Thème 1 : la récusation et le renvoi pour cause de suspicion légitime (Décr., art. 2)
La notice du décret indique qu’« il refond le régime de la récusation et du renvoi pour cause de suspicion légitime, en s’inspirant de celui prévu dans le code de procédure pénale ». Le chapitre II du titre X du livre premier du code de procédure civile est réorganisé : le renvoi pour cause de suspicion légitime est traité avec – et comme – la récusation et non plus dans un chapitre distinct qui renvoyait – en partie seulement – au régime de la récusation. Deux sections sont crées (Décr., art. 2, I) : i(ntitulées « dispositions générales » et « dispositions particulières », elles comprennent respectivement les articles 341 à 348 et les articles 349 et 350. L’article 341, qui renvoie à l’article L. 111-6 du code de l’organisation judiciaire, énonçant une liste de causes péremptoires de récusation, demeure comme auparavant. En revanche, les articles 342 et suivants du code de procédure civile sont profondément modifiés, pendant que des ajustements grammaticaux ou de vocabulaire sont effectués (Décr., art. 2, II).
Le moment pour présenter une demande de récusation ou de renvoi est inchangé (C. pr. civ., art. 342 nouv., à savoir dès que la partie a connaissance de la cause et jamais après la clôture des débats, sous la réserve jurisprudentielle que la partie n’apprenne l’identité de ses juges que trop tard, par exemple à l’occasion de la notification de la décision). La demande peut toujours être proposée par la partie elle-même (sauf devant la Cour de cassation) ou un mandataire. Mais l’article 343, alinéa 3 créé, précise désormais que « la requête est formée par avocat devant les juridictions où celui-ci a seul qualité pour représenter les parties » – le défenseur syndical, voire un autre mandataire spécialement institué, ou la partie, doit donc pouvoir présenter une telle demande devant la cour d’appel statuant en matière prud’homale.
La modification essentielle tient dans le fait que la demande de récusation n’est plus d’abord soumise au juge soupçonné de partialité, qui pouvait acquiescer ou non à cette demande – même en gardant le silence ; dans ce second cas, la cour d’appel statuait, voire le président d’une juridiction échevinale. La demande de renvoi n’est plus soumise au président de la juridiction, lorsque plusieurs juges ou tous les juges appelés à juger sont concernés par le soupçon. Désormais, l’article 344, alinéa 1er, nouveau, dispose que « la demande de récusation ou de renvoi pour cause de suspicion légitime est portée devant le premier président de la cour d’appel. Elle est formée par acte remis au greffe de la cour d’appel ». Il était permis de former la demande par déclaration consignée par le greffier dans un procès-verbal ; l’alinéa 2 nouveau limite désormais cette modalité au cas où « la cause justifiant la demande est découverte à l’audience », le procès-verbal est alors « adressé sans délai au premier président [et] une copie en est conservée au dossier ». Les dispositions s’appliquent aux juridictions de première instance, y compris échevinées et à la cour d’appel ; un traitement spécial est cependant réservé au premier président et à la cour d’appel « suspecte » dans son entier (V. infra). L’alinéa 3 reprend en substance le texte de l’ancien alinéa 2 en englobant le renvoi : « la demande doit, à peine d’irrecevabilité, indiquer les motifs de récusation ou de renvoi pour cause de suspicion légitime et être accompagnée des pièces justificatives ».
L’article 345, alinéa 1er, s’occupe de prévenir le président de la juridiction faisant l’objet d’une demande de renvoi ou à laquelle appartient le magistrat dont la récusation est demandée, ainsi que le magistrat concerné : ils « sont avisés par tout moyen par le premier président de la requête dont il est saisi. Selon le cas, le président de la juridiction ou le magistrat concerné est invité à présenter ses observations ». C’est à ce moment là que le juge concerné peut choisir de s’abstenir, auquel cas « le président de la juridiction en informe sans délai le premier président » (al. 2).
L’alinéa 3, nouveau, précise que « la requête présentée au premier président ne dessaisit pas le magistrat dont la récusation est demandée ou la juridiction dont le dessaisissement est demandé. Toutefois, le premier président peut, après avis du procureur général, ordonner qu’il soit sursis à toute décision juridictionnelle jusqu’à la décision sur la demande de récusation ou de renvoi pour cause de suspicion légitime » – rien n’empêche donc de prendre des mesures justifiées par l’état de l’affaire. C’est, en substance, la reconduction de la règle posée par l’article 361 ancien en matière de renvoi pour cause de suspicion légitime – l’avis du ministère public n’avait cependant pas à être sollicité et le sursis était pur et simple ; le juge dont la récusation était demandée devait au contraire s’abstenir, un autre juge étant éventuellement désigné en cas d’urgence (C. pr. civ., art. 346 anc.).
Le premier président statue dans un délai d’un mois, sous réserve d’une exception – ceci sans débat. Il faut rappeler que c’était la cour d’appel, en formation collégiale, qui statuait en cas de recours, « sans délai » pour la récusation, et noter que la mise à l’écart du contradictoire, pourtant peu satisfaisante, est maintenue (sur la conformité de cette solution à l’art. 6, § 1er, V. réc., Civ. 2e, 20 avr. 2017, n° 16-15.015, F-P+B, Dalloz actualité, 3 mai 2017, obs. C. Bléry ) : il statue, par exemple, sur le contentieux de la rétention des étrangers et les soins psychiatriques sans consentement.
Comme dans le droit antérieur, les protagonistes sont avisés de ce qui a été jugé, ainsi que le prévoit l’alinéa 2 de l’article 346 : « le greffier avise, par tout moyen et sans délai de la décision rendue les parties, le juge dont la récusation a été demandée et le président de la juridiction à laquelle appartient ce magistrat [juge serait préférable] ou dont le dessaisissement a été demandé ».
Selon l’alinéa 3 du texte, « l’ordonnance statuant sur la récusation ou la demande de renvoi pour cause de suspicion légitime peut faire l’objet d’un pourvoi dans les quinze jours de sa notification par le greffe ». Hier, le pourvoi – à l’exclusion de l’appel (art. 349 anc.) – était ouvert contre la décision sur la demande de récusation ; tout recours était fermé en matière de renvoi (C. pr. civ., art. 358 et 360, anc.) sous réserve d’un pourvoi pour excès de pouvoir (I. Peytel-Teyssié, in S. Guinchard (dir.), Droit et pratique de la procédure civile. Droit interne et européen 2017-2018, 9e éd., Dalloz Action, 2016, nos 353.145 et 353.146). Cette soupape de sécurité prétorienne n’a plus lieu d’être, le pourvoi en cassation étant ouvert, serait-ce pendant un délai beaucoup plus bref qu’à l’ordinaire.
