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Dossier 

Droit de l’arbitrage interne et international : panorama 2019

Le présent dossier regroupe l’ensemble des chroniques mensuelles d’arbitrage publiées en 2019 par le professeur Jérémy Jourdan-Marques. Ainsi regroupées, ces contributions offrent un panorama détaillé de la jurisprudence de l’année 2019, y compris des décisions des juridictions du fond ou de juridictions internationales ou étrangères.

par Jérémy Jourdan-Marquesle 28 janvier 2020

La motivation au cœur du contrôle

Cette nouvelle chronique est dédiée à la jurisprudence rendue en matière d’arbitrage interne ou international. Elle sera publiée régulièrement, en fonction des décisions issues de la cour d’appel de Paris, de la Cour de cassation et des autres juridictions susceptibles de se prononcer en cette matière. La chronique décrira succinctement les apports de chaque décision. Elle sera complétée par des notes plus exhaustives consacrées aux arrêts marquants.

 

Cette première édition revient sur trois décisions de la Cour d’appel de Paris. Le premier de ces arrêts (Paris, 20 nov. 2018, nos 16/10379 et 16/10381) fera l’objet d’un commentaire plus approfondi.

La motivation

Deux des trois arrêts (Paris, 20 nov. 2018 et 27 nov. 2018) en commentaire apportent des précisions relatives au contrôle de la motivation de la sentence arbitrale.

La solution du second est classique. En matière interne, l’article 1492, 6°, du code de procédure civile énonce que « le recours en annulation n’est ouvert que si […] la sentence n’est pas motivée ». La formulation est restrictive, et n’ouvre la voie de l’annulation qu’en l’absence de motivation. Le juge ne contrôle pas le contenu de la motivation adoptée par les arbitres. Cela le conduit à exclure la contradiction de motifs des vices invocables. La Cour de cassation a précisé le raisonnement en signalant que « le moyen pris d’une contradiction de motifs de la sentence tend, en réalité, à critiquer au fond la motivation de la sentence et est donc irrecevable » (Civ. 1re, 11 mai 1999, n° 95-18.190, RTD com. 2000. 336, obs. E. Loquin ; Rev. arb. 1999. 811 [1re espèce], note E. Gaillard ; v. égal. Paris, 26 oct. 1999). En revanche, une contradiction entre les motifs de la sentence et son dispositif peut conduire à l’annulation de la sentence sur le fondement de l’article 1492, 6°, du code de procédure civile (Civ. 2e, 7 janv. 1999, n° 97-10.292, Procédures 1999, n° 28, obs. R. Perrot ; Rev. arb. 1999. 272, note D. Foussard : « Attendu qu’une sentence arbitrale ne peut être annulée, pour vice de motivation, en cas de contradiction entre ses motifs et son dispositif, que si cette contradiction résulte des énonciations de la sentence elle-même »). Dans le présent arrêt, la Cour d’appel rappelle les principes en la matière. Elle confirme que « les arbitres ne sont pas tenus de répondre à la totalité de l’argumentation des parties » et que « le contrôle du juge de l’annulation ne saurait porter que sur l’existence et non sur la pertinence des motifs ».

La solution du premier arrêt est en revanche plus intéressante, au moins d’un point de vue théorique. Sur le fondement de l’article 1520, 3°, du code de procédure civile, relatif à la mission de l’arbitre, la Cour d’appel de Paris énonce que « l’exigence de motivation des décisions de justice est un élément du droit à un procès équitable ; qu’elle est nécessairement comprise dans la mission des arbitres, même si elle ne figure pas dans le règlement d’arbitrage auquel les parties se sont soumises ». Plusieurs remarques peuvent être formulées à propos de cette motivation.

D’abord, elle confirme l’importance prise par le procès équitable dans le contrôle de la sentence arbitrale. Cette notion rappelle les exigences de la Convention européenne des droits de l’homme et de son article 6, § 1er. On le sait depuis longtemps, cette Convention n’est pas directement applicable en matière d’arbitrage (Civ. 1re, 20 févr. 2001, n° 99-12.574, Cubic Defense Systems c. CCI, D. 2001. 903, et les obs. ; Rev. crit. DIP 2002. 124, note C. Seraglini ; Rev. arb. 2001. 511, note T. Clay ; M.-L. Niboyet, Incertitude sur l’incidence de la Convention européenne des droits de l’homme en droit français de l’arbitrage international : l’arrêt Cubic de la Cour de cassation, Cah. arb. 2002. 35). Il n’en demeure pas moins qu’elle est de nature à influencer le régime juridique de l’arbitrage (C. Jarrosson, L’arbitrage et la Convention européenne des droits de l’homme, Rev. arb. 1989. 573, nos 43 s. ; A. Mourre, Le droit français de l’arbitrage international face à la Convention européenne des droits de l’homme, Cah. arb. 2002. 22 ; F.-X Train, Déni de justice et arbitrage international, Cah. arb. 2006. 66). Le raisonnement du juge étatique est donc guidé par la Convention. Cette influence est devenue très marquée depuis le début des années 2010, où le juge vise d’autres principes que le seul contradictoire (C. pr. civ., art. 1492, 4°, et 1520, 4°). L’accès au juge (Paris, 17 nov. 2011, Licensing Projects c. Pirelli, D. 2011. 3023, obs. T. Clay ; RTD com. 2012. 530, obs. E. Loquin ; JDI 2012. 41, note X. Boucobza et Y.-M. Serinet ; Cah. arb. 2012. 159, note D. Cohen ; LPA 2012, n° 142, p. 11, obs. M. de Fontmichel ; Rev. arb. 2012. 392, comm. F.-X. Train, p. 267 ; l’arrêt est cassé sur un autre fondement, v. Civ. 1re, 28 mars 2013, n° 11-27.770, Pirelli c. Licensing Projects, D. 2013. 929 ; ibid. 2936, obs. T. Clay ; Rev. arb. 2013. 746 [1re esp.], note F.-X. Train ; Cah. arb. 2013. 479 [1re espèce], note A. Pinna ; Procédures 2013, n° 189, obs. L. Weiller ; Gaz. Pal. 2013, n° 181-183, p. 16, obs. D. Bensaude ; Cah. arb. 2013. 585, note P. Chevalier et C. Kaplan ; LPA 2014, n° 19, p. 9, obs. M. de Fontmichel) et l’égalité des armes (Paris, 21 févr. 2017, République du Kirghizistan c. Belokon, n° 15/01650, D. 2017. 2054, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; ibid. 2559, obs. T. Clay ; Rev. arb. 2017. 915, note S. Bollée et M. Audit ; JCP 2017. Doctr. 1326, obs. C. Seraglini ; Cah. arb. 2017. 668, note B. Poulain ; ASA 2017. 551, note L.-C. Delanoy ; 28 juin 2016, Rev. arb. 2016. 1101) ont désormais une place centrale dans le raisonnement du juge en matière de contrôle des sentences arbitrales. Le procès équitable, qui englobe l’ensemble de ces notions (S. Guinchard et alii, Droit Processuel. Droits fondamentaux du procès, 8e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2015, nos 223 s.) est cette fois directement visé. La jurisprudence va donc plus loin que l’article 1510 du code de procédure civile, qui énonce que, « quelle que soit la procédure choisie, le tribunal arbitral garantit l’égalité des parties et respecte le principe de la contradiction ». En visant le procès équitable, la jurisprudence rappelle que le tribunal est tenu au-delà des seuls principes d’égalité et de respect du contradictoire.

Ensuite, la Cour d’appel évoque la motivation comme une composante du procès équitable. Cette solution rejoint celle, classique en matière d’arbitrage, selon laquelle la motivation découle de l’ordre public procédural (Paris, 28 mars 2017, n° 15/17742 ; 30 janv. 2018, n° 16/11761, Cah. arb. 2018. 125, obs. P. Pedone).

En revanche, on s’étonnera de voir que la Cour d’appel intègre la motivation et le procès équitable dans le champ de l’article 1520, 3°, du code de procédure civile, relatif à la mission de l’arbitre. Le plus souvent, ces exigences sont imposées au titre de l’article 1520, 4°, ou 1520, 5°, du code de procédure civile. En l’état actuel du droit positif, ces glissements d’un grief à l’autre n’emportent pas de conséquences réelles, le contrôle exercé étant, pour l’essentiel, identique. Il pourrait en aller autrement en cas d’apparition d’un régime spécifique à chaque cas d’ouverture du recours (en ce sens, v. J. Jourdan-Marques, Le contrôle étatique des sentences arbitrales internationales, préf. T. Clay, LGDJ, coll. « Bibliothèque de droit privé », 2017).

Enfin, la Cour d’appel souligne que « l’exigence de motivation des décisions de justice est nécessairement comprise dans la mission des arbitres, même si elle ne figure pas dans le règlement d’arbitrage auquel les parties se sont soumises ». Autrement dit, le silence des parties et du règlement d’arbitrage ne dispense pas les arbitres de motiver leur sentence. Pourtant, en droit de l’arbitrage, cette exigence n’est, en principe, pas absolue. Si elle ne semble pas souffrir d’exception en arbitrage interne, il en va différemment en matière internationale. La jurisprudence considère de longue date que la sentence non motivée n’est pas, de ce seul fait, contraire à l’ordre public international (Civ. 1re, 22 nov. 1966, Gerstlé, JCP 1968. II. 15318, obs. H. Motulsky ; JDI 1967. 631, note B. Goldman ; Rev. crit. DIP 1967. 372, note P. Francescakis). Le renvoi opéré par l’article 1506, 4°, à l’article 1482 du code de procédure civile est considéré comme ayant un caractère supplétif. Aussi, les parties peuvent-elles convenir de dispenser les arbitres de motiver leur sentence (C. Seraglini et J. Ortscheidt, Droit de l’arbitrage interne et international, Lextenso éditions, Montchrestien, coll. « Domat, Droit privé », 2013, n° 872). Toutefois, cette exception est entendue de façon très restrictive, les parties étant présumées souhaiter une sentence motivée (Paris, 20 juin 1996, Rev. arb. 1996. 657, obs. D. Bureau ; Paris, 30 mars 1995, Rev. arb. 1996. 131, obs. J. Pellerin). La présente décision confirme le caractère restrictif de l’exception. Il pourrait même être avancé, mais nous n’irons pas jusque-là, que l’utilisation de l’adverbe « nécessairement » peut être interprétée comme excluant une volonté contraire des parties.

Compétence de la Commission arbitrale des journalistes

La Commission arbitrale des journalistes est une anomalie. La qualification d’arbitrage est en effet usurpée dès lors qu’il s’agit d’un arbitrage « forcé », là où l’arbitrage trouve sa source dans la volonté des parties. Le Conseil constitutionnel y voit une « juridiction spécialisée » (Cons. const., 14 mai 2012, n° 2012-243/244/245/246 QPC, Dalloz actualité, 4 juin 2012, obs. L. Perrin ; ibid. 2013. 1584, obs. N. Jacquinot et A. Mangiavillano ; Dr. soc. 2012. 1039, étude A. Sintives ; RDT 2012. 438, obs. E. Serverin ; Constitutions 2012. 456, chron. C. Radé  ; Procédures 2012. 223, obs. A. Bugada ; Gaz. Pal. 2012, n° 274-276, p. 15, obs. D. Bensaude ; Légipresse, juin 2012, n° 295, p. 364, note F. Gras) et la Cour d’appel de Paris une « juridiction étatique d’exception » (Paris, 4 juin 2009, n° 08/04319, Sté Libération, cité par T. Clay, D. 2009. 2959 ).

La qualification d’arbitrage conduit la décision rendue par la Commission continue à être assimilée, pour l’exercice des voies de recours, à une sentence arbitrale. Elle peut alors faire l’objet d’un recours en annulation, au titre duquel la compétence de la Commission sera examinée conformément à l’article 1492, 1°, du code de procédure civile. La Cour d’appel doit alors déterminer si la compétence de la Commission est limitée aux entreprises de journaux et périodiques, à l’exclusion des agences de presse (comme l’Agence France Presse). La question est d’importance, dès lors que la compétence de cette commission est prévue à l’article L. 7112-4 du code du travail, et que les articles L. 7112-2 et L. 7112-5 du même code semblent exclure les agences de presse. La Cour d’appel rejette pourtant la demande d’annulation, au motif que la restriction prévue par ces deux dernières dispositions « ne saurait, en toute hypothèse, être étendue aux articles L. 7112-3 et L. 7112-4 ». Ainsi, pour la Cour d’appel de Paris, la compétence de la Commission arbitrale ne se limite pas aux entreprises de journaux et périodiques (Paris, 4 déc. 2018).

Le délai de l’arbitrage

Dans son arrêt du 27 novembre, la Cour d’appel de Paris tranche une question relative au respect par le tribunal arbitral des délais impartis pour rendre la sentence. On peut s’étonner que la Cour d’appel continue à opérer cet examen sur le fondement de l’article 1492, 1°, alors que le décret n° 2011-48 du 13 janvier 2011 portant réforme de l’arbitrage l’invite à le réaliser désormais sur le fondement du 3° (C. Seraglini et J. Ortscheidt, Droit de l’arbitrage interne et international, op. cit., n° 318). Quoi qu’il en soit, la Cour d’appel de Paris rappelle que la volonté manifestée de participer à l’arbitrage au-delà de l’expiration du délai entraîne renonciation à se prévaloir d’une irrégularité du chef de la prorogation de celui-ci.

L’erreur de date

Toujours dans l’arrêt du 27 novembre, la Cour d’appel est confrontée à une sentence arbitrale indiquant deux dates contradictoires. Or l’article 1492, 6°, ouvre le recours en annulation lorsque la sentence n’indique pas la date à laquelle elle a été rendue. La contradiction de dates doit-elle être analysée comme une absence de date ? La réponse est négative, la Cour estimant que « la contradiction entre deux dates ne peut être assimilée à une absence de date mais constitue une simple erreur matérielle susceptible d’être rectifiée ».

La fin de la saga Tecnimont

Cette nouvelle chronique est dédiée à la jurisprudence rendue en matière d’arbitrage interne ou international. Elle sera publiée régulièrement, en fonction des décisions issues de la cour d’appel de Paris, de la Cour de cassation et des d’autres juridictions susceptibles de se prononcer en cette matière. La chronique décrira succinctement les apports de chaque décision. Elle sera complétée par des notes plus exhaustives consacrées aux arrêts marquants.

 

Cette seconde édition revient sur un arrêt rendu par la Cour de cassation et trois décisions de la cour d’appel de Paris. Le premier de ces arrêts (Civ. 1re, 19 déc. 2018, n° 16-18.349) fera l’objet d’un commentaire plus approfondi.

L’indépendance et l’impartialité de l’arbitre

La saga Tecnimont a enfin – au moins en ce qui concerne la constitution du tribunal arbitral – rendu son verdict, seize ans après la saisine du tribunal arbitral et près de dix ans depuis le premier arrêt rendu par la cour d’appel de Paris. Il aura en effet fallu six arrêts pour mettre un terme au litige dans le litige, avec un premier arrêt annulant la sentence le 12 février 2009 (Paris, 12 févr. 2009, n° 07/22164, D. 2009. 2959, obs. T. Clay ; Rev. arb. 2009. 186, note T. Clay ; LPA 2009, n° 44, note M. Henry ; Bull. ASA 2009. 520, note P. Schweizer ; L. Degos, La révélation remise en question(s). Retour sur l’arrêt de la cour d’appel de Paris J&P Avax SA c. Tecnimont SPA du 12 février 2009, Cah. arb. 2011. 54), un arrêt de la Cour de cassation la ressuscitant (Civ. 1re, 4 nov. 2010, n° 09-12.716, D. 2010. 2933, obs. T. Clay ; Cah. arb. 2010. 1147, note Th. Clay ; JCP G 2010, II, 1306, note B. Le Bars et J. Juvénal ; LPA 2011, n° 36, p. 17, obs. M. Henry ; Rev. arb. 2010. 824 ; Kluwer Arbitration Blog 5 nov. 2010, obs. A. Mourre ; D. 2010. 2939, obs. T. Clay ; JCP G 2010. I. 1286, § 2, obs. C. Seraglini), un arrêt de la cour d’appel de Reims l’annulant à nouveau (Reims, 2 nov. 2011, n° 10/02888, D. 2011. 3023, obs. T. Clay ; RTD com. 2012. 518, obs. E. Loquin ; Cah. arb. 2011. 1109, note Th. Clay ; LPA 2012, n° 142, p. 3, obs. L. Kanté ; Rev. arb. 2012. 112, note M. Henry ; Gaz. Pal. 2012, n° 22-24, p. 15, obs. D. Bensaude ; Bull. ASA 2012. 197, note T. P. Heintz et G. Vieira Da Costa Cerqueira ; D. 2011. 3023, obs. Th. Clay), un second arrêt de la Cour de cassation la ressuscitant une seconde fois (Civ. 1re, 25 juin 2014, n° 11-26.529, Tecnimont SPA (Sté) c. J&P Avax [Sté], D. 2014. 1985 ; ibid. 1967, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; ibid. 1981, avis P. Chevalier ; ibid. 1986, note B. Le Bars ; ibid. 2541, obs. T. Clay ; JCP 2014. 1278, obs. T. Clay ; ibid. Doctr. 857, § 4, obs. C. Seraglini ; ibid. 2014. Doctr. 977, § 9, obs. C. Nourissat ; LPA 2014, n° 215, p. 5, obs. M. Henry ; Cah. arb. 2014. 547, note Th. Clay ; Rev. arb. 2015. 85, note J.-J. Arnaldez et A. Mezghani), un troisième arrêt d’appel déclarant le recours mal-fondé (Paris, 12 avr. 2016, n° 14/14884, D. 2016. 2589, obs. T. Clay ; RTD civ. 2016. 856, obs. H. Barbier ; Rev. arb. 2017. 234, note E. Loquin ; ibid. 949, note M. Henry ; Cah. arb. 2016. 447, note T. Clay) et, enfin, l’arrêt en commentaire mettant un terme définitif au recours judiciaire contre la sentence (Civ. 1re, 19 déc. 2018, n° 16-18.349, Dalloz actualité, à paraître, obs. C. Debourg ; D. 2019. 24 ). Pour autant, ce n’est pas parce que cette procédure est désormais clause que le litige entre Avax et Tecnimont l’est pour autant, la sentence querellée n’étant que partielle. Il appartiendra donc au tribunal arbitral, désormais consolidé (jusqu’au prochain coup de théâtre) de mettre un terme au litige.

Quoi qu’il en soit, après six saisons, force est de constater que la chute de la série Tecnimont déçoit fortement. Comme beaucoup de séries, le début a été sensationnel mais la suite n’a pas été à la hauteur. Pour mémoire, le premier arrêt Tecnimont (Paris, 12 février 2009, n° 07/22164, préc.) était à l’origine d’une véritable (r)évolution. L’obligation d’indépendance et d’impartialité qui pèse sur les arbitres passait au second plan au profit d’une obligation pesant sur les arbitres de révéler les circonstances susceptibles d’affecter ces qualités. Diversement appréciée – c’est un euphémisme –, cette solution conduisait à faire prévaloir la transparence sur la réalité de l’indépendance et de l’impartialité. Pour une doctrine, l’obligation d’indépendance s’était diluée dans le devoir de révélation (T. Clay, note ss Paris, 12 févr. 2009, n° 07/22164, Rev. arb. 2009. 186, n° 7). Toutefois, le débat a fini par glisser sur des considérations procédurales, notamment à travers la question du respect par le recourant des délais impartis pour demander la récusation de l’arbitre incriminé. La doctrine voit dans cette évolution du débat une « dissolution de l’obligation de révélation dans le devoir de réaction » (T. Clay, note ss Paris, 12 avr. 2016, n° 14/14884, Cah. arb. 2016, p. 447). C’est sur cette question que s’achève la saga.

