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Dossier 

Amélioration et simplification de la procédure civile : du bon et du moins bon

Conformément au calendrier annoncé par le premier ministre, Édouard Philippe, et la garde des Sceaux, Nicole Belloubet, au palais de justice de Nantes le 6 octobre 2017, les conclusions sur les cinq chantiers de la justice ont été rendues le 15 janvier 2018, sous forme de rapports.

par Corinne Bléryle 7 février 2018

Première partie. Refonder l’architecture de première instance

Chapitre Ier. Simplifier la procédure devant la juridiction de première instance

L’amélioration et la simplification de la procédure civile étaient l’objet du troisième chantier, piloté par Mme Frédérique Agostini, présidente du tribunal de grande instance de Melun et M. le professeur Nicolas Molfessis et composé de trois membres (seulement) (v. déjà Dalloz actualité, Le droit en débats, 17 oct. 2017 ; ibid., 15 nov. 2017, par C. Bléry)

Les rédacteurs partent du constat que la procédure civile a fait l’objet de nombreux rapports et de tout aussi nombreuses réformes, qu’elle a besoin de stabilité et que, pourtant, elle doit être simplifiée, modernisée, allégée. « Aussi faut-il réformer », écrivent-ils, et ce de manière « ambitieuse », mais « réaliste », ce qui induit la nécessité d’une réforme globale et celle de « doter [la justice] du matériel adapté », « l’ensemble repos[sant] sur des équilibres sensibles qui exigent de la prudence pour maîtriser l’audace » (p. 8-9 ; comp. S. Guinchard, Prolégomènes pour réformer la procédure civile, D. 2017. 2488). Un tel préambule est plutôt rassurant.

De fait, certaines des propositions du groupe de travail (p. 10-11) confirment cette annonce. En effet, comme d’autres auparavant, en particulier le rapport Guinchard (L’ambition raisonnée d’une justice apaisée, Doc. fr., 2008) ou le rapport Delmas-Goyon (Le juge du 21e siècle, Doc. fr., 2013 ; sur lequel, v. S. Amrani-Mekki et L. Raschel [dir.], Gaz. Pal. 9-11 mars 2014), le rapport présente des propositions, à savoir « 30 propositions pour une justice civile de première instance modernisée », classées en huit thèmes. Il est dommage que le plan du rapport lui-même ne colle pas à ces thèmes, plus lisibles que le corps du rapport ; d’autant que le curieux choix d’avoir séparé la procédure civile du numérique, d’une part, et de l’organisation judiciaire, d’autre part, donne une impression de désordre. Le rapport « procédure civile » n’est d’ailleurs pas totalement cohérent : s’il est question d’une procédure unifiée, c’est souvent la procédure applicable devant l’actuel tribunal de grande instance qui sert de point de départ aux propositions, sans prise en compte – notamment – des affaires où le justiciable ne serait pas assisté d’un avocat.

Sans surprise, le questionnaire adressé aux acteurs de terrain inspire ces propositions, même si l’ordre des thématiques n’est pas le même. Les réponses semblent avoir été lues et prises en compte, puisqu’il y est parfois fait référence en note. Pour autant, on n’a aucune idée du nombre de questionnaires qui ont été effectivement remplis et, sauf exception, de leurs auteurs. On peut aussi s’étonner qu’un rapport aussi riche en propositions ait été rédigé en si peu de temps par un groupe de travail si restreint.

En tout cas, si le décret concrétise les préconisations, la réforme ira au-delà d’un simple ravalement et apportera des innovations bienvenues (mais c’était aussi l’ambition des rapports ayant précédé la loi J21). En revanche, certaines propositions suscitent des craintes ou des regrets. Il est vrai qu’il est impossible d’arriver à un consensus total…

Le rapport est divisé en trois parties : refonder l’architecture de première instance (I), repenser les droits et devoirs des acteurs du procès (II) et assurer la qualité et l’effectivité de la décision de justice (III).

Section 1. Exploiter les ressources du numérique (propositions 1 à 7)

Le rapport commence par renvoyer aux conclusions du chantier « transformation numérique » pour ce qui est des choix techniques. Au moins, il semble que le besoin d’y consacrer des moyens financiers importants ait été compris par le groupe de travail chargé de ce chantier (v. Dalloz actualité, 17 janv. 2018, art. T. Coustet isset(node/188661) ? node/188661 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>188661). Le rapport prend ensuite position sur « la nécessaire transformation numérique de la justice », qui impliquera « un changement de perspective », c’est-à-dire l’abandon de la démarche d’équivalence : autrement dit, il s’agit de passer de la « CPVE 1.0 » à la « CPVE 2.0 » ou cyberprocédure civile (v. sur ce thème C. Bléry et J.-P. Teboul, De la communication par voie électronique au code de cyber procédure civile, JCP 2017. 665).

La refonte des arrêtés techniques en un texte unique est également heureusement préconisée, ainsi qu’une interconnexion de la justice avec les autres services de l’État. Le tribunal plateforme – ou tribunal 2.0 (v. art. préc.) est donc pour bientôt, puisque « l’état actuel des technologies de la communication et de l’information » permet d’envisager une telle orientation (p. 12 ; ce qui est peut-être « un peu » optimiste) : la procédure serait alors dématérialisée, de la saisine du tribunal plateforme à la signature du jugement – une plateforme d’accès aux titres exécutoires « pour en faciliter la mise à exécution » (p. 13) devrait compléter le système.

En outre, divers outils viendraient apporter une aide aux juges : outils de pilotage des affaires civiles, blocs de motivation, trames, barèmes, outils d’intelligence artificielle pour constituer une mémoire de la juridiction, etc. Ces outils ne risquent-ils pas « d’appauvrir sensiblement la richesse des décisions de justice » (v. L. Cadiet, J. Normand et S. Amrani-Mekki, Théorie générale du procès, 2e éd., PUF 2013, coll. « Thémis », n° 200 : les auteurs évoquent des magistrats qui, pour cette raison, se sont déclarés hostiles à des modèles types de motivation) ?

« Dans cette perspective, le groupe de travail recommande la désignation d’un délégué à la digitalisation de la justice, qui puisse coordonner la mise en place de cette politique publique, croisant les approches technologiques et juridiques » (p. 13). Vaste tâche pour ce délégué à la numérisation (la proposition 5 préfère heureusement ce terme français) : il faut espérer qu’il sera processualiste…

L’accès à la justice numérique pourrait être rapidement rendu obligatoire pour les auxiliaires de justice, les personnes morales de droit public, voire de droit privé. Cela va dans le sens de l’histoire : le recours au réseau privé virtuel des avocats (RPVA) est déjà obligatoire devant les cours d’appel lorsque la représentation est obligatoire et le sera devant les tribunaux de grande instance à compter du 1er septembre 2019. Il est précisé en note 20 que « la mise en place d’une identité numérique paraît plus simple pour les personnes morales. Peuvent leur être associée une adresse électronique dont la mention au registre du commerce et des sociétés (RCS) emporterait consentement de la personne morale concernée à y recevoir tous les avis, notifications, convocations préparatoires ou afférents à une instance civile ».

Or l’arrêté du 9 février 2016 « Securigreffe » (v. C. Bléry et J.-P. Teboul, « Une nouvelle ère pour la communication par voie électronique », in 40 ans après… Une nouvelle ère pour la procédure civile ?, Dalloz, coll. « Thèmes et commentaires », 2016, p. 31 s., n° 25 ; C. Bléry, Securigreffe : l’identité numérique judiciaire opposable est née, JCP 2016. 256) permet déjà d’avoir une identité numérique. Il met en œuvre un système de communication par voie électronique entre les greffes des tribunaux de commerce et l’ensemble de leurs partenaires procéduraux… à l’exclusion des avocats (qui ont le RPVA) : ce sont des professionnels (huissiers de justice, administrateurs judiciaires et mandataires judiciaires, ministère public, commissaires-priseurs judiciaires, administration fiscale, URSAFF,…) ou des justiciables, qu’ils soient non représentés ou représentés par un mandataire autre qu’un avocat.

Or l’article 8 de l’arrêté précise que « la première identification au système "Securigreffe" par les parties à la communication électronique emporte consentement de leur part à l’utilisation de la voie électronique » : c’est donc la naissance d’une personnalité juridique numérique spéciale, celle de « justiciable du tribunal de commerce », dont la présence en ligne devient opposable. Pour l’instant cette identité numérique n’est accordée qu’aux professionnels, mais elle le sera bientôt aux autres partenaires procéduraux. Il s’agira de généraliser l’architecture juridique qui existe d’ores et déjà devant le tribunal de commerce.

Le rapport évoque aussi le nécessaire accompagnement du justiciable, qui semble avoir été un souci commun des personnes consultées. Le service d’accueil unique du justiciable (sur le SAUJ, v. L. Raschel, Loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 : quelle modernisation du service de la justice ?, Gaz. Pal. 31 janv. 2017, p. 68 ; Les aspects d’organisation juridictionnelle dans les décrets sur la justice du 21e siècle, Gaz. Pal. 25 juill. 2017, p. 68), qui nous semblait permettre d’assurer à tous un accès à ce tribunal plateforme v. (Dalloz actualité,15 nov. 2017, art. T. Coustet isset(node/187595) ? node/187595 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>187595), est effectivement mentionné, de même que le conseil départemental d’accès au droit (CDAD)…

Le recours à la visioconférence est aussi préconisé, bien que déclaré prématuré en raison de la technique.

Le thème du numérique s’achève sur une préconisation, elle-même reprise du rapport de l’Institut Montaigne (Justice : faites entrer le numérique, 2017), qui est très intéressante et devrait pouvoir être mise en œuvre sans trop de difficulté, à savoir celle d’une juridiction nationale de traitement dématérialisé des injonctions de payer s’inspirant des procédures européennes. Le rapport précise qu’« il conviendrait de prévoir une attestation ou une déclaration sur l’honneur que la créance dont le recouvrement est recherché n’a encore jamais fait l’objet d’une décision ». Cela aurait le mérite d’avertir le créancier qu’il ne doit pas utiliser la procédure si elle a précédemment échoué, mais on sait que des créanciers « reviennent à la charge » lorsque leur requête a été rejetée.

Section 2. Créer une juridiction unique et recentrée en première instance : le tribunal judiciaire (propositions 8 à 11)

§ 1. Pour la création du tribunal judiciaire

Les auteurs du rapport ont l’honnêteté de rappeler que la proposition de créer un tribunal unique revient régulièrement (v. not. rapport Marshall, Les juridictions du 21e siècle, préc.). La signataire ne se plaindra pas de voir que ce souci de simplification revient à l’ordre du jour (C. Bléry, Plaidoyer pour une simplification des règles internes de compétence en matière judiciaire, Procédures 2008. Étude 3) ; elle est cependant dubitative sur son aboutissement, tant cette idée semble devoir rester un vœu pieux et risque de susciter de nouvelles résistances.

Créer un tribunal judiciaire (TJ) en première instance est également préconisé par le groupe de travail en charge du quatrième chantier consacré à l’« adaptation du réseau des juridictions »). Le changement de vocabulaire (tribunal judiciaire et non plus tribunal de première instance) est significatif : outre l’extension de compétence (à terme, ce sont tous les contentieux, y compris prud’homal et commercial, qui devraient relever de ce tribunal et la « symétrie avec la juridiction administrative », il y a la volonté de renforcer « l’idée essentielle que la décision rendue n’est pas en attente d’une voie de recours » (p. 15). Reste que les taux de réformation dans certains contentieux contredisent actuellement une telle affirmation et que celle-ci « est très éloignée de la pratique » (M. Bencimon, Gaz. Pal. 10 déc. 2013, p. 11).

Le rapport propose d’ores et déjà des ajustements : le contentieux des élections professionnelles devrait être attribué au tribunal de grande instance, conformément aux recommandations de rapport Guinchard. C’est assez surprenant puisque ce rapport maintenait le TI et le TGI et que le futur TJ les regroupe… La liquidation du préjudice des victimes d’infractions pénales devrait être confiée à un juge civil. Par ailleurs, il nous semble désormais que la justice commerciale, assurée par des juges bénévoles et actuellement plutôt efficace, devrait rester à part et conserver ses spécificités : étendre ses compétences pour en faire un « tribunal des affaires économiques » (TAE) pourrait même être envisagé (v. G. Richelme, Table ronde « Sécurité est simplicité d’accès pour une future juridiction des affaires économiques », p. 77).

Notons que le rapport sur l’adaptation du réseau des juridictions ne prévoit pas seulement un TJ mais aussi un tribunal de proximité (TP) : le TJ ne serait donc pas une juridiction unique, il y aurait aussi le TP, compétent notamment pour les affaires personnelles ou mobilières inférieures à 10 000 €. La divergence prouve, une nouvelle fois, la difficulté de simplifier en la matière.

