Un procès chasse l’autre. Ainsi va le monde judiciaire. L’un des rares à déroger à la règle est celui des attentats du 13 novembre, intitulé V13 dans le jargon, neuf mois de procès, probablement dix in fine, qui exigent de ses participants un processus différent : ajuster leur activité à cette temporalité-là, revenir sans cesse dans cette salle monumentale parisienne dans l’ancien palais de justice. C’est en particulier le cas des dessinateurs ou croqueurs d’audiences. Ils sont une dizaine en France, majoritairement parisiens. « J’y étais tous les jours depuis septembre pour France Inter, plus ponctuellement pour Ouest France ou Le Parisien », raconte Valentin Pasquier, qui l’a quitté trois semaines en février, le temps de couvrir le procès de Nordahl Lelandais pour le meurtre de Maëlys, au tribunal judiciaire de Grenoble. Sur celui-là, le dessinateur judiciaire travaille également pour plusieurs médias : France 3 Alpes, France Bleu Isère et Le Parisien, avec un statut freelance de pigiste puisqu’il dispose de la carte de presse. « J’essaie de tout faire en transparence et de façon humaine, sauf si j’ai un contrat d’exclusivité avec un employeur auquel cas je ne peux pas travailler pour d’autres », commente le jeune homme qui a démarré fin 2019. « À l’origine, je suis journaliste pour France TV. Au cours d’un contrat, on m’a proposé de couvrir un procès et j’ai griffonné en même temps des dessins. Mes chefs ont considéré que c’était exploitable. Puis, de bouche à oreille, on est venu me démarcher pour en refaire. »
Salah Abeslam au procès du 13 novembre pour France Inter, par Valentin Pasquier
Une activité rentable ? « Quand on travaille pour trois médias, oui ça l’est. Il y a beaucoup de négociations à chaque fois, c’est une gymnastique de se demander si ça vaut le coup », répond celui qui avait toujours rêvé d’allier dessin et journalisme. Les frais lui incombent bien souvent (déplacement, hôtel, restauration, etc.). Et les contraintes varient selon chaque employeur. En l’occurrence, les journaux télévisés régionaux de 12h et 19h exigent un rendu à 11h30 et 18h30, qui l’obligent à sortir de la salle avec son ordinateur et son scanner pour l’envoi. Le Parisien, lui, boucle à 21h30 et la radio est plus flexible. « Je dessine à l’encre de chine à main levée, plutôt dans l’esprit BD, et je fais la couleur après, parfois même après l’audience, précise-t-il. J’essaie de varier les angles, les personnages, les expositions. Les journées monotones, ça se raconte aussi. » Au total, ce sont huit dessins par jour que rend Valentin Pasquier pendant ce procès, chacun souhaitant des pièces différentes. Son confrère et copain dijonnais Zziigg, qui pratique depuis une douzaine d’années, en envoie lui une dizaine par jour, le soir, réalisés au crayon de bois et à l’aquarelle. Pour cette session iséroise – qui accueille cinq dessinateurs – il travaille pour Le Monde, sans exclusivité. Et espère vendre ensuite à des émissions de télévision comme « 7 à 8 » ou « Faites entrer l’accusé ». Sur quatre ou cinq exemplaires quotidiens retenus, en général, un sera publié par article. Avec une place plus importante parfois, comme ce fut le cas pour un dessin de Valérie Bacot, jugée à Châlon-sur-Saône, en juin 2021, pour le meurtre de son époux après des années de violences. « Ce procès était d’une densité émotionnelle comme rarement j’ai pu connaître, lance Zziigg. J’étais très ému par la fragilité de cette femme qui était plus victime qu’accusée. J’ai essayé de faire passer ce que je voyais d’elle dans ce dessin qui a été publié sur quatre ou cinq colonnes dans Le Monde. » En jeu dans sa défense, le désormais connu « syndrome de la femme battue », et la reconnaissance d’une légitime défense. Il ajoute : « d’habitude, je m’écarte du verdict, mais là, je n’aurais vraiment pas compris qu’elle soit à nouveau condamnée ». La mère de famille était ressortie libre.
Valérie Bacot par Zziigg