L’arrêt sera certainement abondamment commenté, notamment parce qu’il est destiné à la plus large diffusion, et il nous appartient simplement dans le cadre de cette chronique de faire quelques observations. Lors de la procédure devant le tribunal arbitral, l’une des parties a sollicité le 16 juillet 2007 des informations concernant les relations entre le cabinet d’un des arbitres et l’autre partie au litige. Celui-ci y a répondu par un courriel du 17 juillet 2007 apportant certaines précisions. Une nouvelle demande a été formulée par la partie, à laquelle il a été répondu le 26 juillet 2007 par des informations complémentaires. Finalement, une requête en récusation a été formée le 14 septembre 2007.

Tout l’enjeu du litige est de déterminer si cette requête est tardive. En effet, il est acté depuis le deuxième arrêt de cassation rendu dans cette affaire (Civ. 1re, 25 juin 2014, n° 11-26.529, préc.) que le délai de trente jours prévu par le règlement d’arbitrage de la Chambre du commerce et de l’idustrie s’impose aux parties sous peine de perdre le droit d’invoquer les griefs relatifs à la révélation devant le juge (« la partie qui, en connaissance de cause, s’abstient d’exercer, dans le délai prévu par le règlement d’arbitrage applicable, son droit de récusation en se fondant sur toute circonstance de nature à mettre en cause l’indépendance ou l’impartialité d’un arbitre est réputée avoir renoncé à s’en prévaloir devant le juge de l’annulation, de sorte qu’il lui incombait de rechercher si, relativement à chacun des faits et circonstances qu’elle retenait comme constitutifs d’un manquement à l’obligation d’indépendance et d’impartialité de l’arbitre, le délai de trente jours imparti par le règlement d’arbitrage pour exercer le droit de récusation avait, ou non, été respecté »). Pour tenter d’échapper à cette critique, le demandeur au recours soutenait avoir découvert des éléments complémentaires le 20 août 2007, de sorte que sa requête n’aurait pas dû être considérée comme tardive. L’essentiel du débat tourne autour de cette question (pour le surplus, v. le comm. à paraître de C. Debourg) et nous évoquerons les deux principaux temps du raisonnement.

Premier temps, la Cour de cassation valide le constat de la cour d’appel selon lequel l’argumentation de la requête en récusation était différente de celle du recours en annulation. En effet, la requête en récusation invoquait des recherches complémentaires réalisées en août 2007 et le recours en annulation visait spécifiquement la découverte d’éléments nouveaux – que Sofregaz (client du cabinet de l’arbitre) était la filiale à 100 % de Tecnimont (partie au litige). Autrement dit, le recours en annulation était plus précis que la requête en récusation, ce qui justifie l’irrecevabilité du grief. L’argument peine à convaincre. En effet, de deux choses l’une. Soit, première hypothèse, le lien entre l’un des clients du cabinet de l’arbitre et la partie au litige n’avait pas été invoqué lors de la requête en récusation, et il suffit alors de s’arrêter là. Toute motivation supplémentaire est superfétatoire et affaiblit le raisonnement. Soit, seconde hypothèse, cette découverte avait été évoquée sans pour autant être centrale dans le raisonnement. Dans ce cas, la solution conduit à faire peser une obligation de parallélisme des formes entre la requête en récusation et le recours en annulation. Une telle exigence est dépourvue d’un quelconque fondement juridique et interdit aux parties d’affiner leur argumentation, ce qui laisse sceptique.

Deuxième temps, la Cour de cassation relève que les recherches alléguées sont tirées du site internet de Sofregaz, qu’elles sont publiques et aisément accessibles, et qu’elles auraient pu être menées le jour même de la réception du courriel de l’arbitre, soit le 26 juillet 2017. Cette motivation repose sur la notoriété de la situation. Cette notoriété est entendue abstraitement, la jurisprudence ayant affirmé que l’arbitre doit « informer les parties de toute relation qui ne présente pas un caractère notoire » (Paris, 13 mars 2008, n° 06/12878, Paris, D. 2008. 3111, obs. T. Clay ; v. égal. : Paris, 10 mars 2011, Tecso c. Neoelectra, n° 09/28537, D. 2011. 3023, obs. T. Clay ; RTD com. 2012. 518, obs. E. Loquin ; Cah. arb. 2011. 787, note M. Henry ; LPA 2011, n° 225-226, p. 14, note P. Pinsolle ; Rev. arb. 2011. 737, obs. D. Cohen ; Gaz. Pal. 15-17 mai 2011, p. 19, obs. D. Bensaude ; 28 mai 2013, n° 11/17672, Catering International, D. 2013. 2936, obs. T. Clay ; Gaz. Pal. 27-28 sept. 2013, p. 18, obs. D. Bensaude ; 2 juill. 2013, n° 11/23234, La Valaisanne Holding, D. 2013. 2936, obs. T. Clay ; RTD com. 2014. 318, obs. E. Loquin ; Rev. arb. 2013. 1033, note M. Henry ; JCP 2013. 1391, § 5, obs. J. Ortscheidt). Cette jurisprudence a conduit à exclure du champ de la révélation, dans un arbitrage corporatif, les faits connus des deux parties (Civ. 1re, 1er févr. 2012, n° 11-15.346, CEVEDE, D. 2012. 2991, obs. T. Clay ), ou qui auraient dû l’être (Civ. 1re, 19 déc. 2012, n° 10-27.474, Rocco, Dalloz actualité, 8 janv. 2013, obs. X. Delpech ; ibid. 2936, obs. T. Clay  ; Procédures 2013. Comm. 45, obs. L. Weiller ; JDI 2013. 946, note S. Sana-Chaille de Nere ; Gaz. Pal. 28-30 avr. 2013. 16, obs. D. Bensaude). De même, la jurisprudence considère le plus souvent qu’une information librement accessible sur internet (Paris, 14 mars 2017, n° 15/19525, Rev. arb. 2017. 1213, note B. Zadjela) ou dans un annuaire professionnel (Paris, 27 mars 2018, n° 16/09386, D. 2018. 2448, obs. T. Clay ; Rev. arb. 2018. Somm. 472 ; RLDA 2018, n° 138, obs. H. Guyader ; Gaz. Pal. 2018, n° 27, p. 19, obs. D. Bensaude) est notoire. C’est exactement ce qui est ici retenu, l’information étant disponible sur le site de la société.

On peut ne pas être convaincu par cette motivation. Comme l’avait déjà signalé un commentateur de l’arrêt d’appel, « l’arbitre lui-même les ignorait, ce qui montre qu’elles n’étaient pas si notoires » (T. Clay, Tecnimont, saison 5 : La dissolution de l’obligation de révélation dans le devoir de réaction, Cah. arb. 2016. 447, n° 11). Surtout, l’exception de notoriété conduit à exclure de l’obligation de révélation les éléments les plus importants. Ainsi, à suivre cette logique, l’auteur de ces lignes n’aurait pas à révéler qu’il contribue régulièrement au contenu Dalloz dans un litige où l’éditeur serait partie.

Répondant à cette difficulté, la cour d’appel pose parfois une limite aux obligations d’investigations des parties en énonçant qu’« il ne saurait être raisonnablement exigé ni que les parties se livrent à un dépouillement systématique des sources susceptibles de mentionner le nom de l’arbitre et des personnes qui lui sont liées ni qu’elles poursuivent leurs recherches après le début de l’instance arbitrale » (Paris, 14 oct. 2014, n° 13/13459, Newsletter du CMAP, D. 2014. 2541, obs. T. Clay ; Cah. arb. 2014. 795, note D. Cohen ; Rev. arb. 2015. 151, note M. Henry ; confirmé par Civ. 1re, 16 déc. 2015, n° 14-26.279, D. 2016. 2589, obs. T. Clay ; Rev. arb. 2016. 536, note M. Henry ; Gaz. Pal. 2016, n° 26, p. 27, obs. D. Bensaude ; Cah. arb. 2016. 653, note D. Cohen). Il n’en demeure pas moins que la jurisprudence est complexe et exige des parties une obligation de s’informer. Autrement dit, alertée sur un point, la partie doit mener des investigations complémentaires. C’est exactement le sens du présent arrêt. La notoriété de la situation fait peser sur les parties une obligation de « curiosité » (E. Loquin, note s/s Paris, 12 avr. 2016, n° 14/14884, D. 2016. 2589, obs. T. Clay ; RTD civ. 2016. 856, obs. H. Barbier ; Rev. arb. 2017, p. 234, n° 32), dont les limites sont encore largement indéterminées. Pire, là où la jurisprudence semblait s’accorder pour dire que cette obligation de curiosité de s’étend pas au-delà du début de l’instance arbitrale (Paris, 14 oct. 2014, n° 13/13459, préc. ; 27 mars 2018, n° 16/09386, préc.), le présent arrêt invite à penser l’inverse.

Une telle position jurisprudentielle paraît nuisible. Il convient de rappeler que l’obligation de révélation pèse, selon l’article 1456, alinéa 2, du code de procédure civile, intégralement sur l’arbitre. L’exception de notoriété et l’obligation de curiosité ne reposent sur aucun fondement juridique et sont en contradiction directe – dans la lettre et l’esprit – avec le texte. Elles invitent l’arbitre à être le moins précis possible, là où les dix dernières années de jurisprudence entendaient renforcer l’obligation de révélation. Couplées à l’obligation de réaction, les parties sont invitées à mener des investigations approfondies dans le mois suivant la révélation de l’arbitre, sous peine de perdre le droit d’en demander la récusation et, par conséquent, l’annulation de la sentence. Le délai pour former une demande en récusation n’est donc plus seulement un délai de réaction, mais également un délai d’investigation. Voilà qui est parfaitement délétère et contraire aux bonnes pratiques que l’arbitrage tente d’imposer.

L’arrêt Tecnimont n’est toutefois pas le seul à s’intéresser à la question de la révélation. Dans un arrêt du 18 décembre 2018, la cour d’appel de Paris est également confrontée à ce grief formulé à l’encontre d’une sentence (Paris, 18 sept. 2018, n° 16/26009, Dalloz jurisprudence). Elle est d’ailleurs cohérente avec la jurisprudence de la Cour de cassation, en énonçant que « que l’obligation d’information qui pèse sur l’arbitre afin de permettre aux parties d’exercer leur droit de récusation doit s’apprécier au regard de la notoriété de la situation critiquée et de son incidence sur le jugement de l’arbitre ». Dans cette affaire, le recourant tentait de faire feu de tout bois en reprochant à un arbitre un lien avec une société tierce dans laquelle le frère d’une des parties était salarié (société qui emploie, à travers le monde, près de 200 000 personnes). Le moyen est rejeté, de même que celui reprochant à deux arbitres d’avoir participé ensemble à un congrès (dans le même ordre d’idée, v. Paris, 1er juill. 2011, n° 10/10402, Sorbrior, D. 2011. 3023, obs. T. Clay ; RTD com. 2012. 518, obs. E. Loquin ; LPA 2011, n° 225-226, note P. Pinsolle ; Rev. arb. 2011. 761, obs. D. Cohen ; 1er juill. 2011, n° 10/10406, SA Emivir c. SAS ITM Entreprises, D. 2011. 3023, obs. T. Clay ; Civ. 1re, 4 juill. 2012, n° 11-19.624, CSF c. M. Tesseler, Dalloz actualité, 13 juill. 2012, obs. X. Delpech , note B. Le Bars ; ibid. 2991, obs. T. Clay  ; Procédures 2012. Comm. 284, note L. Weiller ; JCP 2012. Doctr. 1354, § 1er, obs. C. Seraglini ; Gaz. Pal. 30 sept.-2 oct. 2012. 16, obs. D. Bensaude ; RLDC oct. 2012. 3, obs. J. Mestre). On ne peut que suivre la jurisprudence sur ces questions. Si la révélation doit être exhaustive, on ne peut attendre de l’arbitre qu’il se livre à un dépouillement des relations des membres de sa famille ou détaille l’intégralité des rencontres qu’il a pu faire au cours de sa carrière.

L’ordre public

L’ordre public est l’autre problématique au cœur de la présente livraison. Les arrêts en commentaire nous rappellent qu’il convient de distinguer l’ordre public visé par l’article 1492, 5°, et l’ordre public international de l’article 1520, 5°, du code de procédure civile. La cour d’appel de Paris retient cette distinction lorsqu’elle affirme que « la violation de l’ordre public interne, à la supposer établie, ne constitue pas un cas d’ouverture à l’appel de la décision accordant l’exécution en France d’une sentence arbitrale étrangère, l’article 1502, 5°, ne visant que le cas où la reconnaissance ou l’exécution de cette sentence sont contraires à l’ordre public international » (Paris, 12 mars 1985, Rev. arb. 1985. 299, note E. Loquin ; D. 1985. IR 467, obs. P. Julien). Là où une règle d’ordre public international est toujours une règle d’ordre public interne, une règle d’ordre public interne n’est pas nécessairement une règle d’ordre public international (J.-B. Racine, L’arbitrage commercial international et l’ordre public, avant-propos L. Boy, préf. P. Fouchard, LGDJ, coll. « Bibliothèque de droit privé », 1999, n° 869).

Un des arrêts de la cour d’appel de Paris offre une illustration d’une règle d’ordre public interne (Paris, 18 sept. 2018, n° 16/26009, Dalloz jurisprudence). Il s’agit des règles relatives à la personnalité morale, la cour énonçant qu’« en vertu du principe de la personnalité morale de la société, les associés d’une société ou les gérants, sauf exception, ne peuvent pas être contractuellement liés à ceux avec lesquels la société a contracté, y compris les salariés » (sur cette question en matière d’arbitrage, v. D. Cohen, Arbitrage et société, préf. B. Oppetit, LGDJ, coll. « Bibliothèque de droit privé , 1993, nos 511 s.). Or, dans la sentence, les arbitres ont condamné l’associé d’une société au paiement d’une dette résultant de la rupture d’un contrat de travail liant un salarié à la société. La cour d’appel juge que le tribunal a ignoré le principe de la personnalité morale de la société, seul employeur du salarié. Si les interrogations sur la personnalité morale en matière d’arbitrage sont classiques, elles sont le plus souvent posées sous l’angle de la compétence (Paris, 20 déc. 2018, n° 16/25484, Garoubé, infra ; v. égal. Paris, 25 avr. 2017, n° 15/07642, Gaz. Pal. 2017, n° 27, p. 33, obs. D. Bensaude).

Ensuite, l’arrêt est particulièrement marquant par l’intensité du contrôle opéré par la cour d’appel. Classiquement, la jurisprudence énonce, en matière d’ordre public interne, que « le moyen pris de la contrariété à l’ordre public au sens de l’article 1492, 5°, du code de procédure civile […] tentait, en réalité, d’obtenir la révision au fond de la sentence, interdite au juge de l’annulation » (Paris, 19 déc. 2017, n° 16/11404, D. 2018. 2448, obs. T. Clay ; ibid. 2448, obs. T. Clay ; Rev. arb. 2018. Somm. 292 ; Gaz. Pal. 2018, n° 11, p. 28, obs. D. Bensaude ; 19 mai 2015, n° 14/05854, D. 2015. 2588, obs. T. Clay ; Rev. arb. 2015. Somm. 951 ; Com. 30 juin 2015, n° 14-19.119, RTD com. 2015. 570, obs. D. Legeais ; Procédures 2015, comm. 331, obs. L. Weiller). Ce n’est pas l’approche retenue en l’espèce. Pour établir une violation par le tribunal arbitral du principe de la personnalité morale, le juge réalise un examen particulièrement approfondi. À aucun moment le contrôle réalisé n’est limité par la révision au fond, absente de l’arrêt. Au contraire, le juge reprend point par point le raisonnement du tribunal arbitral sur le fond et constate une violation du principe de la personnalité morale. La qualification de règle d’ordre public permet au juge une véritable révision au fond de la sentence. Cet arrêt doit-il être considéré comme un écart par rapport à la jurisprudence habituelle ou est-il l’amorce d’un revirement ? Il est sans doute trop tôt pour le dire.

Enfin, on fera une remarque sur la présentation formelle de l’arrêt, qui saisit le lecteur d’un doute. Le principe de la personnalité morale de la société est présenté comme un grief autonome de l’ordre public. Par ailleurs, la cour d’appel énonce que « le tribunal a ainsi violé le principe de la séparation des patrimoines de la société […] et l’ordre public ». Le principe de la personnalité morale serait alors distinct de l’ordre public. Pourtant, il convient de rappeler que les cas d’ouverture du recours en annulation sont limitativement énumérés par les articles 1492 (en matière interne) et 1520 (en matière internationale) du code de procédure civile. Si le respect du principe de la personnalité morale peut être examiné en l’espèce, ce n’est que parce qu’il relève de l’ordre public, dont il ne peut être dissocié. À moins que la cour d’appel de Paris entende se jeter dans la brèche ouverte, quelques mois plus tôt, par la Cour de cassation (Civ. 1re, 28 févr. 2018, n° 16-22.112, Dalloz actualité, 20 mars 2018, obs. J.-D. Pellier ; ibid. 1934, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; ibid. 2448, obs. T. Clay ; AJ Contrat 2018. 187, obs. J. Jourdan-Marques ; RTD civ. 2018. 411, obs. H. Barbier ; ibid. 431, obs. P.-Y. Gautier ; Rev. arb. 2018. 389, note M. Laazouzi ; Procédures 2018. Comm. 148, obs. L. Weiller ; JCP 2018. 1111, note P. Casson ; RDC 2018. 354, note R. Libchaber ; JDI 2018. 1202, note P. Pinsolle) ? On peut espérer qu’il ne s’agisse que d’une erreur de plume. Dans le cas contraire, tout le droit du recours contre les sentences arbitrales serait sur le point de voler en éclat.

L’autre arrêt, rendu dans l’affaire Garoubé, porte sur l’ordre public international (Paris, 20 déc. 2018, n° 16/25484). Le requérant soutient que la sentence doit être annulée comme contraire à l’ordre public international en ce qu’elle donne effet à une fraude et en ce qu’elle entérine la violation de dispositions impératives du droit camerounais relevant de l’ordre public international. Les deux moyens sont rejetés.

