Madeleine (*) est retraitée depuis quelques années. Ancienne fonctionnaire travaillant dans le monde judiciaire, elle est appelée il y a cinq ans par un vice-procureur pour devenir déléguée du procureur, un métier qui consiste à assister les magistrats du parquet et à mettre en œuvre les mesures dites alternatives aux poursuites pénales. Rappels à la loi, réparations pénales, compositions pénales, etc. Bref, un nombre non négligeable de missions qui permettent de décharger les tribunaux de France.
L’offre est tentante, elle aime ce milieu – la justice – et elle arrondirait bien ses fins de mois. Elle accepte. « J’ai six audiences par mois environ, sans compter le temps de préparation, qui se font sur réquisitions du procureur. Je partage mon temps entre le tribunal et la Maison de la justice et du droit (MJD). Cela équivaut à un mi-temps ». En tout, cela peut rapporter entre 300 € et 1 000 € au gré des paiements des régies des tribunaux, sur les frais de justice, après remise d’un mémoire de frais. Mais voilà, cet argent est versé sans bulletin de paie, sans facture, sans rien. En somme, aucune charge sociale n’est payée, aucun impôt non plus. « C’est hyper pratique pour la justice. On la soulage et on gagne un peu plus à la fin du mois. Tout le monde y gagne », sourit Madeleine. « L’indemnisation des délégués du procureur permet à quelques-uns, si leur procureur les chouchoute, de se faire d’agréables compléments de leur retraite », souffle une magistrate.
La situation n’est pas franchement nouvelle et elle dépasse largement les mille délégués du procureur – tous des retraités issus de la police, de la gendarmerie, de l’enseignement ou encore de la fonction publique - que comptent les tribunaux en France. Le Canard enchaîné, Le Figaro, Libération avaient déjà révélé ces « travailleurs au noir plein les palais de justice ». Les députés également, qui ont, à plusieurs reprises, interpellé le ministère de la justice sur la situation de ceux qui sont appelés les collaborateurs occasionnels du service public de la justice (COSP). Une « nébuleuse », comme le dit Madeleine, de personnes qui travaillent pour la justice mais dont le statut est à ce point compliqué que la Chancellerie, elle-même, avoue son incapacité à régulariser la situation sociale et fiscale.
Jusqu’en 2000, on peut parler de no man’s land concernant les « bénévoles indemnisés ». Que sont-ils ? Des salariés ? Des travailleurs indépendants ? En 1994, la Cour de cassation, saisie du cas d’une psychologue experte judiciaire, est claire : il s’agit d’une activité libérale1. Puis, plus rien. Il faut attendre un décret du 17 janvier 20002 pour que toutes ces personnes soient finalement rattachées au régime général. Experts, enquêteurs sociaux, médiateurs civils, administrateurs ad hoc, médecins experts, délégués du procureur, etc. se retrouvent alors soumis aux règles du régime général. « Les cotisations de sécurité sociale dues au titre des assurances sociales, des accidents du travail et des allocations familiales, […] sont calculées sur les rémunérations versées mensuellement ou pour chaque acte ou mission, le cas échéant, par patient suivi annuellement », précise l’article 2 du décret.
Un texte qui est resté lettre-morte. En 2013, le ministère de la justice, dans une réponse ministérielle3, le reconnaissait : « Ce régime s’applique à une grande diversité de situations, allant du concours ponctuel, voire exceptionnel, d’une personne à l’administration, à une activité régulière pour le compte du service public, pouvant même constituer l’intégralité de l’activité professionnelle des personnes en question ». Pis, selon la Chancellerie, la situation est trop « complexe » pour la résoudre. « Au ministère de la justice, la mise en œuvre de ce dispositif s’avère particulièrement complexe en raison du volume des mémoires traités, du nombre de prestataires concernés et de la diversité de leur situation ».
Il est vrai qu’entre-temps, en 2012, Bercy a décidé que tous ces collaborateurs occasionnels devaient être assujettis à la TVA et qu’ils n’avaient aucun rapport avec le statut de salarié. Un peu plus de complication en vue. Sans compter – décidément – qu’« aucun logiciel n’est actuellement en capacité de traiter à la fois des prélèvements sociaux et l’application de la TVA ». Contrairement à bon nombre d’entreprises du secteur privé, il semblerait.
Dans une circulaire du 8 octobre 2013 de la direction des services judiciaires et de la direction de la législation fiscale, les collaborateurs occasionnels sont donc finalement soumis à la TVA. Reste que personne ne sait si cela est fait partiellement, en totalité ou pas du tout. Le trésor français continue à ne recevoir ni TVA ni impôt sur le revenu. L’URSSAF continue à ne pas recevoir de cotisations sociales sur ces montants. Madeleine, elle, ne déclare toujours pas les revenus de son travail et le tribunal non plus, d’ailleurs. Une situation quelque peu cocasse de la part d’un ministère dont l’une des missions est notamment de lutter contre le travail illégal. Il suffit de jeter un œil au Bulletin officiel du ministère de la justice pour retrouver les circulaires – adressées notamment aux procureurs – relatives à la mise en œuvre du plan national de coordination de la lutte contre la fraude pour 2011 (7 juin 2011) ou relative au plan national de lutte contre le travail illégal (5 févr. 2013).