Il est intéressant de noter les modalités de l’avis : « tout moyen » permet en effet à l’égard des parties le recours au courriel, voire au texto, dès lors que le destinataire a donné préalablement son consentement (C. pr. civ., art. 748-8, issu du décr. n° 2015-282 du 11 mars 2015. – Adde C. Bléry et J.-P. Teboul, Une nouvelle ère pour la communication par voie électronique, in 40 ans après… une nouvelle ère pour la procédure civile ?, in C. Bléry et L. Raschel (dir.), Dalloz, coll. « Thèmes et commentaires », 2016, p. 31 s., spéc. nos 18 s. ; C. Bléry, in Droit et pratique de la procédure civile, op. cit., nos 161.241 et 161.242). Le juge suspect ou le président de la juridiction n’est pas concerné par ce consentement préalable, n’étant pas une partie. Il faut noter au passage qu’on est passé du pluriel « tous moyens » (en 2015) au singulier « tout moyen » (en 2017) ; même si ce n’est guère cohérent, à notre sens, cela ne modifie pas la notion.
Comme l’ancien article 352, l’article 347, alinéa 1er, prévoit que « si la demande de récusation est admise, il est procédé au remplacement du juge ». L’alinéa 2 dispose que « si la demande de renvoi est admise, l’affaire est renvoyée devant une autre formation de la juridiction initialement saisie ou devant une autre juridiction de même nature. Cette décision s’impose aux parties et au juge de renvoi. En cas de renvoi devant une autre juridiction, il est procédé comme il est dit à l’article 97 ». C’est la reprise des règles posées aux articles 360 et 362 anciens ; il semble d’ailleurs qu’il y ait un problème de coordination puisque selon les articles 1, 2°, i) et 3 du décret n° 2017-891, l’article 97 devient l’article 82 (V. infra à propos de l’art. 354 nouv.). L’alinéa 3 reprend la règle de l’ancien article 354 et la fait jouer pour les deux procédures : ainsi « les actes accomplis par le juge ou la juridiction avant que la décision accueillant la demande de récusation ou de renvoi pour cause de suspicion légitime n’ait été portée à sa connaissance ne peuvent être remis en cause ». Mais le décret ajoute une précision à cet alinéa 3, à savoir qu’« est toutefois non avenue, quelle qu’en soit sa date, la décision rendue par le juge ou la juridiction qui tranche tout ou partie du principal ou qui, sans trancher le principal, est exécutoire à titre provisoire » : précision bienvenue, qui évite que le litige soit tranché par un juge ou une formation qui ignore la suspicion dont il, ou elle, est l’objet ; de même le demandeur à la procédure ne peut plus être contraint d’exécuter une décision assortie de l’exécution provisoire, alors qu’il suspecte son auteur de partialité.
Le nouvel article 348 reconduit « les mesures de rétorsion » (J. Héron et T. Le Bars, Droit judiciaire privé, 6e éd., Lextenso, coll. « Précis Domat », 2015, n° 1143) prévues dans les deux procédures (art. 353 et 363 anc.), si ce n’est qu’elles sont encore plus dissuasives : le montant de l’amende civile, dont le juge peut discrétionnairement frapper les plaideurs qui ont procédé à des « demandes de récusation inconsidérées » (loc. cit.), passe en effet de 3 000 € maximum à …10 000 € maximum (V. aussi introduction infra Décr., art. 67), toujours « sans préjudice des dommages-intérêts qui pourraient être réclamés ».
L’article 349, alinéa 1er, reproduit l’ancien article 355, alinéa 1er : « la récusation contre plusieurs juges doit, à peine d’irrecevabilité, être demandée par un même acte à moins qu’une cause de récusation ne se révèle postérieurement ». L’alinéa est adapté à la nouvelle organisation du titre X : « la requête est formée, instruite et jugée conformément aux dispositions des articles 341 à 348 ».
Une autre nouveauté importante et appréciable est issue de l’article 350, nouveau, qui dispose : « toute demande de récusation visant le premier président de la cour d’appel et toute demande de renvoi pour cause de suspicion légitime visant la cour d’appel dans son ensemble doivent faire l’objet d’une requête adressée au premier président de la Cour de cassation qui, après avis du procureur général près ladite cour, statue sans débat par une ordonnance. Les articles 341, 342, 344 à 348 sont applicables ». Un tel traitement spécial n’était pas prévu auparavant et la jurisprudence n’était pas exempte de critique, lorsqu’il s’est agi de trancher une telle difficulté relativement à un premier président de cour d’appel. Il avait été opportunément jugé que la procédure de suspicion légitime, relevant donc de la juridiction supérieure à « la suspecte », concernait le président de la juridiction, ceci « en raison de l’autorité hiérarchique de ce magistrat sur les juges de la cour d’appel » (Civ. 2e, 24 janv. 2002, n° 00-01.224, P. – Adde J. Héron et T. Le Bars, Droit judiciaire privé, op. cit., n° 1148 ; I. Peytel-Teyssié, in Droit et pratique de la procédure civile, op. cit., n° 353.134). Mais la Cour de cassation était revenue sur cette solution en 2016 (Civ. 2e, 26 mai 2016, n° 16-01.602, n° 16-01.603 et n° 16-01.604, P., JCP 2016. 710, obs. (justement crit.) D. Cholet) : la deuxième chambre civile avait en effet considéré que la requête tendant à la récusation du premier président de la cour d’appel ne relevait pas de la Cour de cassation. Désormais, si c’est le premier président de la cour d’appel qui fait l’objet d’une demande de récusation, ce ne sont plus ses « oilles » qui ont à en connaître et c’est heureux. La solution est étendue à l’hypothèse où la demande de renvoi pour cause de suspicion légitime vise la cour d’appel « dans son ensemble », donc y compris le premier président (mais n’est-ce pas plutôt la formation de la cour appelée à statuer qui est visée « dans son ensemble » ? Or le premier président ne la préside pas forcément…).
