Un rapport très intéressant a été établi par la direction générale du Trésor sur l’impact de la pandémie sur les entreprises françaises (B. Hadjibeyli, G. Roulleau et A. Bauer, L’impact de la pandémie de Covid-19 sur les entreprises françaises, Trésor-Eco n° 282, avr. 2021). Que peut-on en retenir ? Sans surprise, les entreprises ont subi un choc important et un modèle de microsimulation a permis d’étudier l’évolution de la situation financière de près de deux millions d’entreprises françaises. La part d’entreprises devenant illiquides aurait été plus élevée de 8.4 points en 2020 que lors d’une année sans crise et le nombre d’entreprises devenant insolvables aurait été de trois points plus élevé.
Sans le soutien de l’État, la hausse du nombre d’entreprises devenant insolvables aurait été de 8.3 points. L’endettement supplémentaire lié à la crise pourrait réduire l’investissement d’environ 2 % à moyen terme, ce qui motive des mesures de relance. Il est rappelé que le fonds de solidarité de soutien des entreprises a permis d’octroyer des aides jusqu’à 200 000 € par mois, voire davantage dans le cadre d’un dispositif introduit le 31 mars 2021 sur la prise en charge des coûts fixes (décr. n° 2021-310, 24 mars 2021, JO 25 mars). Fin 2020, le dispositif d’activité partielle a indemnisé les entreprises à hauteur de 25,1 milliards d’euros, le fonds de solidarité a octroyé 11,8 milliards d’euros et les exonérations de cotisations sociales ont représenté près de 8 milliards d’euros, les reports de cotisations sociales près de 49 milliards d’euros.
Au-delà des ratios mathématiques sur les méthodes employées, que nous épargnerons à nos lecteurs, il est clair que le soutien public a fortement atténué l’impact du choc sur les entreprises, la part des entreprises devenant insolvables étant estimée sans soutien public à 11,9 % et à 6,6 % en tenant compte de ce soutien. La part des entreprises ayant un besoin de liquidités sans soutien est estimée à 36 % et après prise en compte du soutien public à 24 %. Il a été constaté que l’insolvabilité frappe différemment les secteurs de l’économie. Il est indiqué que le soutien public n’a pas été octroyé aux entreprises selon leur productivité, ce qui n’était pas leur but puisqu’il a avant tout ciblé les entreprises touchées par la crise. C’est bien le problème. Ce soutien indifférencié devra prendre fin car le tri des entreprises dont la pérennité sera démontrée devra être mis en place. Il est clair que la crise va réduire la capacité d’investissement des entreprises, compte tenu de la hausse de leur endettement. L’impact de ces contraintes a fait l’objet d’une étude parfois difficilement lisible compte tenu de sa complexité. Il est noté, sans grande surprise, que l’investissement en recherche et développement serait plus résilient, ce qui, là encore, implique un tri.
Signalons au titre des dernières mesures, le décret n° 2021-318 du 25 mars 2021 relatif à la garantie de l’État sur les fonds d’investissement alternatifs (JO 26 mars). Il s’agit de couvrir le risque de perte lié aux investissements dans le contexte actuel. Le recouvrement des créances est confié par l’État à des établissements de crédit, sociétés de financement et fonds d’investissement alternatifs qui ont octroyé des prêts participatifs sous certaines conditions. Les prêts participatifs doivent en effet répondre à certaines conditions (art. 3), la date d’octroi du prêt étant comprise entre le 1er janvier 2021 et le 30 juin 2022 avec un différé d’amortissement sur le principal d’au moins quatre ans, une durée du prêt de huit ans avec cependant des clauses comprenant un engagement de l’emprunteur à ne pas utiliser le prêt pour l’apurement de créances existantes à la date de son octroi. Des conditions de chiffres d’affaires sont en outre prévues (art. 5) avec notamment un chiffre d’affaires 2019 supérieur à 2 millions d’euros, ainsi qu’« une capacité minimale à honorer les engagements financiers évalués par une cote de crédit et par des indicateurs financiers définis ». Des conditions complexes sont prévues dont il est ici impossible d’exposer ici le détail sans provoquer une certaine somnolence. La garantie de l’État couvre dans la limite de 30 % du principal initial de l’ensemble des créances acquises par le fonds, la somme des principaux restants dus sur l’ensemble des créances détenues par le fonds bénéficiant de cette garantie jusqu’à l’échéance du terme initial de chacune des créances… Le fonds d’investissement qui souhaite bénéficier de la garantie de l’État doit déposer une demande auprès de la direction générale du Trésor (art. 7) et les conditions de versement au titre de la garantie sont prévues (art. 8). Cette possibilité qui mixe les intervenants publics et les investisseurs privés est riche de promesses et montre un schéma qui pourra s’avérer performant, les lourdeurs des mécanismes étatiques pouvant être tempérées par un tri et une rapidité plus efficaces chez des investisseurs privés.