Sur la fraude, la cour d’appel confirme les jurisprudences récentes selon lesquelles la violation de l’ordre public international doit être manifeste, effective et concrète (Paris, 27 sept. 2016, n° 15/12614, D. 2017. 2054, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; ibid. 2559, obs. T. Clay ; Rev. arb. 2017. Somm. 325 ; ibid. 824, E. Gaillard ; JDI 2017. Comm. 20, note E. Gaillard ;  16 mai 2017, n° 15/17442, D. 2017. 2054, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; ibid. 2559, obs. T. Clay ; JDI 2017. Comm. 20, note E. Gaillard ; Rev. arb. 2018. 248, note J.-B. Racine ; 16 janv. 2018, n° 15/21703, D. 2018. 1635 , note M. Audit ; ibid. 966, obs. S. Clavel et F. Jault-Seseke ; ibid. 1934, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; ibid. 2448, obs. T. Clay ; Rev. arb. 2018. 401, note S. Lemaire ; JDI 2018. Comm. 12, note S. Bollée ; JDI 2018. Comm. 13, note E. Gaillard ; 27 févr. 2018, n° 16/01358, Rev. arb. 2018. Somm. 299 ; 10 avr. 2018, n° 16/11182, D. 2018. 1934, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; ibid. 2448, obs. T. Clay ; Rev. arb. 2018. 574, note E. Gaillard). Elle se détache ainsi de la jurisprudence antérieure, selon laquelle la violation de l’ordre public international devait être « flagrante » (Paris, 18 nov. 2004, n° 2002/19606, Thales Air Défense c. Euromissile, D. 2005. 3050 , obs. T. Clay ; Rev. crit. DIP 2006. 104, note S. Bollée ; RTD com. 2005. 263, obs. E. Loquin ; RTD eur. 2006. 477, chron. J.-B. Blaise  ; JDI 2005. 357, note A. Mourre ; JCP 2005. II. 10039, note G. Chabot ; ibid. I. 134, obs. C. Seraglini ; adde C. Seraglini, L’affaire Thales et le non-usage immodéré de l’exception d’ordre public [ou les dérèglements de la déréglementation], Cah. arb. 2006. 87 ; L. Radicati di Brozolo, L’illicéité « qui crève les yeux » : critère de contrôle des sentences au regard de l’ordre public international [à propos de l’arrêt Thales de la cour d’appel de Paris], Rev. arb. 2005. 529 ; Civ. 1re, 4 juin 2008, n° 06-15.320, SNF c. Cytec Industries, D. 2008. 1684 , obs. X. Delpech ; ibid. 2560, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; ibid. 3111, obs. T. Clay ; RTD com. 2008. 518, obs. E. Loquin ; RTD eur. 2009. 473, chron. L. Idot ; Rev. arb. 2008. 473, note I. Fadlallah ; JCP 2008. I. 164, obs. C. Seraglini ; JDI 2008. 1107, note A. Mourre ; LPA 2008, n° 199, p. 21, note P. Duprey ; Gaz. Pal. 20-21 févr. 2009. 32, note F.-X. Train).

La fraude procédurale dans le cadre d’un arbitrage est sanctionnée au regard de l’ordre public international de procédure lorsque des faux documents ont été produits, que des témoignages mensongers ont été recueillis ou que des pièces intéressant la solution du litige ont été frauduleusement dissimulées aux arbitres, de sorte que la décision de ceux-ci a été surprise. Toutefois, elle n’est pas caractérisée en l’espèce, faute de démonstration que la sentence aurait été surprise par fraude.

Sur la méconnaissance de la loi de police camerounaise, l’arrêt rappelle la très récente jurisprudence MK Group (Paris, 16 janv. 2018, n° 15/21703, préc.). Dans l’affaire MK Group, la cour d’appel avait fait expressément référence à la loi de police étrangère dans sa décision et avait annulé la sentence arbitrale pour violation de celle-ci. Dans le présent arrêt, la cour d’appel confirme que des lois de police étrangères peuvent être regardées comme relevant de l’ordre public international dès lors qu’elles correspondent à des valeurs et des principes dont l’ordre juridique français ne saurait souffrir la méconnaissance même dans un contexte international. Néanmoins, les dispositions d’un texte camerounais régissant les modifications capitalistiques des sociétés exerçant une activité faunique « ne peuvent être regardées comme constituant des dispositions impératives d’une loi de police étrangère relevant de la conception française de l’ordre public international ». Si l’argumentation peut paraître fantaisiste, elle était en réalité astucieuse. Le demandeur au recours tentait en effet de faire passer ce texte pour une disposition d’ordre public international relative au droit des États d’exercer leur souveraineté sur l’exploitation de leurs ressources naturelles. C’est précisément cette argumentaire qui avait convaincu la cour d’appel dans l’arrêt MK Group. Si la cour d’appel de Paris ne réitère pas l’expérience de l’annulation d’une sentence arbitrale pour violation d’une loi de police étrangère, elle confirme que la voie ouverte par l’arrêt MK Group est désormais empruntable.

La compétence de l’arbitre

La question relative à la modification capitalistique de la société est également soulevée sous l’angle de la compétence dans l’affaire Garoubé (Paris, 20 déc. 2018, n° 16/25484). En la matière, la cour rappelle que le juge de l’annulation contrôle la décision du tribunal arbitral sur sa compétence, qu’il se soit déclaré compétent ou incompétent, en recherchant tous les éléments de droit ou de fait permettant d’apprécier la portée de la convention d’arbitrage, reprenant ainsi une jurisprudence classique (Civ. 1re, 6 oct. 2010, n° 09-10.530, Abela, Dalloz actualité, 21 oct. 2010, obs. X. Delpech ; ibid. 2011. 265, obs. N. Fricero ; Rev. arb. 2010. 813, note F.-X. Train ; JCP 2010. 1028, note P. Chevalier ; ibid. I. 1286, obs. J. Ortscheidt ; Gaz. Pal. 8 févr. 2011. 14, obs. D. Bensaude ; Paris, 12 juill. 1984, Égypte c. SPP, Rev. arb. 1986. 75 ; JDI 1985. 129, note B. Goldman ; Civ. 1re, 6 janv. 1987, n° 84-17.274, SPP c. Égypte, Rev. arb. 1987. 469, note P. Leboulanger ; JDI 1987. 638, note B. Goldman).

En l’espèce, le requérant fait valoir que le demandeur à l’arbitrage a transféré son siège social et s’est transformé en société privée de droit belge et que cette transformation, conformément au droit OHADA, a entraîné la perte de sa personnalité morale. En conséquence, il ne serait pas partie au contrat ni à la clause compromissoire.

Pour régler la question, la cour rappelle que, « selon une règle matérielle du droit de l’arbitrage international, la clause compromissoire est juridiquement indépendante du contrat principal qui la contient ou s’y réfère ; qu’à condition qu’aucune disposition impérative du droit français ou d’ordre public international ne soit affectée, son existence ou sa validité dépendent uniquement de l’intention commune des parties sans qu’il soit nécessaire de se référer à un droit national ». Elle énonce ensuite, sous forme d’une règle matérielle spécifique, qu’une société commerciale peut transférer son siège social d’un pays à un autre dès lors que le droit des deux pays concernés reconnaît le transfert du siège social. Elle ajoute que le fait que la société, en cas de transfert de son siège social, soit régie successivement par deux lois différentes et change de nationalité n’implique pas nécessairement l’interruption de la personnalité morale si les deux lois compétentes admettent, de façon générale, que cette personne survit au transfert de son siège sans dissolution. Partant, la cour d’appel se livre à un examen méthodique des dispositions OHADA et belges pour en déduire la régularité du transfert du siège social et distingue scrupuleusement les exigences relevant de l’ordre juridique d’origine et celles relevant de l’ordre juridique d’accueil. Elle en conclut que l’adaptation de la forme juridique de la société au droit du pays d’accueil consécutive au transfert international du siège social est régie par la loi de ce pays d’accueil et non par celui du pays d’origine et tranche en faveur de la continuité de la personnalité morale.

La compétence est également au cœur d’un autre arrêt (Paris, 18 déc. 2018, n° 16/24924). L’affaire portait sur l’extension d’une clause compromissoire à des parties non signataires. La cour commence par rappeler les principes du contrôle de la compétence, à savoir le contrôle de tous les éléments de droit ou de fait et les règles matérielles applicables (règles parfaitement identiques à celles énoncées dans l’affaire Garoubé, v. supra). Une convention contenant une clause compromissoire est signée entre un client et un groupe conseil. Il est indiqué que le client prend part à la transaction en tant qu’investisseur principal d’un consortium. La question est alors de savoir si les membres du consortium sont tenus par la clause, qu’ils n’ont pas signée. La cour d’appel énonce alors la règle matérielle applicable en la matière : « la clause compromissoire insérée dans un contrat international a une validité et une efficacité propres qui commandent d’en étendre l’application aux parties directement impliquées dans l’exécution du contrat et dans les litiges qui peuvent en résulter, dès lors qu’il est établi que leur situation et leurs activités font présumer qu’elles ont eu connaissance de l’existence et de la portée de la clause d’arbitrage, bien qu’elles n’aient pas été signataires du contrat la stipulant ». Deux conditions essentielles résultent de ce principe : pour que la clause compromissoire soit étendue à un tiers, celui-ci doit être impliqué dans l’exécution du contrat et avoir connaissance de la clause. La cour d’appel vérifie alors soigneusement la réunion de ces deux conditions pour les quatre tiers à la convention. Elle constate que deux entités avaient connaissance de la clause et étaient intervenues dans l’exécution du contrat, contrairement aux deux autres. En conséquence, elle annule la sentence en tant que l’arbitre s’est déclaré incompétent à l’égard des deux premières.

La mission de l’arbitre

L’affaire Garoubé (Paris, 20 déc. 2018, n° 16/25484) est également l’occasion de revenir sur la liberté procédurale offerte aux arbitres et le respect de leur mission. La question était de savoir si le tribunal arbitral devait trancher la question du lien de causalité entre une rupture abusive de contrat et un préjudice lors d’une première sentence partielle ou dans une sentence ultérieure. La cour d’appel considère que les seules règles procédurales expressément et précisément convenues par les parties figurent à l’acte de mission, lequel ne contient, en l’espèce, aucune disposition impérative quant à l’objet précis des sentences partielles. Dès lors, en décidant de ne statuer que dans la sentence finale sur le lien de causalité entre la faute commise et les préjudices, le tribunal arbitral a exercé sa mission et le pouvoir qu’il détient de régler la procédure selon ce qu’il juge approprié et n’a pas outrepassé ni refusé d’exercer les pouvoirs que lui ont confiés les parties. La solution paraît convaincante. Le recours à une pluralité de sentences est une modalité classique en matière d’arbitrage. À moins que les parties aient lié l’arbitre sur ce point, celui-ci est libre de trancher progressivement le litige, chaque sentence partielle le dessaisissant progressivement du litige. Par ailleurs, quand bien même l’arbitre aurait omis de trancher certaines prétentions, cette lacune doit conduire à réunir à nouveau le tribunal pour compléter la sentence (Paris, 27 févr. 2018, n° 16/01358, Rev. arb. 2018. Somm. 299). Enfin, la cour précise que la sentence qui ne prononce aucune condamnation à l’encontre d’une partie et réserve à la sentence finale l’examen du lien de causalité ne heurte pas l’ordre public international.

Le Venezuela gagne une bataille devant le juge de l’annulation

Cette troisième chronique compte pas moins de huit arrêts. Le plus marquant concerne le Venezuela, qui obtient une victoire éclatante avec l’annulation d’une sentence arbitrale d’un milliard de dollars. La motivation peine malheureusement à convaincre.

 

Quatre arrêts de la Cour de cassation et quatre de la cour d’appel de Paris méritent d’être signalés dans une période allant du 19 décembre 2018 au mois de février 2019. On retrouve, comme souvent, le lot d’arrêts portant sur le recours en annulation. Toutefois, on y découvre également deux arrêts relatifs au principe compétence-compétence et un concernant le juge d’appui.

Le recours en annulation

La compétence du tribunal arbitral

L’arbitrage d’investissements s’est fait une réputation sulfureuse dans les médias, notamment depuis les discussions entourant les traités CETA (Comprehensive Economic and Trade Agreement entre le Canada et l’Union européenne, ou AECG [Accord économique et commercial global], entré en vigueur le 21 septembre 2017), TAFTA (Transatlantic Free Trade agreement, ou TTIP ou PTCI [Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement]) et JEFTA (Japan-EU free trade agreement, ou Accord de libre-échange entre le Japon et l’Union européenne). Lors des discussions sur la proposition de résolution sur l’agenda commercial européen et l’Accord de partenariat économique entre l’Union européenne et le Japon, présentée devant l’Assemblée nationale le 18 février 2019 par le député Jacques Maire, le député Jean-Luc Mélenchon a, une nouvelle fois, fait part de son opposition à ce mécanisme de règlement des différends entre États et investisseurs (v. le compte rendu de séance du 18 févr. 2019).

Le plus souvent, l’arbitrage d’investissements reste étranger à la justice étatique. En effet, la Convention de Washington du 18 mars 1965 ayant créé le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) fait échapper au contrôle étatique les sentences arbitrales rendues sous l’égide du centre (régl., art. 53 et 54). Il en va toutefois différemment lorsque la procédure est menée conformément au règlement du mécanisme supplémentaire du CIRDI, lequel prévoit la possibilité d’un recours en annulation devant les juridictions étatiques du siège (L. Gouiffes et L. Chatelain, L’annulation en France des sentences arbitrales rendues sur le fondement de traités d’investissement, Rev. arb. 2017. 839).

C’est précisément ce qui s’est passé dans un litige opposant une société minière canadienne à la République bolivarienne du Venezuela. Après avoir acquis une participation majoritaire dans plusieurs sociétés vénézuéliennes, l’opérateur a été confronté à plusieurs législations étatiques rognant progressivement son investissement. L’investisseur a alors déposé une demande d’arbitrage auprès du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) sur le fondement du traité bilatéral d’investissement entre le Canada et la République du Venezuela (TBI). Par une sentence rendue à Paris, le tribunal arbitral a condamné le Venezuela à indemniser le demandeur au titre de plusieurs préjudices, dont le principal s’élève à près d’un milliard de dollars.

C’est donc d’un litige particulièrement explosif qu’était saisie la cour d’appel de Paris (Paris, 29 janv. 2019, n° 16/20822), à laquelle le Venezuela demandait de constater l’incompétence du tribunal arbitral. Deux branches du moyen retiennent l’attention, notamment en ce que les réponses apportées à celles-ci apparaissent en partie contradictoires.

La première branche évoquée est assez simple. L’article XII de l’accord entre le gouvernement du Canada et le gouvernement de la République du Venezuela concernant la promotion et la protection des investissements, conclu le 1er juillet 1996 et entré en vigueur le 28 janvier 1998 (TBI), imposait la recherche d’un règlement amiable pendant six mois avant la soumission de la prétention au tribunal arbitral. En l’absence de respect de cette exigence, le tribunal arbitral devait-il être considéré comme incompétent ? La cour d’appel répond sèchement, et de façon parfaitement classique, que le moyen tiré de la violation d’une clause de conciliation préalable ne constitue pas une question de compétence, mais une question relative à la recevabilité des demandes, qui n’entre pas dans les cas d’ouverture du recours en annulation énumérés par l’article 1520 du code de procédure civile (v. égal. Paris, 28 juin 2016, n° 15/03504, Rev. arb. 2016. 1157, note J. Barbet ; Gaz. Pal. 2016. 37, obs. D. Bensaude). Ainsi, elle ne contrôle même pas le grief, qui relève du seul et unique tribunal arbitral.

La troisième branche (la deuxième n’étant pas traitée) est beaucoup plus complexe. L’article XII de l’accord prévoyait que « l’investisseur peut soumettre un différend à l’arbitrage visé au paragraphe 1, conformément au paragraphe 4, seulement si les conditions suivantes sont remplies : […] trois ans ou moins se sont écoulés depuis la date à laquelle l’investisseur a pris connaissance ou aurait dû prendre connaissance pour la première fois de la prétendue violation ainsi que de la perte ou du préjudice qu’il a subi ». Le même article ajoute que « chacune des parties contractantes donne, par les présentes, son consentement inconditionnel à la soumission d’un différend à l’arbitrage international conformément aux dispositions du présent article ». La question posée est parfaitement identique à la précédente : cette stipulation du TBI doit-elle être analysée comme une question de recevabilité de la prétention ou de compétence du tribunal arbitral ?

La cour d’appel tranche en faveur de la qualification de compétence. Elle énonce qu’« il est loisible à un État de subordonner son consentement à l’arbitrage à diverses conditions qui doivent, dès lors, être considérées comme délimitant le pouvoir de juger des arbitres. En l’espèce, il résulte des termes clairs du paragraphe 5 précité de l’article XII du TBI que les parties contractantes ont assujetti leur offre d’arbitrage au respect des conditions énumérées par cet article et, notamment, de celle énoncée par le d du paragraphe 3, selon laquelle un tribunal arbitral constitué en vertu du TBI n’est pas compétent pour examiner les faits dommageables dont l’investisseur avait connaissance ou aurait dû avoir connaissance depuis plus de trois années à la date de la saisine ».

Une fois cette question préliminaire résolue, la cour d’appel de Paris applique sa jurisprudence classique lui permettant de contrôler la décision du tribunal arbitral sur la compétence, qu’il se soit déclaré compétent ou incompétent, en recherchant tous les éléments de droit ou de fait permettant d’apprécier la portée de la convention d’arbitrage. Reprenant le raisonnement du tribunal arbitral dans son intégralité, la cour d’appel estime que le tribunal arbitral s’est déclaré compétent pour connaître de préjudices non compris dans son champ de compétence ratione temporis. En conséquence, elle annule, pour l’essentiel de la condamnation, la sentence rendue entre les parties.

La décision sera sans aucun doute abondamment commentée (v. not., Dalloz actualité, obs. C. Debourg, à paraître) et il ne nous appartient de faire que deux remarques.

Premier point, la cour d’appel fait entrer la question temporelle dans le champ de la compétence en se fondant sur la volonté des parties. Elle considère que le consentement est limité et qu’il est donné, selon le TBI, uniquement pour les prétentions formées « conformément aux dispositions du présent article » (l’article XII préc.). Le délai étant intégré dans cet article, la cour en déduit qu’il s’agit bien d’une question de compétence. Pourtant, le raisonnement ne convainc pas. La cour d’appel oublie qu’elle a exprimé exactement l’opinion inverse concernant la première branche du moyen. En effet, l’obligation de soumettre le litige à un mode amiable préalablement à la saisine, six mois plus tard, d’un tribunal arbitral est prévue par le même article. À suivre le raisonnement tenu dans la troisième branche, il aurait fallu considérer que le respect l’obligation de conciliation préalable ne relève pas d’une question de recevabilité mais de compétence. Il y a donc, dans la motivation de la cour, une contradiction entre deux branches.

Pour trancher cette difficulté de qualification, il faut rappeler que la cour n’est pas liée par la qualification retenue par les parties (la jurisprudence est régulièrement confrontée à cette problématique, notamment pour les clauses utilisant de façon inappropriée le terme « arbitre » ou pour les décisions qualifiées à tort de sentence ou d’ordonnance de procédure (sur cette dernière question, v. Paris, 1er juill. 1999, Rev. arb. 1999. 834, note C. Jarrosson ; 4 avr. 2002, Rev. arb. 2003. 143, note D. Bensaude ; 29 nov. 2007, Rev. arb. 2009. 742 [1re espèce, 2e décision], note C. Chainais ; 26 févr. 2013, Rev. arb. 2014. 82, note P. Duprey et C. Fouchard). La volonté des parties maladroitement exprimée dans la clause ne devrait pas être suffisante pour qualifier de compétence des questions qui n’en relèvent pas. Il fallait donc s’assurer que ce grief relève bien d’une question de compétence, ce dont la cour s’est abstenue. Ce seul motif pourrait entraîner la cassation.

Deuxième point, la qualification de compétence apparaît-elle convaincante, malgré le silence de la cour ? La notion de compétence (certains auteurs préfèrent la notion de pouvoir, v. P. Théry, Pouvoir juridictionnel et compétence [étude de droit international privé], thèse, Paris II, 1981, n° 19, p. 20) renvoie aux discussions relatives à l’arbitrabilité du litige, à la validité de la clause et à son champ d’application (v. not. J. Jourdan-Marques, Le contrôle étatique des sentences arbitrales internationales, préf. T. Clay, LGDJ, coll. « Bibliothèque de droit privé », 2017, n° 401). De ces trois volets, la question posée à la cour d’appel ne peut potentiellement relever que du troisième. Plus précisément, et c’est ainsi que la cour d’appel la qualifie, il pourrait s’agir d’une interrogation relative au champ d’application ratione temporis du consentement à l’arbitrage.