La suite du titre X est aussi réorganisée. La section III du chapitre III, relative au renvoi pour cause de sûreté publique, devient le chapitre III : cette procédure est appelée à jouer si « des circonstances mett[ent] en péril la sécurité des juges, le maintien de l’ordre public dans la ville où ils siègent ou la sérénité de la justice » (J. Héron et T. Le Bars, op. cit., n° 1151 ; I. Peytel-Teyssié, op. cit., n° 353.161). L’ancien article 365 (« le renvoi pour cause de sûreté publique est prononcé par la Cour de cassation sur réquisition du procureur général près ladite cour ») a été transféré à l’article 351. Et les anciens articles 360 à 362 sont devenus les articles 352 à 354 : les articles 360 à 362 régissaient la procédure de renvoi pour cause de suspicion légitime et s’appliquaient au renvoi pour cause de sûreté publique, à l’exclusion des autres dispositions relatives à la suspicion légitime, « totalement hors de propos dans la procédure de renvoi pour cause de sûreté publique » (J. Héron et T. Le Bars, op. cit.). Si l’article 360 est repris à l’identique (d’où il ressort que « si la demande est justifiée, l’affaire est renvoyée soit à une autre formation de la juridiction primitivement saisie, soit à une autre juridiction de même nature que celle-ci » et que « la décision s’impose aux parties et au juge de renvoi. Elle n’est susceptible d’aucun recours » : art. 352, al. 1er et 2 nouv.), le contenu des deux autres articles est quelque peu modifié : le nouvel article 353 maintient le principe selon lequel « l’instance n’est pas suspendue devant la juridiction dont le dessaisissement est demandé », mais désormais c’est « le premier président de la Cour de cassation [qui] peut toutefois ordonner que l’instance soit suspendue jusqu’à la décision sur la demande de renvoi » en lieu et place du « président de la juridiction saisie de la demande de renvoi » ; il n’est plus fait allusion à « la juridiction soupçonnée de partialité », ce soupçon étant hors sujet ici. Enfin, selon l’article 354, « en cas de renvoi, il est procédé comme il est dit à l’article 82 » et non plus « 97 ». Cela s’explique parce que l’article 1, 2° i) du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 relatif aux exceptions d’incompétence et à l’appel en matière civile prévoit que « l’article 97 devient l’article 82 » (V. aussi l’art. 3 du même décret) ; le contenu de l’article 97 est d’ailleurs modifié au passage (en particulier, les parties ne sont plus invitées à poursuivre l’instance « par lettre recommandée avec accusé de réception du secrétaire », mais « par tout moyen par le greffe ». – Sur ce décret, V., Dalloz actualité, 12 mai 2017, art. N. Fricero isset(node/184836) ? node/184836 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>184836).
En résumé, il y a donc toujours quatre chapitres dans le titre X : le chapitre I (l’abstention) et le chapitre IV (la prise à partie) sont inchangés ; le chapitre II regroupe désormais la récusation et le renvoi pour cause de suspicion légitime, qui ont le même régime, très amélioré, et le chapitre III, qui ne traite plus que du renvoi pour sûreté publique, avec une procédure qui lui est propre. Sous réserve du maintien de la prise à partie dans un chapitre IV, que l’on peut regretter (à quand un alignement de la responsabilité des juges non professionnels sur celle des magistrats ?), c’est un vrai progrès qui est apporté par le décret J21.
Selon l’article 70, I., « les dispositions de l’article 2 sont applicables aux demandes de récusation et de renvoi pour cause de suspicion légitime formées à compter de l’entrée en vigueur du présent décret », soit aux demandes présentées à compter du 11 mai 2017. Curieusement les dispositions des articles 1er et 2 du décret n° 2017-891, elles s’appliquent aux décisions rendues à compter du 1er septembre 2017 (le renvoi à l’art. 82 est donc problématique d’aujourd’hui à cette date : on peut espérer qu’il n’y aura pas de renvoi pour cause de sûreté publique dans l’intervalle !).
par Corinne Bléry
Thème 2 : la péremption d’instance (Décr., art. 3)
Le changement apporté par l’article 3 du décret n° 2017-892 du 6 mai 2017 qui modifie l’alinéa 2 de l’article 388 du code de procédure civile, est assez discutable, puisque désormais le juge peut « constater d’office » la péremption « après avoir invité les parties à présenter leurs observations ».
Ainsi, lorsque le juge constatera une inaction des parties pendant deux ans (C. pr. civ., art. 386), il n’aura plus à attendre d’être sollicité par une partie – en pratique le défendeur – pour déclarer l’instance périmée. C’est, comme souvent, la volonté de vider les prétoires qui se manifeste.
Ce n’est heureusement qu’une faculté et qui ne pourra s’exercer que dans le respect du contradictoire, ce que le texte rappelle expressément, même si l’article 16 lui impose ce respect. Il s’agit de la généralisation d’une règle qui existait déjà devant la Cour de cassation (C. pr. civ., art. 1009-2, al. 2. V., L. Cadiet et E. Jeuland, Droit judiciaire privé, 9e éd., LexisNexis, 2016, nos 697 et 1005, en note ; les auteurs suggéraient une telle généralisation).
C’est malheureusement un pouvoir qui peut être très dangereux pour les parties, quand on sait que la Cour de cassation a récemment jugé que si l’affaire est encore à fixer, les parties ne peuvent « s’endormir sur leurs lauriers » et doivent rester actives (V. notre note sur Civ. 2e, 16 déc. 2016, n° 15-27.917 P, D. 2017. 141. Adde D. 2017. 606, obs. E. de Leiris ; JCP 2017. 106, note D. Cholet) : or les cours d’appel restent souvent de marbre devant des demandes de fixation…
par Corinne Bléry
Thème 3 : le jugement (Décr., art. 4 à 6)
Réforme de la procédure orale
La réglementation de cette procédure est issue du décret n° 2010-1165 du 1er octobre 2010. Ce texte a créé un socle de règles communes à l’oralité, codifié aux articles 446-1 à 446-4 du code de procédure civile ; il a institué une oralité moderne en conférant une valeur autonome aux écrits et a dispensé les parties, sous certaines conditions, de se présenter à l’audience – les questions de la dispense de présentation et du régime juridique de l’écrit étant liées. Le recours au régime réglementaire de l’écrit suppose deux conditions cumulatives, énoncées à l’alinéa 2 de l’article 446-1 : il faut qu’une disposition particulière prévoit une possible dispense de présentation et que les parties soient effectivement dispensées de présentation. Cette autorisation est donnée, selon le cas, par le juge ou par la loi elle-même. Le décret de 2010 a aussi permis l’instauration d’une vraie mise en état.
L’article 4, 1°, du décret n° 2017-892 est venu retoucher l’article 446-2. L’auteur du décret, M. Edouard de Leiris, membre de la Commission Guinchard, était particulièrement attaché à l’autonomie de la volonté en procédure civile (E. de Leiris, Les métamorphoses des procédures orales – Le décret du 1er octobre 2010, in C. Bléry et L. Raschel (dir.), Les métamorphoses de la procédure civile, colloque Caen, Gaz. Pal. 31 juill. 2014, p. 23). Mais la très/trop grande souplesse offerte par la réforme de 2010 avait limité son utilisation.
