’enfant ?

Quelles seraient ensuite les conditions d’une rectification dans l’hypothèse où les parents auraient imposé leur choix à l’enfant ? Dans un premier temps, il s’agirait de raisonner en termes médicaux : uniquement les personnes qui présentent les caractéristiques chromosomiques des deux sexes. À A cela, la cour rajoute qu’il faudrait prendre acte du comportement social et de l’apparence de la personne. Seulement que faut-il entendre par une apparence et un comportement social « neutre » ? Peut-on concevoir que, dans une société où tout nous pousse à choisir entre être un homme ou être une femme, il existerait une voie médiane, indéterminée ? Et si cette voie existe comment se manifeste-t-elle ? Dans un second temps, on peut envisager les revendications qui suivront, les dérives et imaginer que ceux qui ne se sentent appartenir ni au genre d’homme, ni à celui de femme revendiquent ce statut de « genre neutre ».

Pour avoir plus de réponses à ces questions, il faudra très certainement attendre une décision de la Cour européenne des droits de l’Homme qui ne manquera pas d’être saisie et soulèvera sans nul doute l’absence de consensus des États en la matière.