Les questions de champ d’application ratione temporis sont rares. On en trouve de beaux exemples en matière de compétence européenne, avec l’articulation entre la Convention de Bruxelles et le Règlement Bruxelles I (règl., art. 66 : « Les dispositions du présent règlement ne sont applicables qu’aux actions judiciaires intentées et aux actes authentiques reçus postérieurement à son entrée en vigueur » ; règl. art. 76 : « Le présent règlement entre en vigueur le 1er mars 2002 »), puis entre ce dernier et le Règlement Bruxelles I bis (règl. art. 66 : « Le présent règlement n’est applicable qu’aux actions judiciaires intentées, aux actes authentiques dressés ou enregistrés formellement et aux transactions judiciaires approuvées ou conclues à compter du 10 janvier 2015 »). La question s’est également posée en arbitrage, mais dans des circonstances légèrement différentes (application provisoire d’un traité avant son entrée en vigueur, v. District Court of The Hague, 20 avr. 2016, Rev. arb. 2016. 623, obs. M. Laazouzi). Ce n’est toutefois pas un débat courant.

En l’espèce, la question de savoir si le TBI est en vigueur n’est pas discutée. En revanche, il s’agit de savoir si le délai de trois ans pour introduire l’action après la prise de connaissance de la prétendue violation et ses conséquences dommageables est exigé au titre du champ d’application ratione materiae du traité. Une réponse positive conduit à inclure ce critère au sein de la compétence du tribunal arbitral et ouvre la voie d’un contrôle, alors qu’une réponse négative interdit au juge de l’annulation de contrôler ce délai.

La réponse dépend largement du sens de la clause. On peut tout à fait envisager une disposition qui soumette une prétention, pendant un premier temps, à la compétence d’un tribunal arbitral et, pendant un second temps, à la compétence d’une juridiction étatique. Une telle règle serait fortement originale mais ferait entrer les discussions relatives aux délais d’action dans la compétence. À l’inverse, une clause prévoyant un délai pour soumettre la prétention à un tribunal arbitral mais ne réservant pas la possibilité de saisir le juge étatique – avant, pendant ou après – pencherait fortement vers une clause relative à la prescription.

Sur ce point, il y a une véritable ambiguïté dans le TBI. L’article XII, 3, du TBI énonce que l’investisseur « peut soumettre un différend à l’arbitrage ». Cette disposition réserve-t-elle la possibilité pour l’investisseur de soumettre le litige à la justice étatique vénézuélienne, notamment à l’expiration du délai de trois ans ? Certaines sources indiquent une réponse négative (Domestic courts of the host State : No). Quoi qu’il en soit, il aurait fallu que la cour d’appel se prononce expressément sur ce point. En ne réalisant pas cet examen, la cour écarte implicitement la qualification de prescription, pourtant retenue par le tribunal. Une telle qualification aurait dû interdire à la cour de contrôler la sentence, le moyen relevant de la recevabilité et non de la compétence (pour une critique plus en avant de l’arrêt, v. Dalloz actualité, C. Debourg, à paraître).

Un autre arrêt de la présente livraison rappelle des principes bien établis en matière de contrôle de la compétence (Paris, 22 janv. 2019, n° 16/23370). D’une part, la partie qui entend remettre en cause la compétence du tribunal arbitral devant le juge de l’annulation doit préalablement avoir invoqué ce moyen devant l’arbitre. D’autre part, l’autonomie juridique de la clause compromissoire exclut qu’elle soit affectée par l’éventuelle nullité du contrat de cession d’un fonds de commerce qui la contient.

La constitution du tribunal arbitral

Un des arrêts rendus le 19 décembre 2018 (Civ. 1re, 19 déc. 2018, n° 17-17.874) rappelle la diversité des facettes du contrôle de la constitution du tribunal arbitral (C. pr. civ., art. 1492.2°, l’arbitrage étant interne en l’espèce). Ce grief n’est pas limité aux difficultés relatives à l’indépendance et à l’impartialité de l’arbitre. À l’origine, c’est la volonté des parties qui se retrouve au cœur de ce cas d’ouverture du recours. Les parties peuvent régler elles-mêmes les modalités de constitution du tribunal arbitral. C’est ce qui ressort très clairement de l’article 1508 du code de procédure civile qui dispose que « la convention d’arbitrage peut, directement ou par référence à un règlement d’arbitrage ou à des règles de procédure, désigner le ou les arbitres ou prévoir les modalités de leur désignation » (C. pr. civ., art. 1444, pour l’arbitrage interne). Dans la présente affaire, les parties avaient laissé un délai aux coarbitres pour désigner le président. Les coarbitres n’ayant pas respecté ce délai, et ayant désigné le président tardivement, une partie allègue l’irrégularité de la constitution du tribunal. Le moyen est pourtant rejeté, au motif que le requérant n’ayant pas saisi le juge d’appui, il a renoncé à se prévaloir du moyen. Il en ressort deux enseignements : la volonté des parties doit être respectée pour que la constitution du tribunal arbitral soit régulière, mais en cas d’irrégularité, celle-ci doit être soulevée immédiatement (C. pr. civ., art. 1466 : « La partie qui, en connaissance de cause et sans motif légitime, s’abstient d’invoquer en temps utile une irrégularité devant le tribunal arbitral est réputée avoir renoncé à s’en prévaloir »).

Le respect de sa mission par le tribunal

Contrairement aux jugements des juridictions judiciaires, les arbitres ne sont pas tenus de respecter un formalisme rigoureux. Certes, les articles 1480 et 1481 du code de procédure civile prévoient certaines mentions obligatoires (certaines exigées à peine de nullité de la sentence par les articles 1483 et 1492, 6°, du code de procédure civile) et l’article 1482 ajoute que « la sentence arbitrale expose succinctement les prétentions respectives des parties et leurs moyens. Elle est motivée ». Toutefois, ce formalisme ne va pas jusqu’à imposer aux arbitres d’énoncer leur décision sous forme de dispositif. C’est ce que rappelle un arrêt du 15 janvier 2019 (Paris, 15 janv. 2019, n° 17/01106). La conséquence de cette absence d’obligation d’énoncer la sentence sous forme de dispositif est que, contrairement à la matière judiciaire, l’autorité de la chose jugée n’est pas attachée au seul dispositif mais concerne également les motifs de la décision.

L’ordre public international

La fraude procédurale commise dans le cadre d’un arbitrage peut être sanctionnée au regard de l’ordre public international de procédure. Elle est en train de devenir un argument classique du recours en annulation (v. déjà, Paris, 20 déc. 2018, n° 16/25484, Dalloz actualité, 29 janv. 2019, chron. J. Jourdan-Marques ; Rev. arb. 2015. 273) mais n’emporte que rarement la conviction de la cour d’appel. Elle suppose que des faux documents aient été produits, que des témoignages mensongers aient été recueillis ou que des pièces intéressant la solution du litige aient été frauduleusement dissimulées aux arbitres, de sorte que la décision de ceux-ci a été surprise. Il était cette fois reproché à une partie de s’être abstenue de produire un contrat de cession de créance dans l’instance arbitrale (Paris, 22 janv. 2019, n° 17/15605). Pour le requérant, la rétention de cette information intéressait directement la solution du litige puisqu’elle le privait, d’une part, de la possibilité de plaider la disparition du bénéfice du cautionnement sur lequel était fondée la demande et, d’autre part, de la faculté d’exercer le retrait litigieux. La cour d’appel rejette néanmoins le moyen. Elle considère, d’abord, qu’il n’est pas établi que la solution aurait été différente sur le fond de la prétention. Autrement dit, la solution des arbitres n’aurait pas été influencée par cette omission de la partie. Elle considère ensuite, et la motivation est beaucoup moins convaincante, que le requérant n’a pas été privé de son droit d’exercice du retrait litigieux, car « il suppose que le droit litigieux ait été cédé moyennant un prix que le retrayant rembourse au cessionnaire de la créance pour mettre un terme au litige, ce qui n’est pas le cas d’une cession consentie moyennant un euro symbolique ». Ainsi, le caractère véniel du montant de la cession exclurait le retrait litigieux. La solution retenue par la cour d’appel nous semble en contradiction avec la jurisprudence de la Cour de cassation (Com. 15 janv. 2013, n° 11-27.298, Dalloz actualité, 29 janv. 2013, obs. x. Delpech , note O. Gout ; RTD civ. 2013. 376, obs. H. Barbier  ; RLDA 2013, n° 79, p. 39, obs. J. de Romanet ; Gaz. Pal. 2013, n° 100, p. 21, obs. D. Houtcieff ; JCP 2013. 659, Y. Dagorne-Labbe ; CCC 2013, n° 4, note L. Leveneur ; RDC 2013. 933, note R. Libchaber ; ibid. 997, note S. Pellet). Il n’en demeure pas moins que la question du retrait litigieux est en train de faire une entrée fracassante dans le domaine de l’arbitrage et pourrait progressivement en ronger les principes (Civ. 1re, 28 févr. 2018, n° 16-22.112, Dalloz actualité, 20 mars 2018, obs. J.-D. Pellier ; ibid. 1934, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; ibid. 2448, obs. T. Clay ; AJ Contrat 2018. 187, obs. J. Jourdan-Marques ; Rev. crit. DIP 2018. 862, note H. Muir Watt ; RTD civ. 2018. 411, obs. H. Barbier ; ibid. 431, obs. P.-Y. Gautier ; Rev. arb. 2018. 389, note M. Laazouzi ; Procédures 2018, n° 5, obs. L. Weiller ; JCP 2018. 1111, note P. Casson ; RDC 2018. 354, note R. Libchaber ; JDI 2018. 1202, note P. Pinsolle). En l’état, aucune solution ne nous paraît satisfaisante : le retrait litigieux n’affecte pas, comme l’envisage la première chambre civile, l’exécution de la sentence arbitrale ; il n’est pas plus une fraude procédurale, la religion des arbitres n’étant pas trompée. Elle est une question autonome relevant des parties, devant être réglée, en cas de litige, par le juge compétent – sans doute l’arbitre.

Le droit des procédures collectives est quant à lui un excellent client pour les parties souhaitant contester une sentence (Paris, 22 janv. 2019, n° 17/15605). L’articulation d’une procédure arbitrale avec une procédure collective requiert une vigilance accrue de la part des arbitres qui, dans le cadre de leur mission, ne doivent pas empiéter sur la compétence exclusive du juge de la faillite (D. Cohen, note ss Civ. 1re, 6 mai 2009, Rev. arb. 2010. 299, spéc. p. 305 : « L’arbitrage entretient des rapports complexes et subtils avec la matière des faillites : si l’arbitrabilité du droit des procédures collectives ne fait plus aujourd’hui de doute, il n’en reste pas moins que l’arbitre ne saurait empiéter sur la compétence exclusive du juge de la faillite – notamment pour ouvrir une procédure collective du débiteur, recevoir les déclarations de créances ou nommer des représentants de la procédure – et qu’il ne saurait violer des règles d’ordre public interne, voire international, du droit des faillites, teinté de considérations d’intérêt général manifestes »). Encore faut-il, pour faire échec à la sentence, qu’une règle de procédure collective ait été violée. Ainsi, les arbitres ne sont nullement contraints de prendre en considération le plan de continuation d’une société pour statuer sur une demande en paiement dirigée contre d’autres sociétés, quand bien même elles seraient coobligées, auraient consenti une sûreté personnelle ou cédé un bien en garantie (C. com., art. 631-20).

L’intérêt à agir en annulation d’une sentence arbitrale

C’est une question inédite qui était posée à la cour d’appel de Paris, concernant l’intérêt à agir du recourant (Paris, 22 janv. 2019, n° 17/15605). La question est finalement assez simple : une société n’ayant pas fait l’objet d’une condamnation par le tribunal arbitral peut-elle agir en annulation de la sentence ? La réponse devrait être négative. Il en va toutefois autrement en l’espèce. L’instance arbitrale avait été introduite par une partie. Le défendeur avait formé des demandes reconventionnelles et appelé à la cause une autre société du groupe en qualité de caution. La demande contre la caution a toutefois été rejetée. Toutefois, le tribunal avait, au titre des frais d’arbitrage, condamné indistinctement « les demanderesses ». Dès lors, la cour d’appel considère que cette condamnation aux frais donne intérêt à agir en annulation de la sentence.

Le principe compétence-compétence

La présente livraison comprend deux arrêts portant sur le principe compétence-compétence. Ce principe, issu de l’article 1448 du code de procédure civile, impose que, « lorsqu’un litige relevant d’une convention d’arbitrage est porté devant une juridiction de l’État, celle-ci se déclare incompétente sauf si le tribunal arbitral n’est pas encore saisi et si la convention d’arbitrage est manifestement nulle ou manifestement inapplicable ». Plus précisément, on parle ici d’effet négatif du principe, qui donne au tribunal arbitral une priorité quasi absolue pour se prononcer sur sa compétence. Dès lors, le juge étatique doit se limiter à un examen sommaire et renvoyer au tribunal arbitral s’il ne constate pas que la clause est manifestement nulle ou inapplicable.

Un premier arrêt du 19 décembre 2018 (Civ. 1re, 19 déc. 2018, n° 17-28.233) illustre une situation assez inédite. Les juridictions consulaires étaient saisies d’un litige. Le défendeur soulevait leur incompétence, en invoquant une clause compromissoire. Toutefois, il ressort de l’arrêt d’appel que le défendeur, s’il avait bien invoqué l’incompétence, avait omis de se prévaloir de l’article 1448 du code de procédure civile interdisant au juge de trancher le litige sur la compétence. Par conséquent, la cour d’appel avait tranché la question de la compétence sans se limiter au seul caractère manifeste de la nullité ou de l’inapplicabilité de la clause. Le moyen du pourvoi invoquait donc la violation du principe compétence-compétence. Celui-ci est pourtant rejeté, la Cour de cassation jugeant le moyen nouveau et mélange de fait et de droit. On peut être étonné par la solution de l’arrêt. S’il est vrai que le moyen de pur droit est entendu de façon restrictive (Rép. pr. civ., Pourvoi en cassation, J. Boré et L. Boré, nos 576 s.), on peut toutefois estimer que la Cour de cassation aurait pu, à la seule lecture de l’arrêt, constater que la cour d’appel était allée au-delà d’une appréciation du caractère manifestement nul ou inapplicable de la clause. L’arrêt apporte un enseignement important : il ne suffit pas d’invoquer la clause compromissoire devant le juge ; encore faut-il invoquer l’effet négatif du principe compétence-compétence pour limiter l’examen du juge étatique sur la compétence.

Dans le second arrêt du même jour (Civ. 1re, 19 déc. 2018, n° 17-28.951, Dalloz actualité, 28 févr. 2019, obs. V. Chantebout isset(node/194673) ? node/194673 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>194673), le défendeur n’avait pas omis d’invoquer le principe compétence-compétence. Une victime d’un dommage entendait agir devant les juridictions étatiques contre l’assureur de l’auteur du fait dommageable. L’assureur a opposé la clause compromissoire contenue dans le contrat d’assurance. L’exception d’incompétence est accueillie par la cour d’appel et confirmée par la Cour de cassation, qui énonce que « la clause compromissoire n’était pas manifestement inapplicable dès lors qu’accessoire du droit d’action, elle était opposable aux victimes exerçant l’action directe contre les assureurs ». La solution est particulièrement rigoureuse vis-à-vis de la victime (en ce sens, V. Chantebout, art. préc.). Elle peut même paraître choquante. Il ne fait absolument aucun doute que la victime d’une faute délictuelle n’a pas consenti à la clause compromissoire contenue dans le contrat d’assurance du responsable. Mais énoncée ainsi, la question n’est que partiellement – voire partialement – posée. En faisant le choix d’agir contre l’assureur, la victime soulève d’importantes questions : nature de l’action engagée ; droit applicable à l’action engagée ; opposabilité de la clause. Autant de questions qui ne peuvent être résolues que par un examen attentif du différend sur la compétence. Par conséquent, la solution de la cour d’appel était prévisible et résulte de la logique du droit de l’arbitrage. Dès lors qu’il existe une clause compromissoire en lien avec l’action, il revient à l’arbitre de se prononcer en priorité sur sa compétence. Ce renvoi à l’arbitre ne préjuge pas de la décision définitive sur la compétence qui sera rendue par l’arbitre et pourra faire l’objet d’un contrôle par le juge étatique (sur l’ensemble de la question, v. M. Boucaron-Nardetto, Le principe compétence-compétence en droit de l’arbitrage, préf. J.-B. Racine, PUAM, 2013).

Le recours contre les décisions du juge d’appui

Avec le principe compétence-compétence, le juge d’appui est une autre institution du droit de l’arbitrage qui déroge largement au droit commun. Ce juge est chargé d’apporter son soutien à la constitution du tribunal arbitral et de résoudre les difficultés pouvant survenir durant l’arbitrage (P. Fouchard, La coopération du président du tribunal de grande instance à l’arbitrage, Rev. arb. 1985. 5). On le retrouve visé aux articles 1451 à 1457 et 1459 à 1460 du code de procédure civile. Poursuivant un objectif d’efficacité de la procédure arbitrale, l’article 1460, alinéa 3, énonce que « le juge d’appui statue par ordonnance non susceptible de recours. Toutefois, cette ordonnance peut être frappée d’appel lorsque le juge déclare n’y avoir lieu à désignation pour une des causes prévues à l’article 1455 ». Autrement dit, la possibilité d’exercer un recours dépend du sens de la décision du juge. Si la solution est favorable à l’arbitrage – l’arbitre est désigné – aucun recours n’est possible ; si la solution est défavorable à l’arbitrage – l’arbitre n’est pas désigné – un recours est possible. C’est précisément une combinaison de ces deux situations qui a donné lieu à l’arrêt du 13 février 2019 (Civ. 1re, 13 févr. 2019, n° 18-10.985, D. 2019. 387 ). Le défendeur à l’arbitrage a assigné le demandeur devant le président du tribunal de grande instance, pris en sa qualité de juge d’appui, en annulation de la convention d’arbitrage et, subsidiairement, en récusation de l’arbitre. Celui-ci a constaté la nullité manifeste de la clause compromissoire et dit n’y avoir lieu à désignation d’un arbitre. Conformément à l’article 1460, alinéa 3, du code de procédure civile, la voie de l’appel était donc ouverte contre cette décision. En appel, la cour a infirmé la décision du juge d’appui. Un pourvoi est formé contre l’arrêt. La Cour de cassation le déclare irrecevable, au motif que « les moyens de cassation étant dirigés contre les dispositions de l’arrêt qui constatent que la clause compromissoire n’est pas manifestement nulle ou inapplicable et rejettent la demande subsidiaire de récusation de l’arbitre désigné ». Autrement dit, l’appel contre l’ordonnance du juge d’appui était ouvert, car la décision était défavorable à l’arbitrage ; en revanche, le pourvoi contre l’arrêt d’appel n’était pas ouvert, car la décision était favorable à l’arbitrage. Ainsi, il suffit qu’une seule décision – en première instance ou en appel – soit favorable à l’arbitrage pour fermer immédiatement toutes voies de recours. La seule exception, qui n’est pas expressément prévue par le texte, mais qui est rappelée par l’arrêt, est relative à l’excès de pouvoir.

La cour d’appel de Paris s’adonne à l’orfèvrerie juridique

Cette quatrième chronique est l’occasion de revenir sur trois arrêts récents de la cour d’appel de Paris, qui se signalent par le soin apporté à la motivation. La cour apporte sa pierre à l’édifice normatif à travers des raisonnements – et même un obiter dictum – particulièrement stimulants.

 

La jurisprudence de la cour d’appel de Paris est aujourd’hui à l’honneur, avec trois arrêts, dont l’un compte déjà parmi les plus importants de l’année. Deux arrêts inédits de la Cour de cassation sont également à signaler. Comme souvent, la jurisprudence se concentre sur le recours en annulation. Beaucoup plus rare, et signe de la grande importance de cette livraison, la cour d’appel de Paris traite également d’une action en responsabilité contre les arbitres et le centre d’arbitrage, action engagée avec succès.