Le nouvel article 446-2, alinéa 1er, est un peu plus directif : « lorsque les débats sont renvoyés à une audience ultérieure » et que le juge organise « les échanges entre les parties comparantes », il n’est plus nécessaire que les parties soient d’accord pour fixer des délais ; le juge se contente désormais de recueillir leur avis. En revanche leur accord est toujours nécessaire pour fixer « les conditions de communication de leurs prétentions, moyens et pièces », ce qui ne va pas changer grand chose…
Un alinéa 2, créé, par l’article 4, 2°, « instaure une structuration des conclusions lorsque toutes les parties comparantes formulent leurs prétentions et moyens par écrit » (V. notice du décret), que l’on est donc en oralité moderne, mais seulement si elles sont assistées ou représentées par un avocat. Ce nouvel alinéa est rigoureusement le même qu’en procédure écrite « pure », devant le tribunal de grande instance (V. in Thème 7, art. 753, issu du Décr. n° 2017-892) et la cour d’appel (art. 954, issu du Décr. n° 2017-891). Les conclusions sont qualificatives, récapitulatives et structurées. Le texte dispose ainsi que « lorsque toutes les parties comparantes formulent leurs prétentions et moyens par écrit et sont assistées ou représentées par un avocat, les conclusions doivent formuler expressément les prétentions ainsi que les moyens en fait et en droit sur lesquels chacune de ces prétentions est fondée avec indication pour chaque prétention des pièces invoquées et de leur numérotation. Un bordereau énumérant les pièces justifiant ces prétentions est annexé aux conclusions. Les conclusions comprennent distinctement un exposé des faits et de la procédure, une discussion des prétentions et des moyens ainsi qu’un dispositif récapitulant les prétentions. Les moyens qui n’auraient pas été formulés dans les écritures précédentes doivent être présentés de manière formellement distincte. Le juge ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n’examine les moyens au soutien de ces prétentions que s’ils sont invoqués dans la discussion. Les parties doivent reprendre dans leurs dernières conclusions les prétentions et moyens présentés ou invoqués dans leurs conclusions antérieures. À défaut, elles sont réputées les avoir abandonnés et le juge ne statue que sur les dernières conclusions déposées ».
L’obligation de récapitulation était déjà imposée devant le conseil de prud’hommes, par l’article R. 1453-5 du code du travail, issu du décret n° 2016-660 du 20 mai 2016 et applicable aux instances introduites devant ces juridictions à compter du 1er août 2016 (il n’y avait pas de dispense de présentation devant la juridiction prud’homale auparavant. – Adde L. Cadiet et E. Jeuland, Droit judiciaire privé, op. cit., n° 945). Mais le nouvel article 446-2 va bien au-delà. La nouveauté tient dans la notion de « discussion », dont la jurisprudence aura à préciser les contours et dans la distinction des exposés : faits/prétentions, moyens repris/nouveaux. L’idée est sans doute d’obliger les avocats à faire plus lisible. Cela sera-t-il efficace ? Pourquoi le législateur ne dit-il pas plutôt, de manière synthétique et logique, que les conclusions sont construites sur le modèle du jugement (V., C. pr. civ., art. 455) ? Certes, les avocats ont intérêt à faciliter le travail du juge et à « soigner leur copie », mais tout devient trop rigide.
D’autant que la sanction est rude, puisque les prétentions et moyens qui ne respectent pas ce formalisme ne « comptent pas ». C’est là une fin de non-recevoir qui ne dit pas son nom (comme déjà devant la cour d’appel et aussi devant le tribunal de grande instance aujourd’hui : v. Thème 7). C’est même une « irrecevabilité-machine », dont la régularité interroge, puisque le juge ne statue même pas sur les conclusions qui ne « rentrent pas dans les cases ».
L’ancien alinéa 2, devenu alinéa 3, a maintenu la nécessité d’obtenir l’accord des parties pour que les conclusions soient récapitulatives, dans l’hypothèse inverse à celle envisagée à l’alinéa 2, à savoir si « elles ne sont pas assistées ou représentées par un avocat » (Décr., art. 4, 3°).
L’efficacité de la mise en état en procédure orale moderne est donc un peu renforcée. Lorsque les parties sont dispensées de se présenter et qu’elles sont au moins assistées d’un avocat, les écrits s’alignent sur ceux de la procédure écrite devant la cour d’appel lorsque la représentation est obligatoire (V. art. 954 nouv.) et le tribunal de grande instance (V. art. 753 nouv. et Thème 7). Selon l’article 70, II, les dispositions de l’article 4 sont applicables aux instances introduites à compter de l’entrée en vigueur du décret, c’est-à-dire aux instances introduites depuis le 11 mai 2017.
L’article 5 ajoute une nouvelle disposition particulière permettant une dispense de présentation. Il n’en existait pas en matière de référé (ce que la Cour de cassation avait confirmé, Soc. 25 sept. 2013, n° 12-17.968, NP, Gaz. Pal. 8-10 déc. 2013, p. 26, nos obs.). L’article 486-1, alinéa 1er, créé, prévoit une dispense de présentation légale, assez limitée, qui jouera certainement en cas de référé « 145 » et, curieusement, seulement au profit du défendeur : « lorsque la demande en référé porte sur une mesure d’instruction exécutée par un technicien ou sur une mesure d’expertise, le défendeur qui a indiqué, avant l’audience, acquiescer à la demande, est dispensé de comparaître. Néanmoins, le juge a toujours la faculté d’ordonner qu’il soit présent devant lui ». L’alinéa 2 précise que « la décision rendue dans ces conditions est contradictoire », ce qui n’est que l’application de l’article 446-1, alinéa 2.
Retouche des pouvoirs du juge des référés en matière d’astreintes
La première phrase du premier alinéa de l’article 491 dispose désormais que « le juge des référés qui assortit sa décision d’une astreinte peut s’en réserver la liquidation », plutôt que « le juge statuant en référé peut prononcer des condamnations à des astreintes. Il peut les liquider, à titre provisoire », sans qu’on comprenne bien la raison de cette reformulation. D’ailleurs l’article L. 131-1, alinéa 1er, du code des procédures civiles d’exécution prévoit pour « tout juge » la possibilité d’assortir d’astreintes les condamnations qu’il prononce et l’article L. 131-3 du même code prévoit que « l’astreinte, même définitive, est liquidée par le juge de l’exécution, sauf si le juge qui l’a ordonnée reste saisi de l’affaire ou s’en est expressément réservé le pouvoir » (pour une explication, V. : https://www.courdecassation.fr/publications_26/rapport_annuel_36/rapport…).
par Corinne Bléry
Thème 4 : la reconnaissance transfrontalière (Décr., art. 7)
Dans certaines matières, relevant de divers règlements européens et de la convention de Lugano du 30 octobre 2007, « les décisions rendues dans un État membre sont normalement reconnues dans les autres États membre sans qu’il soit nécessaire de recourir à une autre procédure. En revanche, l’exécution forcée de ces décisions passe en principe par une procédure de constatation de la force exécutoire » (J. Héron et T. Le Bars, Droit judiciaire privé, op. cit., n° 350. – Adde C. Chainais, F. Ferrand et S. Guinchard, Procédure civile, 4e éd., Dalloz, coll. « Précis », nos 2195 s.). Dans le cadre du règlement de Bruxelles I bis, une décision rendue dans un État membre jouit de la force exécutoire dans les autres États membres sans qu’une déclaration constatant la force exécutoire soit nécessaire (Règl. du 12 déc. 2012, art. 39).
« La partie qui sollicite la délivrance d’une déclaration constatant la force exécutoire d’une décision doit notamment produire un certificat émanant de la juridiction ou de l’autorité compétente de l’État membre d’origine […]. Dans l’État requis, la simple lecture de ce certificat permet à l’autorité compétente de délivrer une déclaration constatant la force exécutoire de la décision » (C. Chainais, F. Ferrand et S. Guinchard, op. cit., n° 2228).
