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Dossier 

Actualité de rentrée du droit des entreprises en difficulté

La crise de la covid-19 n’en finit pas et après avoir annoncé une sortie de crise, notre gouvernement a été obligé de poursuivre les dispositifs d’accompagnement, dans un contexte de grogne libertaire. Le contexte reste donc difficile et complexe pour le juriste spécialisé qui n’en finit plus de lire des cascades de textes et d’espérer des sorties de crise sans cesse reportées. Cette chronique a pour objet de placer quelques points de repère pour le praticien.

par Georges Teboul, avocat AMCOle 10 septembre 2021

Quelques statistiques

Après une longue période d’accalmie, voire de régression sensible pour la prévention et les ouvertures de procédures collectives, la prévention est devenue plus présente dans quelques grands tribunaux, particulièrement à Paris et dans la périphérie, avec une reprise sensible des préventions depuis le début de l’année dans quelques grands tribunaux (avec une atonie ailleurs). Par ailleurs et plus récemment, les ouvertures de procédures collectives ont augmenté sur le second trimestre même si l’on reste en-dessous des niveaux d’avant la crise.

Le taux élevé de liquidations judiciaires montre que la situation devient tendue. Ainsi, les défaillances de TPE de moins de six salariés ont bondi de 18 % au cours du second trimestre 2021 par rapport à la même période de 2020. Au second trimestre 2021, 5 850 procédures collectives ont été ouvertes (selon le dernier baromètre d’Altarès). Ces entreprises représentent environ 90 % des défaillances en France au second trimestre. En outre, dans les TPE de moins de trois salariés, 77 % de liquidations directes ont été ouvertes ; chaque année, ce taux augmente. En revanche, pour les entreprises de plus de cent salariés, une baisse de 82 % a été constatée au second trimestre 2021 par rapport à 2020 et pour celles dont l’effectif est compris entre cinquante et cent salariés, cette baisse est de 47 %.

La situation reste donc assez contrastée avec une disparition accrue des plus petites entreprises, la prévention concernant plutôt actuellement de grandes entreprises.

La prolongation de la crise a provoqué de nouveaux dispositifs que nous résumons ici.

Mesures fiscales et de soutien en faveur des entreprises

La loi de finances rectificative pour 2021 a prévu des mesures fiscales d’aides aux entreprises (Loi n° 2021-953 du 19 juill. 2021, JO 20 juill., La Quotidienne EFL, 22 juill. 2021). Il s’agit tout d’abord d’un nouveau dispositif de carry back (art. 1er) : la loi instaure un dispositif exceptionnel de report en arrière du déficit constaté au titre du 1er exercice déficitaire clos à compter du 30 juin 2020 et jusqu’au 30 juin 2021. Sur option, ce déficit peut être imputé en totalité sur le bénéfice déclaré des trois exercices précédents sans plafonnement. Par dérogation, l’option pour le report en arrière du déficit pourra être exercé jusqu’au 30 septembre 2021 et au plus tard, avant que la liquidation de l’impôt sur les sociétés due au titre de l’exercice suivant celui au titre duquel l’option est exercée soit intervenue. Le déficit peut être imputé sur les bénéfices des trois exercices précédents. Nos lecteurs seront invités à se référer à cette loi de finances pour le détail de ces mesures, étant précisé, en outre, que le dispositif des abandons de loyers est prorogé jusqu’au 31 décembre 2021, s’agissant des abandons consentis par des bailleurs en faveur des entreprises locataires sans lien de dépendance (art. 8.).

Des mesures de soutien sont aussi prorogées par cette loi de finances rectificative : prolongation du prêt garanti par l’État jusqu’à fin décembre 2021 (art. 23), prolongation du fonds de solidarité jusqu’à fin août au minimum, étant rappelé qu’un décret a prévu une aide égale à 20% du chiffre d’affaires dans la limite de 200.000 euros pour les entreprises qui demeurent fermées administrativement (Décr. n° 2021-1087 du 17 août 2021, JO 18 août), reconduction des aides au paiement et réductions de cotisations et contributions fiscales (art. 25) jusqu’au 31 août 2021, renouvellement de la prime exceptionnelle de pouvoir d’achat (art. 4) …

En outre, l’aide dite « coûts fixes » est désormais accessible aux jeunes entreprises. Il s’agit de celles dont l’excédent brut d’exploitation (EBE) est négatif et qui ont été créées jusqu’au 31 janvier 2021. Un décret du 16 juillet 2021 prévoit que peuvent notamment bénéficier de cette aide les entreprises ayant subi une perte semestrielle de chiffre d’affaires d’au moins 50 % par rapport à 2019 et qui ont réalisé un chiffre d’affaires mensuel supérieur à 1 million d’euros, l’entreprise devant cependant appartenir à un secteur éligible (activités des parcs d’attractions et parcs à thèmes, par ex., Décr. n° 2021-943 du 16 juill. 2021, JO 17 juill.).

