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Reportage 

Les dessinateurs judiciaires : essai de portrait

En France, ils sont une dizaine à croquer les procès aux quatre coins du pays, des sessions d’assises méconnues aux plus médiatiques. Certains font partie de l’association de la presse judiciaire, d’autres réfutent le titre de journaliste. Tous jonglent avec les statuts, les employeurs, les audiences, les techniques. Et tentent de raconter ce que les mots ne disent pas entièrement : l’humanité comme l’indicible, l’ennui et l’intensité, la dignité, la bêtise, le chaos.

par Anaïs Coignac, Journalistele 8 avril 2022

Huit dessins par jour

Un procès chasse l’autre. Ainsi va le monde judiciaire. L’un des rares à déroger à la règle est celui des attentats du 13 novembre, intitulé V13 dans le jargon, neuf mois de procès, probablement dix in fine, qui exigent de ses participants un processus différent : ajuster leur activité à cette temporalité-là, revenir sans cesse dans cette salle monumentale parisienne dans l’ancien palais de justice. C’est en particulier le cas des dessinateurs ou croqueurs d’audiences. Ils sont une dizaine en France, majoritairement parisiens. « J’y étais tous les jours depuis septembre pour France Inter, plus ponctuellement pour Ouest France ou Le Parisien », raconte Valentin Pasquier, qui l’a quitté trois semaines en février, le temps de couvrir le procès de Nordahl Lelandais pour le meurtre de Maëlys, au tribunal judiciaire de Grenoble. Sur celui-là, le dessinateur judiciaire travaille également pour plusieurs médias : France 3 Alpes, France Bleu Isère et Le Parisien, avec un statut freelance de pigiste puisqu’il dispose de la carte de presse. « J’essaie de tout faire en transparence et de façon humaine, sauf si j’ai un contrat d’exclusivité avec un employeur auquel cas je ne peux pas travailler pour d’autres », commente le jeune homme qui a démarré fin 2019. « À l’origine, je suis journaliste pour France TV. Au cours d’un contrat, on m’a proposé de couvrir un procès et j’ai griffonné en même temps des dessins. Mes chefs ont considéré que c’était exploitable. Puis, de bouche à oreille, on est venu me démarcher pour en refaire. »

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Salah Abeslam au procès du 13 novembre pour France Inter, par Valentin Pasquier

Une activité rentable ? « Quand on travaille pour trois médias, oui ça l’est. Il y a beaucoup de négociations à chaque fois, c’est une gymnastique de se demander si ça vaut le coup », répond celui qui avait toujours rêvé d’allier dessin et journalisme. Les frais lui incombent bien souvent (déplacement, hôtel, restauration, etc.). Et les contraintes varient selon chaque employeur. En l’occurrence, les journaux télévisés régionaux de 12h et 19h exigent un rendu à 11h30 et 18h30, qui l’obligent à sortir de la salle avec son ordinateur et son scanner pour l’envoi. Le Parisien, lui, boucle à 21h30 et la radio est plus flexible. « Je dessine à l’encre de chine à main levée, plutôt dans l’esprit BD, et je fais la couleur après, parfois même après l’audience, précise-t-il. J’essaie de varier les angles, les personnages, les expositions. Les journées monotones, ça se raconte aussi. » Au total, ce sont huit dessins par jour que rend Valentin Pasquier pendant ce procès, chacun souhaitant des pièces différentes. Son confrère et copain dijonnais Zziigg, qui pratique depuis une douzaine d’années, en envoie lui une dizaine par jour, le soir, réalisés au crayon de bois et à l’aquarelle. Pour cette session iséroise – qui accueille cinq dessinateurs – il travaille pour Le Monde, sans exclusivité. Et espère vendre ensuite à des émissions de télévision comme « 7 à 8 » ou « Faites entrer l’accusé ». Sur quatre ou cinq exemplaires quotidiens retenus, en général, un sera publié par article. Avec une place plus importante parfois, comme ce fut le cas pour un dessin de Valérie Bacot, jugée à Châlon-sur-Saône, en juin 2021, pour le meurtre de son époux après des années de violences. « Ce procès était d’une densité émotionnelle comme rarement j’ai pu connaître, lance Zziigg. J’étais très ému par la fragilité de cette femme qui était plus victime qu’accusée. J’ai essayé de faire passer ce que je voyais d’elle dans ce dessin qui a été publié sur quatre ou cinq colonnes dans Le Monde. » En jeu dans sa défense, le désormais connu « syndrome de la femme battue », et la reconnaissance d’une légitime défense. Il ajoute : « d’habitude, je m’écarte du verdict, mais là, je n’aurais vraiment pas compris qu’elle soit à nouveau condamnée ». La mère de famille était ressortie libre.