Selon l’article 509-1 du code de procédure civile, il existe deux autorités chargées de certifier les titres exécutoires français en vue de leur reconnaissance et de leur exécution à l’étranger, à savoir, le « directeur des services de greffe judiciaire [qui remplace le « greffier en chef » : V. Décr., art. 68 et Dalloz actualité, 15 mai 2017, art. C. Bléry isset(node/184853) ? node/184853 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>184853] de la juridiction qui a rendu la décision ou homologué la convention » et le « juge qui a rendu la décision ou homologué la convention ».
Indiquons que ce sont le « directeur des services de greffe judiciaire » du tribunal de grande instance ou le président du tribunal de grande instance qui reçoivent les requêtes aux fins de reconnaissance ou de constatation de la force exécutoire, sur le territoire de la République, des titres exécutoires étrangers en application de textes européens, énumérés à l’article 509-2, pendant que l’article 509-3 donne compétence soit au président de la chambre des notaires, soit au notaire ou à la personne morale titulaire de l’office notarial conservant la minute de l’acte reçu en fonction de la nature des requêtes aux fins de certification. Les articles 509-4 à 509-9 précisent la procédure à suivre.
L’article 509-1 du code de procédure civile est essentiellement restructuré en la forme. Sur le fond, le « directeur des services de greffe judiciaire » voit sa compétence doublement modifiée :
- d’une part, cette compétence est étendue : c’est à ce fonctionnaire qu’il faut présenter « les requêtes aux fins d’obtention d’un extrait d’une décision présentées en application de l’article 28, paragraphe 1er, du règlement (CE) n° 4/2009 du Conseil du 18 décembre 2008 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions et la coopération en matière d’obligations alimentaires » (V. art. 509-1, I, 2°, créé) ;
- d’autre part, cette compétence est réduite, puisque c’est désormais au juge qui a rendu la décision ou homologué la convention qu’il faut présenter « les requêtes aux fins de certification des titres exécutoires français en vue de leur reconnaissance et exécution à l’étranger en application : […] – du règlement (CE) n° 805/2004 du Parlement européen et du Conseil du 21 avril 2004 portant création d’un titre exécutoire européen pour les créances incontestées » (V. art. 509-1, II, 1°, al. 2, modifié). Cette modification est la suite d’un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 17 décembre 2015 (CJUE 17 déc. 2015, aff. C-300/14 ; sur lequel, v. Dalloz actualité, 8 janv. 2016, obs. F. Mélin ; D. 2016. 1045, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke
; Rev. crit. DIP 2016. 493, note G. Cuniberti et V. Richard
). Dans cet arrêt, la Cour a apporté d’importantes précisions sur le régime du titre exécutoire européen, défini par le règlement (CE) n° 805/2004 du Parlement européen et du Conseil du 21 avril 2004 portant création d’un titre exécutoire européen pour les créances incontestées. Elle avait été « saisie d’une question préjudicielle tendant à ce qu’il soit déterminé si la certification envisagée par l’article 6 est un acte de nature juridictionnelle relevant de la compétence du juge » et avait précisé « que l’article 6 doit être interprété en ce sens que la certification doit être réservée au juge, comme il avait pu l’être anticipé » (F. Mélin, obs. préc.).
Cette position prise par la CJUE imposait « au pouvoir réglementaire de modifier l’article 509-1 du code de procédure civile, qui prévoit, en particulier, que sont présentées au greffier en chef de la juridiction qui a rendu la décision les requêtes aux fins de certification des titres exécutoires français en application du règlement (CE) n° 805/2004 » (préc.). C’est chose faite.
Selon l’article 70, III du décret n° 2017-892 « les dispositions du d) du 1° de l’article 7 sont applicables aux requêtes aux fins d’obtention d’un extrait de décisions présentées en application de l’article 28, paragraphe 1er, du règlement (CE) n° 4/2009 du Conseil du 18 décembre 2008 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions et la coopération en matière d’obligations alimentaires, pour toutes les décisions judiciaires quelle que soit la date à laquelle elles ont été rendues et les dispositions du 2° de l’article 7 sont applicables aux requêtes aux fins de certification des titres exécutoires français en application du règlement (CE) n° 805/2004 du Parlement européen et du Conseil du 21 avril 2004 portant création d’un titre exécutoire européen pour les créances incontestées pour tous les titres dressés ou décisions rendues depuis l’entrée en vigueur dudit règlement ».
par Corinne Bléry
Thème 5 : les notifications (Décr., art. 8 à 15)
Selon la notice du décret J21, « il procède par ailleurs à une simplification des règles de notifications internationales et crée dans le code de procédure civile une disposition permettant à une partie demeurant à l’étranger de déclarer au greffe son élection de domicile en France, aux fins de notification à ce domicile élu des actes de procédure, de la décision rendue et des recours exercés ». Il procède aussi à des retouches et actualisations.
L’article 8 ajoute la tierce opposition à la liste des recours, prévus à l’article 643 et à l’article 644, dont les délais sont susceptibles d’être augmentés en raison des distances. C’est toutefois seulement la tierce opposition dans l’hypothèse prévue à l’article 586, alinéa 3, qui peut bénéficier de cet allongement : il résulte de ce texte que, en matière contentieuse, le tiers auquel le jugement a été notifié, ne peut former tierce opposition que « dans les deux mois de cette notification, sous réserve que celle-ci indique de manière très apparente le délai dont il dispose ainsi que les modalités selon lesquelles le recours peut être exercé. Il en est de même en matière gracieuse lorsqu’une décision en dernier ressort a été notifiée ». Cette limitation est compréhensible : c’était « à dessein que le législateur a[vait] omis la tierce opposition dont l’exercice et ouvert pendant un délai qui est en principe de trente ans » (J. Héron et T. Le Bars, Droit judiciaire privé, op. cit., 2015, n° 249). Par exception le délai est plus court. C’est donc ce délai de deux mois qui peut être augmenté, selon le cas, de un mois, pour un demandeur demeurant dans une collectivité d’outre-mer – au sens large du terme, ou de deux mois, pour un demandeur demeurant à l’étranger, pour agir devant une juridiction métropolitaine (art. 643) ; il en va de même lorsque la demande est portée devant une juridiction qui a son siège dans certaines collectivités d’outre-mer : le délai de distance est soit de un mois, pour les personnes qui ne demeurent pas dans la collectivité territoriale dans le ressort de laquelle la juridiction a son siège, soit de deux mois, pour les personnes qui demeurent à l’étranger (art. 644).
L’article 9 du décret déplace l’article 683 avant l’intitulé de la sous-section 1 de la section V du chapitre III du titre XVII du Livre Ier et le reformule : il résulte de l’opération que l’article 683 annonce, de manière bienvenue, tant les notifications à l’étranger (sous-section 1 : art. 684 à 688) que les notifications en provenance de l’étranger (sous-section 2 : art. 688-1 à 688-8).
