Chapitre Ier. Simplifier la procédure devant la juridiction de première instance
L’amélioration et la simplification de la procédure civile étaient l’objet du troisième chantier, piloté par Mme Frédérique Agostini, présidente du tribunal de grande instance de Melun et M. le professeur Nicolas Molfessis et composé de trois membres (seulement) (v. déjà Dalloz actualité, Le droit en débats, 17 oct. 2017 ; ibid., 15 nov. 2017, par C. Bléry)
Les rédacteurs partent du constat que la procédure civile a fait l’objet de nombreux rapports et de tout aussi nombreuses réformes, qu’elle a besoin de stabilité et que, pourtant, elle doit être simplifiée, modernisée, allégée. « Aussi faut-il réformer », écrivent-ils, et ce de manière « ambitieuse », mais « réaliste », ce qui induit la nécessité d’une réforme globale et celle de « doter [la justice] du matériel adapté », « l’ensemble repos[sant] sur des équilibres sensibles qui exigent de la prudence pour maîtriser l’audace » (p. 8-9 ; comp. S. Guinchard, Prolégomènes pour réformer la procédure civile, D. 2017. 2488). Un tel préambule est plutôt rassurant.
De fait, certaines des propositions du groupe de travail (p. 10-11) confirment cette annonce. En effet, comme d’autres auparavant, en particulier le rapport Guinchard (L’ambition raisonnée d’une justice apaisée, Doc. fr., 2008) ou le rapport Delmas-Goyon (Le juge du 21e siècle, Doc. fr., 2013 ; sur lequel, v. S. Amrani-Mekki et L. Raschel [dir.], Gaz. Pal. 9-11 mars 2014), le rapport présente des propositions, à savoir « 30 propositions pour une justice civile de première instance modernisée », classées en huit thèmes. Il est dommage que le plan du rapport lui-même ne colle pas à ces thèmes, plus lisibles que le corps du rapport ; d’autant que le curieux choix d’avoir séparé la procédure civile du numérique, d’une part, et de l’organisation judiciaire, d’autre part, donne une impression de désordre. Le rapport « procédure civile » n’est d’ailleurs pas totalement cohérent : s’il est question d’une procédure unifiée, c’est souvent la procédure applicable devant l’actuel tribunal de grande instance qui sert de point de départ aux propositions, sans prise en compte – notamment – des affaires où le justiciable ne serait pas assisté d’un avocat.
Sans surprise, le questionnaire adressé aux acteurs de terrain inspire ces propositions, même si l’ordre des thématiques n’est pas le même. Les réponses semblent avoir été lues et prises en compte, puisqu’il y est parfois fait référence en note. Pour autant, on n’a aucune idée du nombre de questionnaires qui ont été effectivement remplis et, sauf exception, de leurs auteurs. On peut aussi s’étonner qu’un rapport aussi riche en propositions ait été rédigé en si peu de temps par un groupe de travail si restreint.
En tout cas, si le décret concrétise les préconisations, la réforme ira au-delà d’un simple ravalement et apportera des innovations bienvenues (mais c’était aussi l’ambition des rapports ayant précédé la loi J21). En revanche, certaines propositions suscitent des craintes ou des regrets. Il est vrai qu’il est impossible d’arriver à un consensus total…
Le rapport est divisé en trois parties : refonder l’architecture de première instance (I), repenser les droits et devoirs des acteurs du procès (II) et assurer la qualité et l’effectivité de la décision de justice (III).
Section 1. Exploiter les ressources du numérique (propositions 1 à 7)
Le rapport commence par renvoyer aux conclusions du chantier « transformation numérique » pour ce qui est des choix techniques. Au moins, il semble que le besoin d’y consacrer des moyens financiers importants ait été compris par le groupe de travail chargé de ce chantier (v. Dalloz actualité, 17 janv. 2018, art. T. Coustet isset(node/188661) ? node/188661 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>188661). Le rapport prend ensuite position sur « la nécessaire transformation numérique de la justice », qui impliquera « un changement de perspective », c’est-à-dire l’abandon de la démarche d’équivalence : autrement dit, il s’agit de passer de la « CPVE 1.0 » à la « CPVE 2.0 » ou cyberprocédure civile (v. sur ce thème C. Bléry et J.-P. Teboul, De la communication par voie électronique au code de cyber procédure civile, JCP 2017. 665).
La refonte des arrêtés techniques en un texte unique est également heureusement préconisée, ainsi qu’une interconnexion de la justice avec les autres services de l’État. Le tribunal plateforme – ou tribunal 2.0 (v. art. préc.) est donc pour bientôt, puisque « l’état actuel des technologies de la communication et de l’information » permet d’envisager une telle orientation (p. 12 ; ce qui est peut-être « un peu » optimiste) : la procédure serait alors dématérialisée, de la saisine du tribunal plateforme à la signature du jugement – une plateforme d’accès aux titres exécutoires « pour en faciliter la mise à exécution » (p. 13) devrait compléter le système.
En outre, divers outils viendraient apporter une aide aux juges : outils de pilotage des affaires civiles, blocs de motivation, trames, barèmes, outils d’intelligence artificielle pour constituer une mémoire de la juridiction, etc. Ces outils ne risquent-ils pas « d’appauvrir sensiblement la richesse des décisions de justice » (v. L. Cadiet, J. Normand et S. Amrani-Mekki, Théorie générale du procès, 2e éd., PUF 2013, coll. « Thémis », n° 200 : les auteurs évoquent des magistrats qui, pour cette raison, se sont déclarés hostiles à des modèles types de motivation) ?
« Dans cette perspective, le groupe de travail recommande la désignation d’un délégué à la digitalisation de la justice, qui puisse coordonner la mise en place de cette politique publique, croisant les approches technologiques et juridiques » (p. 13). Vaste tâche pour ce délégué à la numérisation (la proposition 5 préfère heureusement ce terme français) : il faut espérer qu’il sera processualiste…
L’accès à la justice numérique pourrait être rapidement rendu obligatoire pour les auxiliaires de justice, les personnes morales de droit public, voire de droit privé. Cela va dans le sens de l’histoire : le recours au réseau privé virtuel des avocats (RPVA) est déjà obligatoire devant les cours d’appel lorsque la représentation est obligatoire et le sera devant les tribunaux de grande instance à compter du 1er septembre 2019. Il est précisé en note 20 que « la mise en place d’une identité numérique paraît plus simple pour les personnes morales. Peuvent leur être associée une adresse électronique dont la mention au registre du commerce et des sociétés (RCS) emporterait consentement de la personne morale concernée à y recevoir tous les avis, notifications, convocations préparatoires ou afférents à une instance civile ».
Or l’arrêté du 9 février 2016 « Securigreffe » (v. C. Bléry et J.-P. Teboul, « Une nouvelle ère pour la communication par voie électronique », in 40 ans après… Une nouvelle ère pour la procédure civile ?, Dalloz, coll. « Thèmes et commentaires », 2016, p. 31 s., n° 25 ; C. Bléry, Securigreffe : l’identité numérique judiciaire opposable est née, JCP 2016. 256) permet déjà d’avoir une identité numérique. Il met en œuvre un système de communication par voie électronique entre les greffes des tribunaux de commerce et l’ensemble de leurs partenaires procéduraux… à l’exclusion des avocats (qui ont le RPVA) : ce sont des professionnels (huissiers de justice, administrateurs judiciaires et mandataires judiciaires, ministère public, commissaires-priseurs judiciaires, administration fiscale, URSAFF,…) ou des justiciables, qu’ils soient non représentés ou représentés par un mandataire autre qu’un avocat.