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Valérie Bacot par Zziigg

Les yeux dans les yeux des accusés

Généralement installés près du président et des jurés, sous leur pupitre, ils bénéficient d’une place privilégiée par rapport aux chroniqueurs judiciaires qui s’assoient sur les bancs qui leur sont assignés. Les premiers font face aux accusés et témoins, à toute personne qui dépose à la barre, les seconds les voient de dos. Mais cela n’a rien d’automatique. Les dessinateurs tournent et changent de place lors des procès très suivis, sont placés à distance si les conditions de sécurité et d’installation l’exigent, comme à V13, ou plus rarement lorsque le président ne donne pas son accord. À Dijon, Châlons-sur-Saône et même Lyon où Zziigg a ses habitudes, il lui est plus facile d’obtenir ce poste d’observation. Son binôme à la plume est, lui, proche des parties civiles. Tous les deux connaissent bien les avocats, les juges. « Nous faisons partie des meubles », plaisante Bruno Walter qui l’accompagne depuis 2012 pour Le Bien public, quotidien de la région. « Un luxe aujourd’hui dans la presse régionale où il n’y a plus de dessinateurs ». Tous deux apportent sur le procès un regard complémentaire. « C’est un travail d’équipe. Nous échangeons en permanence. Je lui dis ce que je fais. On essaie d’éviter le dessin d’un personnage dont je ne parle pas mais l’exercice reste très libre », se félicite le journaliste. De son confrère, il vante la démarche artistique et humaniste : « il n’y a pas de jugement moral dans ses dessins. Il ne dessine pas des monstres mais des êtres qui ont commis des choses monstrueuses. » Et aussi : « Zziigg est d’une impassibilité totale. Il m’impressionne par sa capacité à plonger ses yeux dans ceux des accusés qui se trouvent à deux mètres. » Un souvenir lui revient, d’un accusé de 23 ans, condamné à vingt ans pour assassinat, qui s’était enthousiasmé presque naïvement d’un portrait de lui jugé « très réussi » : « Waouh, je me reconnais, c’est super ce que vous faites ! » « C’était drôle et absurde », convient Bruno Walter.

Tous les dessinateurs ont à ce sujet des anecdotes, parfois même des dessins qui racontent ce face-à-face. « Vous avez constamment les accusés sous les yeux. Vous les prenez de plein fouet », confirme François Boucq, de Charlie Hebdo, qui a suivi le procès des attentats du 7 janvier 2015 « par devoir » et par amitié pour ceux qui y ont disparu. Lui a rejoint la rédaction les mois qui ont suivi, à la demande de Riss, le directeur du journal satirique. « Nous sommes à la même place que les juges, mais sans leur préparation. Vous recevez les regards de défiance ou de complicité des accusés dans les vôtres. » En témoigne le dessin d’ouverture du livre intitulé Janvier 2015, le procès, aux éditions Les Échappés, qui retrace ce moment historique vécu en binôme avec le journaliste Yannick Haenel.

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Les accusés du procès Charlie-Hypercacher par François Boucq

« Je voudrais que vous fassiez un monument », avait demandé Riss. L’ouvrage tiendra la promesse. À l’époque, François Boucq, lillois, n’avait couvert qu’un autre procès, celui de Dominique Strauss-Kahn dans l’affaire du Carlton de Lille, pour Le Monde. « C’est le responsable de la BD qui m’avait proposé, je trouvais l’idée rigolote. Le procès était aussi médiatique que foireux avec le désir de libertinage de cet homme présidentiable assouvi par des petites bêtes intéressées. » Pas sûr, après la séquence Charlie-Hypercacher, qu’il en refera d’autres. « Je ne pensais pas du tout recevoir cette charge émotionnelle, confie le dessinateur qui était en plus protégé par un garde du corps. Le récit des parties civiles était extrêmement difficile. Il faut pouvoir s’en défaire. » S’il a décliné V13, il a trouvé pour la rédaction « trois bons dessinateurs » qui peuvent ainsi se répartir le travail, et l’impact psychologique.