Le taux du ressort devrait être porté à 5 000 €. Il n’y aurait donc pas d’alignement sur la procédure administrative, où il est de 10 000 € : le rapport justifie ce choix par le refus d’encombrer la Cour de cassation, qui serait le résultat d’un taux trop élevé (c’était le cas en matière prud’homale avant l’unification des taux du ressort à 4 000 € par la loi n° 2004-1343 du 9 décembre 2006 ; v. J. Héron et T. Le Bars, Droit judiciaire privé, 6e éd., Lextenso, coll. « Précis Domat », 2015, n° 722).

En revanche, il y aurait alignement sur la procédure européenne de règlement des petits litiges (le rapport rappelle que le règlement [UE] 2015/2421 du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2015 a modifié le règlement [CE] n° 861/2007 instituant une procédure européenne de règlement des petits litiges en portant à la somme de 5 000 € le montant des demandes pour lesquelles ce règlement peut trouver à s’appliquer) et sur l’obligation de constituer avocat (v. infra).

§ 2. Pour une équipe autour du magistrat

Comme déjà le rapport Delmas-Goyon, le rapport est résolument favorable à une équipe autour du magistrat, dont il propose de renforcer le rôle (prop. 11), sans préciser comment.

§ 3. Pour un recentrage de la juridiction de première instance

Dans le prolongement de la loi J21 n° 2016-1547 du 18 novembre 2016, il est préconisé un recentrage de la juridiction de première instance, qui consiste essentiellement en des déjudiciarisations et en des allégements du travail du greffe, qui sont énumérés en annexe (par exemple, le changement de régime matrimonial sans opposition ne devrait plus faire intervenir un juge même en présence d’enfants mineurs, en cas d’expulsion la vente des meubles n’aurait plus à être autorisées par un juge en l’absence de contestations, etc.).

Ce mouvement, d’ailleurs moins « révolutionnaire » que le divorce sans juge issu de la loi J21, ne peut qu’être approuvé.

Section 3. Simplifier la saisine de la juridiction : pour un acte de saisine unifié (propositions 12 et 13)

Le rapport constate que « la majorité des réponses aux consultations est favorable à la réduction des cinq modes de saisine des juridictions civiles et propose de ne conserver que l’assignation et la requête » et ajoute que « le groupe de travail considère que la transformation numérique impose de sortir des schémas actuels du code de procédure civile ». Proposant de distinguer la saisine de la juridiction et l’établissement du lien d’instance lorsqu’il est nécessaire – qui sera examiné ci-après – [v. la section 4], il considère que l’instauration d’un acte unifié de saisine judiciaire par la voie électronique, unilatéral ou conjoint, est possible, tant en matière contentieuse qu’en matière gracieuse ». Il est précisé en note que la terminologie est empruntée à Natalie Fricero. Celle-ci a l’avantage d’être descriptive de la fonction de l’acte ; elle rompt cependant totalement avec les habitudes et il nous semble que le traditionnel terme de requête – qui « colle » en outre au langage informatique – pourrait être préféré. Si cet « acte de saisine » est unifié, il est en revanche décliné, selon que la procédure est gracieuse ou contentieuse, la saisine pouvant être conjointe ou unilatérale – contradictoire ou non (pour les injonctions de payer, les procédures qui sont actuellement sur requête, les jours fixes, etc.).

Le rapport s’attache à son vecteur, son contenu, son effet et à la sanction du non respect des prescriptions qui devraient le régir. Si l’envoi de l’acte est grandement simplifié grâce au numérique, les exigences relatives au contenu sont telles qu’on se demande comment feront des personnes non représentées ou au moins assistées par avocat ou un juriste chevronné pour respecter ces prescriptions. Ce ne sera pas le travail ni la responsabilité des personnels des SAUJ de conseiller les justiciables à cet égard. Le but est affiché : les données à fournir « seront exploitées par le greffe de la juridiction sans nouvelle saisie informatique ». On peut comprendre cette volonté de décharger utilement le greffe, le souci est que les exigences ont aussi tendance à limiter l’accès au juge de manière bien trop drastique :

• Vecteur : l’acte de saisine judiciaire devrait être « établi par formulaire structuré, au moyen d’une application dédiée accessible via le portail Justice ». On ne peut que se réjouir de cette simplicité et du recours au portail Justice qui ne laisse pas de place aux braconniers du droit.

• Contenu : le rapport propose une longue liste de données que l’acte de saisine judiciaire numérique devrait comprendre, nombreuses étant celles qui ne sont pas exigées aujourd’hui dans l’acte introductif d’instance :

  • « le consentement à procéder aux échanges par la voie électronique » : cette disposition, qui semble mettre en œuvre l’article 748-2, alinéa 1er, est curieuse, puisque le « consentement » est en réalité imposé du fait de l’utilisation de l’acte de saisine électronique ; c’est donc plutôt une application de l’article 748-2, alinéa 2, de sorte que le consentement n’a pas à être exprès : le focus sur la saisine numérique de la juridiction (p. 19, point 1) confirme cette vision des choses puisqu’il est précisé que « la saisine dématérialisée par un acte judiciaire accessible via le portail justice.fr […] vaut consentement à la communication électronique [sic] (l’attention du justiciable non représenté est attirée sur ce point) ». Si l’identité judiciaire est généralisée (v. supra), cette mention aura encore moins d’intérêt ;
     
  • « les informations relatives à l’identité des parties et de leurs mandataires » ;
     
  • « la désignation de la juridiction saisie, si besoin » [pourquoi cette dernière précision ?] ;
     
  • « les informations relatives au litige, le cas échéant spécifiques eu égard à la matière traitée : les champs de l’acte doivent autoriser, au-delà de ce qu’exigent actuellement les dispositions relatives aux actes de saisine » [sic], dont on suppose qu’il s’agit des mentions énumérées ensuite, à savoir « l’exposé des faits objets du litige » ; l’indication des demandes formulées ; l’ensemble des moyens de fait et de droit de nature à les fonder ; l’indication des mesures d’instruction qui pourraient être nécessaires ; l’indication des conditions dans lesquelles les pièces visées dans les écritures seront rendues disponibles au défendeur ».

Ces deux dernières indications s’inspirent tant de la convention de procédure participative aux fins de mise en état que des « protocoles » québécois (v. NCPC du Québec, art. 148 s. ; adde C. Bléry, in S. Guinchard [dir.], Droit et pratique de la procédure civile. Droits interne et européen, 9e éd., Dalloz Action, 2016/2017, n° 300.35), si ce n’est qu’elles sont ici imposées au demandeur (sauf si l’acte de saisine est conjoint) : le protocole au contraire doit avoir été accepté par les parties et suppose une discussion. La mention relative aux pièces est en outre curieuse, les rédacteurs prévoyant ensuite (p. 18) la délivrance concomitante au défendeur de l’acte de saisine et des pièces par le moyen d’une assignation… Par ailleurs, la logique du tribunal plateforme veut que les pièces soient versées au dossier électronique que ce tribunal appelle (C. Bléry et J.-P. Teboul, De la communication par voie électronique au code de cyber procédure civile, préc.).

Surtout, ce qui est inquiétant, c’est ce qui suit : « l’efficacité commande d’instaurer dès la première instance un principe de concentration des moyens. Les parties devront ainsi soumettre au juge un litige clairement circonscrit dès le premier jeu d’écritures. Cette exigence cependant n’impose pas dès ce stade de la procédure une concentration des demandes sur laquelle le groupe demeure réservé, pour ne pas interdire par exemple des demandes additionnelles qui s’avéreraient nécessaires en cours d’instance. L’avantage d’une telle réforme serait de garantir une fixité du litige : le juge du premier ressort aurait ainsi une vision exhaustive du litige, et les parties n’auraient plus de possibilité d’avancer des moyens nouveaux en appel ».

Or cette fixité est excessivement rigoureuse. Le travail du juge s’en trouverait sans doute facilité, mais un litige est évolutif et ne peut être artificiellement figé pour le confort du juge : concentration des moyens en première instance, plus suppression de l’appel voie d’achèvement, surtout si le juge n’était pas obligé de relever d’office les moyens de droit (v. infra), comme il s’y est autorisé depuis l’arrêt Dauvin (Cass., ass. plén., 21 déc. 2007, n° 06-11.343). Cela « accablerait évidemment les avocats, mais donnerait surtout une image accablante de la justice » (S. Amrani-Mekki, Gaz. Pal. 10 déc. 2013, p. 3 ; adde M. Bencimon, op. cit., p. 1 ; T. Le Bars, Gaz. Pal. 30 juill. 2014, p. 41 ; E. Jullien et M. Bencimon, Concentration c. appel : achevons le procès et non l’appel, Gaz. Pal. 24 mai 2016, p. 16 ; E. Jullien, Mode d’hiver : la tendance est à la concentration, Gaz. Pal. 7 févr. 2017, p. 14).

Il est vrai que les rédacteurs précisent que « la concentration des moyens en première instance permettra de consacrer le pouvoir du juge de relever d’office le moyen de droit applicable au litige, par une transcription de la jurisprudence. Le juge ne doit plus être “étranger au droit”. Au demeurant, les hypothèses devraient rester rares dans les contentieux où les parties sont représentées par avocat puisque l’ensemble des moyens auront normalement été soulevés » (p. 18). Il semble en réalité que les rédacteurs soient favorables à une obligation de relever d’office la règle de droit applicable (v. p. 32), mais ils présentent la consécration de la jurisprudence Dauvin comme une solution envisageable (préc.).

Par ailleurs, le lien entre la concentration des moyens et le pouvoir du juge est difficile à comprendre : avant les arrêts Cesareo (Cass., ass. plén., 7 juill. 2006, n° 04-10.672) et Dauvin, il n’y avait pas d’obligation de concentration des moyens et, si un moyen était de pur droit, le juge avait l’obligation de le soulever d’office (de requalifier) tous les faits ayant été spécialement invoqués (à l’inverse, si le moyen était mélangé de fait et de droit, il n’avait seulement qu’une faculté à son égard, une recherche de fait s’imposant au juge parmi tous les faits dans le débat, v. Civ. 2e, 14 févr. 1985, n° 83-12.062, JCP 1988. II. 21030, note J. Héron). Quant à espérer que les moyens auront été normalement soulevés, c’est sans doute optimiste ; la sanction envisagée devrait permettre de combattre les actes de saisine non qualificatifs (alors qu’aujourd’hui, la Cour de cassation oblige le juge à « faire le tour de la question » quand aucune règle de droit n’a été invoquée – ce n’est donc pas une hypothèse d’école), mais il arrivera nécessairement que des fondements potentiels soient oublié.

• Effet : « l’acte de saisine judiciaire est un acte interruptif de prescription, sous réserve, lorsque le contradictoire est assuré par citation de l’adversaire (v. ci-après), que celle-ci ait été délivrée dans un délai compatible avec la nature de la procédure » – citation dont il devrait être justifié, sous peine de caducité (v. p. 19 ; point 4). Il s’agit de solutions classiques adaptées à l’évolution préconisée de la naissance du lien d’instance (v. l’art. 2241, C. civ., pour l’effet interruptif de la demande en justice) de manière similaire l’article 2243 du code civil prévoit déjà des cas où l’interruption est non avenue.

Un autre effet est plus novateur et permis par le numérique : « l’acte de saisine judiciaire numérique doit générer pour le demandeur l’obtention d’une date qui sera adaptée à la nature de la procédure qu’il engage. La date de ce "rendez-vous" d’orientation judiciaire sera fixée selon un calendrier mis à disposition par la juridiction ». Nous ne pouvons que souscrire à l’affirmation selon laquelle « l’obtention de cette date, tout comme la possibilité pour le justiciable d’avoir accès à tout moment par voie dématérialisée à l’avancée de sa procédure constituent des réponses aux attentes essentielles et légitimes du justiciable quant à la prévisibilité de la durée de son procès ». En revanche, celle selon laquelle « il n’y aura [du fait de l’obtention d’une date] plus lieu à conserver la distinction entre assignation en référé et assignation en la forme des référés, ce qui conduira à ouvrir le chantier de clarification du dispositif, appelé de ses vœux par le professeur Y. Strickler » nous laisse perplexe : quel est le lien ?

• Sanction : elle serait rude ! La nullité pour vice de forme serait remplacée par une fin de non-recevoir, « la seule qui serait ici efficace, la nullité impliquant la démonstration d’un grief ». Pour autant, n’est-ce pas déraisonnable d’imposer tant d’informations à fournir qui auraient pour effet de fixer le litige quasi définitivement à peine d’irrecevabilité (relevée d’office ?). Rappelons en outre que la Cour de cassation a jugé que la fin de non-recevoir n’est pas un « vice de procédure » (de l’art. 2241, C. civ.) et que l’acte déclaré irrecevable n’a pas interrompu les délais. 