Par ailleurs, ce même décret du 16 juillet prévoit une aide pour les entreprises ayant repris un fonds de commerce en location-gérance pendant l’année 2020 si l’activité a été affectée par l’épidémie.

Pérennisation des mesures d’urgence

Précisons qu’une circulaire interministérielle du 6 août 2021 (BOFIP-GCP-21-0039, 19 août 2021) a annoncé la pérennisation des mesures d’urgence issues de l’ordonnance du 20 mai 2020 dans l’ordonnance que nous attendons en septembre destinée à transposer en droit français la directive « insolvabilité » (UE) 2019/1023 du 20 juin 2019. L’amélioration de l’information du président du tribunal avant l’entretien avec le dirigeant est ici évoquée ainsi que la suspension des poursuites de certains créanciers en conciliation. Le dispositif sera cependant modifié, dès lors qu’il est prévu de procéder désormais par assignation et non plus par requête. Le mandat ad hoc de sortie de crise est aussi visé pour les entreprises de moins de dix salariés qui rencontrent des difficultés en raison de la crise sanitaire avec une durée de trois mois.

Dispositif de sortie de crise

Nous avons eu l’occasion d’écrire sur ce dispositif destiné à aider les entreprises à faire face à leurs difficultés de trésorerie (Dalloz actualité, 21 juin 2021 ; ibid. 22 juill. 2021). Ce dispositif mobilise les principaux acteurs en centralisant les points d’information sur les signaux faibles avec le résumé des aides accordées.

Une nouvelle procédure de sortie de crise a été créée par l’article 13 de la loi n° 2021-689 du 31 mai 2021 (JO 1er juin ; T. Montéran, Procédure de traitement de sortie de crise : une nouvelle étoile est née, Gaz. Pal. 13 juill. 2021, p. 38 ; Veille permanente EL 16 juill. 2021, note O. René-Bazin et C. Cadic). Cette procédure permet aux entreprises qui sont en-dessous de certains seuils de mettre en place un plan d’apurement de leur passif rapidement. Le plan devra être adopté dans un délai de trois mois. Un seul mandataire de justice est désigné avec une fonction de surveillance. Les contrats en cours ne sont pas affectés et les revendications inutiles. Les dividendes du plan devront être à minima de 8% en contrepartie d’une franchise de deux ans. Ce plan sera opposable aux cautions et coobligés.

Cette procédure a fait l’objet d’un webinar instructif du 5 juillet 2021 animé par le professeur Philippe Roussel Galle et Maître Christophe Basse, président du CNAJMJ. Ce questionnaire a permis d’éclaircir plusieurs questions, notamment sur la consultation des créanciers sur le plan qui est nécessaire, le fait que tous les créanciers sont concernés y compris pour les créances fiscales et sociales, les cautions personnes physiques devant pouvoir bénéficier du plan.

Cette procédure peut être préparée par une conciliation et un plan de cession n’est pas envisageable à moins de basculer en redressement judiciaire. Elle est ouverte à un débiteur en cessation des paiements qui dispose cependant des fonds disponibles pour payer ses créances salariales et justifier être en mesure d’élaborer un projet de plan rapide. Ce dernier précise notamment que des licenciements peuvent être prévus par le plan mais les conséquences financières doivent être supportées par le débiteur, l’AGS n’ayant pas vocation à intervenir dans cette procédure.

Nous attendons encore le décret d’application, qui précisera notamment les conditions de seuils, mais il visera à l’évidence les TPE et les PME, étant rappelé que les petites entreprises sont, a priori, les plus touchées par la crise.

Ces « petits dirigeants » ont parfois des difficultés à maîtriser les concepts nécessaires à la bonne gestion d’une entreprise. Signalons à cet égard l’article intéressant publié par M. Di Martino, ancien président d’un tribunal de commerce sur les concepts et constats fondamentaux sur la gestion financière de l’entreprise (RPC n° 3, mai-juin 2021, p. 93).