Une forme de résilience

Rodée à l’exercice avec plus de 150 procès au compteur, Élisabeth de Pourquery, la seule dessinatrice judiciaire salariée et à temps plein, pour France TV, a petit à petit apprivoisé cet univers, ainsi que l’adrénaline et la peur de se tromper. « Aujourd’hui, dans un tribunal, j’ai l’impression d’être chez moi », dit-elle, après sept ans d’exercice. « Il y a toujours quelque chose d’humain qui nous ramène à notre réalité à nous. C’est un espace-temps où on est obligés de se regarder autrement ». Elle parle d’ailleurs de l’aspect thérapeutique du dessin. Pour les parties civiles, le public, mais aussi pour les accusés. « L’accusé se voit en train de penser. On apporte, sans que le spectateur s’en rende compte, du calme, une forme de résilience, car vous savez que ce n’est pas exactement la réalité. » Certains la remercient, d’autres lui achètent ses dessins, comme un policier appelé à témoigner dans le procès Charlie-Hypercacher : « c’était une manière pour lui de dire qu’ils avaient passé le cap lui et sa femme ». Une pratique courante pour les dessinateurs judiciaires qui permet à la fois d’assurer une seconde vie au dessin et d’ajouter une petite source de revenus. Les médias achètent le droit d’utilisation mais les auteurs gardent la main sur l’original, acheté notamment par des avocats, en mémoire d’un moment de leur carrière. Ils font partie des personnages que les dessinateurs aiment croquer, certains prenant la pose sous la valse des crayons. Comme ici, l’ancien président de la République Nicolas Sarkozy au procès Bygmalion avec son avocat Thierry Herzog.

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Nicolas Sarkozy et son avocat Thierry Herzog à Bygmalion par Élisabeth de Pourquery / France Télévisions

« Il faut aller vite. Vous avez parfois trente minutes pour un dessin qui va passer toute la journée à l’antenne. Si c’est raté, tout le monde le verra. » Comme la plupart des dessinateurs, Élisabeth de Pourquery est rarement satisfaite de ses productions. « On dessine son carton sur les genoux, ses bouteilles d’eau à côté, parfois dix heures d’affilée. Au bout d’un moment, on ne voit plus rien, explicite-t-elle. On peut pardonner des erreurs techniques, des mains qui flottent, mais il faut faire ressemblant et transmettre ce qui se joue. » Reporter de métier pour France TV, elle a commencé sa carrière de dessinatrice à 43 ans. La passion du dessin l’a guidée mais les débuts ont été laborieux. « J’ai découvert un monde très concurrentiel, pas évident. Et j’ai eu des périodes noires.  » Au fil du temps, à force de persévérer, l’horizon se dégage. Le directeur de la rédaction nationale de France TV, Michel Dumoret, lui crée ce poste sur mesure, avec un « vrai bureau » où poser ses pinceaux, ses papiers, son ordinateur, tout son matériel : « j’ai beaucoup de chance », juge-t-elle. Ses homologues, eux, cumulent tous leur activité avec une autre, d’illustrateur, bédéaste, graphiste ou journaliste TV. « Le dessin pour moi, c’est une atmosphère, une tension qu’on ne voit pas, assure le directeur. Ça donne de la chair et ça rend le procès vivant par rapport à une image d’archive froide ». Autre singularité de cette collaboration : l’animation. La salariée fait du montage artisanal de ses dessins, notamment pour les émissions de reconstitution de procès criminels, à l’image de « Nordahl Lelandais : au cœur de l’affaire Arthur Noyer », diffusé sur France Info. Un travail « de bric et de broc en 3D », fait de découpage de personnages, d’éclairages, et de petits mouvements. « Les animations d’Élisabeth cartonnent, cela rend les affaires plus vivantes, avec une prise de recul journalistique », se félicite Michel Dumoret. Un outil de comptabilisation du temps de visionnage a permis de constater que les téléspectateurs ne zappent pas lorsqu’intervient un de ces sujets animés. « Cela accroche aussi le regard des plus jeunes, habitués aux mangas, à l’animé », note-t-il. Une bonne nouvelle pour ces chaînes TV qui captent plus difficilement ce public volatile.

Journalistes, artistes, observateurs ?