Section 4. Unifier les circuits procéduraux (propositions 14 à 17)

§ 1. Établir avec certitude le lien d’instance

Une autre innovation tiendrait dans une nouvelle fonction de l’assignation. Alors qu’elle disparaîtrait en tant qu’acte introductif d’instance, elle ressurgirait en tant qu’acte de convocation du défendeur, en matière contentieuse. Le groupe de travail trouve plusieurs justifications à cette proposition : « ce mode garantit le respect du contradictoire par la délivrance concomitante de l’acte de saisine et des pièces qui viennent à l’appui des demandes, assurant ainsi l’efficacité des échanges en vue de la première audience » : d’où l’interrogation relative à la mention des conditions de communication des pièces par le demandeur (v. supra).

« Le recours à l’acte d’huissier permet en outre au greffier, déchargé des tâches de convocations et de classement des avis de réception, de réinvestir le rôle statutaire qui est le sien d’assistant du magistrat et de garant de la procédure. Enfin, le développement des outils numériques partagés ou interconnectés entre les juridictions et les huissiers de justice devrait permettre, dès qu’il a été délivré, d’intégrer dans le système d’information de la juridiction, la preuve de la délivrance de l’acte sans saisie de données complémentaires ». Cette proposition ménagerait les huissiers de justice qui se trouveraient privés de la signification des assignations introductives d’instance (argument bien peu juridique).

Cependant, elle n’est guère avant-gardiste et pas dans la logique du tribunal plateforme : avec l’identité numérique et la présence en ligne opposable, la tâche de convocation du greffier serait pourtant bien facilitée ; c’est aussi à lui qu’incomberait naturellement la constitution du dossier numérique pour chaque affaire.

Il est précisé que « la notification des actes de procédure par tout moyen entre les parties, et notamment par SMS, courrier ou courriel, doit être réservée à leurs échanges pendant la phase de l’instruction de l’affaire ». Or, là encore, la logique du tribunal plateforme veut que les actes de procédure soient versés au dossier électronique que ce tribunal appelle : des notifications entre parties n’ont plus de raison d’être ; estimer que c’est aux parties de s’avertir mutuellement des versements effectués et non au greffier ou encore, que le défendeur n’a pas accepté la communication par voie électronique (v. p. 19 ; point 5), ne tire pas les conséquences de l’identité numérique.

Le rapport suggère des « mesures favorisant la remise à personne » : à savoir mettre en œuvre la proposition n° 35 formulée par le groupe de travail de M. Delmas-Goyon afin de permettre à l’huissier de justice d’accéder aux parties communes d’un immeuble et revoir les restrictions de temps et de lieu qui encadrent la signification par voie électronique » (qui ne peut être effectuée qu’aux heures ou la signification traditionnelle peut elle-même l’être : l’huissier de justice insomniaque ne peut donc signifier la nuit par voie électronique !). L’identité numérique judiciaire supprimera la nécessité de la notification à personne, comme elle évitera les lettres recommandées avec accusé de réception (LRAR) qui reviennent : le justiciable aura un espace virtuel où il sera joignable, les notifications faites en ce lieu, quelle que soit l’heure, lui seront opposables.

En revanche, en matière gracieuse et notamment en matière d’assistance éducative et de tutelles, le groupe de travail estime que « la charge de la convocation des parties à une audience doit continuer à reposer sur le greffe » ; ce qui s’explique par l’absence de contradicteur. « Il en est de même devant le juge des libertés et de la détention dans le domaine de l’entrée et du séjour des étrangers comme dans celui des hospitalisations sans consentement. » Le rapport ajoute que « la convocation par le greffe doit être rendue possible par tout moyen permettant au juge de s’assurer de la remise de la convocation. À cet effet, la mise en œuvre des nombreux protocoles qui se développent localement entre les juridictions et leurs partenaires dans le cadre des dispositions des articles 692-1, 748-8, 748-9 du code de procédure civile, pour faciliter une gestion réactive des audiences dans le respect des délais, doit être poursuivie en privilégiant une approche nationale unifiant les dispositifs et sécurisant les échanges ». Alors que la Cour de cassation vient de juger que les protocoles n’ont pas de valeur (Civ. 2e, 19 oct. 2017, n° 16-24.234 P, D. 2017. 2353, note C. Bléry), on ne comprend guère cette préconisation ; le code de procédure civile devrait lui-même régler cette question (communication par voie électronique ou LRAR).

§ 2. Harmoniser les procédures d’ordonnance sur requête

Le rapport expose que la matière des ordonnances sur requête est hétérogène et dispersée. En effet, à côté des ordonnances dites « innommées » ou « générales » (selon la terminologie de Mme Pierre-Maurice (S. Pierre-Maurice, Leçons de droit civil, Ellipses, 2011, p. 271) par lesquelles le juge peut ordonner sur requête toutes les mesures urgentes lorsque les circonstances exigent qu’elles ne soient pas prises contradictoirement (C. pr. civ., art. 812, al. 2, pour le TGI, le texte étant décliné devant les autres juridictions sauf le conseil de prud’hommes), il y a des ordonnances dites « nommées » ou « spéciales » (S. Pierre-Maurice, préc.), où « le président est saisi sur requête dans les cas spécifiés par la loi » (C. pr. civ., art. 812, al. 1er, pour le TGI). Ces cas, divers et nombreux, apparaissent en tout domaine, à l’exception de la matière gracieuse, aussi bien en droit substantiel qu’en droit procédural. Le groupe estime donc « qu’il conviendrait d’unifier et limiter dans la mesure du possible les spécificités de chacun d’entre eux afin d’intégrer dans le régime de droit commun les matières pour lesquelles un régime spécifique n’apparaît pas justifié ». Est-ce à dire qu’il faudrait justifier de la nécessité d’écarter le contradictoire dans les cas d’ordonnances nommées ? Quel serait l’avantage ?

Le groupe de travail considère que « cette refonte des textes devrait conduire à intégrer une exigence de proportionnalité au demeurant posée par la Cour de cassation, dans l’appréciation par le juge des mesures non contradictoires qu’il ordonne, pour contenir les abus constatés dans le recours aux ordonnances sur requête ». Le rapport constate que « ces procédures constituent en effet un vecteur privilégié d’atteintes possibles aux secrets protégés par la loi, que le rétablissement du contradictoire, souvent tardif, peine à réparer ».

Depuis 2012, la Cour de cassation a consacré un droit à la preuve, qu’elle met en balance avec d’autres intérêts antagonistes, dont le droit au secret (Civ. 1re, 5 avr. 2012, n° 11-14.177, D. 2012. 1596, note G. Lardeux ; ibid. Pan. 2826, obs. P. Delebecque ; ibid. 2013. Pan. 269, obs. N. Fricero). En opposant le droit à la preuve aux autres principes qui encadrent la production des pièces en justice, la Cour de cassation a créé une situation de conflit de normes et adopte, dans le même temps, la méthode qui permet de résoudre ce conflit. En effet, dans l’arrêt de 2012, la haute juridiction a posé deux conditions pour la mise à l’écart du principe du respect de la vie privée : d’une part, la pièce doit être indispensable à l’exercice de son droit à la preuve ; d’autre part, la production litigieuse doit être proportionnée aux intérêts antinomiques en présence. En fait, c’est loin d’être simple et les critères ne sont pas très clairs, pas toujours cumulatifs et parfois exprimés autrement.

Plus que d’inscrire la notion de proportionnalité dans le code de procédure civile, il serait utile de poser des critères plus fiables pour résoudre le conflit d’intérêts (adde G. Lardeux, Le droit à la preuve : tentative de systématisation, RTD civ. 2017. 1 ; E. Vergès, G. Vial et O. Leclerc, Droit de la preuve, Thémis, PUF, 2015, nos 273 s.).

§ 3. Renouveler l’articulation de l’écrit et de l’oral

Le rapport indique que, « comme l’impose le droit européen, la procédure orale doit être maintenue pour le jugement des petits litiges, que représentent les actions personnelles et mobilières inférieures à 5 000 €, jugées en dernier ressort ». Pourtant, le règlement (CE) n° 861/2007 instituant une procédure européenne de règlement des petits litiges organise une procédure en principe entièrement écrite où l’audience reste l’exception et, s’en inspirant, le rapport préconise « une procédure unifiée dans laquelle coexisterait une phase écrite et une phase orale » (prop. 16), étant précisé que « cette dernière n’[est] pas obligatoire » (p. 43). Après avoir évoqué d’autres pistes (conserver une procédure orale avec ordonnance de clôture obligatoire, assouplissement des conditions de la dispense de présentation ou échanges dans le cadre d’une procédure participative), le groupe de travail souhaite en réalité consacrer la procédure écrite actuelle, avec la mise en état écrite et une audience de plaidoiries facultative, là où la procédure orale impose une mise en état à l’audience sous réserve d’avoir été dispensé de se présenter.

Étant donné la supériorité des garanties apportées par la procédure écrite, on ne peut qu’adhérer à cette préconisation. Le numérique appelle d’ailleurs une procédure écrite, que la mise en état soit réalisée de manière traditionnelle ou externalisée – ce que permet déjà la convention de procédure participative aux fins de mise en état et que le rapport entend favoriser (v. p. 22). La généralisation de la représentation obligatoire par avocat faciliterait cette évolution. Mais comme, en réalité, c’est seulement une extension de cette représentation obligatoire qui est envisagée (v. infra, Partie 2), la question de l’adaptation de cette procédure aux plaideurs sans avocat reste quand même posée : en tout cas, leurs écrits ne devraient pas être soumis aux exigences de structuration et de récapitulation (sauf accord), comme l’article 446-2, alinéa 3, du code de procédure civile le prévoit aujourd’hui. Notons que le rapport sur l’adaptation du réseau des juridictions prévoit une procédure « simple » (?) et sans représentation obligatoire devant les TP.

Le rapport apporte des précisions :

  • « la phase écrite aurait en principe le monopole de l’expression des prétentions respectives de chacune de parties et des moyens de fait et de droit produits à leur appui. La phase écrite serait également le temps de la mise en état de l’affaire. La ou les phases orales de la procédure seraient réservées à la mise en œuvre de procédures amiables et des mesures d’instruction, telles que l’audition des parties, des témoins ou des techniciens. L’exécution des mesures d’instruction pourrait donner lieu à un enregistrement audiovisuel. Enfin et surtout, afin de concilier rigueur dans la détermination de l’objet du litige et souplesse dans son traitement, le juge devrait pouvoir, après avis ou accord des parties, autoriser celles-ci à compléter oralement à l’audience leurs prétentions et les moyens à leur soutien, notamment pour faciliter la mise en œuvre de la décision ou accepter de s’engager dans un processus amiable » (p. 21). Il est difficile de comprendre cette proposition si on se rappelle que le groupe de travail préconise d’un autre côté (p. 17) de figer le litige dès l’acte introductif d’instance. Ce manque de cohérence ne prouve-t-il pas que le principe de concentration des moyens est trop rigide ? En outre, cela ruine l’utilité d’une clôture de la mise en état ;
     
  • « cette nouvelle procédure permettrait également un traitement adapté des affaires relevant de l’urgence ou du provisoire, en ne recourant à l’oralité [plus rigoureusement à une audience de débats] que lorsqu’elle est jugée nécessaire par le juge ou sollicitée par les parties. Elle pourrait être abandonnée lorsqu’elle ne l’est pas, ce qui est souvent le cas dans les procédures de référé aux fins de mesure d’instruction, ce qui a d’ailleurs conduit à l’adoption récente de l’article 486-1 du code de procédure civile dispensant le défendeur qui a acquiescé à la demande de comparaître.

    On pourrait envisager d’aller plus loin en permettant au juge de statuer sans audience, dès lors que les parties en seraient d’accord, ou que le défendeur, régulièrement informé de la requête aux fins de mesure d’instruction ce dont le requérant aura justifié, n’aurait pas, dans le délai imparti, fait valoir d’observations » (p. 21). Pourquoi pas ? Les plaideurs se dispensent parfois déjà eux-mêmes de présentation, sans respecter les conditions posées à l’article 446-1 du code de procédure civile. À l’inverse, l’audience des plaidoiries devrait être mieux encadrée par les textes qu’aujourd’hui afin d’être utile : les plaidoiries devraient être systématiquement interactives et même permettre la parole des parties (Adde E. Jullien, L’oralité est morte… Vive la plaidoirie ; E. Brochier et M. Brochier, Le droit de plaider, nouveau principe directeur du procès, JCP 2015. 391) ;
     

  • la phase orale ne se déroulerait pas nécessairement devant un juge : « les greffiers, délégués par le juge, pourraient procéder à des auditions, par exemple en matière de tutelles, en matière familiale, ou pour l’exécution d’une mesure d’instruction (p. 23).