Dirigeants d’association

La loi du 1er juillet 2021 en faveur de l’engagement associatif est venue indiquer que les dirigeants d’associations sont exonérés de la responsabilité pour insuffisance d’actif en cas de simple négligence, dès lors qu’il convient de prendre compte de leur qualité de bénévole au titre d’une éventuelle faute de gestion (Loi n° 2021-874 du 1er juill. 2021, JO 2 août, art. 1er ; C. com., art. L. 651-2 mod.). Il s’agit d’étendre ici l’atténuation de responsabilité qui avait été créée par la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 mais au bénéfice des seuls dirigeants de sociétés auteurs de simples négligences. Il est permis de s’étonner sur le fait que des dirigeants non rémunérés d’une personne morale qui ne serait pas une association ne bénéficient pas d’une atténuation de responsabilité. Cette atténuation sera applicable pour les associations non assujetties à l’impôt sur les sociétés et d’autre part, le juge conservera son pouvoir d’appréciation, le bénévolat n’étant pas une condition automatique d’exonération, même s’il faudra en tenir compte. Tout ceci n’est pas très clair mais il est cependant positif que le juge bénéficie d’une faculté d’appréciation, au cas par cas.

Jurisprudence récente

Citons ici quelques décisions intéressantes.

La Cour de cassation rappelle qu’une mission confiée à un technicien par le juge commissaire n’est pas une expertise judiciaire soumise aux règles prévues par le code de procédure civile (Com. 24 mars 2021, n° 19-21.457, Gaz. Pal. 13 juill. 2021 p. 49, note G. Berthelot).

Rappelons que le Conseil constitutionnel avait considéré qu’il n’y avait pas de violation de la Convention européenne des droits de l’homme, dès lors que la mission technique n’est pas une expertise et dès lors, ce rapport n’a pas à être soumis au contradictoire lors de son élaboration (Cons. const. 27 nov. 2015, n° 2015-500 QPC, D. 2015. 2449 ; ibid. 2016. 807, obs. P. Lokiec et J. Porta ; ibid. 2252, obs. P. Lokiec et J. Porta ; Constitutions 2016. 80, chron. L. Pécaut-Rivolier ).

Si l’on peut comprendre que pour des missions purement techniques, le contradictoire n’a pas à être respecté, il n’en est pas de même pour des expertises sur la responsabilité des dirigeants où les droits de la défense doivent être respectés. En l’espèce, le liquidateur avait assigné au soutien du rapport du technicien, un dirigeant de société en responsabilité pour insuffisance d’actif et il nous paraît regrettable que pour ce type de procédure, les droits de la défense ne soient pas respectés.

Nous ne sommes pas bien convaincus par l’argumentation selon laquelle le recours à un technicien serait mieux compatible avec l’exigence de célérité que commande une procédure collective. Cette célérité n’est en effet pas observée dans les actions en responsabilité (délai de prescription de 3 ans) qui nécessitent que la personne concernée soit convoquée, dûment informée et bénéficie des règles protectrices du code. En l’espèce, le technicien avait tenu des réunions auxquelles avait été convié le dirigeant et avait établi un pré-rapport. Ne serait-il pas plus simple de clarifier les règles en faisant bénéficier le dirigeant des garanties qui sont apportées par notre code lorsque sa responsabilité est recherchée ? Cela nous paraît souhaitable et légitime.

En matière de liquidation judiciaire simplifiée, la Cour de cassation a décidé qu’il n’y avait pas de recours contre la décision ouvrant la liquidation judiciaire simplifiée, s’agissant d’une mesure d’administration judiciaire selon l’article R. 644-1, alinéa 2, du code de commerce (Com. 2 juin 2021, n° 19-25.556, D. 2021. 1077 ; Rev. sociétés 2021. 546, obs. P. Roussel Galle ; Gaz. Pal. 6 juill. 2021, p. 30).

Lorsque le débiteur a omis de remettre à l’administrateur et au mandataire judiciaire ou au liquidateur la liste de ses créanciers ou a omis l’un d’entre eux sur la liste, un relevé de forclusion peut être formulé par le créancier concerné sans autre preuve à fournir (Com. 16 juin 2021, n° 19-17.186, D. 2021. 1183 ; Rev. sociétés 2021. 551, obs. F. Reille ; Veille permanente EL, 30 juin 2021, note J.-P. Rémery).