Dans la pratique d’Élisabeth de Pourquery, la casquette journalistique compte : sur le terrain, pour comprendre les impératifs de ses collègues de France TV, dans ses reconstitutions animées qui exigent une minutie dans les détails et une étude approfondie du dossier. À cela s’ajoutent les contraintes éditoriales, en particulier l’injonction de présenter des scènes diffusables aux heures de grande écoute. Au procès, elle revendique en plus une casquette artistique : « j’interprète, je retranscris l’émotion, le geste, l’intention. L’indépendance artistique me le permet, sans quoi d’ailleurs nous ne serions pas autorisés à rentrer ». L’affaire Dominici, en 1954, marquera un tournant avec l’interdiction des photographes au procès, le mitraillage des flashs ayant perturbé l’audience. L’image était alors considérée comme « un élément de vérité » susceptible d’influencer le procès, rappelle Zziigg qui, lui, ne se considère pas journaliste. « On dessine tous avec des critères de départ, un minimum d’éléments documentaires mais mon dessin raconte autre chose. Souvent, je me suis senti capable de comprendre l’état de la personne pendant le passage à l’acte d’un crime impulsif », confie celui qui n’est pas membre de l’association de la presse judiciaire (APJ) à la différence de sa consœur. François Boucq, lui, nuance : « vous n’êtes pas un observateur, vous faites partie du spectacle. Les accusés vous saluent, les juges vous suivent, les avocats viennent voir vos dessins. Une chronique de Yannick Haenel a même été citée dans une plaidoirie. »

« Historiquement, les dessinateurs d’audience ont toujours été intégrés à la presse judiciaire, confirme Marine Babonneau, la vice-présidente de l’APJ et journaliste au Canard enchaîné. Leur présence est inestimable et un peu anachronique. Il y a un côté charmant de les voir débarquer avec leur palette. » Il n’existe pas à leur égard de règles spécifiques, hormis la déontologie qui s’applique aux journalistes et la discrétion qui s’impose à tout participant à un procès. Aucune convention n’encadre les tarifs des dessins, chacun négocie individuellement, certains facturant plus cher que d’autres. Les rédactions font aussi parfois appel à des étudiants des Beaux-Arts, rémunérés plus chichement mais qui viennent là plutôt s’entraîner. En revanche, et en-dehors des accusés, l’APJ recommande de ne pas dessiner les personnes qui l’interdisent ni les jurés. Elle négocie le nombre de places, accrédite les dessinateurs par une carte de presse judiciaire qui facilite leur entrée, et intervient en soutien à ses membres, y compris dans l’urgence. Benoît Peyrucq, collaborateur principal de l’AFP, a intégré l’association voilà une vingtaine d’années. Il en est l’un des six dessinateurs. « Leur rôle est essentiel dans notre pratique, pour accéder au tribunal, pallier les problèmes, se regrouper, s’organiser sur les procès », confirme-t-il. Lui se vit comme journaliste : « c’est une façon de réfléchir à comment le dessin peut servir l’article. Cela permet de mettre des yeux, du mouvement, de la couleur là où le texte n’en a pas. Notre but est de donner une force à ce qui se passe. » De ses expériences, il a tiré plusieurs ouvrages. Un est paru aux éditions de La Martinière, en 2020, sur le procès Merah, Chroniques d’un procès du terrorisme, en collaboration avec Florence Sturm de France Culture, Charlotte Piret de France Inter et Antoine Megie, chercheur spécialiste du terrorisme. « On s’est rendu compte qu’il n’y avait aucun documentaire, rien qui restait de ce procès. Nous voulions laisser une trace. » Même constat pour le dernier ouvrage qui vient de paraître ce 8 mars, à l’Aqueduc bleu, Les Carnets de Charlie, qui interroge « la place singulière » occupée par ces professionnels de l’audience. « Ce procès avait d’autant plus de résonance en tant que dessinateur », rappelle-t-il.

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La couverture du livre Les Carnets de Charlie à l’Aqueduc bleu par Benoît Peyrucq

Révolution numérique et avenir

Parmi ces témoins rares, il en est une dont l’histoire personnelle s’inscrit dans l’histoire : Noëlle Herrenschmidt, qui a commencé sa carrière judiciaire au procès Barbie, et la termine à V13. Nous sommes en 1987, elle a alors 48 ans, et travaille pour la presse jeunesse de Bayard (Pomme d’Api, Astrapi). Le procureur général Pierre Truche la prend sous son aile, la place devant son bureau, lui explique le procès. C’est la révélation. « Je me suis dit que j’étais faite pour ça. Écouter, raconter, transmettre. Il n’y a pas de limite à ce qu’on peut dessiner », estime-t-elle. Elle reste marquée par la dignité de ces femmes qui arrivaient « en dimanche » à la barre pour témoigner enfin de leurs tortures, une manière « d’appuyer sur le fait qu’elles avaient survécu au pire ».