Or l’article 8 de l’arrêté précise que « la première identification au système "Securigreffe" par les parties à la communication électronique emporte consentement de leur part à l’utilisation de la voie électronique » : c’est donc la naissance d’une personnalité juridique numérique spéciale, celle de « justiciable du tribunal de commerce », dont la présence en ligne devient opposable. Pour l’instant cette identité numérique n’est accordée qu’aux professionnels, mais elle le sera bientôt aux autres partenaires procéduraux. Il s’agira de généraliser l’architecture juridique qui existe d’ores et déjà devant le tribunal de commerce.
Le rapport évoque aussi le nécessaire accompagnement du justiciable, qui semble avoir été un souci commun des personnes consultées. Le service d’accueil unique du justiciable (sur le SAUJ, v. L. Raschel, Loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 : quelle modernisation du service de la justice ?, Gaz. Pal. 31 janv. 2017, p. 68 ; Les aspects d’organisation juridictionnelle dans les décrets sur la justice du 21e siècle, Gaz. Pal. 25 juill. 2017, p. 68), qui nous semblait permettre d’assurer à tous un accès à ce tribunal plateforme v. (Dalloz actualité,15 nov. 2017, art. T. Coustet isset(node/187595) ? node/187595 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>187595), est effectivement mentionné, de même que le conseil départemental d’accès au droit (CDAD)…
Le recours à la visioconférence est aussi préconisé, bien que déclaré prématuré en raison de la technique.
Le thème du numérique s’achève sur une préconisation, elle-même reprise du rapport de l’Institut Montaigne (Justice : faites entrer le numérique, 2017), qui est très intéressante et devrait pouvoir être mise en œuvre sans trop de difficulté, à savoir celle d’une juridiction nationale de traitement dématérialisé des injonctions de payer s’inspirant des procédures européennes. Le rapport précise qu’« il conviendrait de prévoir une attestation ou une déclaration sur l’honneur que la créance dont le recouvrement est recherché n’a encore jamais fait l’objet d’une décision ». Cela aurait le mérite d’avertir le créancier qu’il ne doit pas utiliser la procédure si elle a précédemment échoué, mais on sait que des créanciers « reviennent à la charge » lorsque leur requête a été rejetée.
Section 2. Créer une juridiction unique et recentrée en première instance : le tribunal judiciaire (propositions 8 à 11)
§ 1. Pour la création du tribunal judiciaire
Les auteurs du rapport ont l’honnêteté de rappeler que la proposition de créer un tribunal unique revient régulièrement (v. not. rapport Marshall, Les juridictions du 21e siècle, préc.). La signataire ne se plaindra pas de voir que ce souci de simplification revient à l’ordre du jour (C. Bléry, Plaidoyer pour une simplification des règles internes de compétence en matière judiciaire, Procédures 2008. Étude 3) ; elle est cependant dubitative sur son aboutissement, tant cette idée semble devoir rester un vœu pieux et risque de susciter de nouvelles résistances.
Créer un tribunal judiciaire (TJ) en première instance est également préconisé par le groupe de travail en charge du quatrième chantier consacré à l’« adaptation du réseau des juridictions »). Le changement de vocabulaire (tribunal judiciaire et non plus tribunal de première instance) est significatif : outre l’extension de compétence (à terme, ce sont tous les contentieux, y compris prud’homal et commercial, qui devraient relever de ce tribunal et la « symétrie avec la juridiction administrative », il y a la volonté de renforcer « l’idée essentielle que la décision rendue n’est pas en attente d’une voie de recours » (p. 15). Reste que les taux de réformation dans certains contentieux contredisent actuellement une telle affirmation et que celle-ci « est très éloignée de la pratique » (M. Bencimon, Gaz. Pal. 10 déc. 2013, p. 11).
Le rapport propose d’ores et déjà des ajustements : le contentieux des élections professionnelles devrait être attribué au tribunal de grande instance, conformément aux recommandations de rapport Guinchard. C’est assez surprenant puisque ce rapport maintenait le TI et le TGI et que le futur TJ les regroupe… La liquidation du préjudice des victimes d’infractions pénales devrait être confiée à un juge civil. Par ailleurs, il nous semble désormais que la justice commerciale, assurée par des juges bénévoles et actuellement plutôt efficace, devrait rester à part et conserver ses spécificités : étendre ses compétences pour en faire un « tribunal des affaires économiques » (TAE) pourrait même être envisagé (v. G. Richelme, Table ronde « Sécurité est simplicité d’accès pour une future juridiction des affaires économiques », p. 77).
Notons que le rapport sur l’adaptation du réseau des juridictions ne prévoit pas seulement un TJ mais aussi un tribunal de proximité (TP) : le TJ ne serait donc pas une juridiction unique, il y aurait aussi le TP, compétent notamment pour les affaires personnelles ou mobilières inférieures à 10 000 €. La divergence prouve, une nouvelle fois, la difficulté de simplifier en la matière.
Le taux du ressort devrait être porté à 5 000 €. Il n’y aurait donc pas d’alignement sur la procédure administrative, où il est de 10 000 € : le rapport justifie ce choix par le refus d’encombrer la Cour de cassation, qui serait le résultat d’un taux trop élevé (c’était le cas en matière prud’homale avant l’unification des taux du ressort à 4 000 € par la loi n° 2004-1343 du 9 décembre 2006 ; v. J. Héron et T. Le Bars, Droit judiciaire privé, 6e éd., Lextenso, coll. « Précis Domat », 2015, n° 722).
En revanche, il y aurait alignement sur la procédure européenne de règlement des petits litiges (le rapport rappelle que le règlement [UE] 2015/2421 du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2015 a modifié le règlement [CE] n° 861/2007 instituant une procédure européenne de règlement des petits litiges en portant à la somme de 5 000 € le montant des demandes pour lesquelles ce règlement peut trouver à s’appliquer) et sur l’obligation de constituer avocat (v. infra).
§ 2. Pour une équipe autour du magistrat
Comme déjà le rapport Delmas-Goyon, le rapport est résolument favorable à une équipe autour du magistrat, dont il propose de renforcer le rôle (prop. 11), sans préciser comment.
§ 3. Pour un recentrage de la juridiction de première instance
Dans le prolongement de la loi J21 n° 2016-1547 du 18 novembre 2016, il est préconisé un recentrage de la juridiction de première instance, qui consiste essentiellement en des déjudiciarisations et en des allégements du travail du greffe, qui sont énumérés en annexe (par exemple, le changement de régime matrimonial sans opposition ne devrait plus faire intervenir un juge même en présence d’enfants mineurs, en cas d’expulsion la vente des meubles n’aurait plus à être autorisées par un juge en l’absence de contestations, etc.).
Ce mouvement, d’ailleurs moins « révolutionnaire » que le divorce sans juge issu de la loi J21, ne peut qu’être approuvé.
Section 3. Simplifier la saisine de la juridiction : pour un acte de saisine unifié (propositions 12 et 13)
Le rapport constate que « la majorité des réponses aux consultations est favorable à la réduction des cinq modes de saisine des juridictions civiles et propose de ne conserver que l’assignation et la requête » et ajoute que « le groupe de travail considère que la transformation numérique impose de sortir des schémas actuels du code de procédure civile ». Proposant de distinguer la saisine de la juridiction et l’établissement du lien d’instance lorsqu’il est nécessaire – qui sera examiné ci-après – [v. la section 4], il considère que l’instauration d’un acte unifié de saisine judiciaire par la voie électronique, unilatéral ou conjoint, est possible, tant en matière contentieuse qu’en matière gracieuse ». Il est précisé en note que la terminologie est empruntée à Natalie Fricero. Celle-ci a l’avantage d’être descriptive de la fonction de l’acte ; elle rompt cependant totalement avec les habitudes et il nous semble que le traditionnel terme de requête – qui « colle » en outre au langage informatique – pourrait être préféré. Si cet « acte de saisine » est unifié, il est en revanche décliné, selon que la procédure est gracieuse ou contentieuse, la saisine pouvant être conjointe ou unilatérale – contradictoire ou non (pour les injonctions de payer, les procédures qui sont actuellement sur requête, les jours fixes, etc.).