Section 5. Rationaliser l’instruction de l’affaire (propositions 18 à 20)

§ 1. Limiter les incidents d’instance

1. Mettre fin aux exceptions d’incompétence

Alors que le régime des exceptions de compétence vient d’être réformé et le contredit supprimé par le décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, il est donc à nouveau question de revenir sur ces questions. Deux solutions sont envisagées, selon qu’un « point d’entrée unique que pourrait constituer le tribunal judiciaire » est instauré ou pas :

  • en l’absence de TJ, les exceptions d’incompétence territoriale et matérielle devraient pouvoir être tranchées par le juge sans recours immédiat possible (c’est déjà le cas lorsque le juge se déclare compétent et statue sur le fond du litige, v. art. 78, issu du décr. n° 2017-891) : les parties ne pourraient contester sa décision qu’à l’occasion de l’appel de la décision rendue au fond. Il est aussi suggéré d’adopter des mesures permettant d’étendre la compétence d’exception des juges spécialisés pour connaître de demandes incidentes, au-delà de ce que prévoit l’article 51 du code de procédure civile. Ces préconisations utiles pourraient jouer en l’état actuel de l’organisation judiciaire, mais aussi si un TP est créé à côté du TJ et si un TAE reste indépendant ;
     
  • en présence de TJ, « il pourrait de même être envisagé que le juge statue sur les exceptions d’incompétence par simple mesure d’administration judiciaire, insusceptible de recours, puisque seule la compétence territoriale sera concernée, à l’instar des juridictions administratives ».
     
  • Pourquoi, même en l’état, ne pas instituer un mécanisme de renvoi administratif tel que prévu actuellement par l’article 82 du code de procédure civile ? Le dossier de l’affaire est transmis au greffe de la juridiction compétente – par exemple, JAF, JEX… ou TI ou TGI –, dans un souci d’accélération de la procédure ; les parties sont invitées « par tout moyen par le greffe » (donc y compris par courriel ou texto si elles y ont préalablement consenti) à poursuivre l’instance et, si besoin est – à savoir devant le tribunal de grande instance –, à constituer avocat ; à défaut d’une telle constitution dans le délai d’un mois, l’affaire serait d’office radiée.

Le rapport évoque « la proposition formulée par le parquet général de la Cour de cassation et tendant à la suppression des critères alternatifs de compétence territoriale pour ne maintenir que celui du domicile du défendeur ». Le rapport estime qu’elle « mérite d’être examinée » : elle aurait en effet l’avantage de réduire, voire de supprimer complètement, les incidents de compétence territoriale ; elle nous semble cependant avoir l’inconvénient d’être bien radicale, certaines alternatives étant justifiées : ainsi, en matière d’aliments ou de contribution aux charges du ménage, le législateur permet au créancier, « tenu pour plus digne d’intérêt et plus pauvre », d’agir à domicile (J. Héron et T. Le Bars, préc., n° 987), l’article 47 permet le dépaysement d’un litige où est partie un auxiliaire de justice ou un juge, par délicatesse mais aussi pour répondre à l’exigence d’un tribunal indépendant et impartial posée à l’article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l’homme (ibid.)… On pourrait en revanche limiter certaines règles de compétence dérogatoires et pointues, très nombreuses.

2. Simplifier la gestion des fins de non-recevoir et des exceptions de nullité

Le groupe de travail propose « une unification, et, à défaut, une redéfinition des régimes respectifs des exceptions de nullité de fond et des fins de non-recevoir [qui] pourraient faciliter leur gestion ». Ce serait en effet souhaitable.

Les fins de non-recevoir et les exceptions pour nullité de fond sont des défenses procédurales et obéissent à un régime similaire en raison de leur égale importance : elles ne supposent pas la démonstration d’un grief, à la différence de la nullité de forme. Il serait appréciable de les fusionner. On le voit tout particulièrement à propos de l’incapacité de jouissance. La capacité de jouissance, à la différence de la capacité d’exercice, est une question d’existence de l’action. Le rattachement du défaut de capacité de jouissance aux irrégularités de fond est donc discutable et la jurisprudence est fluctuante. Les décisions de la Cour de cassation concernent surtout les personnes morales : elles sanctionnent leur défaut d’existence, donc leur incapacité de jouissance, tantôt par une fin de non-recevoir sur le fondement de l’article 32 du code de procédure civile, tantôt par la nullité pour irrégularité de fond. La même hésitation existe pour l’action intentée au nom d’une personne physique décédée, ou contre elle (C. Bléry, Droit et pratique de la procédure civile, préc., n° 161.301 ; Rép. pr. civ., Nullités, par L. Mayer, nos 107 s. et 189 s.).

Au passage, cela permettrait de voir dans la fin de non-recevoir un « vice de procédure » : la Cour de cassation exclut en effet la fin de non-recevoir de cette notion, ignorée du code de procédure civile mais visée à l’article 2241 du code civil ; ce qui est contestable (v. supra ; adde. Civ. 2e, 1er juin 2017, n° 16-15.568, et nos obs. crit. Gaz. Pal. 31 oct. 2017, p. 59 ; v. aussi, tout aussi critique, D. Mas, La demande définitivement rejetée – Réflexions intempestives d’un artisan du droit sur l’article 2243 du code civil, RRJ 2016-1, p. 215 s., spéc. nos 46 s. et les réf.).

En outre, la liste de l’article 117 est vue comme limitative par la même Cour – conception que reprend le rapport et qui est discutable –, ce qui laisse des nullités hors du champ des nullités de fond, alors que le régime des nullités de forme ne leur est pas adapté : il résulte de cette limitation le maintien de quelques « nullités sans grief », voire l’utilisation de « l’absence d’acte ». Créer une catégorie élargie, non limitative et plus lisible de fins de non-recevoir pourrait résoudre en partie les difficultés… sachant que parfois la Cour de cassation qualifie de nullité de forme des vices qui pourraient entrer dans la catégorie des fins de non-recevoir (C. Bléry, Droit et pratique de la procédure civile, préc., n° 162.15 ; Rép. pr. civ., Nullités, par L. Mayer, n° 152). Il serait utile de prévoir plus clairement que telle mention ou formalité est prévue à peine d’irrecevabilité ou de nullité, puisque c’est un choix volontariste du législateur (en ce sens, v. J. Héron et T. Le Bars, préc., n° 147).

Le rapport propose ensuite, « afin de désencombrer le rôle des affaires dont les conditions d’introduction compromettent leur examen au fond ou qui apparaissent manifestement irrecevables », « de permettre au juge chargé de la mise en état de statuer sur les fins de non-recevoir qui ne touchent pas au fond du droit et de les relever d’office lorsqu’elles résultent du dossier ». Un tel partage des compétences entre le juge de la mise en état et le tribunal de grande instance (comme pour le conseiller de la mise en état et la cour d’appel), à l’égard des fins de non-recevoir, pourrait en effet opportunément être inscrit à l’article 771 du code de procédure civile. La disposition pourrait d’ailleurs s’appliquer au magistrat instructeur du futur TJ et à celui du futur TAE (quid d’un TP ?).

En revanche, la notion de fin de non-recevoir « n’impliquant pas un examen au fond du droit » (reprise p. 23) nous laisse perplexe. En effet, la fin de non-recevoir permet de rejeter sans examen au fond une demande ou une défense qui ne remplit pas les conditions de recevabilité exigées par la loi ; elle entraîne le rejet de l’acte processuel soumis au juge, sans examen du bien-fondé de la prétention contenue dans cet acte, dans l’hypothèse où une des conditions exigées par la loi pour qu’une personne puisse présenter une demande ou une défense (la qualité ou l’intérêt du demandeur…) fait défaut (adde J. Héron et T. Le Bars, préc., n° 146). Par principe, donc elle n’implique pas un examen au fond…

Quoi qu’il en soi une liste non exhaustive est proposée. Seraient visées :

  • l’omission d’un acte de la procédure,
     
  • l’irrégularité affectant l’acte lui-même, quant à ses mentions ou quant à ses développements au fond : défaut de motivation, omission de certaines informations obligatoires,

     
  • l’irrégularité affectant les annexes de l’acte, 

     
  • l’irrégularité affectant le support de l’acte lui-même (forme électronique dans les matières relevant de la représentation obligatoire).
     
  • Mais pourquoi pas le défaut de qualité, d’intérêt ou la fin de non-recevoir tirée de l’autorité de chose jugée, etc. ? Serait-ce inclus dans cette notion de fin de non-recevoir « n’impliquant pas un examen au fond du droit » ? Le conseiller de la mise en état est aujourd’hui compétent pour ces questions (C. pr. civ., art. 914, issu du décr. n° 2017-891).

La question se poserait alors de savoir si un recours immédiat devant la cour d’appel pourrait être exercé dans le cas où le juge aurait estimé la demande recevable. Il faudrait en tout cas aligner le régime relatif aux exceptions de procédure et celles des fins de non-recevoir – dans lesquelles, une nouvelle fois, seraient englobées les exceptions pour nullité de fond (v. art. 776, al. 3, 2°, actuel pour le juge de la mise en état).

Le partage n’aurait plus lieu d’être si une mise en état externalisée devait être imposée. Si, dans un premier temps, le rapport s’oriente plutôt vers une incitation à cette externalisation (p. 22), il parle ensuite d’obligation lorsque les parties sont assistées par un avocat (p. 26)…

§ 2. Redéfinir la mise en état 


1. Favoriser la mise en état conventionnelle

Le rapport part ensuite du constat que les juridictions civiles manquent de moyens et en substance qu’il faut « faire avec » ou plutôt « faire sans » et donc trouver une autre solution… consistant en la « prime » à la mise en état externalisée. Le rapport raisonne à partir de l’actuelle procédure devant le tribunal de grande instance. Ce modèle serait donc généralisé à toutes les matières devant le TJ ? Même sans représentation pour les petites affaires ? Ce n’est pas très clair. À rebours de ce qui a lieu aujourd’hui, la date de l’examen au fond de l’affaire devrait être fixée dès « l’audience d’orientation » (notion inconnue du code aujourd’hui ; le rapport évoque plus haut [p. 17] un « rendez-vous d’orientation judiciaire ») et la mise en état réalisée avant cette date d’examen au fond, sur le modèle de la procédure devant le Conseil constitutionnel. 

Notons qu’il est permis de s’interroger sur le juge de « l’audience d’orientation » : aujourd’hui, c’est le président du TGI qui, lors de la « conférence du président », détermine le circuit de la mise en état, c’est la formation collégiale du TC, cela existe devant le TI par des renvois successifs… ; sera-ce le JME comme le rapport le laisse entendre ? Ainsi, « l’audience d’orientation doit être l’occasion pour le juge d’envisager avec les parties la date à laquelle l’affaire sera examinée, selon qu’elles expriment le choix de se mettre en état par la voie conventionnelle ou sous le contrôle du juge » (p. 22) ; ceci dans l’hypothèse où un circuit long est nécessaire :

  • « si l’affaire n’est pas en état d’être jugée et que les parties informent le juge qu’elles s’engagent dans la procédure conventionnelle de mise en état, à savoir la procédure participative d’ores et déjà prévue par le code civil et le code de procédure civile, le juge et les parties conviennent d’une date de clôture et de plaidoirie, selon un calendrier prioritaire, et l’affaire est retirée du rôle » : c’est ce calendrier prioritaire qui constitue la « carotte ». Mais quid en cas de non-respect du calendrier pour se mettre en état ou en cas d’échec, hypothèse qui risque pourtant de se produire tant le défendeur peut ne pas se montrer coopératif ?

    Par ailleurs, comment une date de clôture et de plaidoirie peut-elle être fixée si l’affaire n’est plus au rôle ? Actuellement, le retrait du rôle est en effet prévu en cas de signature d’une convention de procédure participative aux fins de mise en état, mais à l’issue du processus de procédure participative, l’affaire est rétablie à la demande d’une des parties, selon le cas, pour homologuer l’accord des parties mettant fin en totalité au litige, pour homologuer un accord partiel des parties et statuer le cas échéant sur la partie du litige persistant ou pour statuer sur l’entier litige. Il ne faudrait donc pas retirer l’affaire du rôle ou alors prévoir que c’est après rétablissement de l’affaire, si le dossier est en état, que la juridiction fixe le dossier par priorité pour qu’une décision soit rendue dans un délai rapide (par exemple trois mois) ; il en irait de même en cas d’inexécution par une partie de ses obligations résultant de la convention de procédure participative. Le retrait du rôle n’empêchant pas le délai de péremption de courir (C. pr. civ., art. 392, al. 2) –, il faudrait seulement que les parties veillent à mettre en état leur affaire dans ce délai de deux ans (d’autant que le juge peut, depuis le décret n° 2017-892, relever d’office la péremption), mais le délai nécessairement prévu à la convention de procédure participative devrait empêcher cette issue. Et avec une clôture fixée d’emblée, ce risque disparaît totalement ;
     

  • « à l’inverse, si l’affaire n’est pas en état d’être jugée mais que les parties refusent de s’engager dans une procédure conventionnelle de mise en état, le juge statue sur les exceptions et fins de non-recevoir qui auront été relevées ou qu’il aura relevé d’office, et il organise le déroulement des phases écrites et orales de procédure en fonction de la date de clôture et de plaidoiries qu’il détermine » – et qui, dans la logique du système, passe après les affaires en mise en état externalisées.