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Ita Halaunbrenner au procès Barbie par Noëlle Herrenschmidt

Ses dessins, publiés par La Croix, sont entrés depuis au Mémorial de la Shoah. Trente-cinq ans plus tard, à Paris, la passion transpire toujours au bout du pinceau, dans cette salle des pas perdus qu’elle a peinte lors d’un précédent reportage. « Je me sens chez moi totalement et à la fois dans un lieu transformé, moderne », dit-elle. Entre les deux, celle qui se définit comme reporter aquarelliste n’a cessé de dessiner, des coulisses du Vatican au Palais Bourbon, des hôpitaux aux prisons, du procès Papon à celui de Clearstream, en passant par d’autres, moins connus, d’excision ou de trafic de cocaïne. « On ne sait jamais ce qui va se passer dans un procès. Mais j’ai appris une chose : tout le monde peut tomber. » Au procès des attentats du 13 novembre qu’elle rejoint tous les jours – « ça n’est pas raisonnable » –, l’octogénaire mesure la révolution permise par les écrans – « pour Papon, il y en avait un grand, aujourd’hui, il y en a partout » – et par l’arrivée de l’iPad, en particulier utilisé par Palix, dessinateur belge, sans compter les comptes Twitter ou Instagram sur lesquels une grande partie de la profession est suivie par une communauté de fans. Encore rarissime en France, la tablette numérique a remplacé les planches en Belgique et en Hollande par effet concurrentiel, la rapidité de l’outil obligeant la profession à s’adapter. La RTBF a ainsi pu diffuser un portrait de Salah Abdeslam, l’un des accusés de V13, réalisé au matin du premier jour, avant même que le procès ait commencé, envoyé par Palix depuis la salle d’audience. « Tout se faisait au marqueur en Belgique, nous apprend-il. Le métier était en perdition quand je suis arrivé, en 2003. Avec l’iPad, tout le monde a suivi. Plusieurs dessinateurs s’y sont remis. » L’aquarelle reste son choix de cœur, qu’il emporte avec lui en cas de problème. Il a fallu s’adapter aussi au masque qui ampute une partie non négligeable des expressions. « Je suis un collectionneur de détails : les mains sur la barre, les pieds en dedans », souligne le Belge qui réfute le titre de journaliste, estimant ne pas être dans l’analyse. En revanche, comme ses collègues français, il « dessine avec les oreilles » afin de saisir les basculements d’audience. En 2008, il a ainsi changé de planche en quelques instants pour capturer le « pétage de plomb » de Geneviève Lhermitte, jugée pour un quintuple infanticide, un jour consacré à l’audition des experts psychiatres. Son dessin a été repris par « onze journaux » dans la foulée. Palix a par ailleurs croqué les assassins d’enfants Marc Dutroux et Michel Fourniret. « Avec eux, il y avait très peu d’interaction, très peu d’humanité. De là où j’étais, collé à la vitre blindée, j’ai quand même vu Fourniret verser une larme. Les journalistes, eux, étaient trop loin », se rappelle-t-il.

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Michel et Monique Fourniret par Palix

Le dessin judiciaire reste pour lui une activité complémentaire, les conditions de travail étant « hyper compliquées », avec des commandes arrivées parfois à 12h pour monter dans un TGV à 18h, les contrats à négocier, le stress à gérer, même « positif », la productivité, etc. Alors que les audiences pourront être filmées à partir de septembre, quel avenir pour cette profession ? « Il y a beaucoup de règles de loi qui contraindront les caméras. Au jour le jour, il faudra toujours du dessin », suggère Marine Babonneau, de l’APJ. « On ne pourra pas tout filmer, le dessin apportera une respiration, ça restera complémentaire. Sinon je n’aurais pas investi sur Élisabeth », rassure Michel Dumoret de France TV, qui va continuer à former sa salariée à des techniques de dessin et d’animation. Zziigg pointe, lui, la « précarité » du métier, le budget décroissant consacré par les médias, mais il reste optimiste : « La caméra amènera peut-être un film dans le salon des Français, mais pas la justice. Le dessin, par sa sensibilité, sera toujours nécessaire. »