Le rapport s’attache à son vecteur, son contenu, son effet et à la sanction du non respect des prescriptions qui devraient le régir. Si l’envoi de l’acte est grandement simplifié grâce au numérique, les exigences relatives au contenu sont telles qu’on se demande comment feront des personnes non représentées ou au moins assistées par avocat ou un juriste chevronné pour respecter ces prescriptions. Ce ne sera pas le travail ni la responsabilité des personnels des SAUJ de conseiller les justiciables à cet égard. Le but est affiché : les données à fournir « seront exploitées par le greffe de la juridiction sans nouvelle saisie informatique ». On peut comprendre cette volonté de décharger utilement le greffe, le souci est que les exigences ont aussi tendance à limiter l’accès au juge de manière bien trop drastique :
• Vecteur : l’acte de saisine judiciaire devrait être « établi par formulaire structuré, au moyen d’une application dédiée accessible via le portail Justice ». On ne peut que se réjouir de cette simplicité et du recours au portail Justice qui ne laisse pas de place aux braconniers du droit.
• Contenu : le rapport propose une longue liste de données que l’acte de saisine judiciaire numérique devrait comprendre, nombreuses étant celles qui ne sont pas exigées aujourd’hui dans l’acte introductif d’instance :
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« le consentement à procéder aux échanges par la voie électronique » : cette disposition, qui semble mettre en œuvre l’article 748-2, alinéa 1er, est curieuse, puisque le « consentement » est en réalité imposé du fait de l’utilisation de l’acte de saisine électronique ; c’est donc plutôt une application de l’article 748-2, alinéa 2, de sorte que le consentement n’a pas à être exprès : le focus sur la saisine numérique de la juridiction (p. 19, point 1) confirme cette vision des choses puisqu’il est précisé que « la saisine dématérialisée par un acte judiciaire accessible via le portail justice.fr […] vaut consentement à la communication électronique [sic] (l’attention du justiciable non représenté est attirée sur ce point) ». Si l’identité judiciaire est généralisée (v. supra), cette mention aura encore moins d’intérêt ;
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« les informations relatives à l’identité des parties et de leurs mandataires » ;
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« la désignation de la juridiction saisie, si besoin » [pourquoi cette dernière précision ?] ;
- « les informations relatives au litige, le cas échéant spécifiques eu égard à la matière traitée : les champs de l’acte doivent autoriser, au-delà de ce qu’exigent actuellement les dispositions relatives aux actes de saisine » [sic], dont on suppose qu’il s’agit des mentions énumérées ensuite, à savoir « l’exposé des faits objets du litige » ; l’indication des demandes formulées ; l’ensemble des moyens de fait et de droit de nature à les fonder ; l’indication des mesures d’instruction qui pourraient être nécessaires ; l’indication des conditions dans lesquelles les pièces visées dans les écritures seront rendues disponibles au défendeur ».
Ces deux dernières indications s’inspirent tant de la convention de procédure participative aux fins de mise en état que des « protocoles » québécois (v. NCPC du Québec, art. 148 s. ; adde C. Bléry, in S. Guinchard [dir.], Droit et pratique de la procédure civile. Droits interne et européen, 9e éd., Dalloz Action, 2016/2017, n° 300.35), si ce n’est qu’elles sont ici imposées au demandeur (sauf si l’acte de saisine est conjoint) : le protocole au contraire doit avoir été accepté par les parties et suppose une discussion. La mention relative aux pièces est en outre curieuse, les rédacteurs prévoyant ensuite (p. 18) la délivrance concomitante au défendeur de l’acte de saisine et des pièces par le moyen d’une assignation… Par ailleurs, la logique du tribunal plateforme veut que les pièces soient versées au dossier électronique que ce tribunal appelle (C. Bléry et J.-P. Teboul, De la communication par voie électronique au code de cyber procédure civile, préc.).
Surtout, ce qui est inquiétant, c’est ce qui suit : « l’efficacité commande d’instaurer dès la première instance un principe de concentration des moyens. Les parties devront ainsi soumettre au juge un litige clairement circonscrit dès le premier jeu d’écritures. Cette exigence cependant n’impose pas dès ce stade de la procédure une concentration des demandes sur laquelle le groupe demeure réservé, pour ne pas interdire par exemple des demandes additionnelles qui s’avéreraient nécessaires en cours d’instance. L’avantage d’une telle réforme serait de garantir une fixité du litige : le juge du premier ressort aurait ainsi une vision exhaustive du litige, et les parties n’auraient plus de possibilité d’avancer des moyens nouveaux en appel ».
Or cette fixité est excessivement rigoureuse. Le travail du juge s’en trouverait sans doute facilité, mais un litige est évolutif et ne peut être artificiellement figé pour le confort du juge : concentration des moyens en première instance, plus suppression de l’appel voie d’achèvement, surtout si le juge n’était pas obligé de relever d’office les moyens de droit (v. infra), comme il s’y est autorisé depuis l’arrêt Dauvin (Cass., ass. plén., 21 déc. 2007, n° 06-11.343). Cela « accablerait évidemment les avocats, mais donnerait surtout une image accablante de la justice » (S. Amrani-Mekki, Gaz. Pal. 10 déc. 2013, p. 3 ; adde M. Bencimon, op. cit., p. 1 ; T. Le Bars, Gaz. Pal. 30 juill. 2014, p. 41 ; E. Jullien et M. Bencimon, Concentration c. appel : achevons le procès et non l’appel, Gaz. Pal. 24 mai 2016, p. 16 ; E. Jullien, Mode d’hiver : la tendance est à la concentration, Gaz. Pal. 7 févr. 2017, p. 14).
Il est vrai que les rédacteurs précisent que « la concentration des moyens en première instance permettra de consacrer le pouvoir du juge de relever d’office le moyen de droit applicable au litige, par une transcription de la jurisprudence. Le juge ne doit plus être “étranger au droit”. Au demeurant, les hypothèses devraient rester rares dans les contentieux où les parties sont représentées par avocat puisque l’ensemble des moyens auront normalement été soulevés » (p. 18). Il semble en réalité que les rédacteurs soient favorables à une obligation de relever d’office la règle de droit applicable (v. p. 32), mais ils présentent la consécration de la jurisprudence Dauvin comme une solution envisageable (préc.).
Par ailleurs, le lien entre la concentration des moyens et le pouvoir du juge est difficile à comprendre : avant les arrêts Cesareo (Cass., ass. plén., 7 juill. 2006, n° 04-10.672) et Dauvin, il n’y avait pas d’obligation de concentration des moyens et, si un moyen était de pur droit, le juge avait l’obligation de le soulever d’office (de requalifier) tous les faits ayant été spécialement invoqués (à l’inverse, si le moyen était mélangé de fait et de droit, il n’avait seulement qu’une faculté à son égard, une recherche de fait s’imposant au juge parmi tous les faits dans le débat, v. Civ. 2e, 14 févr. 1985, n° 83-12.062, JCP 1988. II. 21030, note J. Héron). Quant à espérer que les moyens auront été normalement soulevés, c’est sans doute optimiste ; la sanction envisagée devrait permettre de combattre les actes de saisine non qualificatifs (alors qu’aujourd’hui, la Cour de cassation oblige le juge à « faire le tour de la question » quand aucune règle de droit n’a été invoquée – ce n’est donc pas une hypothèse d’école), mais il arrivera nécessairement que des fondements potentiels soient oublié.
