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Le droit en débats

Une réforme de la Cour de cassation pour l’excellence de la justice

Par Daniel Soulez Larivière le 16 Avril 2018

En avril 2017, le président de chambre Jean-Paul Jean, praticien et penseur réformiste de la magistrature depuis plus de trente ans, a déposé un rapport de la commission de réflexion sur la réforme de la Cour de cassation. Ce rapport qui a été communiqué au gouvernement préconise d’effectuer un tri préalable des pourvois en cassation pour permettre à celle-ci de devenir la Cour Suprême qu’elle ne peut pas être dans les circonstances actuelles. Elle rend aujourd’hui en effet près de 30 000 décisions par an (dont un quart en matière pénale), ce qui est complètement incompatible avec le rôle d’une Cour Suprême. Le 20 mars 2018, le Premier Président de la Cour de cassation Bertrand Louvel a publié une tribune appuyant ce rapport.

En avril 1996, invité par la New York University à un colloque à Florence sur les procédures civiles dans le monde, j’étais chargé de faire un rapport sur la procédure française devant un aéropage de juristes européens et américains (dont Lord Woolf, auteur de la réforme anglaise de la justice civile). Lorsqu’aux deux tiers de mon exposé, j’énonçais que la Cour de cassation française rendait 29 000 décisions par an, j’ai été interrompu par un brouhaha sur le thème : « Qu’est-ce que vous dites ? Vous vous trompez ! Vous voulez dire 290, peut-être 2 900 mais pas 29 000 ! » Et la discussion animée s’est développée sur ce thème, sans que je puisse terminer mon exposé tant la surprise était grande.

La justice française souffre d’une anomalie structurelle dans les degrés de juridiction civile. A ce niveau d’intervention finale du juge en cassation, c’est gâcher de l’énergie de tous que d’en consacrer autant à traiter un si grand nombre de dossiers. Dans aucun pays du monde, la Cour Suprême n’a pour mission d’être un troisième degré de juridiction mais, d’être un organe de régulation de la jurisprudence et des juridictions inférieures. C’est-à-dire de faire un travail emblématique, créatif, qui à côté de la loi, produit la source de la jurisprudence pour les décisions des juges du fond. La Cour de cassation est en quelque sorte un organe de structuration et de référence pour les juges qui, avant elle, prennent la décision sur une affaire. En instaurant un filtre des affaires à juger par la Cour de cassation pour qu’elle se consacre à cette tâche naturelle, ce que cette proposition de réforme préconise, nous allons dans le bon sens.

Une petite révolution qui, comme l’explique prudemment le Premier président Louvel, a des implications : « La refonte nécessaire de l’architecture des recours induite par la reconnaissance du premier juge comme celui du commencement et de l’achèvement normal du procès, conduit à en concentrer les moyens au premier degré de juridiction (…) ». Il reprend dans une litote les conclusions du rapport de Jean-Marie Coulon, ancien Premier président de la cour d’appel de Paris, fin 1996.

La réflexion de celui-ci se situait dans la logique et la suite du travail peu connu de Robert Badinter (assisté de Jean-Louis Nadal et de Claude Jorda) visant à rendre la justice civile plus rationnelle et plus efficace. Il y a donc déjà plus de vingt ans, le rapport Coulon proposait d’introduire l’exécution provisoire de droit pour toutes les décisions civiles de première instance, de manière à leur donner une plus grande autorité (sauf en matière d’état des personnes). L’idée étant de faire en sorte que le tribunal ne soit pas un galop d’essai, la Cour d’appel le galop médian et la Cour de cassation le galop final, il faut effectivement recentrer la décision judiciaire vers le premier degré de juridiction, c’est-à-dire le tribunal. L’appel ne devrait être que l’instance de réparation immédiate des erreurs humaines incontestables du tribunal.

La cour d’appel ferait un travail de pompier volant pour réparer les erreurs manifestes afin de les redresser, non pas dans les deux ans mais dans les trois semaines. Ensuite, sorte d’antichambre de la Cour de cassation, elle entendrait les appels avant cassation pour les affaires qui posent problème en préparant le tri pour que la Cour de cassation se concentre sur ce qui pose une question juridique sérieuse et nouvelle. Cela afin d’éviter d’aller à la CEDH pour faire respecter ces principes.
Le filtrage des décisions soumises à la Cour de cassation implique un travail de dominos qui remonte jusqu’à la première instance. Cela permet de crédibiliser la justice, d’aller vers l’excellence en réservant à la juridiction suprême son rôle de direction et de repère pour les autres juges et de faire de celle-ci le relais avec les autres cours suprêmes européennes, la Cour européenne des droits de l’homme et la Cour de justice de l’Union européenne à Luxembourg.

Pour en revenir à l’Histoire, l’article 20 alinéa 2 de la loi des 16 et 24 août 1790 énonçait qu’il fallait transformer la procédure « de manière à ce qu’elle soit plus simple, plus expéditive et moins coûteuse ». Mis à part le « plus expéditif » qui n’est pas une expression valorisante dans notre langage aujourd’hui, tous les gardes des Sceaux qui se sont succédé à la Chancellerie depuis 1958 auraient pu tenir ce propos. De nombreux avocats, là encore, vont avoir peur du changement. Et pourtant, celui-ci va dans le sens de l’effort mené vers une excellence de la justice, dans l’intérêt général des justiciables et dont les magistrats, comme les avocats et toute la communauté juridique en gestation, ne peuvent que bénéficier.