L’article 10 actualise les articles 684 et 685, remplaçant les mots : « règlement communautaire » par : « règlement européen ».
L’article 11 prévoit qu’« à l’article 687-1, le mot : “5” est remplacé par le mot : “4” ». Pourquoi cette retouche ? Parce que « l’article 687-1 du code de procédure civile (créé par le Décr. n° 2012-366, 15 mars 2012) prévo[yait] que “s’il ressort des éléments transmis par l’autorité requise ou les services postaux que le destinataire n’habite pas à l’adresse indiquée et que celui-ci n’a plus ni domicile ni résidence connus, l’huissier de justice relate dans l’acte les indications ainsi fournies et procède à la signification comme il est dit aux alinéas 2 à 5 de l’article 659” (sic : l’article 659 n’a que quatre alinéas) : autrement dit, il doit envoyer une LRAR et une lettre simple comme lorsqu’il signifie par procès-verbal de recherches infructueuses » (C. Bléry, in Droit et pratique de la procédure civile, n° 161.204). Le législateur a donc corrigé la coquille.
Les articles 12 et 13 du décret du 6 mai 2017 apportent des petites touches d’amélioration au régime de la notification d’un acte en provenance de l’étranger (sur lequel, v. C. Bléry, in Droit et pratique de la procédure civile, nos 161.211 s. – C. Chainais, F. Ferrand et S. Guinchard, Procédure civile, op. cit., 2016, nos 967 s.). Selon l’article 70, IV, les dispositions de ces deux articles « sont applicables à compter du 1er septembre 2017 ».
Ce régime est le suivant : le requérant peut emprunter la voie d’une simple remise ou la signification (C. pr. civ., art. 688-1), la remise étant effectuée (sans frais) par le ministère public (C. pr. civ., art. 688-2, al. 1er et art. 688-3) et la signification par un huissier de justice territorialement compétent pour ce faire (C. pr. civ., art. 688-2, al. 1er, et art. 688-4), le requérant étant alors tenu de faire l’avance des frais (C. pr. civ., art. 688-5). Dans les deux cas, c’est au ministre de la Justice que sont adressés les actes en provenance de l’étranger (C. pr. civ., art. 688-2, al. 1er), il est donc le premier intermédiaire. Ensuite, selon le cas, « il transmet les actes au ministère public près le tribunal de grande instance dans le ressort duquel ils doivent être notifiés ou à la chambre nationale des huissiers de justice » (C. pr. civ., art. 688-2, al. 1er). Une troisième voie peut aussi être utilisée : selon l’alinéa 2 de l’article 688-2 du code de procédure civile (créé par le Décr. n° 2012-366, 15 mars 2012), le ministre « peut également notifier ces actes à leur destinataire par lettre recommandée avec demande d’avis de réception »).
L’article 12 ajoute une exigence lorsque c’est la voie de la remise qui est choisie : elle est désormais effectuée « contre récépissé attestant de la date et des conditions de la remise ».
Par ailleurs, par exception à la règle selon laquelle les actes doivent être rédigés en français, l’article 688-6, alinéa 1er, du code de procédure civile prévoit que « l’acte est notifié dans la langue de l’État d’origine ». Pour prévenir les difficultés de compréhension, l’alinéa 2 ajoute que « toutefois le destinataire qui ne connaît pas la langue dans laquelle l’acte est établi peut en refuser la notification et demander que celui-ci soit traduit ou accompagné d’une traduction en langue française, à la diligence et aux frais de la partie requérante ».
Et l’article 13 ajoute un troisième alinéa à l’article 688-6, afin de protéger davantage le destinataire ignorant de la langue étrangère : « l’autorité en charge de la remise ou de la signification informe le destinataire de l’acte de cette possibilité [celle de l’alinéa 2]. Mention est faite de cette information dans l’acte constatant la remise ou la signification ».
L’article 14 créé un article 689-1 qui prévoit l’élection de domicile de « toute partie demeurant à l’étranger ». Ce nouvel article prend place dans une section consacrée au « lieu des notifications » (C. Bléry, in Droit et pratique de la procédure civile, op. cit., nos 161.112 et 161.113. – C. Chainais, F. Ferrand et S. Guinchard, Procédure civile, op. cit., nos 927 s.). Il s’insère entre l’article 689, qui régit les notifications à personne physique et dont l’alinéa 3 admet la notification à domicile élu (par ex. au cabinet de l’avocat ou au lieu de l’exécution d’un contrat), « lorsque la loi l’admet ou l’impose », et l’article 690 visant les notifications aux personnes morales de droit privé ou aux EPIC ; or la notification au domicile élu est exclue (Civ. 3e, 4 mai 1994, n° 92-13.039, P, AJDI 1994. 544 ), mais une jurisprudence bienveillante permet l’utilisation de la solution de notification à une personne habilitée lorsque le lieu de l’établissement est à l’étranger (Com. 20 nov. 2012, n° 11-17.653, P, D. 2012. 2811, obs. V. Avena-Robardet
; Rev. sociétés 2013. 154, note J.-F. Barbièri
). Le texte entérine cette jurisprudence, puisqu’il ne distingue pas selon que la partie est une personne physique ou morale.
Comme l’article 748-1 en matière de communication par voie électronique, l’article 889-1 énumère les actes susceptibles d’être concernés par l’élection de domicile en France, plutôt que d’utiliser une formule générique – ce que l’on peut regretter. Ainsi, selon l’alinéa 1er, « toute partie demeurant à l’étranger a la faculté de déclarer au greffe de la juridiction saisie, dès l’introduction de l’instance, qu’elle élit domicile en France afin d’être rendue destinataire :
- des envois, remises, et notifications des actes de procédure, des pièces, avis, avertissements ou convocations, des rapports, des procès-verbaux ainsi que des copies et expéditions revêtues de la formule exécutoire des décisions juridictionnelles, lorsque la partie n’a pas chargé une personne demeurant en France de la représenter en justice ;
- de la notification du jugement prévue à l’article 682 [selon lequel la notification d’un jugement est valablement faite au domicile élu en France par la partie demeurant à l’étranger] ;
- de la notification relative à l’exercice d’une voie de recours ».
Les alinéas 2 et 3 prévoient les modalités de mise en œuvre : « la déclaration d’élection de domicile est faite par la partie elle-même ou par la personne chargée de la représenter en justice » et « l’élection de domicile prend effet à l’égard de la juridiction, à compter de la déclaration faite au greffe, et à l’égard des autres parties, à compter de l’avis qui leur en est donné par la personne qui élit domicile ». Le texte reste muet, en revanche, sur la forme que doit emprunter cet avis et sur la preuve du respect de cette formalité pourtant d’une grande importance.