Le recours en annulation

La compétence du tribunal arbitral

Les sentences rendues en matière d’arbitrage d’investissement affluent désormais devant les juridictions françaises, la place de Paris étant manifestement régulièrement désignée pour être le siège de l’arbitrage dans le cadre de la mise en œuvre du mécanisme supplémentaire du règlement du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (V. déjà, Paris, 29 janv. 2019, n° 16/20822, Dalloz actualité, 6 mars 2019, obs. J. Jourdan-Marques isset(node/194744) ? node/194744 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>194744). L’un des principaux enjeux de l’examen de ces sentences tient à la détermination de la compétence du tribunal arbitral. Deux décisions de la présente livraison y font référence.

L’arrêt Schooner du 2 avril 2019 (Paris, 2 avr. 2019, n° 16/24358) est particulièrement instructif. Dans un litige opposant, d’un côté, un citoyen américain et deux sociétés américaines et, de l’autre, la République de Pologne, le débat s’est, notamment, cristallisé autour de la compétence du tribunal arbitral à connaître de questions relatives à la matière fiscale. Sans entrer dans le fond du raisonnement, qui fera très probablement l’objet de commentaires avisés, il convient de retenir les faits suivants. La procédure d’arbitrage a été engagée par les investisseurs en vertu du Traité relatif aux relations commerciales et économiques entre les États-Unis et la Pologne. Ce traité bilatéral d’investissement (TBI), dans son article VI, exclut la matière fiscale de son champ d’application, sous certaines réserves limitativement énumérées à l’article VI, (2), a), b) et c). Le tribunal arbitral a décidé que le litige concernait des questions de fiscalité au sens de l’article VI, (2), du TBI et non une obligation relative au respect et à l’exécution d’un contrat d’investissement au sens de l’article VI, (2), c). Il se prononce en faveur de son incompétence pour connaître des demandes fondées sur l’expropriation (art. VII) et sur les transferts de fonds (art. V) en vertu des exceptions prévues par le a) et le b) de l’article VI, (2). Autrement dit, le tribunal arbitral a entendu de façon très restrictive sa compétence, en excluant du champ de sa compétence une partie des demandes, comme relevant d’une matière exclue du champ d’application du traité.

Cet arrêt est l’occasion pour la cour d’appel de rappeler, dans une formule désormais classique – bien que très légèrement amendée –, que « le juge de l’annulation contrôle la décision du tribunal arbitral sur sa compétence, qu’il se soit déclaré compétent ou incompétent, en recherchant tous les éléments de droit et de fait permettant d’apprécier l’existence et la portée de la convention d’arbitrage. Il n’en va pas différemment lorsque les arbitres sont saisis sur le fondement d’un traité » (Paris, 25 avr. 2017, n° 15/01040, D. 2017. 2559, obs. T. Clay ; Rev. arb. 2017. 648, note M. Laazouzi ; Cah. arb. 2017. 674, note W. Ben Hamida ; Paris, 29 janv. 2019, n° 16/20822, préc.).

La première branche du moyen relatif à la compétence du tribunal arbitral invitait la cour d’appel à s’intéresser à l’identification de la matière fiscale au sens du traité pour déterminer si les prétentions de l’investisseur entraient dans son champ d’application. Le requérant soutenait que l’exclusion par l’article VI, (2), du TBI des « questions de fiscalité » portait uniquement sur les dispositions fiscales matérielles et n’avait pas pour effet de protéger un État contractant lorsque, dans le cadre d’une procédure fiscale, ses représentants agissaient de façon arbitraire, injuste ou discriminatoire. Pour la cour d’appel, la distinction proposée est sans fondement. Elle commence par rappeler qu’il ne résulte d’aucune règle et d’aucun principe d’interprétation qu’il conviendrait de distinguer là où un texte ne distingue pas. Or elle relève que le TBI ne contient pas de définition de la notion de « questions de fiscalité ». Les termes de l’article VI, (2), n’opèrent pas de distinction entre les dispositions fiscales matérielles et les procédures menées en matière fiscale. En conséquence, elle juge que les « questions de fiscalité », de quelques nature qu’elles soient, ne sont pas couvertes par le traité sauf dans les trois hypothèses précisément circonscrites.

Tous les arguments soulevés par le demandeur pour modifier l’appréciation de cette disposition du traité, en particulier une analogie avec la Charte de l’énergie ou un rapport du Département d’État américain au Sénat, n’y changent rien, la cour d’appel confirmant l’exclusion retenue par le tribunal arbitral des demandes. On remarquera simplement que le requérant avait tenté de faire valoir le risque de déni de justice, auquel il était exposé en cas d’interprétation restrictive du traité. La cour d’appel ne se laisse pas impressionner par l’argument, et répond sèchement que « l’offre d’arbitrage résultant d’un TBI tire son efficacité du consentement des États, et que les conditions dont elle est assortie délimitent le pouvoir de juger des arbitres. L’allégation d’un déni de justice ne saurait permettre d’outrepasser ces limites ».

Les réponses aux troisièmes et quatrièmes branches du moyen relatif à la compétence sont également très riches. Ils concernent toutefois la question spécifique de la renonciation et font l’objet d’une réponse transversale (v. infra).

En revanche, un autre arrêt, inédit, mérite d’être mentionné (Civ. 1re, 13 févr. 2019, n° 17-25.851). Dans cette affaire d’investissement, la cour d’appel avait annulé partiellement la sentence pour incompétence et conféré, au surplus, à la sentence l’exequatur. La cour avait constaté l’incompétence ratione materiae du tribunal arbitral, mais jugé établie sa compétence ratione personae. Le premier grief justifiait l’annulation partielle mais le rejet du second permettait, selon la cour d’appel, l’exequatur partiel. La Cour de cassation casse l’arrêt d’appel au motif que « l’applicabilité de la clause d’arbitrage déduite du traité bilatéral dépend de la réalisation de l’ensemble des conditions requises par ce texte sur la nationalité de l’investisseur et l’existence d’un investissement, de sorte que la cour d’appel […] ne pouvait procéder à une annulation partielle de la sentence ». En matière de TBI, les critères de compétence sont considérés comme cumulatifs et indivisibles, interdisant ainsi l’annulation partielle.

La renonciation

L’arrêt Schooner est l’occasion pour la cour d’appel de revenir sur la renonciation, notamment à travers un remarquable obiter dictum. La cour d’appel énonce que l’article 1466 du code de procédure civile (« la partie qui, en connaissance de cause et sans motif légitime, s’abstient d’invoquer en temps utile une irrégularité devant le tribunal arbitral est réputée avoir renoncé à s’en prévaloir ») « ne vise pas les seules irrégularités procédurales mais tous les griefs qui constituent des cas d’ouverture du recours en annulation des sentences, à l’exception des moyens fondés sur l’article 1520, 5°, du code de procédure civile et tirés de ce que la reconnaissance ou l’exécution de la sentence violerait de façon manifeste, effective et concrète l’ordre public international de fond, lesquels, en raison de leur nature, peuvent être relevés d’office par le juge de l’annulation, et soulevés pour la première fois devant lui ». À notre connaissance, c’est la première fois qu’une juridiction pose de façon aussi claire et transversale une règle pourtant essentielle. Pour bien la comprendre, plusieurs remarques peuvent être formulées.

D’abord, la cour d’appel signale le large champ d’application de la règle de la renonciation à se prévaloir des irrégularités procédurales. Ainsi, une partie qui s’abstient de soumettre au tribunal arbitral un grief pendant l’instance arbitrale – à condition que cela soit possible – ne peut ensuite s’en prévaloir durant l’instance devant le juge étatique pour solliciter l’annulation (la cour d’appel ne vise pas le refus d’exequatur. On aurait toutefois du mal à envisager que celle-ci ne soit pas concernée de façon identique par la règle. Néanmoins, quitte à faire un obiter dictum, la cour aurait pu apporter cette précision). La solution vaut pour tous les cas d’ouverture du recours, à l’exception de l’ordre public international. D’un point de vue procédural, une telle renonciation à se prévaloir des irrégularités procédurales se matérialise par l’irrecevabilité du moyen (ce qui est le cas en l’espèce, sur cette question, v. J. Jourdan-Marques, Le contrôle étatique des sentences arbitrales internationales, LGDJ, coll. « Bibliothèque de droit privé », 2017, n° 208, préf. T. Clay). En revanche, la cour d’appel repousse la proposition doctrinale visant à limiter l’application de la renonciation aux seules irrégularités procédurales (stricto sensu) et à appliquer, pour le reste et sous des conditions différentes, la règle de l’estoppel (J. Jourdan-Marques, Le contrôle étatique des sentences arbitrales internationales, op. cit., nos 185 s.). On peut se demander ce qu’il reste de l’estoppel en matière d’arbitrage, bien que le principe soit encore utilisé (Civ. 1re, 28 févr. 2018, n° 16-27.823, D. 2018. 2448, obs. T. Clay ; RTD civ. 2018. 482, obs. N. Cayrol ; Gaz. Pal. 2018, n° 27, p. 19, obs. D. Bensaude ; JDI 2018. Comm. 18, note J. Jourdan-Marques).

Ensuite, la cour d’appel écarte la solution en matière d’ordre public international. Là encore, la solution était latente en jurisprudence, sans jamais avoir été exprimée de façon aussi claire. Dans son fameux arrêt Thales (Paris, 18 nov. 2004, n° 2002/19606, Thalès Air défence c. Euromissile, D. 2005. 3050 , obs. T. Clay ; Rev. crit. DIP 2006. 104, note S. Bollée ; RTD com. 2005. 263, obs. E. Loquin ; RTD eur. 2006. 477, chron. J.-B. Blaise ; JDI 2005. 357, note A. Mourre ; JCP 2005. II. 10039, note G. Chabot ; ibid. 2005. I. 134, obs. C. Seraglini ; v. égal. Paris, 22 oct. 2009, Linde,  D. 2010. Pan. 2933, obs. T. Clay ; Rev. arb. 2010. 124, note F.-X. Train ; Cah. arb. 2010. 181, note L. Radicati di Brozolo ; Gaz. Pal. 2010, n° 157-159, p. 16, obs. D. Bensaude), la cour d’appel de Paris a affirmé que « le moyen de l’interdiction de se contredire au détriment d’autrui relevé par Euromissile à titre de fin de non-recevoir en ce que la société Thales s’était toujours située dans l’optique d’une exécution des contrats est également rejeté puisque l’étendue du contrôle juridictionnel quant au respect des règles impératives du droit communautaire ne saurait être conditionnée par l’attitude des parties ». C’est une réponse très tranchée que proposait la cour d’appel de Paris : l’estoppel ne peut faire obstacle à l’invocation d’un moyen tiré de la contrariété de la sentence aux règles impératives du droit communautaire. Le présent arrêt est une confirmation de cette position déjà ancienne. Une partie ne peut se voir opposer sa renonciation à se prévaloir d’une violation de l’ordre public international devant le juge du recours. Une partie de la doctrine se prononçait déjà en ce sens (C. Seraglini et J. Ortscheidt, Droit de l’arbitrage interne et international, Montchrestien, Lextenso, 2013, n° 957 ; S. Clavel, note ss Paris, 20 sept. 2007 et 8 nov. 2007, LPA 2008, n° 60, p. 25, spéc. p. 31 ; F.-X. Train, Reconnaissance et exécution des sentences arbitrales étrangères : le droit français au prisme de la Convention de New York, RIDC 2014. 249, nos 24 s. ; J. Jourdan-Marques, Le contrôle étatique des sentences arbitrales internationales, op. cit., n° 198). Ceci étant, le champ d’application de cette solution demeure à parfaire.

Premièrement, la cour d’appel n’évoque que l’ordre public de fond. En toute logique, l’ordre public procédural est donc exclu et peut faire l’objet d’une renonciation. L’ordre public procédural est notamment composé des règles d’égalité des armes (Paris, 8 nov. 2016, n° 13/12002, Rev. arb. 2016. Somm. 1213 ; Cah. arb. 2017. 487, note P. Giraud) ou de l’existence d’une motivation de la sentence (Paris, 28 mars 2017, n° 15/1774, inédit ; 30 janv. 2018, n° 16/11761, Cah. arb. 2018. 125, obs. P. Pedone). De façon générale, les règles relatives au procès équitable peuvent être contrôlées sous l’angle de l’article 1520, 4°, ou 1520, 5°. C’est ce qui explique qu’elles soient exclues du champ d’application de la renonciation, ces griefs protégeant les parties plus que l’ordre juridique du for.

Deuxièmement, on peut se demander, dans la continuité de la précédente remarque, s’il convient d’assimiler ordre public de protection et de direction. L’arrêt ne le précise pas. La jurisprudence antérieure semble toutefois opérer une distinction. Pour l’ordre public de direction, la cour énonce que « ni les dispositions de l’article 1466 du code de procédure civile ni l’interdiction de se contredire au détriment d’autrui ne peuvent être opposées au débiteur qui les invoque devant le juge de l’annulation alors qu’il ne s’en était pas prévalu ou même qu’il les aurait déclarés inapplicables pendant l’instance arbitrale » (Paris, 27 févr. 2018, n° 16/01358, Rev. arb. 2018. Somm. 299 ; JCP 2018. 2270, § 4, obs. J. Ortscheidt ; v. égal. Paris, 14 juin 2001, Rev. arb. 2001. 773, note C. Seraglini : « La défense de la conception française de l’ordre public international implique que le juge étatique chargé du contrôle puisse annuler la sentence dont l’exécution heurte cette conception alors même que le moyen tiré de l’ordre public n’avait pas été invoqué devant les arbitres et que ceux-ci ne l’avaient pas mis dans le débat »). Autrement dit, un moyen relatif à l’ordre public international de direction est toujours invocable dans le juge, indépendamment du comportement des parties au cours de la procédure arbitrale. À l’inverse, concernant l’ordre public de protection, la question est moins tranchée. Toutefois, la cour d’appel de Paris a laissé entendre que les parties étaient susceptibles de renoncer au bénéfice de l’ordre public de protection, en énonçant que « le moyen tiré de l’ordre public de protection est irrecevable, dès lors qu’en stipulant dans les statuts de la société une clause d’arbitrage en amiable composition, et en réitérant ce choix dans l’acte de mission, les parties ont affranchi le tribunal arbitral du respect des règles d’ordre public de protection » (Paris, 19 déc. 2017, n° 16/11404, D. 2018. 2448, obs. T. Clay ; Rev. arb. 2018. Somm. 292 ; Gaz. Pal. 2018, n° 11, p. 28, obs. D. Bensaude). Le choix de confier à l’arbitre une mission d’amiable compositeur implique donc une renonciation au bénéfice de l’ordre public de protection. Reste à savoir si la renonciation peut être implicite – résulter du comportement – et conduire à l’application de l’article 1466 du code de procédure civile (pour une solution favorable en matière interne, v. Paris, 25 févr. 2014, n° 12/17739, inédit). Une partie de la doctrine penche pour une solution restrictive, visant à interdire la renonciation uniquement face à une règle d’ordre public de direction. Ainsi, le professeur Cadiet a eu l’occasion d’écrire qu’« il faudrait peut-être distinguer […] entre l’ordre public de direction, qui échappe en effet à la volonté des parties, et l’ordre public de protection, au bénéfice duquel ces dernières peuvent toujours renoncer » (L. Cadiet, La renonciation à se prévaloir des irrégularités de la procédure arbitrale, Rev. arb. 1996. 3, n° 32 ; v. égal. J.-B. Racine, note ss Paris, 7 févr. 2008, Rev. arb. 2008. 501, spéc. p. 515 ; M. Bandrac, note ss Civ. 2e, 11 juill. 2002, 21 nov. 2002, 10 juill. 2003 et 20 nov. 2003, Rev. arb. 2004. 283, n° 14 ; J.-B. Racine, Droit de l’arbitrage, PUF, 2016, n° 961). Il nous semble également que la nature de l’ordre public en jeu, de direction ou non, doit être prise en compte pour déterminer si les parties sont susceptibles de se voir opposer leur renonciation à se prévaloir de l’irrégularité (J. Jourdan-Marques, Le contrôle étatique des sentences arbitrales internationales, op. cit., n° 198). Il appartiendra toutefois à la jurisprudence de préciser ce point. De plus, il faut réserver le cas du droit de la consommation d’origine européenne, pour lequel la Cour de justice des communautés européennes a énoncé que le moyen tiré de sa violation pouvait être soulevé pour la première fois devant le juge du recours (CJCE 26 oct. 2006, Elisa Maria Mostaza Claro, CJCE, 26 oct. 2006, n° C-168/05, Mostaza Claro (Mme) c/ Centro Movil Milenium SL, D. 2006. 2910, obs. V. Avena-Robardet ; ibid. 3026, obs. T. Clay ; ibid. 2007. 2562, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; RTD civ. 2007. 113, obs. J. Mestre et B. Fages ; ibid. 633, obs. P. Théry ; JDI 2007. 581, note A. Mourre ; Rev. arb. 2007. 109, note L. Idot ; JCP 2007. I. 168, § 1, obs. C. Seraglini ; Gaz. Pal., 29 avr.-3 mai 2007, p. 17, obs. F.-X. Train ; LPA 2007, n° 152, p. 9, obs. C. Legros ; LPA 2007, n° 189, p. 9, note G. Poissonier et J.-P. Tricoit ; RDAI 2007, n° 14, p. 55, obs. C. Nourissat ; Europe 2006, n° 378, p. 28, obs. L. Idot).

Troisièmement, la question se pose naturellement de l’extension de cette solution à l’ordre public interne. La motivation de la cour d’appel n’y fait aucune référence, au contraire : elle vise explicitement l’ordre public international et le seul article 1520, 5°, du code de procédure civile. Comme en matière internationale, la réponse semble dépendre de la nature de l’ordre public en question. S’agissant de l’ordre public de protection, la jurisprudence a très clairement exprimé son point de vue en énonçant que « les recourants qui n’ont pas soumis aux arbitres le moyen tiré de la violation des dispositions de l’article L. 442-6, 2°, du code de commerce et qui ne soutiennent pas qu’ils n’auraient pas été en mesure de le soulever devant eux en temps utile, sont irrecevables, s’agissant d’un texte relevant de l’ordre public de protection dont il leur appartenait de revendiquer l’application devant le tribunal arbitral, à faire valoir que pour ce motif, la sentence contrevient à l’ordre public » (Paris, 25 févr. 2014, n° 12/17739, préc.). Ainsi, au moins en ce qui concerne l’ordre public de protection, les parties peuvent se voir opposer leur renonciation à se prévaloir de ce moyen lorsqu’elles ne l’ont pas soulevé devant le tribunal arbitral. On peut néanmoins considérer qu’une telle solution ne peut valoir pour l’ordre public de direction (dans le même sens, v. P. Mayer, La sentence contraire à l’ordre public au fond, Rev. arb. 1994. 615, n° 14).