• Effet : « l’acte de saisine judiciaire est un acte interruptif de prescription, sous réserve, lorsque le contradictoire est assuré par citation de l’adversaire (v. ci-après), que celle-ci ait été délivrée dans un délai compatible avec la nature de la procédure » – citation dont il devrait être justifié, sous peine de caducité (v. p. 19 ; point 4). Il s’agit de solutions classiques adaptées à l’évolution préconisée de la naissance du lien d’instance (v. l’art. 2241, C. civ., pour l’effet interruptif de la demande en justice) de manière similaire l’article 2243 du code civil prévoit déjà des cas où l’interruption est non avenue.
Un autre effet est plus novateur et permis par le numérique : « l’acte de saisine judiciaire numérique doit générer pour le demandeur l’obtention d’une date qui sera adaptée à la nature de la procédure qu’il engage. La date de ce "rendez-vous" d’orientation judiciaire sera fixée selon un calendrier mis à disposition par la juridiction ». Nous ne pouvons que souscrire à l’affirmation selon laquelle « l’obtention de cette date, tout comme la possibilité pour le justiciable d’avoir accès à tout moment par voie dématérialisée à l’avancée de sa procédure constituent des réponses aux attentes essentielles et légitimes du justiciable quant à la prévisibilité de la durée de son procès ». En revanche, celle selon laquelle « il n’y aura [du fait de l’obtention d’une date] plus lieu à conserver la distinction entre assignation en référé et assignation en la forme des référés, ce qui conduira à ouvrir le chantier de clarification du dispositif, appelé de ses vœux par le professeur Y. Strickler » nous laisse perplexe : quel est le lien ?
• Sanction : elle serait rude ! La nullité pour vice de forme serait remplacée par une fin de non-recevoir, « la seule qui serait ici efficace, la nullité impliquant la démonstration d’un grief ». Pour autant, n’est-ce pas déraisonnable d’imposer tant d’informations à fournir qui auraient pour effet de fixer le litige quasi définitivement à peine d’irrecevabilité (relevée d’office ?). Rappelons en outre que la Cour de cassation a jugé que la fin de non-recevoir n’est pas un « vice de procédure » (de l’art. 2241, C. civ.) et que l’acte déclaré irrecevable n’a pas interrompu les délais.
Section 4. Unifier les circuits procéduraux (propositions 14 à 17)
§ 1. Établir avec certitude le lien d’instance
Une autre innovation tiendrait dans une nouvelle fonction de l’assignation. Alors qu’elle disparaîtrait en tant qu’acte introductif d’instance, elle ressurgirait en tant qu’acte de convocation du défendeur, en matière contentieuse. Le groupe de travail trouve plusieurs justifications à cette proposition : « ce mode garantit le respect du contradictoire par la délivrance concomitante de l’acte de saisine et des pièces qui viennent à l’appui des demandes, assurant ainsi l’efficacité des échanges en vue de la première audience » : d’où l’interrogation relative à la mention des conditions de communication des pièces par le demandeur (v. supra).
« Le recours à l’acte d’huissier permet en outre au greffier, déchargé des tâches de convocations et de classement des avis de réception, de réinvestir le rôle statutaire qui est le sien d’assistant du magistrat et de garant de la procédure. Enfin, le développement des outils numériques partagés ou interconnectés entre les juridictions et les huissiers de justice devrait permettre, dès qu’il a été délivré, d’intégrer dans le système d’information de la juridiction, la preuve de la délivrance de l’acte sans saisie de données complémentaires ». Cette proposition ménagerait les huissiers de justice qui se trouveraient privés de la signification des assignations introductives d’instance (argument bien peu juridique).
Cependant, elle n’est guère avant-gardiste et pas dans la logique du tribunal plateforme : avec l’identité numérique et la présence en ligne opposable, la tâche de convocation du greffier serait pourtant bien facilitée ; c’est aussi à lui qu’incomberait naturellement la constitution du dossier numérique pour chaque affaire.
Il est précisé que « la notification des actes de procédure par tout moyen entre les parties, et notamment par SMS, courrier ou courriel, doit être réservée à leurs échanges pendant la phase de l’instruction de l’affaire ». Or, là encore, la logique du tribunal plateforme veut que les actes de procédure soient versés au dossier électronique que ce tribunal appelle : des notifications entre parties n’ont plus de raison d’être ; estimer que c’est aux parties de s’avertir mutuellement des versements effectués et non au greffier ou encore, que le défendeur n’a pas accepté la communication par voie électronique (v. p. 19 ; point 5), ne tire pas les conséquences de l’identité numérique.
Le rapport suggère des « mesures favorisant la remise à personne » : à savoir mettre en œuvre la proposition n° 35 formulée par le groupe de travail de M. Delmas-Goyon afin de permettre à l’huissier de justice d’accéder aux parties communes d’un immeuble et revoir les restrictions de temps et de lieu qui encadrent la signification par voie électronique » (qui ne peut être effectuée qu’aux heures ou la signification traditionnelle peut elle-même l’être : l’huissier de justice insomniaque ne peut donc signifier la nuit par voie électronique !). L’identité numérique judiciaire supprimera la nécessité de la notification à personne, comme elle évitera les lettres recommandées avec accusé de réception (LRAR) qui reviennent : le justiciable aura un espace virtuel où il sera joignable, les notifications faites en ce lieu, quelle que soit l’heure, lui seront opposables.
En revanche, en matière gracieuse et notamment en matière d’assistance éducative et de tutelles, le groupe de travail estime que « la charge de la convocation des parties à une audience doit continuer à reposer sur le greffe » ; ce qui s’explique par l’absence de contradicteur. « Il en est de même devant le juge des libertés et de la détention dans le domaine de l’entrée et du séjour des étrangers comme dans celui des hospitalisations sans consentement. » Le rapport ajoute que « la convocation par le greffe doit être rendue possible par tout moyen permettant au juge de s’assurer de la remise de la convocation. À cet effet, la mise en œuvre des nombreux protocoles qui se développent localement entre les juridictions et leurs partenaires dans le cadre des dispositions des articles 692-1, 748-8, 748-9 du code de procédure civile, pour faciliter une gestion réactive des audiences dans le respect des délais, doit être poursuivie en privilégiant une approche nationale unifiant les dispositifs et sécurisant les échanges ». Alors que la Cour de cassation vient de juger que les protocoles n’ont pas de valeur (Civ. 2e, 19 oct. 2017, n° 16-24.234 P, D. 2017. 2353, note C. Bléry), on ne comprend guère cette préconisation ; le code de procédure civile devrait lui-même régler cette question (communication par voie électronique ou LRAR).
§ 2. Harmoniser les procédures d’ordonnance sur requête
Le rapport expose que la matière des ordonnances sur requête est hétérogène et dispersée. En effet, à côté des ordonnances dites « innommées » ou « générales » (selon la terminologie de Mme Pierre-Maurice (S. Pierre-Maurice, Leçons de droit civil, Ellipses, 2011, p. 271) par lesquelles le juge peut ordonner sur requête toutes les mesures urgentes lorsque les circonstances exigent qu’elles ne soient pas prises contradictoirement (C. pr. civ., art. 812, al. 2, pour le TGI, le texte étant décliné devant les autres juridictions sauf le conseil de prud’hommes), il y a des ordonnances dites « nommées » ou « spéciales » (S. Pierre-Maurice, préc.), où « le président est saisi sur requête dans les cas spécifiés par la loi » (C. pr. civ., art. 812, al. 1er, pour le TGI). Ces cas, divers et nombreux, apparaissent en tout domaine, à l’exception de la matière gracieuse, aussi bien en droit substantiel qu’en droit procédural. Le groupe estime donc « qu’il conviendrait d’unifier et limiter dans la mesure du possible les spécificités de chacun d’entre eux afin d’intégrer dans le régime de droit commun les matières pour lesquelles un régime spécifique n’apparaît pas justifié ». Est-ce à dire qu’il faudrait justifier de la nécessité d’écarter le contradictoire dans les cas d’ordonnances nommées ? Quel serait l’avantage ?