    Le rapport ajoute que « la mise en place de délais impératifs à peine d’irrecevabilité ou de caducité paraît plus adaptée en phase d’appel qu’en première instance où le dossier connaît son premier examen. Le temps peut s’avérer utile, notamment pour la réunion des preuves et le développement des moyens » : une telle mise en place serait en effet totalement contre-productive, la (triste) expérience a prouvé que le système des délais impératifs n’est pas efficace ; les parties doivent se mettre en état au pas de charge et ensuite les fixations sont à plusieurs mois, voire à plus de deux ans. De tels délais seraient en outre à respecter à l’intérieur du délai de mise en état d’ores et déjà fixé dans ce nouveau système. Là encore quid si l’affaire est plus complexe que prévu lors de « l’audience d’orientation » ? Et on constate une nouvelle fois que la concentration des moyens prévue dès l’acte introductif d’instance n’est pas vivable, puisqu’est envisagé – heureusement – un développement de ceux-ci.

Des propositions qui ne sont pas nouvelles sont évoquées par le rapport, qui ont la faveur des juges, mais pas des avocats : elles ont d’ailleurs déjà été « consacrées » par des protocoles (sur leur valeur, v. supra), à savoir la limitation du nombre d’échanges entre les parties (concentration processuelle, v. le protocole parisien du 11 juillet 2012 ; C. Bléry, Droit et pratique de la procédure civile, préc., n° 300.61) et la fixation d’une longueur maximale des écritures dans le prolongement des « améliorations » (?) apportées à la structuration des écritures par les réformes récentes. Si les avocats ont intérêt à faciliter le travail du juge, ils ne doivent cependant pas être entravés et de telles dispositions apparaissent assez dangereuses, tant elles imposeraient une standardisation inadaptée à la spécificité de chaque contentieux et même de chaque affaire.

À « l’audience de clôture » (notion également inconnue du code aujourd’hui, qui désigne sans doute une dernière audience à l’issue de laquelle l’ordonnance de clôture de l’instruction est rendue), « les parties auront listé leurs points d’accord et de désaccord, dans leurs conclusions récapitulatives. Sauf opposition de la part des parties, le juge pourra décider que la phase orale de la procédure n’est pas nécessaire, auquel cas les parties déposeront leur dossier. Si une phase orale de la procédure est nécessaire ou demandée par l’une des parties, l’heure de l’audience et la durée des plaidoiries seront fixées ». Quelle est l’utilité d’une telle « audience de clôture », puisque la date de la clôture a été fixée dès le début et qu’un renvoi ne semble pas possible ?

Le circuit court est également envisagé, à l’exclusion d’un circuit semi-court (ultime renvoi pour parfaire la mise en état) : si l’affaire est en état dès la date de l’audience d’orientation » ou si le défendeur est défaillant, « l’affaire est immédiatement mise en délibéré ou renvoyée à l’audience de jugement si le juge estime nécessaire l’organisation d’une phase orale ».

2. Repenser le rôle du juge de la mise en état

Là encore n’est envisagé que le juge de la mise en état du tribunal de grande instance tel qu’il existe aujourd’hui et non pas un « magistrat instructeur du TJ » (à créer).

Le rapport reprend la proposition visant à élargir la compétence du juge de la mise en état à l’examen de certaines fins de non-recevoir (évoquée en p. 17), les fins de non-recevoir « impliquant un examen au fond du dossier » étant renvoyées, « par une décision insusceptible de recours, à la formation de jugement », auquel cas « la clôture ne serait pas prononcée et si la fin de non-recevoir est rejetée par la formation collégiale, le dossier serait retourné au juge de la mise en état pour qu’il poursuive l’instruction ». Une nouvelle fois, il est permis de se demander ce que recouvrent ces deux sortes de fin de non-recevoir.

Le rapport évoque l’ordonnance de tri, à savoir un « dispositif s’inspirant de l’article R. 222-1 du code de justice administrative, lequel autorise un juge spécialement désigné à statuer par ordonnance permettant d’écarter une demande, sans instruction, sans audience et non contradictoirement, notamment en cas d’irrecevabilité manifeste ». S’il estime qu’elle « doit être examinée avec prudence », car « il n’est pas évident que l’ordonnance de tri soit adaptée en première instance, dans des contentieux entre personnes privées », il est malheureusement plus enthousiaste pour la procédure d’appel : « on perçoit plus aisément les avantages qui pourraient en être tirés en appel, où le litige est censé se cristalliser sur la critique de la première décision ».

C’est doublement dangereux, le contradictoire est un principe élémentaire de bonne justice qui ne devrait jamais être écarté et l’appel doit rester une voie d’achèvement (v. supra).

3. Le rôle du greffe

Comme d’autres groupes de travail avant lui, le groupe chargé du chantier de la justice propose de confier de nouvelles tâches aux greffiers, afin de « répondre davantage à la fonction d’écoute qui manque aujourd’hui au citoyen » (ce qui est plutôt vague). Il faut y ajouter la fonction déjà évoquée, à savoir que « les greffiers, délégués par le juge, pourraient procéder à des auditions » (p. 23).

Il est ajouté que « sous l’autorité du juge, le greffier pourrait se voir confier tout ou partie de la mise en état en agissant par délégations. Cela pourrait constituer l’un des circuits “courts” de la mise en état lorsque le dossier ne nécessite pas d’examen complexe et sous les orientations des magistrats ». Cette proposition laisse également perplexe, puisque les circuits courts supposent que l’affaire est d’ores et déjà en état ou presque en état…

§ 3. Le cas de la procédure de divorce : supprimer l’audience de conciliation

Le groupe de travail préconise la suppression de l’audience de conciliation, imposée avant l’introduction de l’instance en divorce par l’article 255 du code civil. Nous dirons seulement ici que c’est « la volonté de tendre vers un schéma procédural unique » qui conduit à cette proposition.

Mais, une nouvelle fois, n’est-ce pas raisonner sur un schéma TGI, avec avocat ? Tous les contentieux dont le TJ pourrait connaître seront-ils soumis à la même procédure, en particulier si les plaideurs ne sont pas représentés ? Le découpage en deux phases du procès prud’homal sera-t-il remis en cause ?…

Chapitre II. Favoriser le recours aux modes alternatifs de règlement des différends à tous les stades de la procédure

Section 1. Inciter plus qu’imposer (proposition 21)

S’il ressort des consultations et des auditions effectuées par le groupe de travail que « les modes de règlement amiable des litiges sont aujourd’hui considérés comme une voie de justice de qualité que les acteurs n’excluent plus d’emprunter, non seulement avant la saisine du juge mais également pendant l’instance », le groupe de travail ne préconise pas une obligation préalable de recourir à un MARD. Ce dont il y a lieu de se féliciter, tant une telle obligation est peu efficace devant le conseil de prud’hommes. Les auteurs du rapport veulent aussi éviter que cette étape ne se transforme en une simple formalité. On peut ajouter que le justiciable de mauvaise foi peut profiter d’une telle obligation pour retarder le règlement d’un conflit.

En revanche, le rapport suggère des mesures tendant à favoriser le développement des MARD.

Section 2. Les mesures incitatives

En préalable, il est précisé qu’« il paraît indispensable que la clause de médiation préalable à la saisine d’une juridiction civile se généralise dans les contrats civils et commerciaux ». Or on constate un développement de ces clauses… qui donnent lieu à une jurisprudence assez nourrie, prouvant par là qu’elles n’empêchent pas le contentieux (N. Fricero, Le paradoxe des clauses de règlement amiable, D. 2015. 1201). Il faudrait au moins les encadrer davantage.

Ensuite sont proposées des mesures de nature diverse, procédurale (§ 1), financière (§ 2) et d’organisation et de régulation (§ 3). Pour certaines, il s’agit en réalité d’obliger et non d’inciter.

§ 1. Les incitations et mesures procédurales

Parmi les différentes préconisations, nous signalerons seulement celle consistant « dès lors que les parties sont assistées par un avocat, [à] imposer le recours à la procédure participative pour la mise en état des affaires ». Elle est donc contraire à ce qui a été préconisé dans le précédent chapitre et va au-delà de l’incitation.

Il est aussi préconisé de « favoriser la mise en place de circuits courts au sein des juridictions ». Or cela existe déjà et n’est pas adapté aux affaires complexes. Quelle est donc l’utilité ?

§ 2. Les incitations financières 


v. p. 26. 


§ 3. Les mesures d’organisation et de régulation

Signalons, parmi d’autres, la préconisation d’« élargir l’offre de justice par le développement d’outils numériques de résolution amiable des différends ». Il s’agirait d’un « service public des MARD en ligne » destiné « à répondre de façon adaptée aux litiges de faible importance pour lesquels les parties sont éloignées géographiquement », qui viendrait s’ajouter aux legal tech. Une régulation des dispositifs de résolution de litiges en ligne développés par les professions ou le secteur privé (agrément des plateformes et élaboration de cahiers des charges) à l’instar de la commission d’évaluation et de contrôle de la médiation de consommation est préconisée. Cette proposition figure aussi dans le rapport sur le numérique.

FOCUS
La délégation de la force exécutoire à d’autres que le juge
Constatant que « le résultat des consultations est très contrasté sur cette question », les auteurs du rapport « bottent en touche » et renvoient à plus tard l’examen de cette question.
Pour notre part, il ne nous paraît pas possible que l’avocat lui-même confère cette force : il ne peut être juge et partie et il n’est pas officier ministériel, délégataire de la puissance publique. Il pourrait être envisagé un dépôt au rang des minutes d’un notaire sur le modèle du divorce sans juge. Pourquoi pas en matière de bail, de statuts de sociétés, voire de vente de meubles… L’huissier de justice est l’auteur de deux titres exécutoires, en cas de chèque impayé ou de PRSPC (c. pr. exéc., art. L. 111-3). Ne pourrait-il être sollicité ? On peut aussi penser au greffier – plus spécialement au directeur des services de greffe –, sachant que le « greffier juridictionnel » souhaité par la commission Guinchard ne fait pas partie du droit positif : une modification en ce sens serait peut-être nécessaire…

Deuxième partie. Repenser les droits et devoirs des acteurs du procès

Chapitre I. Pour un principe de représentation obligatoire par avocat (v. proposition 22)

Le groupe de travail estime opportune la généralisation de la représentation par avocat, « parce qu’elle permettra d’accroître les droits du justiciable, de rationaliser le procès et d’améliorer la qualité de la décision ». Ce serait cependant un principe assorti d’exceptions… de telle sorte qu’il ne s’agirait pas vraiment de généralisation, mais d’extension de cette représentation obligatoire.

Section 1. Pour une consécration progressive du principe de représentation obligatoire

Malgré les divergences des avis et les différences de systèmes en Europe constatées par les auteurs du rapport, ils considèrent que « dans un environnement juridique et judiciaire complexe, singulièrement en matière contentieuse, l’accompagnement obligatoire du justiciable par un professionnel du droit est une condition essentielle de l’effectivité de son recours au juge » (p. 29). Avis que partage l’auteur de ces lignes. Cela mettrait fin à cette bizarrerie permettant au conjoint, au parent jusqu’au troisième degré inclus, aux salariés ou employeurs appartenant à la même branche d’activité, etc. (selon la juridiction concernée), de représenter un justiciable. Le rapport ne mentionne jamais le défenseur syndical, dont l’existence devrait pourtant logiquement être remise en cause.

