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Reportage 

Le discernement en droit pénal

Loin d’être une avancée contemporaine, le principe de l’irresponsabilité pénale existait déjà dans le droit romain. Mais comment ce principe fonctionne-t-il dans la pratique ? Quels sont les mécanismes pour écarter une personne malade d’un procès pénal ? Et comment juge-t-on ceux dont le discernement est dit altéré ?

par Anaïs Coignacle 20 mai 2014

Andy, un cas d’irresponsabilité pénale

« Je ne savais plus où j’étais. Je n’entendais plus rien et je voyais tout flou. Il y avait quelqu’un d’autre à ma place ». « Je devais le faire ». Ces propos, ce sont ceux d’Andy, 16 ans. Des phrases prononcées devant les enquêteurs qui l’interrogent pour le meurtre de ses parents et de ses frères jumeaux de dix ans, en Corse, en août 2009. Pris selon ses dires d’une « irrésistible pulsion », Andy était-il conscient au moment d’agir ? Devait-il comparaître devant une cour d’assises ? C’est la question que les juges et les experts se sont posés tout au long de la procédure judiciaire qui a conduit l’adolescent à être déclaré pénalement irresponsable à l’issu d’un procès en appel, en décembre 2013. Si le jeune homme comparaissait devant la cour, c’est avant tout parce que les juges d’instruction puis d’assises avaient estimé son discernement « altéré » au moment des faits. Car la loi est claire en cas d’abolition du discernement, autrement dit d’incapacité de l’auteur des faits à « comprendre et vouloir » comme le décrivait déjà le droit romain. « N’est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte, au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes », dit l’article 122-1 du code pénal. Ce qui compte, pour établir un tel diagnostic, c’est bien le lien direct entre la pathologie de la personne mise en cause et son acte.

En l’espèce, les experts étaient divisés. Un cas plutôt rare mais qui révèle certaines divergences entre les psychiatres. Auditionné dans le cadre d’un rapport de la Haute autorité de santé (HAS) remis en janvier 2007 à la Direction générale de la santé, l’expert psychiatre près la cour d’appel de Paris, Daniel Zagury expliquait : « c’est le plus souvent l’interprétation médico-légale qui oppose les experts, non le diagnostic rétrospectif. Dans certains cas, des divergences d’interprétation sont acceptables et, dans une certaine mesure, inévitables ». Le Dr Christian Jullier, expert près la cour d’appel de Marseille, fait lui état de « différentes sensibilités » : « certains experts estiment qu’avant tout, il faut que l’individu soit responsabilisé pour que son acte prenne un sens quel qu’il soit. Et préconisent qu’il comparaisse tout de même, en atténuant sa responsabilité ». C’est notamment l’école de pensée de l’historien du droit et psychanalyste, Pierre Legendre, qui dans son ouvrage Le crime du caporal Lorti estimait que ne pas juger les fous c’était leur dénier leur humanité. « Ca n’est pas très sérieux et c’est de la confusion entre la notion de loi au sens juridique et au sens psychanalytique », réfute le maître de conférences à l’Institut de criminologie de Nantes, Jean Danet qui participe le 6 juin prochain à la 7e édition des journées scientifiques de l’Université de Nantes, cette année orientée sur la question de la criminologie.
 

La réduction du nombre de cas d’irresponsabilité pénale

Dans le cas d’Andy, ce sont donc les jurés qui, par deux fois, ont tranché. L’adolescent fait partie des quelques cas d’individus ayant été jugés privés de conscience au moment des faits. De fait, depuis quelques années, il y aurait une réduction du nombre de décisions d’irresponsabilité pénale fondée sur le trouble mental comme le précise le rapport sénatorial de 2009-2010 intitulé « prison et troubles mentaux : comment remédier aux dérives du système français » . Et ce, peu importe le stade de l’affaire : classement sans suite, ordonnance de non-lieu, relaxe ou acquittement. Les rapporteurs tentent de relativiser ces chiffres. Ils pointent notamment « une forte présence de personnes atteintes de troubles mentaux en prison », laissant planer le doute quant au fondement de ces décisions d’irresponsabilité pénale. Jean Danet explique quant à lui cette diminution par une amélioration de la science et donc du traitement des malades mentaux. « D’une part, avant les années 1960, la pharmacopée en matière psychiatrique n’était pas du...

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