Un décret n° 2021-316 du 25 mars 2021 (JO 26 mars) relatif aux plans d’apurement et de remises partielles des dettes de cotisations et contributions sociales constituées dans le cadre de la crise sanitaire mérite d’être évoqué ici. Le report automatique des échéances a été en effet reconduit par l’URSSAF pour le mois d’avril sans pénalité ou majoration de retard. Le décret a détaillé les dispositifs des plans d’apurement et de remises partielles des dettes de cotisations et contributions sociales pouvant être proposés notamment par les URSSAF. Bien entendu, de nombreuses conditions sont prévues : en particulier, une dette d’un montant minimal de 1 200 € auprès de l’administration fiscale, le débiteur ne doit être redevable d’aucune cotisation auprès des organismes de sécurité sociale, au titre des exigibilités antérieures à mars 2020 et ne pas faire l’objet d’une procédure collective à la date de la conclusion du plan d’apurement.
À cet égard, il existe une difficulté, notamment sur le dispositif prévu par la loi de finances pour 2021 sur les avantages fiscaux accordés aux bailleurs qui consentent un abandon partiel de loyers dus du fait de la crise (L. n° 2020-1721, 29 déc. 2020, art. 20, JO 30 déc.). Que se passe-t-il lorsqu’il s’agit d’une entreprise qui est en cours de plan de continuation ? Doit-on considérer qu’elle est en cours de procédure collective ? Il semble que non, dès lors qu’une entreprise en plan de continuation ou de sauvegarde est en principe sortie du redressement judiciaire ou de la sauvegarde. Ce point mériterait cependant d’être précisé.
Le dispositif prévoit un apurement des dettes sur une durée pouvant aller jusqu’à trois ans d’une manière uniforme pour les cotisations de sécurité sociale et les impositions fiscales. Pour les créances antérieures au 15 mars 2020 pour lesquelles un titre exécutoire a été émis, un plan distinct peut être conclu pour ces créances. Par ailleurs, une demande de remise partielle des dettes est possible, dans les conditions fixées au décret. Il s’agit des employeurs de moins de 250 salariés et de certains travailleurs indépendants ayant conclu des plans d’apurement. La condition d’être à jour des obligations déclaratives sociales à la date de la demande apparaît sibylline, compte tenu du fait qu’il existe le plus souvent des dettes préexistantes. La réduction de chiffre d’affaires d’au moins 50 % au cours de la période du 1er février 2020 au 31 mai 2020 ou sur la période du 15 mars 2020 au 15 mai 2020 mériterait d’être modulée.
Le niveau maximal de remise partielle de cotisations et contributions sociales est déterminé en fonction de la baisse du chiffre d’affaires. Comme d’habitude, ces dispositifs sont d’un maniement assez malaisé, compte tenu de leur complexité et des interprétations qu’ils suscitent. Ces textes sont cependant bienvenus même si la question du tri des entreprises à sauver n’est pas clairement envisagée, ce qui serait pourtant une bonne chose. En outre, le fait de mixer ces dispositifs avec un audit et une procédure de prévention pourrait constituer une incitation utile et un tri plus efficace que la multiplication de conditions préétablies, pas toujours adaptées à des situations complexes.
Par ailleurs, le décret n° 2021-315 du 25 mars 2021 (JO 26 mars ; v. égal. arr. 26 mars 2021, JO 31 mars, texte n° 8 ; ministère de l’Économie, des Finances et de la Relance, communiqué de presse, 1er avr. 2021, n° 848 ; Veille permanente Éditions Législatives, 7 avr. 2021, note S. Allebe) prévoit d’étaler les impôts dont la date d’échéance est intervenue entre début mars 2020 et le 31 décembre 2020. La demande doit être formulée auprès du comptable public au plus tard le 30 juin 2021. Les personnes éligibles sont les personnes physiques et personnes morales exerçant une activité économique, ce qui est un critère particulièrement large (cela concerne aussi les professions libérales). De nombreuses conditions sont bien entendu prévues, notamment l’emploi de moins de 250 salariés, la réalisation d’un chiffre d’affaires hors taxes annuel de moins de 50 millions d’euros, avoir débuté son activité au plus tard le 31 décembre 2019, constituer des garanties propres à assurer le recouvrement des créances du Trésor, avoir formulé une demande d’étalement de paiements, etc. Sont concernés les impôts directs et indirects recouvrés par la DGFIP dont le paiement devait intervenir au plus tard le 31 décembre 2020. Là encore, il faut être à jour des impôts dont la date d’échéance est intervenue, ou aurait dû intervenir, avant décision de report au titre de la crise.
Le réflexe qui consiste à imposer systématiquement d’être à jour de ses cotisations au moment d’une demande de dégrèvement ou de moratoire peut apparaître parfois discutable et il conviendrait sans doute de desserrer ces carcans pour un examen au cas par cas, privilégiant les entreprises pérennes dont la solvabilité serait vérifiée. Malheureusement, nos administrations sont friandes de critères complexes et rigides au lieu d’édicter des principes permettant une interprétation plus souple au cas par cas.