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Reportage 

Conseils de prud’hommes : la réforme en perspective

Quelque 200 000 saisines par an, 16 mois d’attente en moyenne par dossier, renvois récurrents, appel de plus de 60 % des décisions rendues… Les conseils de prud’hommes ont été réformés par loi Macron du 6 août 2015. État des lieux aux prud’hommes de Paris où Dalloz actualité a suivi une avocate spécialisée en droit du travail.

par Anaïs Coignacle 5 décembre 2016

Des renvois d’audience récurrents

« On risque d’y passer l’après-midi, lâche Angélique Lamy, jeudi 24 novembre à 13 heures. Cela dépendra du nombre d’affaires renvoyées ». L’avocate vient de découvrir le rôle de la 5e chambre de la section commerciale du conseil de prud’hommes de Paris. L’affaire pour laquelle elle a fait le déplacement est en treizième position sur la fiche qui annonce l’ordre de celles prévues dans l’après-midi. Sur les quinze annoncées ce jour-là, un tiers seulement sera traité. Les raisons pour lesquelles le dossier inscrit au rôle n’est finalement pas en état d’être plaidé sont multiples. « L’affaire avait déjà été renvoyée pour les mêmes raisons », explique un avocat côté défense qui ôte sa robe à la sortie de la salle d’audience parce que son confrère de la partie adverse est en arrêt maladie. D’ailleurs, à part lui, personne dans ce dossier n’est présent. « C’était une audience de pure procédure, poursuit-il. Nous n’avons jamais reçu les conclusions de l’autre partie ni les pièces pour plaider donc je n’ai pas étudié le dossier. J’étais venu pour que l’affaire soit radiée ». Au lieu de cela, celle-ci est renvoyée au 22 juin 2017.

Comme celle de Laëticia (prénom modifié), ex-salariée d’une grande entreprise de vente, qui n’a pas encore reçu de réponse quant à sa demande d’aide juridictionnelle. Licenciée en même temps qu’un collègue voilà un an et demi, ils sont venus tous les deux accompagnés d’un avocat recommandé par les délégués du personnel de leur ancienne boîte. « Nous avons été licenciés pour faute grave, on plaide le licenciement abusif, explique-t-elle. J’ai quand même eu droit aux Assedic, j’ai retrouvé des missions dans la vente mais c’est compliqué. Je suis mère célibataire, je dois faire garder mon enfant, je pense changer de voie ». Un autre dossier est renvoyé une chambre plus loin, le président reconnaissant un conflit d’intérêts du fait de sa proximité avec l’une des parties.

Me Lamy, quant à elle, a bien failli ne pas pouvoir plaider pour sa cliente, une ex-salariée d’une boutique d’objets de décoration « haut de gamme », licenciée pour faute simple. L’avocate de la partie adverse lui a transmis ses conclusions dix jours seulement avant l’audience qui avait été annoncée plusieurs mois plus tôt. « C’est très inconfortable et en même temps typique des audiences de conseil des prud’hommes. L’employeur joue la montre et attend le dernier moment pour envoyer ses pièces car les délais ne sont pas impératifs », explique l’avocate parisienne. Le but étant de retarder l’échange de nouvelles pièces en réponse à ces écritures tardives et, le cas échéant, obliger le demandeur à renvoyer l’audience, avec l’espoir de dégoûter le demandeur, qui continue, pendant ce temps, à rémunérer le conseil. L’avocate avait bien rodé son dossier et n’a pas eu à produire de nouvelles pièces. La semaine précédente en revanche, elle avait dû solliciter un renvoi dans un dossier d’encadrement plus complexe, impliquant des salaires très élevés. Les conclusions de la partie adverse, envoyées très tardivement, avaient soulevé de nouveaux points. L’avocate devait justifier de nouvelles pièces mais il était déjà trop tard. « C’est pour cela que j’incite mes clients à m’accompagner à l’audience, pour qu’ils se rendent compte que ce n’est pas de notre faute si le dossier est renvoyé sept à huit mois plus tard ».