Enfin, la cour d’appel s’interroge sur le champ de la renonciation. En matière de recours contre une sentence, il faut distinguer les cas d’ouverture du recours (prévus à l’art. 1520, 1° à 5°) et les griefs (à savoir les arguments concrets permettant de contester la sentence). Pour en donner deux exemples, la compétence du tribunal arbitral constitue un cas d’ouverture. Celle-ci peut être discutée à travers plusieurs griefs : validité de la clause compromissoire ; arbitrabilité du litige ; champ d’application de la clause, etc. De même, les griefs relatifs à la mission de l’arbitre peuvent concerner une sentence ayant statué ultra petita ou un arbitre n’ayant pas usé correctement des pouvoirs – notamment d’amiable compositeur – qui lui sont confiés. La question est alors la suivante : l’invocation d’un seul grief vaut-elle blanc-seing pour invoquer n’importe quel autre grief au sein du même cas d’ouverture, ou seulement pour ce grief spécifique ? Autrement dit, faut-il raisonner au niveau du cas d’ouverture ou du grief pour déterminer si une partie a renoncé à se prévaloir d’une irrégularité ? La réponse donnée par la cour d’appel est particulièrement claire, d’autant qu’elle est solidement argumentée : « la renonciation présumée par l’article 1466 précité du code de procédure civile vise des griefs concrètement articulés et non des catégories de moyens. En effet, le but poursuivi par cette disposition – qui est d’éviter qu’une partie se réserve des armes pour le cas où la sentence lui serait défavorable –, ne serait pas atteint si, sous couvert d’un cas d’ouverture unique, le recourant était recevable à développer devant la cour un argumentaire différent en droit et en fait de celui qu’il avait soumis aux arbitres. Cette portée attribuée à l’article 1466 du code de procédure civile n’est pas incompatible avec la plénitude du contrôle exercé par le juge de l’annulation à l’égard des cas d’ouverture du recours, dès lors qu’en statuant sur des moyens identiques à ceux qui avaient été soumis aux arbitres, il n’est lié ni par leur interprétation des textes ni par leur appréciation des faits ». C’est donc en faveur d’une appréciation restrictive que se prononce la cour. Il ne suffit pas à une partie de se prévaloir d’un grief pour invoquer, devant le juge du recours, n’importe quel autre grief issu du même cas d’ouverture.

La solution n’est pas véritablement étonnante, bien qu’elle n’ait jamais été formulée de façon aussi claire. On en trouve une trace évidente en matière de révélation des arbitres, où la jurisprudence énonce de façon ferme que tout fait n’ayant pas été invoqué dans une procédure de récusation ne peut plus être utilisé lors du recours (Civ. 1re, 25 juin 2014, n° 11-26.529, Tecnimont SPA c. J&P Avax, D. 2014. 1985 ; ibid. 1967, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; ibid. 1981, avis P. Chevalier ; ibid. 1986, note B. Le Bars ; ibid. 2541, obs. T. Clay ; JCP 2014. 1278, obs. T. Clay ; ibid. Doctr. 857, § 4, obs. C. Seraglini ; ibid. 2014. Doctr. 977, § 9, obs. C. Nourissat ; LPA 2014, n° 215, p. 5, obs. M. Henry ; Cah. arb. 2014. 547, note T. Clay ; Rev. arb. 2015. 85, note J.-J. Arnaldez et A. Mezghani : « La partie qui, en connaissance de cause, s’abstient d’exercer, dans le délai prévu par le règlement d’arbitrage applicable, son droit de récusation en se fondant sur toute circonstance de nature à mettre en cause l’indépendance ou l’impartialité d’un arbitre, est réputée avoir renoncé à s’en prévaloir devant le juge de l’annulation, de sorte qu’il lui incombait de rechercher si, relativement à chacun des faits et circonstances qu’elle retenait comme constitutifs d’un manquement à l’obligation d’indépendance et d’impartialité de l’arbitre, le délai de trente jours imparti par le règlement d’arbitrage pour exercer le droit de récusation avait, ou non, été respecté, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision »).

Une telle solution nous paraît salutaire dans son principe. Il serait bien trop aisé pour une partie d’invoquer, devant l’arbitre, un quelconque grief relevant de chaque cas d’ouverture pour se préserver la possibilité d’en invoquer une pluralité devant le juge du recours. Le choix des parties de recourir à l’arbitre impose de soumettre les irrégularités en priorité au tribunal arbitral et, éventuellement, de pouvoir en contester l’appréciation devant le juge du recours. Autoriser les parties à taire un grief pour ne le soulever que lors du recours conduirait à dépouiller le tribunal arbitral de ses pouvoirs.

Il n’en demeure pas moins que des discussions pourront émerger quant à l’identité d’un grief soulevé devant le tribunal puis le juge du recours. Le récent arrêt Tecnimont a ainsi pu être critiqué pour son approche trop restrictive, au point d’exiger « un parallélisme des formes » entre le grief présenté devant l’arbitre puis devant le juge (v. Dalloz actualité, 29 janv. 2019, obs. J. Jourdan-Marques, préc.). Il ne faut pas interdire à une partie d’affiner son argumentation entre les deux instances, sous peine de tomber dans un formalisme dénué de fondement et parfaitement inopportun. C’est un équilibre subtil qu’il convient de trouver, qui repose intégralement sur l’appréciation casuistique du juge.

En l’espèce justement, la cour considère que « les investisseurs n’avaient plaidé dans l’instance arbitrale ni l’usage abusif de cette exclusion ni le bénéfice de la clause de la nation la plus favorisée ». Elle déclare irrecevables ces griefs, faute d’avoir été soulevés devant le tribunal, et écarte le moyen tiré de la compétence du tribunal arbitral.

La motivation de la sentence

Une fois de plus, la motivation est au « cœur du contrôle » (v. Dalloz actualité, 24 déc. 2018, obs. J. Jourdan-Marques isset(node/193722) ? node/193722 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>193722). Elle l’est dans l’arrêt Schooner, décidément très riche (Paris, 2 avr. 2019, n° 16/24358). La cour rappelle deux solutions bien ancrées. D’une part, elle énonce que « l’exigence de motivation des décisions de justice est un élément du droit à un procès équitable. Les arbitres qui s’abstiennent de motiver leur décision méconnaissent l’étendue de leur mission et la reconnaissance d’une sentence dépourvue de motif heurte la conception française de l’ordre public international ». Rien de nouveau sur ce point, la cour signalant simplement que le défaut de motivation peut être contrôlé aussi bien sous l’angle de l’article 1520, 3° (v. déjà Paris, 20 nov. 2018, nos 16/10379 et 16/10381, Dalloz actualité, 24 déc. 2018, obs. J. Jourdan-Marques, préc. ; ibid., 11 janv. 2019, obs. P. Giraud isset(node/193763) ? node/193763 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>193763) ou 1520, 5°, du code de procédure civile (v. déjà Paris, 28 mars 2017, n° 15/17742, préc. ; Paris, 30 janv. 2018, n° 16/11761, préc.). En l’état actuel du droit positif, la faculté offerte aux parties d’invoquer ce grief sous l’un ou l’autre des cas d’ouverture du recours n’emporte pas de conséquences juridiques concrètes. La distinction entre les cas d’ouverture sur la renonciation à se prévaloir de l’irrégularité procédurale (v. supra) n’est aucunement pertinente dès lors que le grief relatif à l’absence de motivation ne peut être constaté par les parties qu’une fois la sentence rendue et, par conséquent, une fois les arbitres dessaisis du litige.

Ensuite, la cour réitère une solution parfaitement établie selon laquelle « le contrôle du juge de l’annulation ne saurait porter que sur l’existence et non sur la pertinence des motifs, peu important à cet égard que l’obligation de motiver la sentence figure dans le règlement d’arbitrage ». Une fois de plus, la solution est connue et conduit à interdire le juge du recours d’opérer une révision au fond de la sentence arbitrale (v. déjà Paris, 28 mars 2017, n° 15/17742, préc.).

L’interdiction de révision au fond a notamment pour conséquence d’interdire au juge du recours de sanctionner « une erreur de droit qui aurait été commise par les arbitres ». La tentation des parties est grande d’user de ce cas d’ouverture pour discuter le fond de la sentence, mais la Cour de cassation rejette systématiquement ce grief (Civ. 1re, 30 janv. 2019, n° 14-23.822).

Le respect du contradictoire

L’obligation faite aux arbitres de respecter le principe de la contradiction ne fait l’objet d’aucune discussion. Imposée par l’article 1510 du code de procédure (« quelle que soit la procédure choisie, le tribunal arbitral garantit l’égalité des parties et respecte le principe de la contradiction »), la violation de ce principe entraîne l’annulation de la sentence ou le rejet de la demande d’exequatur, sur le fondement de l’article 1520, 4°, qui énonce explicitement que « le recours en annulation n’est ouvert que si : […] le principe de la contradiction n’a pas été respecté ».

L’arrêt Schooner, toujours lui, l’illustre parfaitement (Paris, 2 avr. 2019, n° 16/24358). La cour d’appel énonce que « le principe de la contradiction permet d’assurer la loyauté des débats et le caractère équitable du procès. Il interdit qu’une décision soit rendue sans que chaque partie ait été en mesure de faire valoir ses prétentions de fait et de droit, de connaître les prétentions de son adversaire et de les discuter. Il interdit également que des écritures ou des documents soient portés à la connaissance du tribunal arbitral sans être également communiqués à l’autre partie, et que des moyens de fait ou de droit soient soulevés d’office sans que les parties aient été appelées à les commenter ».

La mise en œuvre de ce principe n’en est pas moins parfois délicate. La question essentielle est celle de la liberté des arbitres dans leur raisonnement. Sont-ils tenus de suivre les parties dans le cheminement de leur argumentation, où disposent-ils d’une marge de manœuvre dans leur motivation ? C’est tout l’enjeu de l’arrêt du 26 mars 2019 (Paris, 26 mars 2019, n° 17/03739).

Si l’arbitre doit scrupuleusement faire respecter le contradictoire tout au long de la procédure, il n’en demeure pas moins qu’il dispose d’une liberté plus importante concernant son raisonnement (sur cette question, v. P. Mayer, La liberté de l’arbitre, Rev. arb. 2013. 339). Il est régulièrement rappelé que « le respect du principe de la contradiction n’impose pas aux arbitres de soumettre aux parties le détail de leur raisonnement préalablement au prononcé de la sentence » (Paris, 9 sept. 2010, Marriott c. Jnah Development, Rev. arb. 2011. 970, note C. Debourg ; Cah. arb. 2011. 413, note P. Mayer ; Civ. 1re, 14 mars 2006, n° 03-19.764, D. 2006. 943, obs. V. Avena-Robardet ; Rev. arb. 2006. 653 ; JCP 2006. I. 148, obs. J. Ortscheidt). Le tribunal n’est pas tenu de retenir l’une ou l’autre des propositions des parties, et peut se livrer à une analyse critique des positions qui lui sont soumises pour arrêter la solution qui lui semble correspondre à la réalité du préjudice (Paris, 7 févr. 2017, nos 14/21103 et 15/00496, D. 2015. 2588, obs. T. Clay ; Rev. arb. 2017. 566, note J. Fouret et A. Reynaud ; Rev. arb. 2017. 648, chron. M. Laazouzi ; Cah. arb. 2018. 304, note R. Wheeler). Il peut également opérer un choix entre deux méthodes discutées par les parties (Civ. 1re, 28 mai 2015, n° 14-14.421, D. 2015. 2588, obs. T. Clay ; Rev. arb. 2015. Somm. 656). De la même manière, le juge se montre moins rigoureux à l’égard d’un élément qui n’a certes pas été débattu mais qui n’est que surabondant. En effet, dès lors que la décision de l’arbitre est justifiée par d’autres éléments ayant été discutés, l’annulation est évitée (Civ. 1re, 6 mai 2009, n° 07-20.345, Rev. arb. 2010. 90 ; contra, C. Chainais, L’arbitre, le droit et la contradiction : l’office du juge arbitral à la recherche de son point d’équilibre, Rev. arb. 2010. 3, spéc. p. 40). Il apparaît que le juge cherche un équilibre entre respect de la contradiction et préservation de la sentence arbitrale.

C’est dans cette lignée jurisprudentielle que s’inscrit l’arrêt du 26 mars. La cour d’appel énonce que « le principe de la contradiction exige seulement que les parties aient pu faire connaître leurs prétentions de fait et de droit et discuter celles de leur adversaire de telle sorte que rien de ce qui a servi à fonder la décision des arbitres n’ait échappé à leur débat contradictoire. Les arbitres n’ont aucune obligation de soumettre au préalable leur motivation à une discussion contradictoire des parties ». L’arrêt est intéressant car il vient rejeter méthodiquement l’argumentation du requérant qui tentait de faire feu de tout bois. Sans entrer dans le détail d’une longue motivation essentiellement casuistique, on notera que la cour d’appel constate que le fait de citer des articles de doctrine ou des jurisprudences constitue des références surabondantes dès lors qu’il s’agit de conforter un « examen des éléments de fait et de droit soumis et discutés par les parties ».

La décision rassurera les tribunaux arbitraux. Le contradictoire est une garantie pour les parties, pas un carcan pour les arbitres. L’essentiel pour le tribunal est de rester dans le cadre juridique et factuel fixé par les parties. Néanmoins, afin de forger sa conviction et parfaire son argumentation, il ne lui est pas interdit d’enrichir sa sentence d’éléments complémentaires. Cette latitude est bienvenue. Toutefois, à l’image de la marge d’erreur des radars automatiques, elle ne protège pas indéfiniment le tribunal, qui ne doit pas trop s’éloigner des moyens tels que présentés par les parties.

L’ordre public international

L’ordre public international présente deux facettes, l’une procédurale et l’autre substantielle.

L’ordre public procédural

D’un point de vue procédural, l’ordre public est notamment constitué du principe d’égalité des armes (v. déjà Paris, 8 nov. 2016, n° 13/12002, préc.). Quelle est la portée de ce principe ? La cour d’appel l’indique de façon éclairante, retenant que « l’égalité des armes implique l’obligation d’offrir à chaque partie une possibilité raisonnable de présenter sa cause – y compris les preuves – dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation substantiellement désavantageuse par rapport à son adversaire » (Paris, 2 avr. 2019, n° 16/24358). Cette inégalité peut notamment résulter d’un déséquilibre dans l’accès aux pièces entre les parties. C’est ce que tentait de plaider le requérant, qui soutenait que la destruction de certaines pièces par son adversaire ne devait pas lui interdire de faire valoir ses prétentions. La cour rejette néanmoins l’argument, considérant qu’il n’est pas établi que ces pièces étaient le seul moyen de prouver sa prétention et que le requérant tendait en réalité à obtenir la révision au fond de la sentence. Par ailleurs, la cour ajoute une précision intéressante, en signalant qu’il n’appartient pas aux arbitres « de mettre une partie préventivement en garde contre l’insuffisance de son dossier factuel ». Cette précision est chargée d’incertitudes, notamment sur le point de savoir s’il s’agit d’une absence d’obligation ou d’une interdiction.

L’ordre public de fond

D’un point de vue substantiel, la cour d’appel affirme dans la décision Schooner, pour la première fois, que « la non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère, dérivée du principe de légalité des délits et des peines, est un principe d’ordre public international » (Paris, 2 avr. 2019, n° 16/24358). Il s’agit là d’un nouvel enrichissement de l’ordre public international, même si le principe posé n’étonne guère.

En l’espèce, il s’agissait d’une législation fiscale prévoyant l’application d’une pénalité égale au triple de la somme due au principal. Cette règle est expressément qualifiée de « mesure destinée à punir les infractions et à prévenir leur réitération » et elle ne peut, en conséquence, rétroagir. Cependant, la cour estime que c’est « la réalité même des prestations qui était en cause, non leur évaluation, et on ne peut considérer comme rétroactive l’application du principe général selon lequel, ainsi qu’il a été dit, il incombe à celui qui se prévaut d’un fait d’en prouver l’existence ». Autrement dit, les règles relatives à la preuve d’un fait matériel peuvent être rétroactives, excluant ainsi une violation de l’ordre public international.

L’action en responsabilité contre les arbitres et le centre d’arbitrage

De plus en plus souvent, l’annulation d’une sentence entraîne l’engagement de la responsabilité de son auteur. L’annulation de la sentence est le plus souvent à l’origine du préjudice qui sera invoqué lors de l’action en responsabilité dirigée contre l’arbitre ou l’institution (en effet, des frais de défense et d’arbitrage ont été engagés inutilement, que ce soit durant la procédure arbitrale ou le contentieux de l’annulation. De plus, l’annulation de la sentence remet les parties dans la situation antérieure, c’est-à-dire celle d’un litige non résolu). Ceci étant, l’annulation de la sentence n’est pas toujours à l’origine de l’action en responsabilité de l’arbitre. C’est ce qui fait toute l’originalité d’un second arrêt du 2 avril 2019 (Paris, 2 avr. 2019, n° 16/00136).

Les faits méritent d’être brièvement exposés. Un premier arbitre a été désigné pour trancher un litige. Pendant le cours de cet arbitrage, une action en paiement des honoraires d’arbitrage a été engagée par l’arbitre devant le juge d’appui. Les parties à l’arbitrage ont alors demandé la récusation de l’arbitre, mettant en cause son impartialité du fait de la procédure menée à leur encontre.

Un second arbitre a par la suite été nommé. Celui-ci a laissé expirer le délai d’arbitrage. Ce n’est qu’après la nomination d’un troisième arbitre qu’une sentence a pu être rendue.

Une partie au litige a alors décidé d’assigner devant le tribunal de grande instance de Paris les deux premiers arbitres ainsi que le centre d’arbitrage en responsabilité et en réparation de ses préjudices (TGI Paris, 9 sept. 2015, n° 12/04198). En appel, la cour avait à trancher la question de la faute des différents protagonistes et des préjudices présentant un lien de causalité avec cette faute.

Pour le premier arbitre, ayant assigné en paiement de ses honoraires les parties pendant l’instance arbitrale, la cour d’appel énonce que « l’arbitre doit respecter les principes de loyauté, d’indépendance et d’impartialité qui s’imposent à lui dans l’exercice de sa mission juridictionnelle ainsi que les principes directeurs du procès tels qu’énumérés à l’article 1460 du code de procédure civile alors en vigueur ». Elle ajoute que, conformément au règlement d’arbitrage, seule l’institution d’arbitrage dispose de pouvoirs relatifs aux frais.

Il en résulte qu’« en assignant les parties défenderesses à l’arbitrage en cours devant lui pour obtenir leur condamnation au paiement du premier acompte d’honoraires et d’un complément d’honoraires alors que les frais d’arbitrage sont acquittés auprès [de l’institution] et que l’arbitre doit proposer le réajustement des frais au président [de l’institution], [l’arbitre] a ainsi pris une initiative intempestive et fautive qui empêchait que l’instance arbitrale se poursuive devant lui dans des conditions garantissant la loyauté et l’impartialité attendues d’un arbitre qui exerce une mission juridictionnelle. Ce comportement fautif est la cause directe de son remplacement […], les sociétés défenderesses ayant demandé sa récusation en faisant valoir que les conditions du procès équitable n’étaient plus réunies ». La solution est difficilement contestable. L’action en paiement des honoraires, si elle n’est pas interdite à l’arbitre, doit être réservée à la phase post-arbitrale (v. not. un récent arrêt, Civ. 1re, 1er févr. 2017, n° 15-25.687, Dalloz actualité, 21 févr. 2017, obs. X. Delpech ; ibid. 2054, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; ibid. 2559, obs. T. Clay ; RTD civ. 2017. 394, obs. H. Barbier ; ibid. 421, obs. P.-Y. Gautier ; RTD com. 2017. 849, obs. E. Loquin ; Rev. arb. 2017. 483, note C. Jarrosson ; JCP 2017. 607, note S. Bollée ; Procédures 2017, n° 4, p. 28, obs. L. Weiller ; JCP E 2017, n° 19, p. 23, obs. P. Mousseron ; RDC 2017. 299, note M. Laazouzi). Antérieurement à l’achèvement de la procédure, le statut de juge et l’obligation d’impartialité pesant sur l’arbitre justifient son abstention, d’autant qu’il dispose d’autres moyens pour obtenir le paiement de ses honoraires (J.-B. Racine, Droit de l’arbitrage, op. cit., 592 s.).