Le groupe de travail considère que « cette refonte des textes devrait conduire à intégrer une exigence de proportionnalité au demeurant posée par la Cour de cassation, dans l’appréciation par le juge des mesures non contradictoires qu’il ordonne, pour contenir les abus constatés dans le recours aux ordonnances sur requête ». Le rapport constate que « ces procédures constituent en effet un vecteur privilégié d’atteintes possibles aux secrets protégés par la loi, que le rétablissement du contradictoire, souvent tardif, peine à réparer ».
Depuis 2012, la Cour de cassation a consacré un droit à la preuve, qu’elle met en balance avec d’autres intérêts antagonistes, dont le droit au secret (Civ. 1re, 5 avr. 2012, n° 11-14.177, D. 2012. 1596, note G. Lardeux ; ibid. Pan. 2826, obs. P. Delebecque ; ibid. 2013. Pan. 269, obs. N. Fricero). En opposant le droit à la preuve aux autres principes qui encadrent la production des pièces en justice, la Cour de cassation a créé une situation de conflit de normes et adopte, dans le même temps, la méthode qui permet de résoudre ce conflit. En effet, dans l’arrêt de 2012, la haute juridiction a posé deux conditions pour la mise à l’écart du principe du respect de la vie privée : d’une part, la pièce doit être indispensable à l’exercice de son droit à la preuve ; d’autre part, la production litigieuse doit être proportionnée aux intérêts antinomiques en présence. En fait, c’est loin d’être simple et les critères ne sont pas très clairs, pas toujours cumulatifs et parfois exprimés autrement.
Plus que d’inscrire la notion de proportionnalité dans le code de procédure civile, il serait utile de poser des critères plus fiables pour résoudre le conflit d’intérêts (adde G. Lardeux, Le droit à la preuve : tentative de systématisation, RTD civ. 2017. 1 ; E. Vergès, G. Vial et O. Leclerc, Droit de la preuve, Thémis, PUF, 2015, nos 273 s.).
§ 3. Renouveler l’articulation de l’écrit et de l’oral
Le rapport indique que, « comme l’impose le droit européen, la procédure orale doit être maintenue pour le jugement des petits litiges, que représentent les actions personnelles et mobilières inférieures à 5 000 €, jugées en dernier ressort ». Pourtant, le règlement (CE) n° 861/2007 instituant une procédure européenne de règlement des petits litiges organise une procédure en principe entièrement écrite où l’audience reste l’exception et, s’en inspirant, le rapport préconise « une procédure unifiée dans laquelle coexisterait une phase écrite et une phase orale » (prop. 16), étant précisé que « cette dernière n’[est] pas obligatoire » (p. 43). Après avoir évoqué d’autres pistes (conserver une procédure orale avec ordonnance de clôture obligatoire, assouplissement des conditions de la dispense de présentation ou échanges dans le cadre d’une procédure participative), le groupe de travail souhaite en réalité consacrer la procédure écrite actuelle, avec la mise en état écrite et une audience de plaidoiries facultative, là où la procédure orale impose une mise en état à l’audience sous réserve d’avoir été dispensé de se présenter.
Étant donné la supériorité des garanties apportées par la procédure écrite, on ne peut qu’adhérer à cette préconisation. Le numérique appelle d’ailleurs une procédure écrite, que la mise en état soit réalisée de manière traditionnelle ou externalisée – ce que permet déjà la convention de procédure participative aux fins de mise en état et que le rapport entend favoriser (v. p. 22). La généralisation de la représentation obligatoire par avocat faciliterait cette évolution. Mais comme, en réalité, c’est seulement une extension de cette représentation obligatoire qui est envisagée (v. infra, Partie 2), la question de l’adaptation de cette procédure aux plaideurs sans avocat reste quand même posée : en tout cas, leurs écrits ne devraient pas être soumis aux exigences de structuration et de récapitulation (sauf accord), comme l’article 446-2, alinéa 3, du code de procédure civile le prévoit aujourd’hui. Notons que le rapport sur l’adaptation du réseau des juridictions prévoit une procédure « simple » (?) et sans représentation obligatoire devant les TP.
Le rapport apporte des précisions :
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« la phase écrite aurait en principe le monopole de l’expression des prétentions respectives de chacune de parties et des moyens de fait et de droit produits à leur appui. La phase écrite serait également le temps de la mise en état de l’affaire. La ou les phases orales de la procédure seraient réservées à la mise en œuvre de procédures amiables et des mesures d’instruction, telles que l’audition des parties, des témoins ou des techniciens. L’exécution des mesures d’instruction pourrait donner lieu à un enregistrement audiovisuel. Enfin et surtout, afin de concilier rigueur dans la détermination de l’objet du litige et souplesse dans son traitement, le juge devrait pouvoir, après avis ou accord des parties, autoriser celles-ci à compléter oralement à l’audience leurs prétentions et les moyens à leur soutien, notamment pour faciliter la mise en œuvre de la décision ou accepter de s’engager dans un processus amiable » (p. 21). Il est difficile de comprendre cette proposition si on se rappelle que le groupe de travail préconise d’un autre côté (p. 17) de figer le litige dès l’acte introductif d’instance. Ce manque de cohérence ne prouve-t-il pas que le principe de concentration des moyens est trop rigide ? En outre, cela ruine l’utilité d’une clôture de la mise en état ;
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« cette nouvelle procédure permettrait également un traitement adapté des affaires relevant de l’urgence ou du provisoire, en ne recourant à l’oralité [plus rigoureusement à une audience de débats] que lorsqu’elle est jugée nécessaire par le juge ou sollicitée par les parties. Elle pourrait être abandonnée lorsqu’elle ne l’est pas, ce qui est souvent le cas dans les procédures de référé aux fins de mesure d’instruction, ce qui a d’ailleurs conduit à l’adoption récente de l’article 486-1 du code de procédure civile dispensant le défendeur qui a acquiescé à la demande de comparaître.
On pourrait envisager d’aller plus loin en permettant au juge de statuer sans audience, dès lors que les parties en seraient d’accord, ou que le défendeur, régulièrement informé de la requête aux fins de mesure d’instruction ce dont le requérant aura justifié, n’aurait pas, dans le délai imparti, fait valoir d’observations » (p. 21). Pourquoi pas ? Les plaideurs se dispensent parfois déjà eux-mêmes de présentation, sans respecter les conditions posées à l’article 446-1 du code de procédure civile. À l’inverse, l’audience des plaidoiries devrait être mieux encadrée par les textes qu’aujourd’hui afin d’être utile : les plaidoiries devraient être systématiquement interactives et même permettre la parole des parties (Adde E. Jullien, L’oralité est morte… Vive la plaidoirie ; E. Brochier et M. Brochier, Le droit de plaider, nouveau principe directeur du procès, JCP 2015. 391) ;
- la phase orale ne se déroulerait pas nécessairement devant un juge : « les greffiers, délégués par le juge, pourraient procéder à des auditions, par exemple en matière de tutelles, en matière familiale, ou pour l’exécution d’une mesure d’instruction (p. 23).
