Au palais de Batignolles, on peut tomber, plus ou moins par hasard, sur des audiences économiques et financières dans une demi-douzaine de chambres correctionnelles. Durant les quelques semaines séparant le déconfinement des vacations, le choix est plus limité. On s’installe finalement sur les bancs de la 11e chambre. Premier dossier, audiencé sur trois demi-journées : c’est ce que l’on surnomme une « escroquerie à l’encart ». C’est-à-dire que, prétendant représenter une institution reconnue, des commerciaux fourguent à des entreprises des pages de réclame hors de prix, dans des fascicules plus ou moins fictifs, en déroulant un argumentaire tendancieux que l’on appelle « déballe ». Certains prévenus sont également renvoyés pour blanchiment.
Dans ce dossier, tout commence vraisemblablement dans une certaine bonne foi. Une authentique association d’anciens combattants édite une petite publication annuelle, mais ne peut plus en financer l’impression. Un homme providentiel déboule, propose de sortir à ses frais un numéro spécial rendant hommage au groupe d’intervention de la gendarmerie (GIGN), et de se rémunérer uniquement par la commercialisation d’espaces publicitaires. Forcément le jackpot, dans le contexte des attentats de 2015.
Le président de l’association signe une convention, revêtue d’un (énorme) emblème gendarmesque. Il n’a jamais appartenu à l’unité, n’a même jamais été gendarme. Devant les enquêteurs de la brigade de répression de la délinquance astucieuse (BRDA), il s’obstine à répondre que le visuel n’est pas déposé, et peut donc être utilisé librement, comme si c’était la question. C’est cette « imprudence » originelle qui va servir à crédibiliser le reste de la « déballe ».
De son côté, Serge, le cosignataire de la convention, encaisse les recettes publicitaires (il est question de trois cent mille euros pour ce numéro), puis en rétrocède l’essentiel à une ribambelle de sociétés prétendument sous-traitantes, à la tête desquelles on trouve des gérants de paille. Arnaque dans l’arnaque, les bons de commande volontairement obscurs portent sur plusieurs espaces publicitaires, mais ne mentionnent qu’un prix unitaire : lorsque les annonceurs règlent ce qu’ils pensent être une facture globale, les commerciaux reviennent à la charge et exigent d’autres paiements du même montant, en agitant la menace de poursuites judiciaires. C’est ce que l’on appelle « une escroquerie à la distribution ».