Le rapport poursuit que cet accompagnement « permet en outre au juge civil de se recentrer sur la mission que lui confère l’article 12 du code de procédure civile, à savoir trancher le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables ». Le lien ne paraît cependant pas évident : que le droit ait été bien apporté au juge par un professionnel ou mal apporté par un non professionnel, le juge doit toujours trancher le litige par application de la règle de droit…

Compte tenu des conséquences qui en découlent, notamment en matière de financement, l’extension de la représentation obligatoire serait progressive : elle concernerait rapidement certains contentieux, « notamment en matière de baux ruraux, de loyers commerciaux, d’expropriation, ou encore pour les litiges supérieurs à 5 000 €, comme pour divers contentieux relevant jusque-là du tribunal d’instance tels que les dommages causés aux cultures » et plus tard, d’autres comme les référés, les procédures collectives, « devant le tribunal de commerce comme devant le tribunal de grande instance » (le TJ est donc « passé à la trappe » ?), en matière sociale et prud’homale (compte tenu du fréquent recours à un avocat en cette matière, il semblerait pourtant possible de la faire entrer dans la première vague d’extension et, une nouvelle fois, quid du défenseur syndical ?)…

Section 2. Les tempéraments

§ 1. Les petits litiges et la matière gracieuse

Tant pour le demandeur que le défendeur, le groupe de travail propose d’exclure la représentation obligatoire pour certains contentieux :

  • « pour les actions mobilières et personnelles inférieures à 5 000 €, dits “petits litiges”, et ce en toute matière et devant toutes les juridictions ». L’argument est qu’imposer ici une telle représentation serait « méconnaître nos engagements européens ». Mais en quoi le fait que la représentation ne soit pas obligatoire pour les petits litiges européens (v. l’art. 10 du règlement [CE] n° 861/2007 du Parlement européen et du Conseil du 11 juillet 2007 instituant une procédure européenne de règlement des petits litiges) interdirait-il à la France d’adopter une position inverse ? D’ailleurs le rapport précise lui-même (en note 64) qu’en Italie, la représentation par avocat est obligatoire au-dessus de 1 100 €… Et, compte tenu de ce qui devrait figurer dans l’acte de saisine (v. Partie 1), on peut douter de la pertinence de laisser un plaideur se « débrouiller » seul, même pour des litiges qui ne sont pas si petits que cela…
     
  • « pour la mise en œuvre des procédures d’injonction de payer, qui pourraient au demeurant entrer dans le champ des procédures entièrement numériques et qu’il conviendrait d’étendre à la matière des obligations alimentaires en ce comprises les contributions à l’entretien et l’éducation des enfants » ; la remarque sur l’acte de saisine vaut ici aussi.

« L’extension de la représentation obligatoire ne paraît pas davantage devoir être envisagée en matière gracieuse pour ce qui concerne la protection des majeurs, la tutelle des mineurs et l’assistance éducative ». Le groupe de travail ne justifie ni l’exclusion de la matière gracieuse ni la restriction de celle-ci à trois matières…

§ 2. La situation particulière du défendeur à l’instance

Pour éviter « une augmentation des instances dans lesquelles les défendeurs seront défaillants, faute d’avoir voulu ou pu constituer avocat », le rapport préconise qu’ils puissent, sans avocat, avoir un accès plus ou moins limité au juge : ils pourraient être autorisés « à présenter des observations tendant à la mise en œuvre de délais de paiement ou d’exécution ou, plus largement, tendant à faciliter la mise en œuvre de la décision » ; ou encore « à accepter ou à proposer une procédure de règlement amiable, sur tout ou partie du litige ». Le rapport précise encore que « cet accès limité au juge serait exclusif de la possibilité de formuler des demandes reconventionnelles » : demander, sans avocat, des délais de paiement serait donc exclu…

Le groupe de travail a puisé son inspiration dans le « dispositif prévu par l’article R. 322-17 du code des procédures civiles d’exécution permettant au défendeur non représenté de solliciter la vente amiable de son bien » ; dispositif pourtant critiqué, car on peut le trouver inadapté (v. Rép. pr. civ., Saisie immobilière, par S. Piedelièvre et F. Guerchoun, n° 212 : « les méandres de la procédure de saisie immobilière ne s’estompent pas avec la vente amiable du bien. Un auteur a justement fait observer à ce propos que “la demande d’autorisation amiable n’a rien d’un incident secondaire qu’un profane pourrait aisément mettre en œuvre” »). Il est vrai que ce qui serait permis au défendeur non représenté équivaudrait presque à un acquiescement à la demande, l’enjeu serait donc moindre qu’en matière de saisie immobilière.

Section 3. Les mesures d’accompagnement

Le rapport évoque ensuite la question cruciale du « nerf de la guerre » (il y reviendra dans le chapitre IV de cette partie 2 : « Pour une contribution au financement de la justice civile », avec d’autres propositions) : « la généralisation ou l’extension de la représentation obligatoire par avocat devra bien évidemment être précédée de réflexions et de mesures concernant la prise en charge du coût de l’assistance par un avocat ».

Plusieurs pistes sont évoquées :

  • la poursuite du développement de l’assurance de protection juridique,
     
  • un timbre ou un forfait judiciaire exigé lors de l’introduction d’une instance ou le prélèvement d’un pourcentage des sommes allouées au titre de l’article 700 du code de procédure civile (pourquoi avoir supprimé la taxe de 30 € ?),
     
  • un meilleur accompagnement du justiciable tenu de recourir à un avocat pour saisir un juge et se défendre. À cet égard, a – notamment – été suggérée, au cours des consultations, « l’instauration, au bénéfice de tout particulier, du principe d’une consultation systématique et gratuite préalablement à l’introduction d’une instance », ainsi que pour le défendeur : est-ce à dire que les avocats devront travailler sans rémunération ? Quid si la consultation dissuade le demandeur d’agir ou si, après celle-ci, il choisit un autre avocat ? Il semble difficile de mettre en œuvre un tel système…

Au passage – et bien que dépassant la question de la simplification de la procédure civile –, le groupe de travail s’est interrogé sur le sens du maintien des règles en matière de postulation prévues par l’article 5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 relative à la profession d’avocat, qui imposent à un justiciable d’avoir deux avocats, un plaidant et un postulant : c’est effectivement le sens de l’histoire d’abandonner la territorialité de la postulation. D’ailleurs, la Cour de cassation a rendu un avis sur la question de la postulation devant les cours d’appel en matière prud’homale, à savoir que « les règles de la postulation prévues aux articles 5 et 5-1 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 modifiée ne s’appliquent pas devant les cours d’appel statuant en matière prud’homale, consécutivement à la mise en place de la procédure avec représentation obligatoire » (Cass/; avis, 5 mai 2017, n° 17-70.005, v. Dalloz actualité,10 mai 2017, obs. C. Bléry isset(node/184761) ? node/184761 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>184761).

Chapitre II. Pour un principe de loyauté et de coopération entre parties (v. proposition 23)

Là encore, malgré la divergence des avis, et à la suite du rapport Delmas-Goyon, le groupe de travail considère que « la consécration d’un principe de loyauté et de coopération à la charge des parties à une instance civile s’impose aujourd’hui ». Pourtant, les articles 2 et 3 du code de procédure civile posent déjà un principe de coopération, sans qu’il soit suffisamment respecté : il y a toujours une partie qui a intérêt à ne pas être trop diligente et le juge est parfois trop timide lorsqu’il s’agit de refuser un renvoi, de faire respecter les délais impartis…

Le rapport propose donc un « contenu concret » que pourrait avoir ce principe. Devraient être respectés :

  • « le devoir de participer de bonne foi à l’administration contradictoire de la preuve ». « Dans cette perspective, les parties doivent s’engager dans un recours résolu à l’acte contresigné par avocats, dont le champ d’application pourrait être étendu comme proposé par le rapport Delmas-Goyon » (comp. le NCPC du Québec [NCPCQ] qui prévoit expressément un principe de coopération des parties [art. 20] et qui, pour sa mise en œuvre, instaure des « protocoles de procédure » ; v. supra partie 1 et modèle) ;
     
  • le principe de loyauté au stade de l’administration de la preuve : dès l’expression de leurs prétentions, les parties doivent produire, non seulement l’ensemble des moyens de droit qu’elles invoquent à l’appui de leurs prétentions, mais également l’ensemble des éléments de preuve dont elles disposent ou qu’elles offrent de produire, sans faire de tri dans les éléments de preuve « pour tromper la religion du juge » : n’est-ce pas utopique ? « Et la production tardive d’un élément de preuve devrait également être dûment justifiée par les circonstances de sa découverte ou de sa mise à disposition » : ce qui semble raisonnable ;
     
  • « le devoir de célérité dans la participation à l’instruction de l’affaire ». Le groupe de travail précise que « cette exigence est d’ores et déjà imposée aux parties en matière d’arbitrage par le troisième alinéa de l’article 1464 du code de procédure civile ». Cette obligation, qui ne doit pas être confondue avec l’obligation de rendre la sentence dans le délai imparti, s’impose aussi à l’arbitre : il doit œuvrer pour que l’instance arbitrale ne se prolonge pas au-delà de délais raisonnables. Elle devrait s’imposer au juge de la même manière, d’autant plus si une date de clôture est fixée comme le préconise le rapport (v. supra « Favoriser la mise en état conventionnelle »).

Ces obligations, pesant sur les parties et leurs conseils, seraient sanctionnées :

  • par la mise en œuvre de l’article 32-1 du code de procédure civile, qui autorise le prononcé d’une amende civile ou de dommages et intérêts en cas de comportement dilatoire ou abusif d’un plaideur. Aujourd’hui laissé sans application, ce texte permettrait de sanctionner de façon adaptée les comportements déloyaux : le rapport souligne la convergence des avis sur cette question. Il nous semble que la quérulence (v. NCPCQ, art. 51 s.) pourrait être inscrite au code. Notons que l’idée de prononcer une amende civile « en cas de difficultés, au-delà de l’hypothèse de l’action dilatoire ou abusive » (c’était une des questions posées), n’est même pas évoquée par le rapport : heureusement, car si une « difficulté » qui n’est pas un abus devait se présenter, le plaideur serait frappé d’une « double peine » ! Seul l’abus doit être sanctionné ;
     
  • disciplinairement et sur le terrain de la responsabilité civile des avocats.

Alors que depuis l’arrêt Cesareo (Cass., ass. plén., 7 juill. 2006, n° 04-10.672, D. 2006. 2135 ; JCP 2007. II. 10070), la tendance est de charger toujours plus la barque des parties, le rapport considère heureusement que « les obligations renforcées ainsi mises à la charge des parties et de leurs conseils doivent s’accompagner d’obligations renforcées pour le juge ».

Chapitre III. Pour un renforcement de l’office du juge (v. proposition 24)

Les auteurs commencent par brosser un état des lieux. Ils constatent que le système n’est guère cohérent et peu lisible, en ce qu’il fait parfois obligation au juge d’exercer ses pouvoirs, mais que, d’autres fois, il en a seulement la faculté : notamment, à ce jour, sous réserve de respecter le principe de la contradiction, le juge peut, sans en avoir l’obligation, relever d’office un moyen de droit ».

Ils proposent deux solutions entre lesquelles choisir :

  • « une première solution pourrait consister à consacrer la jurisprudence Dauvin de l’Assemblée plénière de la Cour de cassation (Cass., ass. plén., 21 déc. 2007, n° 06-11.343, Bull. ass. plén., n° 10). Ainsi, le juge aurait la possibilité de relever d’office les moyens de droit applicables au litige et que les parties n’auraient pas soulevés, que le moyen soit ou non d’ordre public. Cette consécration pourrait s’accompagner de l’énumération, dans les textes, des moyens d’ordre public que le juge serait tenu de relever d’office, comme par exemple la règle de conflit désignant la loi étrangère » : autant dire que ce ne serait en rien un renforcement de l’office du juge, mais la consécration d’une jurisprudence qui a marqué une régression en ce domaine, au détriment des parties (sur « les progrès et reculs du droit positif » relatif à l’article 12, v. C. Chainais, F. Ferrand et S. Guinchard, Procédure civile, 33e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2016, nos 562 s. ; v. aussi C. Bléry, J.-Cl. Pr. civ., fasc. 500-35, nos 32 s.).

    On peut espérer que cette solution n’est mentionnée qu’en raison « des fortes réserves, exprimées par les juridictions comme par les organisations syndicales », notamment parce que « son instauration opérerait un transfert de responsabilité des avocats vers les juges, qui ne sont pas en mesure de l’assumer en l’état de leur charge de travail » (argument pour le moins contestable, l’article 12, alinéa 1er, disposant que « le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables » : c’est son office !, v. G. Bolard, L’office du juge en procédure civile : RDA, n° 13-14, févr. 2017, p. 78 s., spéc. n° 4 : « obligeant le juge à appliquer la règle de droit aux faits litigieux, l’art. 12, c. pr. civ. n’est pas le fruit d’un hasard. Il est l’expression d’un principe directeur du procès, d’un principe de “juridiction”, nécessaire à l’administration d’une justice impartiale »). On peut dès lors également espérer que c’est la seconde – conforme à « l’esprit initial de l’article 12 », ainsi que l’admettent les auteurs du rapport – qui sera retenue ;
     

  • « une solution plus ambitieuse, fondée sur la conviction que le juge ne peut pas rester extérieur au droit dès lors que celui-ci se déduit des faits expressément invoqués par les plaideurs, consisterait à revenir à l’esprit initial de l’article 12 du code de procédure civile pour faire obligation au juge, sauf disposition contraire, de relever le moyen de droit, que ce moyen soit d’ordre public ou non, et ce sans s’arrêter à la distinction entre moyen de droit et moyen de pur droit. Dans cette hypothèse, le juge n’aurait pas l’obligation de relever les moyens mélangés de fait et de droit ni de changer le fondement des prétentions, dès lors que les parties n’ont pas spécialement attiré son attention sur un fait ».