Pour le second arbitre, la cour rappelle que celui-ci est tenu de mener sa mission jusqu’à son terme et qu’il pèse sur lui l’obligation de rendre sa décision dans le délai conventionnel qui lui est imparti, sauf accord des parties pour sa prorogation ou décision de prorogation de l’autorité compétente (ici, l’institution). La cour constate que l’arbitre a, en l’espèce, manqué à son obligation de célérité et de diligence, faute d’avoir obtenu l’accord des parties sur la prorogation du délai ou d’avoir pris l’initiative d’obtenir cette prorogation par décision de l’institution. La solution était déjà bien inscrite en jurisprudence, la Cour de cassation ayant eu l’occasion d’énoncer « qu’en laissant expirer le délai d’arbitrage sans demander sa prorogation au juge d’appui, à défaut d’accord des parties ou faute pour celles-ci de la solliciter, les arbitres, tenus à cet égard d’une obligation de résultat, ont commis une faute ayant entraîné l’annulation de la sentence, et ont engagé leur responsabilité, la cour d’appel a violé le texte susvisé » (Civ. 1re, 6 déc. 2005, n° 03-13.116, D. 2006. 274 , note P.-Y. Gautier ; ibid. 3026, obs. T. Clay ; RTD civ. 2006. 144, obs. P. Théry ; RTD com. 2006. 299, obs. E. Loquin ; Rev. arb. 2006. 126, note C. Jarrosson ; JCP 2006. 852, note T. Clay ; RDC 2006. 812, note G. Viney). La cour ajoute que le silence d’une des parties, qui avait la faculté de demander la prorogation du délai, ne constitue pas une faute susceptible d’exonérer l’arbitre de sa responsabilité. Ce refus d’envisager un partage des responsabilités entre arbitre et parties est important à signaler et invite les arbitres à une grande vigilance tout en laissant les parties en embuscade en cas de carence.

Concernant le centre d’arbitrage, le requérant le tenait responsable d’une faute conjointe avec l’un et l’autre des arbitres. La faute est reconnue dans la première hypothèse, car le centre avait connaissance des difficultés de paiement des frais d’arbitrage et il s’est montré défaillant dans l’exercice de la mission de gestion financière qui lui incombait, en s’abstenant d’agir et en laissant l’arbitre assigner les parties défenderesses. En revanche, la faute n’est pas établie dans la deuxième situation. Le centre n’était pas tenu de prendre l’initiative de proroger le délai d’arbitrage. Cette solution est sans doute discutable. Certes, en l’espèce, le règlement ne prévoyait pas pour le centre d’arbitrage la faculté de proroger seul le délai. Ceci étant, ne doit-on pas y voir une lacune du règlement, notamment au regard de ce qui se fait ailleurs (Règlement d’arbitrage de la Chambre de commerce internationale, art. 30, al. 2 : « La Cour [internationale d’arbitrage] peut, sur demande motivée du tribunal arbitral ou au besoin d’office, prolonger ce délai, si elle l’estime nécessaire ») ?

L’identification des différentes fautes, imputables aux arbitres et au centre, permet l’engagement de la responsabilité de ces différents protagonistes. Néanmoins, les préjudices doivent être parfaitement identifiés, ce qui posait une difficulté supplémentaire. La cour rappelle que la charge de la preuve pèse sur le requérant, en énonçant qu’« il lui appartient de justifier de ses préjudices, tant dans leur principe que dans leur montant, ainsi que du lien de causalité existant entre les fautes retenues à l’encontre de chacun des arbitres et du [centre] et les préjudices invoqués ».

D’une part, le requérant sollicite une indemnisation au titre des honoraires d’avocat engagés. Sur le principe, la cour d’appel n’y voit aucun obstacle, en précisant que « si la représentation par avocat n’est pas obligatoire lors d’une procédure d’arbitrage, chaque partie doit pouvoir se faire assister par un avocat pour assurer au mieux la défense de ses intérêts et les frais qu’elle expose ainsi constituent un préjudice indemnisable s’ils sont inutilement engagés par la faute d’un arbitre ou de l’institution d’arbitrage ». Il convient néanmoins d’établir la réalité de ce préjudice. À cet effet, la cour signale que le demandeur « ne saurait […] obtenir dans la présente instance au titre de la réparation du préjudice allégué correspondant à des frais d’avocat qu’il aurait selon lui exposés en vain, une indemnisation d’un montant excédant celui des frais qu’il devra effectivement régler à son ancien conseil ». De plus, elle considère que certains frais n’ont pas été exposés inutilement, dès lors qu’ils ont permis au conseil de prendre connaissance du dossier et que certains éléments de procédure n’ont pas été remis en cause. À ce titre, elle condamne les deux arbitres à payer une fraction des honoraires du conseil du requérant.

D’autre part, le requérant réclame une indemnisation pour les frais d’arbitrage. Le raisonnement de la cour d’appel est parfaitement mathématique. Elle identifie les frais relatifs au premier arbitrage. Elle vérifie le pourcentage de ces frais pesant sur le requérant (à travers la répartition des frais opérée par la sentence définitive). Elle condamne in solidum le premier arbitre et le centre au paiement de ces sommes. En revanche, elle écarte toute indemnisation sur ce point concernant le second arbitrage, faute de preuve que le requérant ait eu à en supporter.

L’un et l’autre de ces préjudices sont facilement compréhensibles. Les fautes des arbitres rendent inutiles certaines dépenses. À ce titre, ils doivent compenser cette perte. Existe-t-il d’autres préjudices indemnisables ? C’est ce que soutient le requérant, en invoquant une perte de chance d’être jugé dans un délai raisonnable. La cour résout la difficulté par la charge de la preuve, laquelle pèse, une fois de plus, sur le requérant. Elle note que ce préjudice n’est pas justifié, faute de caractériser le préjudice financier allégué. En outre, elle constate que la condamnation du défendeur à l’arbitrage est assortie d’une condamnation à un intérêt de retard au taux légal. Autrement dit, ce taux d’intérêt légal est la compensation du temps passé à l’arbitrage, faute pour le requérant d’établir un préjudice distinct.

La CJUE surmonte (timidement) sa réticence vis-à-vis de l’arbitrage

Cette cinquième chronique est l’occasion de revenir sur un très grand nombre de décisions. Parmi elles, l’avis de la Cour de justice de l’Union européenne sur le mode de règlement des différends prévu par l’Accord économique et commercial global entre le Canada et l’Union européenne était attendu, après l’arrêt Achmea ayant déclaré ce type de mécanisme incompatible avec le droit de l’Union européenne pour des litiges intraeuropéens.

 

Au-delà de cette excursion à Luxembourg, c’est la jurisprudence des cours d’appel (Paris, mais aussi Lyon, Limoges, Grenoble et Douai !) qui nous retiendra. Un arrêt de la cour d’appel de Paris du 21 mai 2019 (n° 17/19850) fera date en ce qu’il réitère la jurisprudence Hilmarton-Putrabali et envisage son application à une sentence arbitrale étrangère interne. On signalera également un important arrêt relatif à l’articulation entre procédure collective et arbitrage (Paris, 14 mai 2019, n° 17/09133). Enfin, l’épilogue de la procédure d’appel dans l’affaire Alstom était attendu. L’une des parties n’a pas hésité à se prévaloir de ses propres mauvaises pratiques en matière de corruption pour s’opposer à l’exequatur d’une sentence (Paris, 28 mai 2019, n° 16/11182). Enfin, on se limitera à mentionner une décision de la cour d’appel de Paris du 21 mai 2019 (n° 17/07210) dans une affaire opposant un franchiseur à un franchisé. Cet arrêt est un copier-coller d’une autre décision datant d’il y a quelques mois, qui a déjà fait l’objet de nombreux commentaires auxquels nous renvoyons (Paris, 11 sept. 2018, n° 16/19913, D. 2018. 2448, obs. T. Clay ; AJ Contrat 2018. 491, obs. J. Jourdan-Marques ; CCC 2018, n° 11, p. 21, obs. N. Mathey ; Gaz. Pal. 2018, n° 38, p. 25, obs. D. Bensaude ; RLDA 2019, n° 145, p. 35, note J. Clavel-Thoraval).

Dans cette longue chronique, nous verrons des décisions relatives à la compatibilité du mécanisme de règlement des différends de l’Accord économique et commercial global (AECG) au droit de l’Union, la distinction entre arbitrage conventionnel et arbitrage du bâtonnier, le principe compétence-compétence, la compétence étatique pour connaître de mesures provisoires ou d’instruction, la signification de l’ordonnance d’exequatur, les pouvoirs du juge de l’exécution, le recours contre la sentence et enfin la responsabilité de l’arbitre.

La compatibilité du mécanisme de règlement des différends de l’AECG au droit de l’Union

Les relations entre arbitrage et droit de l’Union européenne sont tumultueuses et leurs logiques respectives sont parfois antagonistes (la Commission européenne exprime régulièrement des réserves à l’égard de l’arbitrage d’investissement, v. S. Lemaire, note ss CJUE 6 mars 2018, n° C-284/16, Achmea, Rev. arb. 2018. 424). Dans un premier temps, le droit de l’Union européenne a dû être pris en compte, aussi bien par les arbitres que par le juge, dans la mise en œuvre du droit de l’arbitrage. Ainsi, les règles du droit de l’Union européenne peuvent être qualifiées de lois de police (par ex. une règle européenne de protection des agents commerciaux, v. Civ. 1re, 11 mars 2009, n° 08-12.149, Bull. civ. I, n° 48 ; Dalloz actualité, 19 mars 2009, obs. X. Delpech ; ibid. 2959, obs. T. Clay  ; LPA 2009, n° 144, obs. C. Tsé ; JCP 2009. I. 148, § 10, obs. C. Seraglini ; pour le droit de la concurrence, v. Paris, 18 nov. 2004, n° 2002/19606, Thalès Air défence (Sté) c/ Euromissile (Sté), D. 2005. 3050 , obs. T. Clay ; Rev. crit. DIP 2006. 104, note S. Bollée ; RTD com. 2005. 263, obs. E. Loquin ; RTD eur. 2006. 477, chron. J.-B. Blaise  ; JDI 2005. 357, note A. Mourre ; JCP 2005. II. 10039, note G. Chabot ; ibid. 2005. I. 134, obs. C. Seraglini) ou intégrer l’ordre public international (CJCE 1er juin 1999, n° C-126/97, Eco Swiss, AJDA 1999. 798, chron. H. Chavrier, H. Legal et G. de Bergues ; D. 1999. 181 ; RTD com. 2000. 232, obs. S. Poillot-Peruzzetto ; ibid. 340, obs. E. Loquin ; RTD eur. 2000. 741, chron. L. Idot ; Rev. arb. 1999. 631, note L. Idot). De même, le droit de l’Union perturbe le jeu normal de l’office du juge en permettant que le moyen relatif au caractère abusif de la clause compromissoire puisse être soulevé pour la première fois devant le juge du recours (CJCE 26 oct. 2006, aff. C-168/05, Elisa Maria Mostaza Claro, D. 2006. 2910, obs. V. Avena-Robardet ; ibid. 3026, obs. T. Clay ; ibid. 2007. 2562, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; RTD civ. 2007. 113, obs. J. Mestre et B. Fages ; ibid. 633, obs. P. Théry ; JDI 2007. 581, note A. Mourre ; Rev. arb. 2007. 109, note L. Idot ; JCP 2007. I. 168, § 1, obs. C. Seraglini ; Gaz. Pal., 29 avr.-3 mai 2007 ; p. 17, obs. F.-X. Train ; LPA 2007, n° 152, p. 9, obs. C. Legros ; ibid. 2007, n° 189, p. 9, note G. Poissonier et J.-P. Tricoit ; RDAI 2007, n° 14, p. 55, obs. C. Nourissat ; Europe 2006, n° 378, p. 28, obs. L. Idot ; N. Sauphanor-Brouillaud, Clauses abusives dans les contrats de consommation : critères de l’abus, CCC juin 2006, n° 6, étude 7, p. 5 ; CJCE 6 oct. 2009, aff. C-40/08, Asturcom, D. 2009. 2548 ; ibid. 2959, obs. T. Clay ; ibid. 2010. 790, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; RTD civ. 2009. 684, obs. P. Remy-Corlay ; RTD eur. 2010. 113, chron. L. Coutron ; ibid. 695, chron. C. Aubert de Vincelles ; Rev. arb. 2009. 813 note Ch. Jarrosson ; RDC 2010. 59, note O. Deshayes ; Europe 2009. Comm. 469, note L. Idot ; Procédures 2009. Comm. 400, note C. Nourissat ; JCP 2010. 1201, § 1, obs. C. Seraglini ; LPA 2010, n° 115, p. 24, note V. Craponne ; Cah. arb. 2010. 471, note A. Musella et P. Pedone). Toutefois, ces interactions ne remettent pas radicalement en cause la logique de ces disciplines.

Il en va parfois différemment. L’arrêt Westankers a mis en lumière un point de frictions entre l’arbitrage et le droit de l’Union. Par cette décision, la Cour de justice a interdit aux États membres de recourir aux anti-suit injuctions en matière d’arbitrage, malgré l’exclusion expresse de cette matière du champ d’application du règlement n° 44/2001 (CJCE 10 févr. 2009, aff. C-185/07, D. 2009. 981 , note C. Kessedjian ; ibid. 2384, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; ibid. 2959, obs. T. Clay ; ibid. 2010. 1585, obs. P. Courbe et F. Jault-Seseke ; Rev. crit. DIP 2009. 373, note H. Muir Watt ; RTD civ. 2009. 357, obs. P. Théry ; RTD com. 2009. 482, obs. A. Marmisse-d’Abbadie d’Arrast ; ibid. 644, obs. P. Delebecque ; ibid. 2010. 529, obs. E. Loquin ; JDI 2009. 1285, note B. Audit ; Rev. arb. 2009. 413, note S. Bollée ; JCP 2009, n° 227, note P. Callé ; JCP E 2009, n° 1973, note C. Legros ; Gaz. Pal. 2009. 20, note A. Mourre et A. Vagenheim ; ibid. 2010. 21, obs. M. Nicolella ; ibid. p. 8, obs. L. Salvini ; LPA 2009. 32, note S. Clavel ; Europe 2009, comm. n° 176 par L. Idot).

Toutefois, c’est le récent arrêt Achmea qui reflète le mieux la rupture croissante entre droit de l’arbitrage et droit de l’Union européenne (CJUE 6 mars 2018, aff. C-284/16, AJDA 2018. 1026, chron. P. Bonneville, E. Broussy, H. Cassagnabère et C. Gänser ; D. 2018. 2005 , note Veronika Korom ; ibid. 1934, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; ibid. 2448, obs. T. Clay ; Rev. crit. DIP 2018. 616, note E. Gaillard ; RTD eur. 2018. 597, étude J. Cazala ; ibid. 649, obs. Alan Hervé ; Rev. arb. 2018. 424, note S. Lemaire ; Procédures 2018. Comm. 143, obs. C. Nourissat ; JDI 2018. 903, note Y. Nouvel ; JDI 2019. 271, note B. Rémy). Dès le lendemain de la décision, de nombreux acteurs de l’arbitrage se sont interrogés sur « la fin des traités d’investissements intra-Union européenne » (Dalloz actualité, 7 mars 2019, Le droit en débats, Arbitrage : l’arrêt Achmea, la fin des traités d’investissements intra-UE ?, par P. Pinsolle et I. Michou). Dans cette décision, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a considéré que le droit de l’Union européenne s’oppose à une disposition contenue dans un accord international conclu entre les États membres, aux termes de laquelle un investisseur de l’un de ces États membres peut, en cas de litige concernant des investissements dans l’autre État membre, introduire une procédure contre ce dernier État membre devant un tribunal arbitral. La particularité de cette décision est de concerner un mécanisme intraeuropéen. On pouvait donc douter de son extension à un traité conclu avec un État tiers.

C’est précisément cette question qui a fait l’objet de l’avis rendu par la Cour de justice le 30 avril 2019 (CJUE 30 avr. 2019, avis 1/17). Celui-ci est rendu à la suite d’une demande introduite par le Royaume de Belgique et concerne l’Accord économique et commercial global entre le Canada, d’une part, et l’Union européenne et ses États membres, d’autre part, signé à Bruxelles le 30 octobre 2016 (JO 2017, L 11, p. 23, ci-après l’« AECG »). Il s’agit de savoir si son chapitre huit (« Investissements »), section F (« Règlement des différends relatifs aux investissements entre investisseurs et États ») est compatible avec les traités. Ce chapitre prévoit la mise en place d’un mécanisme de résolution du litige qui, à bien des égards, s’éloigne des canons de l’arbitrage (sur ce point, v. M. Fekl, Les contestations de l’arbitrage d’investissement et les négociations commerciales internationales contemporaines, Cah. arb. 2018. 413 ; A. de Nanteuil, Les mécanismes permanents de règlement des différends, une alternative crédible à l’arbitrage d’investissement ?, JDI 2017. 55). La principale différence entre l’arbitrage et ce mécanisme « alternatif » est son caractère institutionnalisé et permanent. Ceci étant, il soulève des questions connexes à celles relevées dans l’arrêt Achmea, dès lors qu’il s’agit d’une juridiction concurrente à celle de la CJUE. Il était donc nécessaire de déterminer si la Cour de justice allait donner son approbation à la conclusion de ce traité ou, comme elle a pu le faire dans le cadre de l’adhésion à la Convention européenne des droits de l’homme (CJUE 18 déc. 2014, avis 2/13, AJDA 2015. 329, chron. E. Broussy, H. Cassagnabère et C. Gänser ; D. 2015. 75, obs. O. Tambou ; RTD civ. 2015. 335, obs. L. Usunier ; RTD eur. 2014. 823, édito. J. P. Jacqué ; Cah. dr. eur. 2015, n° 1, p. 19, obs. J.-P. Jacqué ; ibid. p. 47, obs. I. Pernice ; ibid. p. 73, obs. E. Dubout ; Europe 2015, n° 2, p 4, obs. D. Simon ; JDI 2015. 708, note D. Dero-Bugny), s’opposer à la finalisation de l’Accord ?

C’est finalement un avis favorable qui est prononcé par la Cour de justice de l’Union européenne, dont le communiqué de presse donne une synthèse précieuse (CJUE 30 avr. 2019, communiqué de presse n° 52/19). Cet avis fera sans aucun doute l’objet de commentaires approfondis et il n’est pas possible de revenir sur l’intégralité d’une décision-fleuve (250 paragraphes). L’un des principaux enjeux est de déterminer si ce mécanisme de règlement des litiges préserve suffisamment l’autonomie du droit européen (« il s’ensuit que l’AECG, en ce qu’il prévoit […] une judiciarisation du règlement des différends entre les investisseurs et les États par l’instauration d’un tribunal et d’un tribunal d’appel de l’AECG et, à plus long terme, d’un tribunal multilatéral des investissements, ne peut être compatible avec le droit de l’Union qu’à la condition de ne pas porter atteinte à l’autonomie de l’ordre juridique de l’Union », § 108). En quoi consiste cette autonomie revendiquée par la Cour de justice ? Elle s’en explique en énonçant que, « pour garantir la préservation de ces caractéristiques spécifiques et de l’autonomie de l’ordre juridique ainsi créé, les traités ont institué un système juridictionnel destiné à assurer la cohérence et l’unité dans l’interprétation du droit de l’Union. Conformément à l’article 19 du Traité sur l’Union européenne, c’est aux juridictions nationales et à la Cour qu’il appartient de garantir la pleine application de ce droit dans l’ensemble des États membres ainsi que la protection juridictionnelle effective, la Cour détenant une compétence exclusive pour fournir l’interprétation définitive dudit droit. À cette fin, ce système comporte, en particulier, la procédure du renvoi préjudiciel prévue à l’article 267 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne » (§ 111). Autrement dit, il n’est pas envisageable, aux yeux de la CJUE, que l’interprétation définitive du droit de l’Union relève d’une juridiction concurrente. En revanche, il est possible qu’une autre juridiction se voie reconnaître une compétence pour connaître de l’interprétation de l’AECG (« Il résulte de ces éléments que le droit de l’Union ne s’oppose ni à ce que le chapitre huit, section F, de l’AECG prévoie la création d’un tribunal, d’un tribunal d’appel et, ultérieurement, d’un tribunal multilatéral des investissements ni à ce qu’il leur confère la compétence pour interpréter et appliquer les dispositions de l’Accord à l’aune des règles et des principes de droit international applicables entre les parties », § 118). Enfin, et c’est ici le point le plus délicat du raisonnement de la Cour de justice, « ces tribunaux étant extérieurs au système juridictionnel de l’Union, ils ne sauraient être habilités à interpréter ou à appliquer des dispositions du droit de l’Union autres que celles de l’AECG ou à rendre des sentences qui puissent avoir pour effet d’empêcher les institutions de l’Union de fonctionner conformément au cadre constitutionnel de celle-ci » (§ 118).

