Les projets de cliniques juridiques fleurissent un peu partout en France depuis quelques années1 et tentent de s’organiser pour ancrer leurs pratiques dans le paysage du droit2. Ces structures à vocation pédagogique proposent de former les étudiants en droit par une approche clinique de la discipline, à l’instar de ce qu’il se fait dans les facultés de médecine depuis plus de deux siècles3. Le phénomène n’est pas nouveau mais reste assez limité en France, contrairement à l’ampleur qu’il a prise dans les systèmes universitaires états-uniens ou canadiens : c’est en 1904 à l’université de Denver que naît réellement la première clinique juridique (en tant que structure intégrée à un cursus universitaire), également sous la forme d’un legal aid dispensary, mais cette fois-ci encadrée par un professeur, lui-même avocat4.
La formation par la pratique juridique n’est pourtant pas absente des études de droit, puisqu’elle emprunte la forme du stage, lorsque celui-ci est inscrit dans le cursus. Le stage est bien sûr un excellent exercice, mais il rencontre certaines limites que nous, responsables de formation, connaissons tous, à commencer par la difficulté des étudiants à trouver un stage correspondant à leurs aspirations. Disharmonie des calendriers, contraintes réglementaires5, décuplement des demandes de stages, etc. Ces facteurs conjugués pèsent lourdement sur l’accès au stage, mais aussi sur son déroulement. Les structures d’accueil se font plus exigeantes et la dimension pédagogique perd de sa consistance, l’instauration de la gratification obligatoire ayant contribué à ce glissement du stage vers une forme de contrat de travail. En témoigne d’ailleurs cette confusion entretenue autour du sens de la gratification, souvent qualifiée de rémunération, alors qu’elle est supposée représenter un encouragement et non le salaire d’un travail. Le stage est plus souvent considéré comme une phase de test à l’embauche que comme un parcours pédagogique à l’occasion duquel le maître de stage formerait son élève. Parfois, même si l’hypothèse est plus rare, c’est aussi l’occasion pour une structure d’accueil de s’offrir une main d’œuvre à moindre coût pour effectuer des tâches techniques à faible valeur ajoutée. Quant au rôle des universitaires dans l’accompagnement des stagiaires, il est pénalisé par le manque de temps et de budgets pour rencontrer régulièrement les maîtres de stage.
Dans ce contexte, la pratique du droit en clinique universitaire apparaît comme une formule intéressante en ce qu’elle se déroule au sein de l’université, accentuant la dimension pédagogique de l’exercice, encadré par des universitaires et des professionnels6. En leur proposant de traiter une variété de cas juridiques réels, les étudiants se voient offrir un outil majeur de l’acquisition de la culture et des compétences requises pour l’exercice des métiers du droit.
Pourtant, si les UFR de droit sont parfaitement légitimes pour organiser ce type d’activité, elles éprouvent certaines difficultés à les mettre en place. Quel professionnel du droit n’a jamais rêvé de tordre le cou à une clinique juridique, y voyant une forme de concurrence déloyale ? À tort ou à raison. À tort, parce que l’enseignement clinique du droit est souvent l’œuvre d’universitaires parfaitement légitimes à l’organiser (I). À raison, parce le contexte actuel est anarchique et que les pratiques actuelles peuvent souffrir certaines critiques (II). La nécessité de l’élaboration d’un cadre se fait impérieuse. Cette avancée doit passer par la mise en place d’un dispositif préservant l’équilibre entre les missions de l’université et le périmètre protégé de l’exercice du droit (III).