    Si la jurisprudence a été erratique (v. C. Chainais, F. Ferrand et S. Guinchard, préc. ; J. Héron et T. Le Bars, Droit judiciaire privé, 6e éd., Lextenso, coll. « Précis Domat », 2015, n° 286) un arrêt remarquable d’équilibre, généralement salué par la doctrine, est à signaler (même si on peut préférer un rôle plus actif du juge) : il avait posé que si le moyen était de pur droit, le juge avait l’obligation de le soulever d’office (de requalifier), tous les faits ayant été spécialement invoqués ; à l’inverse, si le moyen était mélangé de fait et de droit, il n’avait seulement qu’une faculté à son égard, une recherche de fait s’imposant au juge parmi tous les faits dans le débat (Civ. 2e, 14 févr. 1985, n° 83-12.062, JCP 1988. II. 21030, note J. Héron). C’est la consécration de cette jurisprudence qui est donc proposée. Avec l’abandon corrélatif de la jurisprudence Dauvin, ce serait réellement un renforcement et une clarification de l’office du juge (en faveur de cette jurisprudence, C. Chainais, F. Ferrand et S. Guinchard, préc., n° 578 ; J. Héron et T. Le Bars, préc., n° 285).

Notons que le rapport précise que des droits étrangers « font obligation au juge de relever les moyens de droit ou d’appliquer d’office la règle de droit commandée par les faits de la cause (Allemagne, Belgique, Royaume-Uni) » et qu’ils ne sont pas affectés par un contentieux portant sur les éventuelles méconnaissances de cette obligation par le juge (autre crainte exprimée par les détracteurs de l’office proposé du juge – ou plutôt de l’office retrouvé)…

Chapitre IV. Pour une contribution au financement de la justice civile (v. proposition 25)

« Le groupe de travail considère que le rétablissement d’une justice civile de qualité en première instance doit s’accompagner d’une réflexion sur son financement » (v. déjà supra chapitre II : les propositions d’accompagnement de l’extension de la représentation obligatoire par avocat). Là encore, plusieurs pistes, suggérées lors des consultations, sont exposées :

  • « faire du coût prévisible du procès une indication que le demandeur doit faire figurer dans son assignation », car cela « permettrait de responsabiliser les parties, lors de l’introduction des demandes et à l’occasion de la recherche des preuves » : si l’on excepte les quérulents, s’engage-t-on dans un procès par plaisir et inconsidérément ? Qui évaluera ce coût « prévisible » ? ;
     
  • « une modification des dispositions des articles 699 et 700 du code de procédure civile permettrait d’affirmer le principe que, sauf circonstances particulières que le juge devrait motiver, la partie perdante paierait l’intégralité des frais d’avocats de son adversaire ». Ce qui reviendrait à faire des frais d’avocats des dépens et non plus des frais irrépétibles, catégorie dans laquelle entre aujourd’hui la rémunération non réglementée des avocats. « À cet effet, la production de la convention d’honoraires de l’avocat, dont l’établissement est désormais obligatoire, devrait devenir impérative » ;
     
  • « la prise en compte par les acteurs de la dimension financière du procès conduit quant à elle à revenir sur le principe selon lequel l’allocation d’une indemnité au titre des frais non compris dans les dépens n’a pas à être motivée par le juge ». Il est en effet de jurisprudence constante depuis 2002 que l’application de l’article 700 relève du pouvoir discrétionnaire des juges (v. C. Bléry, J.-Cl. Pr. civ., fasc. 500-30, n° 93 ; Civ. 2e, 10 oct. 2002, n° 00-13832, D. 2002. 2916 ; J. Héron et T. Le Bars, préc., n° 558, spéc. note 328). Pour autant, la Cour de cassation refuse déjà que les juges du fond condamnent le gagnant en invoquant la seule disparité de ressources entre les parties : une motivation solide du recours à l’équité est indispensable. Ils évaluent alors souverainement le montant des frais (v. Soc. 22 mars 1983, n° 81-40513 ; S. Guinchard, C. Chainais et F. Ferrand, préc., n° 258).

Le rapport suggère de s’inspirer du droit allemand « en ce qu’il prévoit une contribution des parties aux frais de justice en proportion inverse du succès de leurs prétentions », l’évaluation étant effectuée selon un système complexe (v. p. 33). Les auteurs du rapport closent ce chapitre en disant que « la justice allemande consacre néanmoins des moyens spécifiques, notamment humains, au traitement de ces questions ». Or le tableau de bord 2017 de la justice révèle que la France est mauvais élève en termes de budget octroyé à la justice et en effectifs…

Troisième partie. Assurer la qualité et l’efficacité de la décision rendue

Le groupe de travail pose en préambule qu’il ne veut pas réfléchir à une réforme de la première instance seulement dans une approche « gestionnaire » ou en prenant en compte la relation du justiciable avec son juge. Il veut donc porter attention à la décision elle-même, ce qui suppose un ensemble de mesures incitant à renforcer sa qualité. Pour éviter que la première instance soit « considérée comme une simple étape » (sur l’absence de fondement de cette considération, V. Partie 1, Section 2), plusieurs pistes sont suggérées. Certaines sont intéressante, d’autres inquiétantes. Il est aussi permis de se demander si l’on a les moyens de les mettre en œuvre.

Chapitre Ier. Faire évoluer la culture d’élaboration de la décision

Section 1. Restaurer la collégialité (proposition 26)

Au rebours des évolutions récentes (V. S. Guinchard, A. Varinard et T. Debard, Institutions juridictionnelles, 14e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2017, p.175), le rapport préconise de revenir, en première instance, à la collégialité, dont il vante les avantages : « la décision se délibère, comme le droit lui-même ». Selon les auteurs, la collégialité permet des échanges qui enrichissent de la décision et garantissent sa qualité ; elle assure la transmission à des magistrats moins expérimentés des connaissances acquises par leurs collègues plus spécialisés ; elle est également de nature à réduire la déperdition de connaissances liée à la forte mobilité géographique des magistrats, et à accroître corrélativement leurs compétences juridiques (Adde, La spécialisation des juges, dir. C. Ginestet, LGDJ IFR, Actes de colloques n° 14, 2012).

Le rapport estime que la collégialité « doit être également promue par l’échevinage, qui assure un éclairage technique au magistrat professionnel présidant ces formations. Une réflexion devrait à ce titre être engagée sur l’harmonisation de la composition des juridictions échevinales existantes (tribunal paritaire des baux ruraux, à terme chambre échevinée du TGI connaissant des matières actuellement traitées par le tribunal du contentieux de l’incapacité et celui des a aires de sécurité sociale, conseil de prud’hommes dans sa formation de départage, etc.). Toutes ces juridictions pourraient être, à l’avenir, composées d’un magistrat professionnel et de deux assesseurs ». Il serait plus logique de parler de chambres échevinées du futur TJ. L’idée de l’échevinage est en tout cas intéressante, à condition que les assesseurs soient vraiment présents. Or on sait que, aujourd’hui, il est prévu des dispositions pour que le TPBR (C. rur., art. L. 492-6) ou le TASS (CSS, art. L. 142-4), puisse fonctionner avec le seul président, par suite de l’absence d’assesseurs régulièrement convoqués ou de leur récusation (adde S. Guinchard, A. Varinard et T. Debard, op. cit. nos 555 et 562) ; on connaît aussi l’hostilité des juges consulaires à l’échevinage (sauf à ce que le TAE qui pourrait subsister à côté du TJ – V. Partie 1, Section 2 – ne soit pas écheviné)…

Le rapport réserve « les contentieux de proximité » et « les fonctions de cabinet (tutelles des majeurs et des mineurs, assistance éducative, affaires familiales) » : leur traitement par un juge unique devrait y être « de règle ». Bien que non évoquée par le rapport, il semble que la mise en état judiciaire devrait aussi être effectuée par un juge unique – le « magistrat instructeur du TJ », éventuel successeur du juge de la mise en état.

Rappelons aussi que « les avantages du juge unique ne sont pas négligeables et si l’on élimine “la loi du rendement” […], il reste l’idée qu’au moins en matière non répressive, un juge unique est un juge responsable », la responsabilité étant gage de qualité (S. Guinchard, A. Varinard et T. Debard, op. cit. n° 174) ; comme l’écrivent les auteurs du Précis, « il faut revoir le mode de recrutement, car le juge unique ne pourra pas bénéficier d’un complément de formation “sur le tas”, au contact de ses collègues plus âgés »…

Section 2. Pour des formations de jugement expérimentées

… ou comme le préconise le rapport, il faut « augmenter le nombre de magistrats expérimentés dans les juridictions de première instance. Leur spécialisation pourra également être ainsi favorisée. Le retour en première instance doit être encouragé ».
« La fidélisation des magistrats dans leurs postes serait également de nature à assurer leur plus grande spécialisation ».
Sans doute, mais comment fidéliser les juges ? Il faut aussi simplement augmenter leur nombre… et corrélativement le budget de la Justice.

Chapitre II. Favoriser l’unité de décisions (propositions 27 et 28)

Après avoir rappelé qu’en France le principe est celui de l’indépendance des magistrats, que les arrêts de règlement sont prohibés, et que la magistrature est attachée à cette situation, le rapport estime qu’« il n’est pas douteux qu’elle appelle des évolutions » : il prône donc, sans remettre en cause l’indépendance de chaque magistrat, « l’unité de décision, entendue comme l’expression d’une homogénéité dans l’application d’une même règle de droit par les tribunaux » ; il considère en outre que, « de plus en plus, les outils numériques viennent rendre inacceptable la dis- semblance de jugement, au-delà même d’ailleurs des seules questions de droit. Aussi faut-il admettre qu’une forme de discipline raisonnable du juge dans la prise en compte de la jurisprudence s’impose ».
Il s’agit plus ou moins d’instaurer la règle du « précédent », d’ailleurs évoquée en note 84 (en ce sens aussi, S. Amrani-Mekki, Les chantiers de la justice Numérique. Procédure civile et Réseau des juridictions : le rationnel est-il toujours raisonnable ?, Gaz. Pal. 6 févr. 2018, p. 67 s., spéc. n° 17) . Avec la proportionnalité imposée par la Cour de cassation (v. not., F. Chénedé, Contre-révolution tranquille à la Cour de cassation ?, D. 2016. 796  ; Nullité du mariage entre alliés. Regard rétro-prospectif sur le contrôle de conventionalité in concreto, D. 2017. 953 ; P.-Y. Gautier, Contrôle de proportionnalité subjectif, profitant aux situations illicites : « l’anti-Daguesseau », JCP 2016. 189 ; P. Puig, L’excès de proportionnalité, (à propos de la réforme de la Cour de cassation et quelques décisions récentes) : RTD civ. 2016. 70 ), c’est une remise en cause de notre système de droit écrit au profit de l’esprit de la common law, sans qu’on y voit un progrès.

Le rapport préconise une harmonisation formelle, qui tient à la présentation comme à la rédaction des décisions, qui seule permettra l’anonymisation des décisions de justice. S’il prend soin d’affirmer que c’est « sans affecter la nécessaire liberté du juge pour le cœur de la motivation », il est permis de s’inquiéter du contraire et c’est ce qui a conduit des magistrats, qui, pour cette raison, se sont déclarés hostiles à des modèles-types de motivation (V. Partie 1, Section 1) : ces outils ont été vus comme risquant « d’appauvrir sensiblement la richesse des décisions de justice » ? (V., L. Cadiet, J. Normand et S. Amrani-Mekki, Théorie générale du procès, 2e éd., PUF, coll. « Thémis », 2013, n° 200).

Selon le rapport, « le développement de tels outils permettra de maximiser le bénéfice qui peut être attendu des assistants du magistrat, qu’ils soient greffiers, juristes assistants ou assistants de justice »… au point de se substituer au juge ?

Section 1. Renforcer le lien de la première instance avec la Cour de cassation

§ 1er. Pour une utilisation accrue de la saisine pour avis

L’idée d’exploiter davantage la procédure d’avis est intéressante. Le rapport rappelle que cette procédure « permet à une juridiction du fond de saisir pour avis la Cour de cassation afin de connaître la solution qu’elle apporte à une question de droit à condition qu’elle soit nouvelle, sérieuse, et se pose dans de nombreux litiges », qu’elle a l’avantage de permettre « de connaître dans un délai très court (3 mois) la position de la Cour de cassation » ; il rappelle aussi qu’elle a fait l’objet d’une récente réforme qui devrait inciter à y recourir. En effet, la loi « JXXI » n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 a posé en principe que c’est désormais « la chambre compétente de la Cour de cassation [qui] se prononce sur la demande d’avis » (COJ, art. L. 441-2, al. 1er), en lieu et place de la formation pour avis. Si cette demande « relève normalement des attributions de plusieurs chambres, elle est portée devant une formation mixte pour avis » (al. 2) et si elle « pose une question de principe, elle est portée devant la formation plénière pour avis » (al. 3), étant précisé que « la formation mixte et la formation plénière pour avis sont présidées par le premier président ou, en cas d’empêchement, par le doyen des présidents de chambre ». Le décret n° 2017-396 du 24 mars 2017 (sur lequel, F. Ferrand, Le décret du 24 mars 2017 portant diverses dispositions relatives à la Cour de cassation, JCP 2017. 400 ; Dalloz actualité, 31 mars 2017, obs. L. Poulet isset(node/184182) ? node/184182 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>184182) a précisé la composition de ces deux formations (V. COJ, art. R. 441-2, al. 1er et 2).