L’article 15 insère un article 692-2 après l’article 692-1 (issu du Décr. n° 2015-282, 11 mars 2015), qui prévoit : « lorsqu’en application du présent code, le greffe convoque les parties à l’audience par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, les parties ou certaines d’entre elles peuvent, sur mention du juge au dossier, être avisées de cette date d’audience par lettre simple. Si une partie avisée par lettre simple ne comparait pas à l’audience ou n’y a pas été représentée, elle est convoquée par lettre recommandée avec demande d’avis de réception à une audience ultérieure. ». L’exercice surprend, en ce sens que le décret n° 2015-282 du 11 mars 2015 a supprimé l’obligation de doubler une lettre recommandée avec demande d’avis de réception par une lettre simple lorsqu’elle était prévue par une disposition propre à une juridiction ; le décret avait donc « fait la chasse à cette lettre simple qui doublait la lettre recommandée avec demande d’avis de réception, dans diverses procédures prévues par le code de procédure civile » (C. Bléry et J.-P. Teboul, Une nouvelle ère pour la procédure civile. À propos du décret n° 2015-282 du 11 mars 2015, Gaz. Pal. 27-28 mars 2015, p. 6, n° 4). L’idée des rédacteurs du code de procédure civile que « les lettres simples se perdent moins souvent que les lettres recommandées ! », (J. Héron et T. Le Bars, Droit judiciaire privé, op. cit., n° 186) – et, peut-on ajouter, intimident moins le justiciable – referait-elle surface, malgré la nécessité de rationaliser la consommation de timbres et de papier ? Il est vrai que c’est une simple faculté. L’initiative de la mise en œuvre de cette possibilité n’est pas claire : est-ce le juge qui décide puisque c’est sur sa mention au dossier ? Les parties peuvent-elles la solliciter ? Quid du greffier ? Quel critère fonde le choix d’envoyer une lettre simple plutôt qu’une LRAR ?… En outre, ce n’est pas un simple avis, mais une convocation, avec toutes les conséquences qu’emporte un tel acte. Heureusement l’article se préoccupe du défaut qui suivrait cette convocation dépourvue de garanties procédurales. Il n’empêche : le pouvoir réglementaire revient en arrière par rapport à 2015 et sème la confusion entre les avis d’audience et les convocations…
par Corinne Bléry
Thème 6 : les commissions rogatoires internationales (Décr., art. 16 et 17)
Réforme de la procédure des commissions rogatoires internationales
La notice du décret indique que, « en matière de commissions rogatoires internationales, il consacre la compétence exclusive du tribunal de grande instance, et institue dans le code de l’organisation judiciaire un juge chargé de surveiller l’exécution de ces commissions rogatoires. Il ouvre par ailleurs la possibilité d’une exécution directe (notamment par vidéoconférence) des commissions rogatoires délivrées dans le cadre de la Convention de La Haye du 18 mars 1970 sur l’obtention des preuves à l’étranger en matière civile et commerciale ».
La commission rogatoire est une délégation de pouvoirs par laquelle un juge en commet un autre pour accomplir à sa place des opérations auxquelles il ne peut lui-même procéder pour cause d’éloignement (H. Croze, J.-Cl. Proc. civ., Fasc. 700-95 : commissions rogatoires et A. Huet, J.-Cl. Proc. civ., Fasc. 148-20 : procédure civile et commerciale dans les rapports internationaux ; J. Héron et T. Le Bars, Droit judiciaire privé, op. cit., 2015 n° 1098 ; D. Cholet, Rép. pr. civ., v° Commission rogatoire). Les commissions rogatoires internationales font l’objet d’un chapitre entier, à savoir le chapitre II du titre XX du Livre premier, situé dans les dispositions communes du code de procédure civile. Il est composé des articles 733 à 748, mais le décret l’a restructuré et enrichi d’articles.
Selon l’article 16, 1° du décret J21, « avant la section première, il est inséré un article 733 ainsi rédigé : “Art. 733. - Les dispositions du présent chapitre s’appliquent sans préjudice des traités, accords internationaux et règlements européens en vigueur” ». C’était déjà le cas, mais c’est aujourd’hui affirmé d’emblée. Ainsi (V., H. Croze, op. cit., nos 24 et 25), dans le cadre de l’Union européenne, il y a lieu d’appliquer les dispositions du règlement (CE) n° 1206/2001 du Conseil du 28 mai 2001 relatif à la coopération entre les juridictions des États membres dans le domaine de l’obtention des preuves en matière civile ou commerciale qui prévoient que les demandes sont formées par voie de formulaires ce qui exclut la forme des commissions rogatoires. La plus importante conventions internationales, bilatérales et multilatérales est la Convention de La Haye du 18 mars 1970 sur l’obtention des preuves à l’étranger en matière civile ou commerciale, en vigueur en France depuis le 6 octobre 1974. Et, par exemple, il existe une Convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de Mongolie, du 27 février 1992 relative à l’entraide judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile, convention modifiée par l’accord du 7 mai 1992.
Les intitulés des deux sections sont modifiés : il ne s’agit plus de « Commissions rogatoires à destination d’un État étranger » et de « Commissions rogatoires en provenance d’un État étranger », mais de Commissions rogatoires – respectivement – à destination ou en provenance de l’étranger » (art. 16, 2° et 6°).
« Commissions rogatoires à destination de l’étranger »
La section I est renumérotée : les articles 734 à 734-2, nouveaux, ne sont que retouchés. À la demande des parties ou d’office, le juge français peut faire procéder dans un État étranger aux mesures d’instruction ainsi qu’aux autres actes judiciaires qu’il estime nécessaires. À cette fin, il donne commission rogatoire soit à toute autorité judiciaire compétente de cet État, soit aux autorités diplomatiques ou consulaires françaises (art. 734, nouv.), sachant que « le choix de l’autorité commise dépend de la nationalité de la personne dont le concours est souhaité :
- s’agissant d’un national de l’État étranger, il est préférable de s’adresser à l’autorité judiciaire compétente de cet État ;
- s’agissant d’un Français résidant dans cet État, aux autorités diplomatiques ou consulaires françaises » (V., H. Croze, op. cit., n° 32)
Le nouvel article 734-1 reprend en substance l’ancien article 734, en le reformulant et en ajoutant des précisions. Selon l’alinéa 1er, « le greffe de la juridiction commettante adresse au ministère public une expédition de la décision donnant commission rogatoire accompagnée d’une traduction établie à la diligence des parties, à moins que la transmission doive se faire directement à la juridiction ou l’autorité étrangère compétente ». Un alinéa 2 prévoit que « la décision donnant commission rogatoire est accompagnée d’une traduction établie à la diligence des parties, à moins que ne soit autorisée sa transmission en langue française » : cette restriction est issue du décret du 6 mai 2017. « Le Ministère public fait aussitôt parvenir la commission rogatoire au ministre de la justice près la juridiction commettante aux fins de transmission, à moins qu’en vertu d’un traité la transmission doive [au lieu de « puisse »] être faite directement à l’autorité étrangère » (art. 734-2, nouv.). Les mots en italique sont issus du décret J21 (art. 16, 4° et 5°).