Section 5. Rationaliser l’instruction de l’affaire (propositions 18 à 20)
§ 1. Limiter les incidents d’instance
1. Mettre fin aux exceptions d’incompétence
Alors que le régime des exceptions de compétence vient d’être réformé et le contredit supprimé par le décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, il est donc à nouveau question de revenir sur ces questions. Deux solutions sont envisagées, selon qu’un « point d’entrée unique que pourrait constituer le tribunal judiciaire » est instauré ou pas :
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en l’absence de TJ, les exceptions d’incompétence territoriale et matérielle devraient pouvoir être tranchées par le juge sans recours immédiat possible (c’est déjà le cas lorsque le juge se déclare compétent et statue sur le fond du litige, v. art. 78, issu du décr. n° 2017-891) : les parties ne pourraient contester sa décision qu’à l’occasion de l’appel de la décision rendue au fond. Il est aussi suggéré d’adopter des mesures permettant d’étendre la compétence d’exception des juges spécialisés pour connaître de demandes incidentes, au-delà de ce que prévoit l’article 51 du code de procédure civile. Ces préconisations utiles pourraient jouer en l’état actuel de l’organisation judiciaire, mais aussi si un TP est créé à côté du TJ et si un TAE reste indépendant ;
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en présence de TJ, « il pourrait de même être envisagé que le juge statue sur les exceptions d’incompétence par simple mesure d’administration judiciaire, insusceptible de recours, puisque seule la compétence territoriale sera concernée, à l’instar des juridictions administratives ».
- Pourquoi, même en l’état, ne pas instituer un mécanisme de renvoi administratif tel que prévu actuellement par l’article 82 du code de procédure civile ? Le dossier de l’affaire est transmis au greffe de la juridiction compétente – par exemple, JAF, JEX… ou TI ou TGI –, dans un souci d’accélération de la procédure ; les parties sont invitées « par tout moyen par le greffe » (donc y compris par courriel ou texto si elles y ont préalablement consenti) à poursuivre l’instance et, si besoin est – à savoir devant le tribunal de grande instance –, à constituer avocat ; à défaut d’une telle constitution dans le délai d’un mois, l’affaire serait d’office radiée.
Le rapport évoque « la proposition formulée par le parquet général de la Cour de cassation et tendant à la suppression des critères alternatifs de compétence territoriale pour ne maintenir que celui du domicile du défendeur ». Le rapport estime qu’elle « mérite d’être examinée » : elle aurait en effet l’avantage de réduire, voire de supprimer complètement, les incidents de compétence territoriale ; elle nous semble cependant avoir l’inconvénient d’être bien radicale, certaines alternatives étant justifiées : ainsi, en matière d’aliments ou de contribution aux charges du ménage, le législateur permet au créancier, « tenu pour plus digne d’intérêt et plus pauvre », d’agir à domicile (J. Héron et T. Le Bars, préc., n° 987), l’article 47 permet le dépaysement d’un litige où est partie un auxiliaire de justice ou un juge, par délicatesse mais aussi pour répondre à l’exigence d’un tribunal indépendant et impartial posée à l’article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l’homme (ibid.)… On pourrait en revanche limiter certaines règles de compétence dérogatoires et pointues, très nombreuses.
2. Simplifier la gestion des fins de non-recevoir et des exceptions de nullité
Le groupe de travail propose « une unification, et, à défaut, une redéfinition des régimes respectifs des exceptions de nullité de fond et des fins de non-recevoir [qui] pourraient faciliter leur gestion ». Ce serait en effet souhaitable.
Les fins de non-recevoir et les exceptions pour nullité de fond sont des défenses procédurales et obéissent à un régime similaire en raison de leur égale importance : elles ne supposent pas la démonstration d’un grief, à la différence de la nullité de forme. Il serait appréciable de les fusionner. On le voit tout particulièrement à propos de l’incapacité de jouissance. La capacité de jouissance, à la différence de la capacité d’exercice, est une question d’existence de l’action. Le rattachement du défaut de capacité de jouissance aux irrégularités de fond est donc discutable et la jurisprudence est fluctuante. Les décisions de la Cour de cassation concernent surtout les personnes morales : elles sanctionnent leur défaut d’existence, donc leur incapacité de jouissance, tantôt par une fin de non-recevoir sur le fondement de l’article 32 du code de procédure civile, tantôt par la nullité pour irrégularité de fond. La même hésitation existe pour l’action intentée au nom d’une personne physique décédée, ou contre elle (C. Bléry, Droit et pratique de la procédure civile, préc., n° 161.301 ; Rép. pr. civ., v° Nullités, par L. Mayer, nos 107 s. et 189 s.).
Au passage, cela permettrait de voir dans la fin de non-recevoir un « vice de procédure » : la Cour de cassation exclut en effet la fin de non-recevoir de cette notion, ignorée du code de procédure civile mais visée à l’article 2241 du code civil ; ce qui est contestable (v. supra ; adde. Civ. 2e, 1er juin 2017, n° 16-15.568, et nos obs. crit. Gaz. Pal. 31 oct. 2017, p. 59 ; v. aussi, tout aussi critique, D. Mas, La demande définitivement rejetée – Réflexions intempestives d’un artisan du droit sur l’article 2243 du code civil, RRJ 2016-1, p. 215 s., spéc. nos 46 s. et les réf.).
En outre, la liste de l’article 117 est vue comme limitative par la même Cour – conception que reprend le rapport et qui est discutable –, ce qui laisse des nullités hors du champ des nullités de fond, alors que le régime des nullités de forme ne leur est pas adapté : il résulte de cette limitation le maintien de quelques « nullités sans grief », voire l’utilisation de « l’absence d’acte ». Créer une catégorie élargie, non limitative et plus lisible de fins de non-recevoir pourrait résoudre en partie les difficultés… sachant que parfois la Cour de cassation qualifie de nullité de forme des vices qui pourraient entrer dans la catégorie des fins de non-recevoir (C. Bléry, Droit et pratique de la procédure civile, préc., n° 162.15 ; Rép. pr. civ., v° Nullités, par L. Mayer, n° 152). Il serait utile de prévoir plus clairement que telle mention ou formalité est prévue à peine d’irrecevabilité ou de nullité, puisque c’est un choix volontariste du législateur (en ce sens, v. J. Héron et T. Le Bars, préc., n° 147).
Le rapport propose ensuite, « afin de désencombrer le rôle des affaires dont les conditions d’introduction compromettent leur examen au fond ou qui apparaissent manifestement irrecevables », « de permettre au juge chargé de la mise en état de statuer sur les fins de non-recevoir qui ne touchent pas au fond du droit et de les relever d’office lorsqu’elles résultent du dossier ». Un tel partage des compétences entre le juge de la mise en état et le tribunal de grande instance (comme pour le conseiller de la mise en état et la cour d’appel), à l’égard des fins de non-recevoir, pourrait en effet opportunément être inscrit à l’article 771 du code de procédure civile. La disposition pourrait d’ailleurs s’appliquer au magistrat instructeur du futur TJ et à celui du futur TAE (quid d’un TP ?).
En revanche, la notion de fin de non-recevoir « n’impliquant pas un examen au fond du droit » (reprise p. 23) nous laisse perplexe. En effet, la fin de non-recevoir permet de rejeter sans examen au fond une demande ou une défense qui ne remplit pas les conditions de recevabilité exigées par la loi ; elle entraîne le rejet de l’acte processuel soumis au juge, sans examen du bien-fondé de la prétention contenue dans cet acte, dans l’hypothèse où une des conditions exigées par la loi pour qu’une personne puisse présenter une demande ou une défense (la qualité ou l’intérêt du demandeur…) fait défaut (adde J. Héron et T. Le Bars, préc., n° 146). Par principe, donc elle n’implique pas un examen au fond…
Quoi qu’il en soi une liste non exhaustive est proposée. Seraient visées :
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l’omission d’un acte de la procédure,
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l’irrégularité affectant l’acte lui-même, quant à ses mentions ou quant à ses développements au fond : défaut de motivation, omission de certaines informations obligatoires,
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l’irrégularité affectant les annexes de l’acte,
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l’irrégularité affectant le support de l’acte lui-même (forme électronique dans les matières relevant de la représentation obligatoire).