La jurisprudence est favorable aux créanciers omis, cette omission étant devenue un cas de forclusion automatique, ce qui reprend la solution antérieure à la réforme de 2014 sur la suppression du caractère volontaire de l’omission. Un arrêt rappelle utilement que si les créances salariales ne doivent pas être déclarées au passif de la procédure collective, elles sont cependant soumises à l’arrêt des poursuites individuelles. Ainsi, toute procédure d’exécution forcée est interdite et la mainlevée des mesures pratiquées doit être ordonnée (Com. 30 juin 2021, n° 20-15.690, D. 2021. 1333 ; Gaz. Pal. 27 juill. 2021, p. 32 ; Veille permanente EL, 15 juill. 2021, note J.-P. Legros).

À propos de la suspension des poursuites, la Cour de cassation apporte une précision. Dans l’affaire jugée, un liquidateur avait assigné la banque pour voir déclarer inopposable à la procédure collective les paiements et encaissements effectués sur le compte de la société débitrice à compter de la liquidation judiciaire, ce qui paraissait aller de soi. La Cour rappelle la règle de l’article L. 133-6 du code monétaire et financier sur une opération autorisée si le payeur a donné un consentement à son exécution, l’émetteur d’un ordre de paiement disposant des fonds dès la date à laquelle il consent à l’opération. L’arrêt de la cour d’appel qui avait déclaré inopposables les opérations passées au débit du compte bancaire à compter de la liquidation est cassé. Il convient en effet de tenir compte de la date à laquelle la banque a reçu l’ordre de virement du débiteur (Com. 30 juin 2021, n° 20-18.759, D. 2021. 1332 ; Gaz. Pal. 20 juill. 2021, p. 30 ; Veille permanente EL, 26 août 2021, note P. Roussel Galle).

En matière de récusation ou de renvoi pour suspicion légitime, il faut procéder par une déclaration au greffe et non par requête. Il faut en effet appliquer l’article 1032 du code de procédure civile et c’est la partie la plus diligente qui doit y procéder (Civ. 2e, 1er juill. 2021, n° 20-14.849, Veille permanente EL, 27 août 2021, note P. Roussel Galle).

Dans cette riche matière qu’est le droit du cautionnement, la Cour de cassation a rendu un arrêt intéressant (Com. 2 juin 2021 n° 19-20.140, D. 2021. 1076 ; Veille permanente EL, 28 juin 2021, note F. Reille). Dans cette affaire, les dirigeants de société avaient fourni un cautionnement solidaire ainsi qu’une affectation hypothécaire d’un immeuble leur appartenant. Après l’ouverture de liquidation judiciaire contre cette société, la banque créancière avait saisi l’immeuble affecté en garantie et les dirigeants invoquaient le manquement de la banque à son obligation d’information annuelle des cautions (C. mon. fin., art. L. 313-22). La Cour de cassation censure les juges du fond en décidant que lorsqu’une même personne se rend caution personnelle envers un établissement de crédit et affecte aussi un bien en garantie hypothécaire, l’information annuelle est due par l’établissement bancaire. Il est indiqué à cet égard par Florence Reille que le nouvel article 2325 du code civil actuellement sous forme de projet devra énoncer qu’en cas de sûreté réelle constituée par un tiers, les dispositions de différents articles et notamment de l’article 2302 seront applicables, c’est-à-dire qu’il y aura dorénavant une obligation unique d’information annuelle logée dans le code civil et applicable à tout cautionnement souscrit par une personne physique à l’égard d’un créancier professionnel (note préc.).

Enfin, un arrêt fixe les conditions dans lesquelles un liquidateur peut être assisté d’un avocat et les responsabilités qui en découlent. Il s’agissait en l’espèce d’un avocat qui avait détourné des fonds et il a été estimé qu’un liquidateur aurait dû se charger de conclure un avenant de résiliation d’un bail commercial, ce qui lui incombait personnellement, le liquidateur n’ayant, de surcroît, pas demandé une autorisation motivée du juge-commissaire (Com. 30 juin 2021, n° 20-13.722, D. 2021. 1333 ). Rappelons qu’il convient de se référer ici aux articles 1240 du code civil et L. 812-1 du code de commerce.