« Commissions rogatoires en provenance de l’étranger »
La section II est davantage modifiée, dans la forme comme dans le fond. Elle est scindée en trois paragraphes : le § 1 : « Exécution de la commission rogatoire internationale par le tribunal de grande instance », qui comprend les articles 735 à 747, le § 2 : « Exécution directe de la commission rogatoire internationale », qui comprend les articles 747-1 et 747-2, et le § 3 : « Dispositions communes » qui comprend l’article 748 (art. 18, 5°, 7° et 13°).
Exécution de la commission rogatoire internationale par le tribunal de grande instance
Le mécanisme prévu hier par les articles 736 et suivants est maintenu. En revanche, l’article 735 nouveau donne compétence d’attribution au seul tribunal de grande instance pour connaître des commissions rogatoires, en lieu et place de « la juridiction compétente aux fins d’exécution » (al. 1er) et compétence territoriale au tribunal de grande instance « dans le ressort duquel la commission rogatoire doit être exécutée » (al. 2). Et les articles suivants intègrent cette restriction de compétence : ainsi « le ministre de la justice transmet au ministère public près le tribunal de grande instance compétent les commissions rogatoires qui lui sont adressées » (art. 736 nouv.) ; « le ministère public fait aussitôt parvenir la commission rogatoire au président du tribunal de grande instance aux fins d’exécution » (art. 737 nouv.) et « dès réception de la commission rogatoire, le juge commis à cet effet par le président du tribunal de grande instance procède aux opérations prescrites » (art. 738 nouv.). Les mots en italique sont issus du décret J21 (art. 16, 9° à 11°).
Les articles 739 à 747 sont inchangés : ils déterminent les causes de refus d’exécution de la commission rogatoire, la loi applicable à l’exécution (c’est en principe la loi française, mais, à la demande de la juridiction étrangère, l’exécution peut avoir lieu « selon une forme particulière ») et les incidents auxquels peut donner lieu en France l’exécution de la commission rogatoire.
Exécution directe de la commission rogatoire internationale
La Convention de La Haye du 18 mars 1970 sur l’obtention des preuves à l’étranger en matière civile ou commerciale réglemente la plupart des commissions rogatoires internationales envoyées ou reçues par la France en dehors de l’Union européenne (V. la liste des adhésions et ratifications sur le site internet de la Conférence de La Haye : www.hcch.net). Cette Convention présente l’intérêt majeur de tenter une unification qui puisse convenir aux pays de systèmes juridiques très dissemblables, tels ceux de common law, d’Europe continentale ou d’Asie (D. Cholet, op. cit., n° 47). Cette Convention concerne essentiellement les commissions rogatoires demandées par un juge à une autorité judiciaire étrangère et aux agents diplomatiques ou consulaires. Le régime des commissions rogatoires institué par la Convention est proche de celui du droit commun français, sous quelques réserves : en particulier, le traité a prévu une transmission semi-directe des commissions rogatoires qui tranche nettement avec la voie diplomatique traditionnelle (D. Cholet, op. cit., n° 49).
Le décret J21 introduit une exécution directe, notamment par vidéoconférence. Si le refus des commissions rogatoires n’est en principe pas possible, le ministère de la justice n’a pas l’obligation d’autoriser l’exécution directe.
Les articles 741-1 et 747-2 prévoient respectivement que :
- « si demande en est faite dans la commission rogatoire, et pour autant que la mesure d’instruction prescrive qu’il soit exclusivement procédé à une audition, le ministère de la justice peut en autoriser l’exécution directe par la juridiction étrangère, notamment par vidéoconférence, sans contrainte ni sanction possible » ;
- « s’il est déféré à la demande de la juridiction étrangère, le ministère de la justice indique dans quelles conditions il doit être procédé à la mesure d’instruction et, s’il y a lieu, désigne le tribunal de grande instance compétent chargé d’assister la juridiction étrangère dans l’exécution de la mesure d’instruction ».
Dispositions communes
L’article 748, qui traite du coût des commissions rogatoires, est inchangé : « l’exécution des commissions rogatoires a lieu sans frais ni taxes » (al. 1er) ; « toutefois, les sommes dues aux témoins, aux experts, aux interprètes, ainsi qu’à toute personne prêtant son concours à l’exécution de la commission rogatoire sont à charge de l’autorité étrangère. Il en est de même des frais résultant de l’application d’une forme particulière de procéder à la demande de la juridiction commettante (al. 2).
Création d’un juge chargé de surveiller l’exécution de ces commissions rogatoires
Il est logiquement institué dans la sous-section du code de l’organisation judiciaire relative au « juge chargé de contrôler l’exécution des mesures d’instruction » et, désormais « des commissions rogatoires en provenance de l’étranger ». L’article R. 213-12-1, nouveau, dispose que « le président du tribunal de grande instance désigne un ou plusieurs juges chargés de contrôler l’exécution des mesures d’instruction et l’exécution des commissions rogatoires en provenance de l’étranger conformément aux dispositions de l’article L. 121-3 [régissant la répartition des juges dans les différents services des juridictions] ». « La technicité de certains dossiers et le nombre important d’affaires complexes dont peuvent avoir à connaître certains tribunaux a[vait] justifié l’instauration, par le décret du 28 décembre 1998, d’un article 155-1 au sein de code de procédure civile. Ce texte offre au président du tribunal la possibilité [et même l’obligation au sein du tribunal de grande instance : COJ, art. R. 213-12-1] de désigner un magistrat qui sera chargé, de manière générale, de contrôler le travail des techniciens chargés d’effectuer des constatations, une consultation ou une expertise » (J. Héron et T. Le Bars, Droit judiciaire privé, op. cit., n° 1098). Dès lors, le contrôle des mesures d’instruction peut être confié à divers juges, ainsi que le prévoit l’article 155 : « la mesure d’instruction est exécutée sous le contrôle du juge qui l’a ordonnée lorsqu’il n’y procède pas lui-même.
Lorsque la mesure est ordonnée par une formation collégiale, le contrôle est exercé par le juge qui était chargé de l’instruction. À défaut, il l’est par le président de la formation collégiale s’il n’a pas été confié à un membre de celle-ci.
Le contrôle de l’exécution de cette mesure peut également être assuré par le juge désigné dans les conditions de l’article 155-1. Les mêmes raisons ont certainement conduit à l’institution du juge chargé du contrôle des commissions rogatoires en provenance de l’étranger. Un juge chargé du contrôle des commissions rogatoires en provenance de l’étranger devra être désigné dans chaque tribunal de grande instance. En revanche, on peut se demander si le tribunal pourra décider, pour chaque affaire, soit de confier le contrôle au juge dédié, soit au président, voire au juge de la mise en état. Il semblerait plutôt que seul le juge dédié sera compétent, puisque la commission rogatoire provient de l’étranger.
par Corinne Bléry