- Mais pourquoi pas le défaut de qualité, d’intérêt ou la fin de non-recevoir tirée de l’autorité de chose jugée, etc. ? Serait-ce inclus dans cette notion de fin de non-recevoir « n’impliquant pas un examen au fond du droit » ? Le conseiller de la mise en état est aujourd’hui compétent pour ces questions (C. pr. civ., art. 914, issu du décr. n° 2017-891).
La question se poserait alors de savoir si un recours immédiat devant la cour d’appel pourrait être exercé dans le cas où le juge aurait estimé la demande recevable. Il faudrait en tout cas aligner le régime relatif aux exceptions de procédure et celles des fins de non-recevoir – dans lesquelles, une nouvelle fois, seraient englobées les exceptions pour nullité de fond (v. art. 776, al. 3, 2°, actuel pour le juge de la mise en état).
Le partage n’aurait plus lieu d’être si une mise en état externalisée devait être imposée. Si, dans un premier temps, le rapport s’oriente plutôt vers une incitation à cette externalisation (p. 22), il parle ensuite d’obligation lorsque les parties sont assistées par un avocat (p. 26)…
§ 2. Redéfinir la mise en état
1. Favoriser la mise en état conventionnelle
Le rapport part ensuite du constat que les juridictions civiles manquent de moyens et en substance qu’il faut « faire avec » ou plutôt « faire sans » et donc trouver une autre solution… consistant en la « prime » à la mise en état externalisée. Le rapport raisonne à partir de l’actuelle procédure devant le tribunal de grande instance. Ce modèle serait donc généralisé à toutes les matières devant le TJ ? Même sans représentation pour les petites affaires ? Ce n’est pas très clair. À rebours de ce qui a lieu aujourd’hui, la date de l’examen au fond de l’affaire devrait être fixée dès « l’audience d’orientation » (notion inconnue du code aujourd’hui ; le rapport évoque plus haut [p. 17] un « rendez-vous d’orientation judiciaire ») et la mise en état réalisée avant cette date d’examen au fond, sur le modèle de la procédure devant le Conseil constitutionnel.
Notons qu’il est permis de s’interroger sur le juge de « l’audience d’orientation » : aujourd’hui, c’est le président du TGI qui, lors de la « conférence du président », détermine le circuit de la mise en état, c’est la formation collégiale du TC, cela existe devant le TI par des renvois successifs… ; sera-ce le JME comme le rapport le laisse entendre ? Ainsi, « l’audience d’orientation doit être l’occasion pour le juge d’envisager avec les parties la date à laquelle l’affaire sera examinée, selon qu’elles expriment le choix de se mettre en état par la voie conventionnelle ou sous le contrôle du juge » (p. 22) ; ceci dans l’hypothèse où un circuit long est nécessaire :
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« si l’affaire n’est pas en état d’être jugée et que les parties informent le juge qu’elles s’engagent dans la procédure conventionnelle de mise en état, à savoir la procédure participative d’ores et déjà prévue par le code civil et le code de procédure civile, le juge et les parties conviennent d’une date de clôture et de plaidoirie, selon un calendrier prioritaire, et l’affaire est retirée du rôle » : c’est ce calendrier prioritaire qui constitue la « carotte ». Mais quid en cas de non-respect du calendrier pour se mettre en état ou en cas d’échec, hypothèse qui risque pourtant de se produire tant le défendeur peut ne pas se montrer coopératif ?
Par ailleurs, comment une date de clôture et de plaidoirie peut-elle être fixée si l’affaire n’est plus au rôle ? Actuellement, le retrait du rôle est en effet prévu en cas de signature d’une convention de procédure participative aux fins de mise en état, mais à l’issue du processus de procédure participative, l’affaire est rétablie à la demande d’une des parties, selon le cas, pour homologuer l’accord des parties mettant fin en totalité au litige, pour homologuer un accord partiel des parties et statuer le cas échéant sur la partie du litige persistant ou pour statuer sur l’entier litige. Il ne faudrait donc pas retirer l’affaire du rôle ou alors prévoir que c’est après rétablissement de l’affaire, si le dossier est en état, que la juridiction fixe le dossier par priorité pour qu’une décision soit rendue dans un délai rapide (par exemple trois mois) ; il en irait de même en cas d’inexécution par une partie de ses obligations résultant de la convention de procédure participative. Le retrait du rôle n’empêchant pas le délai de péremption de courir (C. pr. civ., art. 392, al. 2) –, il faudrait seulement que les parties veillent à mettre en état leur affaire dans ce délai de deux ans (d’autant que le juge peut, depuis le décret n° 2017-892, relever d’office la péremption), mais le délai nécessairement prévu à la convention de procédure participative devrait empêcher cette issue. Et avec une clôture fixée d’emblée, ce risque disparaît totalement ;
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« à l’inverse, si l’affaire n’est pas en état d’être jugée mais que les parties refusent de s’engager dans une procédure conventionnelle de mise en état, le juge statue sur les exceptions et fins de non-recevoir qui auront été relevées ou qu’il aura relevé d’office, et il organise le déroulement des phases écrites et orales de procédure en fonction de la date de clôture et de plaidoiries qu’il détermine » – et qui, dans la logique du système, passe après les affaires en mise en état externalisées.
Le rapport ajoute que « la mise en place de délais impératifs à peine d’irrecevabilité ou de caducité paraît plus adaptée en phase d’appel qu’en première instance où le dossier connaît son premier examen. Le temps peut s’avérer utile, notamment pour la réunion des preuves et le développement des moyens » : une telle mise en place serait en effet totalement contre-productive, la (triste) expérience a prouvé que le système des délais impératifs n’est pas efficace ; les parties doivent se mettre en état au pas de charge et ensuite les fixations sont à plusieurs mois, voire à plus de deux ans. De tels délais seraient en outre à respecter à l’intérieur du délai de mise en état d’ores et déjà fixé dans ce nouveau système. Là encore quid si l’affaire est plus complexe que prévu lors de « l’audience d’orientation » ? Et on constate une nouvelle fois que la concentration des moyens prévue dès l’acte introductif d’instance n’est pas vivable, puisqu’est envisagé – heureusement – un développement de ceux-ci.
Des propositions qui ne sont pas nouvelles sont évoquées par le rapport, qui ont la faveur des juges, mais pas des avocats : elles ont d’ailleurs déjà été « consacrées » par des protocoles (sur leur valeur, v. supra), à savoir la limitation du nombre d’échanges entre les parties (concentration processuelle, v. le protocole parisien du 11 juillet 2012 ; C. Bléry, Droit et pratique de la procédure civile, préc., n° 300.61) et la fixation d’une longueur maximale des écritures dans le prolongement des « améliorations » (?) apportées à la structuration des écritures par les réformes récentes. Si les avocats ont intérêt à faciliter le travail du juge, ils ne doivent cependant pas être entravés et de telles dispositions apparaissent assez dangereuses, tant elles imposeraient une standardisation inadaptée à la spécificité de chaque contentieux et même de chaque affaire.
À « l’audience de clôture » (notion également inconnue du code aujourd’hui, qui désigne sans doute une dernière audience à l’issue de laquelle l’ordonnance de clôture de l’instruction est rendue), « les parties auront listé leurs points d’accord et de désaccord, dans leurs conclusions récapitulatives. Sauf opposition de la part des parties, le juge pourra décider que la phase orale de la procédure n’est pas nécessaire, auquel cas les parties déposeront leur dossier. Si une phase orale de la procédure est nécessaire ou demandée par l’une des parties, l’heure de l’audience et la durée des plaidoiries seront fixées ». Quelle est l’utilité d’une telle « audience de clôture », puisque la date de la clôture a été fixée dès le début et qu’un renvoi ne semble pas possible ?