Le rapport suggère des mesures à prendre à effet de développer le recours à la saisine pour avis : faire bénéficier tout nouveau magistrat d’une formation lui permettant de bien connaître la procédure et d’en maîtriser les conditions de mise en œuvre, permettre au parquet général de la Cour de saisir la Cour de cassation de demandes d’avis dans l’intérêt de la loi, assurer l’accompagnement – par la Cour de cassation – des juridictions du fond dans la demande d’avis. Le groupe de travail ajoute que « tous les avis rendus par la Cour devraient bénéficier de la plus large diffusion, sans se limiter aux modes classiques de diffusion de la jurisprudence (sites internet et intranet de la Cour de cassation, Légifrance, revues) mais par un usage accru des réseaux sociaux. Leur envoi immédiat, par courriel, aux magistrats permettrait enfin d’assurer leur plus large diffusion dans les juridictions du fond ». Serait-ce à dire que les juges passent plus de temps sur Twitter (notamment), où les comptes des juridictions ont un certain succès, que sur Légifrance ?!
En outre, la loi JXXI n’a pas remis en cause la règle selon laquelle les avis ne lient aucune juridiction, prohibition des arrêts de règlement oblige : les juges peuvent tout à fait demander son avis à la Cour de cassation et ne pas en tenir compte. Ne faudrait-il pas réfléchir à donner une plus grande autorité aux avis, sur le modèle des questions préjudicielles ? (Adde S. Guinchard, A. Varinard et T. Debard, op. cit., nos 729 et 748 ; J. Héron et T. Le Bars, Droit judiciaire privé, 6e éd., Lextenso, coll. « Précis Domat », 2015, n° 1004 ; B. Beignier, C. Bléry et A.-L. Thomat-Raynaud, Introduction au droit, 5e éd., Lextenso, coll. « LMD Cours », 2016, nos 403, par C. Bléry).

§ 2. Pour un renforcement du support apporté par le service de documentation, des études et du rapport de la Cour de cassation

Le service de documentation, des études et du rapport de la Cour de cassation (SDER) est régi par les articles R. 433-1 à R. 433-4 du code de l’organisation judiciaire. Le groupe de travail rappelle qu’il « a notamment pour mission d’effectuer les recherches nécessaires aux travaux de la Cour » ; il ajoute que « ses attributions lui confèrent une connaissance de la jurisprudence de la Cour de cassation, de nature à lui permettre d’être un “lieu ressource” pour les juridictions du fond » et qu’ « il convient d’exploiter ce potentiel ».

De manière assez frustrante, le rapport « délègue » au SDER lui-même la compétence pour proposer des mesures permettant de renforcer sa relation avec les juridictions du fond.

Section 2. Le traitement des dossiers sériels (proposition 29)

C’est encore une fois du côté de la juridiction administrative que les auteurs du rapport se tourne afin de trouver une solution de traitement des dossiers en série, qui manque à ce jour devant les juridictions judiciaires. Sont des litiges sériels, par exemple, les litiges individuels découlant d’un plan de sauvegarde de l’emploi dans une entreprise comportant plusieurs établissements ; le contentieux, pourtant à l’adresse d’une seule et même entreprise, peut être éclaté sur l’ensemble du territoire en fonction de ses lieux d’implantation. Il peut donc y avoir divergences et la procédure est longue. L’idée de vouloir rationaliser les choses semble donc bonne.

Les membres du groupe de travail reprennent aussi des pistes déjà suggérées par le rapport de la mission d’étude sur la prise en charge des dossiers en séries de l’inspection générale des services judiciaires (V. « Sécurité juridique et initiative économique », Rapport du Club des juristes, Mare & Martin, 2015, p. 169) et qui paraissent pertinentes :

  • « mise en place d’un dispositif de détection des dossiers sériels commun à toutes les juridictions civiles, qui pourrait être coordonné par la Cour de cassation ;
  • détermination, par voie d’administration judiciaire, selon les caractéristiques de la série, d’un ou plusieurs dossiers-pilotes qui, dès lors, suivrait un circuit ad hoc de résolution rapide ;
  • après information des parties concernées, mise en attente des autres dossiers qui, selon le cas, feront l’objet d’un sursis à statuer, d’un retrait du rôle ou d’une mesure de radiation ;
  • communication aux parties concernées par les dossiers en attente de la décision définitive rendue dans les dossiers-pilotes, de sorte que les prétentions et moyens s’y adaptent ;
  • renvoi des parties concernées à une médiation ou conciliation pour la détermination du montant de la réparation (procédure inspirée de l’action de groupe) ». 


Le rapport ajoute que « le premier président de la Cour de cassation devrait également pouvoir ordonner le regroupement de contentieux sériels devant une même juridiction » : cela entrainerait cependant une prorogation de compétence au détriment de certains plaideurs qui seraient éloignés de leur juge naturel.

Pour finir, les auteurs renvoient à une réflexion qui devrait avoir lieu « sous l’égide de la Cour de cassation » pour « l’élaboration d’une procédure ad hoc de traitement des litiges sériels ».

Chapitre III. Assurer l’exécution de la décision

« La qualité du service rendu au justiciable impose à la justice civile d’intégrer la dimension de l’exécution dans les décisions qu’elle rend ». On sait, à cet égard, que la CEDH intègre l’exécution dans le procès équitable au sens de l’article 6, § 1er de la Conv. EDH (CEDH 19 mars 1997, Hornsby c/ Grèce). Le rapport revient une nouvelle fois sur l’idée fausse que la première instance serait un tour de piste : « l’absence d’exécution provisoire de droit renforce en effet l’idée que la décision de première instance souffre d’une précarité congénitale » et en tire argument pour inverser le principe actuel du double degré de juridiction.

Section 1. L’exécution provisoire de droit (proposition 30)

Malgré les divergences constatées – que ce soit chez les universitaires ou dans les juridictions –, le rapport préconise très nettement la généralisation de l’exécution provisoire de droit de la décision civile de première instance et un renversement du principe et de l’exception.

Statistiques à l’appui, les rapporteurs estiment qu’en pratique, le changement ne serait pas si important, eu égard au nombre important de décisions qui bénéficient déjà de l’exécution provisoire de droit, à la faiblesse corrélative du contentieux de l’exécution provisoire devant le premier président de la cour d’appel et aux outils permettant d’assurer les éventuelles restitutions en cas d’infirmation de la décision par le juge d’appel. Ce dernier argument ne convainc guère, alors que les juges n’utilisent que très peu les aménagements de l’exécution provisoire prévus aux article 517 à 522 du code de procédure civile (J. Héron et T. Le Bars, op. cit., n° 536) ; cette insuffisance est telle que « si l’exécution provisoire de droit était généralisée, le législateur devrait aussi prévoir l’obligation pour le juge d’assortir sa décision d’aménagements qui confèrent des garanties sérieuses à chacune des parties au litige » (ibid.). En revanche, il est indéniable que l’exécution provisoire s’est banalisée, que ce soit par l’augmentation des cas d’exécution provisoire de droit ou par celle des cas où l’exécution provisoire facultative est ordonnée (op. cit., n° 528)… au risque de multiplier les situations irréversibles lorsque le jugement n’est pas de qualité.

Même si l’auteur de ces lignes est attachée au principe du double degré de juridiction et à l’effet suspensif de l’appel, elle ne se fait guère d’illusion sur la consécration de la préconisation du rapport. Après plusieurs tentatives (loc. cit.), celle-ci sera sûrement la bonne : « sauf pour les affaires dont la nature est incompatible avec l’exécution provisoire, les décisions civiles de première instance doivent être exécutoires de plein droit, sauf au juge à l’écarter expressément pour tout ou partie de la condamnation ». Le régime de l’exécution provisoire, peu satisfaisant actuellement, serait en revanche amélioré, avec « l’aménagement des règles relatives aux recours tendant à faire arrêter l’exécution provisoire. Leur examen devrait être confié au conseiller de la mise en état ou, dans les procédures à bref délai, au premier président, qui connaîtraient ainsi du contentieux de l’exécution provisoire, des demandes de radiation faute d’exécution et de la mise en place des calendriers de procédure ». Est annoncée « une refonte des critères de la suspension de l’exécution provisoire, en faisant des critères cumulatifs actuellement prévus au dernier alinéa de l’article 524 du code de procédure civile des critères alternatifs, voire en y ajoutant un critère tenant à l’existence de motifs sérieux de réformation de la décision ». Il nous semble que ce dernier critère est le seul qui devrait être gardé, ou plutôt, créé – ceux de « violation manifeste du principe du contradictoire ou de l’article 12 et lorsque l’exécution risque d’entraîner des conséquences manifestement excessives » (art. 524, al. 4) n’étant pas satisfaisants, ni cumulativement, ni distributivement (J. Héron et T. Le Bars, op. cit., n° 541 : « le simple bon sens conduit à prendre en considération les chances de réformation ou de confirmation de la décision frappée d’appel » ; dans le premier cas, l’exécution provisoire serait maintenue, pas dans le second). Donner compétence exclusive au conseiller de la mise en état en matière d’exécution provisoire est une incontestable amélioration, évitant d’éventuelles erreurs d’aiguillage.

Section 2. L’exécution en matière familiale

Nous indiquerons simplement ici que les auteurs du rapport estiment qu’ « il apparaît utile, pour la bonne application des décisions prises par le juge aux affaires familiales et par le juge des enfants, de doter le ministère public de prérogatives équivalentes à celles qui résultent du droit international » (art. 34-1de la loi n° 95-125 du 8 févr. 1995) étant précisé que « le recours à la force publique comme outil d’exécution d’une décision de justice n’est à envisager qu’en ultime ressort » et « dans certaines situations seulement. Les parquets pourraient à ce titre refuser d’ordonner le concours de la force publique lorsque les parents n’auront pas tenté une médiation au stade de l’exécution ».

Section 3. Le bureau de l’exécution en matière civile

« La mise en place d’un bureau d’exécution civile a été proposée, pendant de celui mis en place en matière pénale ».

Le rapport précise que, en matière civile, le bureau de l’exécution pourrait expliquer la décision, procéder avec les parties à une première évaluation de la mise en œuvre pratique des modalités d’exercice de l’autorité parentale fixées par la décision au regard du calendrier des uns et des autres et à la détermination des modalités de paiement de la pension alimentaire fixée, et orienter les justiciables vers les agents d’exécution. Il s’agirait donc plutôt d’un bureau d’exécution en matière familiale…

Chapitre IV. Mieux évaluer la qualité de la justice civile

Selon le groupe de travail, il convient « d’envisager de mener de véritables enquêtes de satisfaction à l’égard des justiciables (au sein des greffes, des Centres d’accès au droit, des Points d’accès au droit, des Maisons de justice et du droit) en s’appuyant sur les outils modernes de mesure de la qualité. Ces enquêtes de satisfaction pourraient s’effectuer en ligne ».

Dans le questionnaire à destination des universitaires et praticiens, il était demandé : « seriez-vous favorable à une évaluation par les habitants d’un ressort de la qualité de la justice ? ». Le rapport ne précise pas le sens des réponses. Il nous semble que de telles enquêtes transformeraient le justiciable en consommateur et le juge en commerçant, le consommateur évaluant le commerçant chez qui il vient de faire un achat ? V., tout aussi défavorable, S. Guinchard, Prolégomènes pour réformer la justice civile, D. 2018. 2488 , qui estime notamment que « la mesure serait la voie ouverte au populisme, aux dénonciations des juges dans des affaires où il y a toujours un mécontent (le perdant), nonobstant la qualité de la procédure et du jugement rendu »…

Le rapport sur la procédure civile n’est pas toujours cohérent, il manque peut-être d’une idée directrice (notamment, on alterne entre l’idée d’une procédure unifiée au sein d’un TJ – sur le modèle du TGI – et celle de la conservation des juridictions actuelles). La rapidité avec laquelle le groupe de travail a dû analyser les avis reçus et faire des propositions est sans doute responsable en partie de cette impression. Il est cependant riche de propositions et de réflexions, dont certaines sont appréciables.

Reste à voir comment ce rapport, à compléter avec celui sur le numérique et le réseau des juridictions, sera techniquement mis en œuvre (ou pas) par les décrets (en ce sens aussi, v. S. Amrani-Mekki, Les chantiers de la justice Numérique. Procédure civile et Réseau des juridictions… préc., n° 4). Reste aussi à espérer que la logique purement économique ne l’emportera pas, privant les justiciables français d’un véritable accès au juge…