La présentation bimestrielle de l’actualité de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme se heurte à quelques difficultés méthodologiques qu’il faut bien avoir en tête pour conjurer les risques de confusions et de malentendus.
Il importe, tout d’abord, de ne pas perdre de vue que la plupart des arrêts présentés dans cette chronique d’actualité ne sont pas définitifs. Seuls, en effet, sont immédiatement définitifs les arrêts de grande chambre, les arrêts de comité et les décisions sur la recevabilité. En revanche, les arrêts de chambre ne le deviennent, d’après l’article 44 de la Convention, que si, dans les trois mois de leur date, leur renvoi devant la grande chambre n’a pas été demandé par les parties, si elles ont déclaré en cours de délai qu’elles ne le demanderaient pas ou si le collège de la grande chambre rejette la demande. Or les arrêts pertinents les plus nombreux sont de très loin les arrêts de chambre. Les présenter dans une chronique bimestrielle expose donc au risque implacable d’en faire état avant l’expiration du délai de trois mois alors qu’ils se trouvent sous la menace d’une inversion de leur solution par un arrêt de grande chambre qui se prononcera dans un ou deux ans. Certes, statistiquement, le risque est infime, mais, juridiquement, on doit toujours l’avoir à l’esprit et acquérir le réflexe d’aller, à l’expiration du délai de trois mois, vérifier sur le site hudoc si l’incertitude a cessé ou si une demande de renvoi a relancé le suspense.
Il faut aussi prendre conscience de ce que le nombre des arrêts et décisions rendus chaque mois par la Cour européenne des droits de l’homme est si élevé (à peu près une centaine pour chacun des deux premiers mois de 2021) qu’il est évidemment hors de question de les signaler tous. Il y a donc lieu d’exercer des choix qui, comme n’importe quels choix, ne sauraient tout à fait échapper à une part de subjectivité et qui sont, en outre, susceptibles d’être guidés par les développements fortuits de l’actualité médiatique et politique.
Même à s’en tenir à une sélection des arrêts et décisions qui semblent présenter une originalité justifiant de les sortir de la masse, il doit être bien entendu que leur présentation ne pourra aller jusqu’au degré de précision technique nécessaire pour en apprécier toutes les retombées potentielles sur le droit français. En somme, il s’agira simplement de mettre la puce à l’oreille et d’en appeler à une vigilance renforcée en fonction de la règle, désormais bien enracinée, énoncée par l’Assemblée plénière de la Cour de cassation le 15 avril 2011 : « Les États adhérents à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales sont tenus de respecter les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme sans attendre d’avoir été attaqués devant elle ni d’avoir modifié leur législation » (Cass., ass. plén., 15 avr. 2011, n° 10-17.049, Préfet du Rhône, D. 2011. 1080, et les obs. ; ibid. 1128, entretien G. Roujou de Boubée
; ibid. 1713, obs. V. Bernaud et L. Gay
; ibid. 2012. 390, obs. O. Boskovic, S. Corneloup, F. Jault-Seseke, N. Joubert et K. Parrot
; AJ pénal 2011. 311, obs. C. Mauro
; Constitutions 2011. 326, obs. A. Levade
; RSC 2011. 410, obs. A. Giudicelli
; RTD civ. 2011. 725, obs. J.-P. Marguénaud
) ; que ces décisions aient été rendues contre la France ou contre n’importe quel autre État membre du Conseil de l’Europe.
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Sous le bénéfice de ces observations, on peut partir à la découverte des solutions présentant un intérêt particulier que la Cour européenne des droits de l’homme a retenues au cours des deux premiers mois de l’année 2021. On relèvera qu’elle a porté un regard inédit sur la question de la mendicité ; accordé une attention remarquablement intransigeante à la protection des mineurs contre les abus sexuels ; abordé de nouveaux aspects de la confrontation des droits de l’homme avec le développement des nouvelles technologies d’information et de communication ; mis l’accent sur le caractère relatif du droit à la liberté d’expression ; organisé des applications inédites du principe de non-discrimination ; montré à nouveau sa compréhension à l’égard des exigences contemporaines du maintien de l’ordre ; confirmé son regain d’intérêt pour les affaires interétatiques ; consolidé l’effet extraterritorial de la Convention et continué à creuser un certain nombre de sillons jurisprudentiels déjà bien connus.
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