Le circuit court est également envisagé, à l’exclusion d’un circuit semi-court (ultime renvoi pour parfaire la mise en état) : si l’affaire est en état dès la date de l’audience d’orientation » ou si le défendeur est défaillant, « l’affaire est immédiatement mise en délibéré ou renvoyée à l’audience de jugement si le juge estime nécessaire l’organisation d’une phase orale ».
2. Repenser le rôle du juge de la mise en état
Là encore n’est envisagé que le juge de la mise en état du tribunal de grande instance tel qu’il existe aujourd’hui et non pas un « magistrat instructeur du TJ » (à créer).
Le rapport reprend la proposition visant à élargir la compétence du juge de la mise en état à l’examen de certaines fins de non-recevoir (évoquée en p. 17), les fins de non-recevoir « impliquant un examen au fond du dossier » étant renvoyées, « par une décision insusceptible de recours, à la formation de jugement », auquel cas « la clôture ne serait pas prononcée et si la fin de non-recevoir est rejetée par la formation collégiale, le dossier serait retourné au juge de la mise en état pour qu’il poursuive l’instruction ». Une nouvelle fois, il est permis de se demander ce que recouvrent ces deux sortes de fin de non-recevoir.
Le rapport évoque l’ordonnance de tri, à savoir un « dispositif s’inspirant de l’article R. 222-1 du code de justice administrative, lequel autorise un juge spécialement désigné à statuer par ordonnance permettant d’écarter une demande, sans instruction, sans audience et non contradictoirement, notamment en cas d’irrecevabilité manifeste ». S’il estime qu’elle « doit être examinée avec prudence », car « il n’est pas évident que l’ordonnance de tri soit adaptée en première instance, dans des contentieux entre personnes privées », il est malheureusement plus enthousiaste pour la procédure d’appel : « on perçoit plus aisément les avantages qui pourraient en être tirés en appel, où le litige est censé se cristalliser sur la critique de la première décision ».
C’est doublement dangereux, le contradictoire est un principe élémentaire de bonne justice qui ne devrait jamais être écarté et l’appel doit rester une voie d’achèvement (v. supra).
3. Le rôle du greffe
Comme d’autres groupes de travail avant lui, le groupe chargé du chantier de la justice propose de confier de nouvelles tâches aux greffiers, afin de « répondre davantage à la fonction d’écoute qui manque aujourd’hui au citoyen » (ce qui est plutôt vague). Il faut y ajouter la fonction déjà évoquée, à savoir que « les greffiers, délégués par le juge, pourraient procéder à des auditions » (p. 23).
Il est ajouté que « sous l’autorité du juge, le greffier pourrait se voir confier tout ou partie de la mise en état en agissant par délégations. Cela pourrait constituer l’un des circuits “courts” de la mise en état lorsque le dossier ne nécessite pas d’examen complexe et sous les orientations des magistrats ». Cette proposition laisse également perplexe, puisque les circuits courts supposent que l’affaire est d’ores et déjà en état ou presque en état…
§ 3. Le cas de la procédure de divorce : supprimer l’audience de conciliation
Le groupe de travail préconise la suppression de l’audience de conciliation, imposée avant l’introduction de l’instance en divorce par l’article 255 du code civil. Nous dirons seulement ici que c’est « la volonté de tendre vers un schéma procédural unique » qui conduit à cette proposition.
Mais, une nouvelle fois, n’est-ce pas raisonner sur un schéma TGI, avec avocat ? Tous les contentieux dont le TJ pourrait connaître seront-ils soumis à la même procédure, en particulier si les plaideurs ne sont pas représentés ? Le découpage en deux phases du procès prud’homal sera-t-il remis en cause ?…
Chapitre II. Favoriser le recours aux modes alternatifs de règlement des différends à tous les stades de la procédure
Section 1. Inciter plus qu’imposer (proposition 21)
S’il ressort des consultations et des auditions effectuées par le groupe de travail que « les modes de règlement amiable des litiges sont aujourd’hui considérés comme une voie de justice de qualité que les acteurs n’excluent plus d’emprunter, non seulement avant la saisine du juge mais également pendant l’instance », le groupe de travail ne préconise pas une obligation préalable de recourir à un MARD. Ce dont il y a lieu de se féliciter, tant une telle obligation est peu efficace devant le conseil de prud’hommes. Les auteurs du rapport veulent aussi éviter que cette étape ne se transforme en une simple formalité. On peut ajouter que le justiciable de mauvaise foi peut profiter d’une telle obligation pour retarder le règlement d’un conflit.
En revanche, le rapport suggère des mesures tendant à favoriser le développement des MARD.
Section 2. Les mesures incitatives
En préalable, il est précisé qu’« il paraît indispensable que la clause de médiation préalable à la saisine d’une juridiction civile se généralise dans les contrats civils et commerciaux ». Or on constate un développement de ces clauses… qui donnent lieu à une jurisprudence assez nourrie, prouvant par là qu’elles n’empêchent pas le contentieux (N. Fricero, Le paradoxe des clauses de règlement amiable, D. 2015. 1201). Il faudrait au moins les encadrer davantage.
Ensuite sont proposées des mesures de nature diverse, procédurale (§ 1), financière (§ 2) et d’organisation et de régulation (§ 3). Pour certaines, il s’agit en réalité d’obliger et non d’inciter.
§ 1. Les incitations et mesures procédurales
Parmi les différentes préconisations, nous signalerons seulement celle consistant « dès lors que les parties sont assistées par un avocat, [à] imposer le recours à la procédure participative pour la mise en état des affaires ». Elle est donc contraire à ce qui a été préconisé dans le précédent chapitre et va au-delà de l’incitation.
Il est aussi préconisé de « favoriser la mise en place de circuits courts au sein des juridictions ». Or cela existe déjà et n’est pas adapté aux affaires complexes. Quelle est donc l’utilité ?
§ 2. Les incitations financières
v. p. 26.
§ 3. Les mesures d’organisation et de régulation
Signalons, parmi d’autres, la préconisation d’« élargir l’offre de justice par le développement d’outils numériques de résolution amiable des différends ». Il s’agirait d’un « service public des MARD en ligne » destiné « à répondre de façon adaptée aux litiges de faible importance pour lesquels les parties sont éloignées géographiquement », qui viendrait s’ajouter aux legal tech. Une régulation des dispositifs de résolution de litiges en ligne développés par les professions ou le secteur privé (agrément des plateformes et élaboration de cahiers des charges) à l’instar de la commission d’évaluation et de contrôle de la médiation de consommation est préconisée. Cette proposition figure aussi dans le rapport sur le numérique.
FOCUS
La délégation de la force exécutoire à d’autres que le juge
Constatant que « le résultat des consultations est très contrasté sur cette question », les auteurs du rapport « bottent en touche » et renvoient à plus tard l’examen de cette question.
Pour notre part, il ne nous paraît pas possible que l’avocat lui-même confère cette force : il ne peut être juge et partie et il n’est pas officier ministériel, délégataire de la puissance publique. Il pourrait être envisagé un dépôt au rang des minutes d’un notaire sur le modèle du divorce sans juge. Pourquoi pas en matière de bail, de statuts de sociétés, voire de vente de meubles… L’huissier de justice est l’auteur de deux titres exécutoires, en cas de chèque impayé ou de PRSPC (c. pr. exéc., art. L. 111-3). Ne pourrait-il être sollicité ? On peut aussi penser au greffier – plus spécialement au directeur des services de greffe –, sachant que le « greffier juridictionnel » souhaité par la commission Guinchard ne fait pas partie du droit positif : une modification en ce sens serait peut-être nécessaire…