Ces critères étant posés, le mécanisme de règlement des litiges prévu par l’AECG répond-il positivement à ces conditions ? Pour étayer son raisonnement, la Cour de justice distingue la situation de l’AECG avec celle qui lui était présentée dans l’arrêt Achmea.

Deux arguments attirent l’attention. Le premier, difficilement contestable, tient dans une différence entre un traité intraeuropéen et un traité conclu avec un État tiers. En effet, il existe entre les États membres un « principe de confiance mutuelle » que l’on ne retrouve pas à l’égard d’un État tiers (§ 128). Par conséquent, ce principe qui a en partie justifié la solution dans l’arrêt Achmea (CJUE 6 mars 2018, aff. C-284/16, § 58, Dalloz actualité, 4 avr. 2018, obs. F. Melin ; D. 2018. 2005 , note Veronika Korom ; ibid. 1934, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; ibid. 2448, obs. T. Clay ; Rev. crit. DIP 2018. 616, note E. Gaillard ; RTD eur. 2018. 597, étude J. Cazala ; ibid. 649, obs. Alan Hervé ) ne trouve pas à s’appliquer à l’AECG.

Le second concerne les pouvoirs du tribunal arbitral. Pour la Cour de justice de l’Union européenne, « le chapitre huit, section F, de l’AECG se distingue également de l’accord d’investissement en cause dans l’affaire ayant conduit à l’arrêt du 6 mars 2018, Achmea, dès lors que, ainsi que la Cour l’a relevé aux points 42, 55 et 56 de cet arrêt, cet accord instituait un tribunal amené à résoudre des litiges pouvant concerner l’interprétation ou l’application du droit de l’Union » (§ 126). Autrement dit, la disposition décisive dans l’arrêt Achmea était celle donnant au tribunal arbitral le pouvoir de tenir compte « du droit en vigueur de la partie contractante concernée ». Or une telle formulation est absente dans l’AECG. Pour la Cour de justice, la différence fondamentale réside donc dans le comportement du tribunal. L’appréciation d’une règle interne ou européenne par un tribunal constitué sur le fondement de l’AECG « ne saurait être assimilé[e] à une interprétation, par le Tribunal de l’AECG, de ce droit interne, mais consiste, au contraire, en une prise en compte de ce droit en tant que question de fait, ce tribunal étant, à cet égard, tenu de suivre l’interprétation dominante dudit droit donnée par les juridictions et les autorités de ladite partie et ces juridictions ainsi que ces autorités n’étant, au demeurant, pas liées par le sens qui serait donné à leur droit interne par ledit tribunal » (§ 131). En résumé, le tribunal arbitral évincé par l’arrêt Achmea avait vocation à interpréter des règles de droit, ce qui est incompatible avec le droit de l’Union, contrairement au Tribunal de l’AECG, qui prend en compte ce droit comme une question de fait, ce qui est compatible avec le droit de l’Union.

Dans l’attente de commentaires plus avisés de la décision, on restera passablement circonspect face à cette acrobatie juridique, qui nous paraît relever plus de la pétition de principe que refléter la réalité d’un mécanisme de résolution des litiges d’investissement. On voit mal comment un tribunal d’investissement serait en mesure de réaliser son office si, à un moment ou à un autre, il n’examine pas les normes émanant d’un État membre ou de l’Union et est amené à les interpréter. Quelque part, on peut se demander si, à force de répéter que « le tribunal et le tribunal d’appel de l’AECG étant extérieurs au système juridictionnel de l’Union et leur compétence d’interprétation étant limitée aux dispositions de l’AECG à l’aune des règles et des principes de droit international applicables entre les parties » (§ 134), la CJUE ne tente pas de proposer une réserve d’interprétation plus qu’autre chose.

On reste tout autant interdit par la deuxième partie du raisonnement de la Cour de justice, qui vise à convaincre de l’absence d’effet des décisions du tribunal arbitral sur le fonctionnement des institutions de l’Union. La CJUE énonce pourtant que, « si l’Union concluait un accord international susceptible d’avoir pour effet que l’Union – ou un État membre dans le cadre de la mise en œuvre du droit de l’Union – doive modifier ou retirer une réglementation en raison d’une appréciation faite par un tribunal extérieur à son système juridictionnel du niveau de protection d’un intérêt public fixé, conformément au cadre constitutionnel de l’Union, par les institutions de celle-ci, force serait de conclure qu’un tel accord compromet la capacité de l’Union à fonctionner de manière autonome dans son propre cadre constitutionnel » (§ 150). Il est relevé, à juste titre, par la Cour de justice que l’AECG prévoit des réserves lorsque certaines mesures poursuivent des « objectifs légitimes en matière politique » (AECG, art. 8.9, § 1 et 2 ; § 154) et prohibe de « remettre en cause le niveau de protection d’un intérêt public défini par l’Union à l’issue d’un processus démocratique » (§ 156). En conséquence, l’Accord serait conformé à la prémisse énoncée, l’Union restant libre de déterminer le niveau de protection de ses intérêts publics. Le raisonnement est parfaitement convaincant, à un détail près : il omet que c’est au tribunal arbitral, et non à l’État membre ou à l’Union européenne, qu’il appartiendra de déterminer si la réglementation vise un objectif légitime en matière politique. Finalement, c’est l’essence même d’un mécanisme de règlement des différends d’investissement que de permettre au tribunal arbitral de se prononcer sur le respect par l’État ou l’Union de ses obligations et le caractère légitime des intérêts invoqués pour faire évoluer sa législation.

On ne reviendra pas sur les autres moyens invoqués, et rejetés par la Cour de justice, pour faire échec à la conclusion de l’Accord. Ces moyens portent notamment sur l’égalité de traitement entre investisseurs canadiens et européens (§ 162 s.) et sur le droit d’accès à un tribunal indépendant (§ 189 s.). En définitive, c’est un goût mitigé que laisse la lecture de cette décision. D’un côté, la Cour de justice valide un mécanisme indispensable à l’essor des investissements internationaux (si tant est que l’on y soit favorable) et sécurise implicitement les traités déjà conclus (sur cette inquiétude, v. E. Gaillard, L’affaire Achmea ou les conflits de logiques, Rev. crit. DIP 2018. 616 ). De l’autre, on ne peut s’empêcher de constater un décalage entre la rigueur des principes énoncés par la Cour et la mollesse de leur mise en œuvre. Deux explications sont possibles : soit la Cour de justice se méprend largement sur les conséquences de la mise en place d’un tel mécanisme de règlement des litiges, soit elle a été contrainte de manger son chapeau en rendant une décision politique sans donner l’impression de céder sur les principes.

La distinction entre arbitrage conventionnel et arbitrage du bâtonnier

L’arbitrage du bâtonnier est sans doute une anomalie. L’article 21 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques crée, selon certains auteurs, un « arbitrage contre-nature » du fait de son caractère forcé (T. Clay, obs. ss décr. n° 2011-1985, 28 déc. 2011, D. 2012. Pan. 2991, spéc. p. 2992 ). L’alinéa 3 de cet article énonce que « tout différend entre avocats à l’occasion de leur exercice professionnel est, en l’absence de conciliation, soumis à l’arbitrage du bâtonnier qui, le cas échéant, procède à la désignation d’un expert pour l’évaluation des parts sociales ou actions de sociétés d’avocats ».

Toutefois, un arrêt de la cour d’appel de Lyon soulève une interrogation particulièrement stimulante (Lyon, 11 avr. 2019, n° 18/05597) : qu’advient-il lorsque cet arbitrage légal entre en collision avec une clause compromissoire prévue par les parties ? Dans le cas d’espèce, le protocole d’association prévoyait qu’« en cas de différend et sauf conciliation intervenue entre les parties, ces dernières porteront leur litige devant monsieur le bâtonnier de l’ordre des avocats de Lyon ». On pourrait n’y voir là qu’une redondance avec l’article 21 de la loi du 31  décembre 1971. L’enjeu était de savoir si la deuxième phrase de l’alinéa 3 de l’article 21 était applicable. Celle-ci énonce que « le bâtonnier peut déléguer ses pouvoirs aux anciens bâtonniers ainsi qu’à tout membre ou ancien membre du conseil de l’ordre ». Pour la cour d’appel, la clause compromissoire prévaut sur la loi et exclut une quelconque délégation de pouvoir. Le bâtonnier étant désigné intuitu personae, il est le seul à pouvoir faire office d’arbitre. Ainsi, le délégué du bâtonnier a excédé ses pouvoirs en connaissant du litige.

La question devient encore plus intéressante si l’on se penche sur la voie de recours ouverte contre cette décision. Pour la cour d’appel de Lyon, la décision lui est déférée par la voie de l’appel et elle est annulée pour excès de pouvoir. On peut toutefois se demander si ce circuit était le bon. En reconnaissant l’application de la clause compromissoire au litige, les parties et la cour d’appel n’auraient-elles pas dû opter pour le recours en annulation prévu aux articles 1491 et suivants du code de procédure civile ? La sentence aurait alors pu être annulée sur le fondement de l’article 1492, 1°, du code de procédure civile, comme rendue par un arbitre incompétent. Il ne faut en effet pas oublier que, dès lors que l’on est en matière arbitrale, seules les voies de recours propres à cette matière sont ouvertes. On peut regretter que les parties et le juge ne se soient finalement pas aventurés sur ce terrain.

Le principe compétence-compétence

Le principe compétence-compétence est un pilier du droit de l’arbitrage. Dans son effet négatif, il conduit à ce que, « lorsqu’un litige relevant d’une convention d’arbitrage est porté devant une juridiction de l’État, celle-ci se déclare incompétente sauf si le tribunal arbitral n’est pas encore saisi et si la convention d’arbitrage est manifestement nulle ou manifestement inapplicable » (C. pr. civ., art. 1448).

Les cas de nullité ou d’inapplicabilité sont particulièrement rares. Ainsi, le fait que la clause ne prévoit pas les modalités de désignation des arbitres, lorsque l’une des parties se refuse à coopérer, n’entache pas la clause de de nullité, mais entraîne l’application des dispositions supplétives prévues aux articles 1451 à 1454 du code de procédure civile (Douai, 16 mai 2019, n° 17/05060).

Pour autant, il ne suffit pas à la juridiction saisie au fond d’un litige en violation d’une clause compromissoire de constater que celle-ci est valable ou s’applique au litige. En raisonnant ainsi, la cour d’appel est déjà en violation du principe compétence-compétence. C’est pourtant une attitude courante des juridictions peu familières avec ce contentieux. Ainsi, en énonçant que « les termes employés [par la clause] impliquent clairement que tout litige survenant entre les parties à l’occasion de l’exécution du contrat sera soumis à une procédure d’arbitrage, la société [X] plaidant à juste titre que le paiement du solde du prix est inhérent à l’exécution du contrat » (Douai, 16 mai 2019, n° 17/05060). Une telle motivation paraît inoffensive. Pourtant, elle empiète sur la compétence de l’arbitre pour se prononcer sur sa propre compétence et le prive de sa priorité pour trancher cette question. Elle expose l’arrêt d’appel à une censure de la Cour de cassation sur le fondement de l’article 1448 du code de procédure civile. Il en va seulement autrement lorsque les parties n’ont pas pris la peine de viser le principe compétence-compétence dans leurs conclusions (en ce sens, v. Civ. 1re, 19 déc. 2018, n° 17-28.233, Dalloz actualité, 6 mars 2019, obs. J. Jourdan-Marques isset(node/194744) ? node/194744 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>194744 ; RJC 2019, n° 1, p. 33, obs. B. Moreau).

La compétence étatique pour connaître des mesures provisoires ou d’instruction

L’article 1449, alinéa 1er, du code de procédure civile énonce que « l’existence d’une convention d’arbitrage ne fait pas obstacle, tant que le tribunal arbitral n’est pas constitué, à ce qu’une partie saisisse une juridiction de l’État aux fins d’obtenir une mesure d’instruction ou une mesure provisoire ou conservatoire » (sur cette question, v. S. Besson, Arbitrage international et mesures provisoires. Étude de droit comparé, Schulthess, 1998 ; M.-A. Bahmaei, L’intervention du juge étatique des mesures provisoires et conservatoires en présence d’une convention d’arbitrage. Droits français, anglais et suisse, LGDJ, 2002).

Ces dispositions valent pour les mesures d’instruction. On pense immédiatement à celles réalisées avant tout litige, sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile. La cour d’appel de Grenoble accueille ainsi une « demande d’expertise de gestion répondant à un droit d’information de l’actionnaire de nature à obtenir des preuves en vue d’un éventuel procès pouvant notamment concerner la responsabilité pénale ou civile des dirigeants, soit une mesure d’instruction peut par conséquent être ordonnée par le juge étatique malgré l’existence de la clause d’arbitrage » (Grenoble, 11 avr. 2019, n° 18/04448 ; v. égal. Limoges, 11 avr. 2019, n° 18/01253).

Le juge étatique est également susceptible d’accorder des mesures conservatoires, notamment un référé-provision. Ceci étant, trois conditions doivent être réunies : la condition du caractère non sérieusement contestable de la créance – condition classique du référé-provision ; l’absence de constitution du tribunal arbitral – condition énoncée par l’article 1449 du code de procédure civile ; l’urgence de la situation – condition spécifique à l’arbitrage (sur laquelle, v. C. Seraglini et J. Ortscheidt, Droit de l’arbitrage interne et international, Montchrestien/Lextenso, 2013, n° 693 ; J.-B. Racine, Droit de l’arbitrage, PUF, 2016, n° 305 s.). C’est une belle illustration qui en est donnée par la cour d’appel de Limoges, qui énonce pour accueillir la demande de référé-provision que le défaut de paiement d’une créance « est de nature à désorganiser économiquement la société J, en sorte que cette société justifie d’une urgence au soutien de sa demande de provision » et ajoute que la créance « n’était pas sérieusement contestable » (Limoges, 11 avr. 2019, n° 18/01253).

La signification de l’ordonnance d’exequatur

C’est une précision importante qui vient d’être apportée par la cour d’appel de Paris en matière de signification de l’ordonnance d’exequatur d’une sentence arbitrale. La question était de savoir où cette signification devait avoir lieu. En l’espèce, l’avocat d’une des parties avait reçu mandat de représentation pour son client « pour la procédure arbitrale “et ses suites” ». Il y avait là, selon la partie adverse, une élection de domicile permettant de signifier l’ordonnance d’exequatur chez l’avocat. La cour d’appel de Paris en fait une appréciation différente, considérant que « ce mandat est limité aux diligences nécessaires dans le cadre de la procédure d’arbitrage et ses suites lesquelles ne comprennent pas la signification de l’ordonnance d’exequatur de la sentence, qui en est distincte ». Il convient alors de se référer au droit commun. Le destinataire de la signification ayant son siège à l’étranger, il convenait de respecter les dispositions de l’article 684 du code de procédure civile.

La question que l’on peut se poser est de savoir si les assouplissements conventionnels à la notification de la sentence prévus depuis le décret n° 2011-48 du 13 janvier 2011 (C. pr. civ., art. 1519, al. 3 ; v. J. Pellerin, « La notification des actes en matière d’arbitrage international », in M. de Fontmichel et J. Jourdan-Marques [dir.], L’exécution des sentences arbitrales internationales, LGDJ, 2017, p. 57) peuvent être étendus à la notification de l’ordonnance d’exequatur. On peut en douter, l’article 1519 du code de procédure civile étant strictement limité à la notification de la sentence. Or il est peu probable que le législateur ait entendu restreindre les modalités de notification d’un jugement (ou, comme en l’espèce, d’une ordonnance) français.

Les pouvoirs du juge de l’exécution

La sentence arbitrale pouvant être revêtue de la formule exécutoire, celle-ci peut faire l’objet d’un contentieux devant le juge de l’exécution (sur ce point, v. D. Mouralis, « Le contentieux devant le juge de l’exécution », in M. de Fontmichel et J. Jourdan-Marques [dir.], L’exécution des sentences arbitrales internationales, op. cit., p. 131). Quelle est l’étendue de sa mission ? La cour d’appel de Paris rappelle qu’« il appartient au juge de l’exécution d’interpréter le titre lorsqu’une telle question se pose de façon incidente à l’occasion d’une difficulté d’exécution, l’interprétation ne doit pas viser à modifier ce qui a été décidé, mais à chercher la portée de ce qui est ambigu et ne pas porter atteinte à l’autorité de chose jugée » (Paris, 18 avr. 2019, n° 18/06336). Il lui est fait interdiction de retenir que le tribunal arbitral a statué ultra petita.

Le recours contre la sentence

Le recours contre la sentence pose naturellement la question des griefs invocables pour obtenir une décision d’annulation ou de refus d’exequatur. Néanmoins, d’autres questions sont parfois posées. On pense à la renonciation et à l’estoppel qui peuvent s’opposer à ce qu’un grief soit examiné et à la question, rarissime, du régime auquel les sentences arbitrales internes étrangères sont soumises.

Renonciation et estoppel

La renonciation et l’ordre public

La question de la renonciation a fait l’objet d’un arrêt récent d’une importance capitale (Paris, 2 avr. 2019, n° 16/24358, Dalloz actualité, 17 avr. 2019, obs. J. Jourdan-Marques isset(node/195469) ? node/195469 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>195469). Cet arrêt avait, dans une formule qu’il convient de reproduire, énoncé que l’article 1466 du code de procédure civile (« la partie qui, en connaissance de cause et sans motif légitime, s’abstient d’invoquer en temps utile une irrégularité devant le tribunal arbitral est réputée avoir renoncé à s’en prévaloir ») « ne vise pas les seules irrégularités procédurales mais tous les griefs qui constituent des cas d’ouverture du recours en annulation des sentences, à l’exception des moyens fondés sur l’article 1520, 5°, du code de procédure civile et tirés de ce que la reconnaissance ou l’exécution de la sentence violerait de façon manifeste, effective et concrète l’ordre public international de fond, lesquels, en raison de leur nature, peuvent être relevés d’office par le juge de l’annulation et soulevés pour la première fois devant lui ».

Particulièrement clair, cet arrêt nécessitait tout de même une analyse a contrario sur deux points (sur lesquels, v. Dalloz actualité, 17 avr. 2019, obs. J. Jourdan-Marques, préc.) : la mention de l’ordre public international de fond excluait-elle l’ordre public international procédural du champ de l’exception à la renonciation ? Convenait-il de distinguer ordre public de direction et de protection ?

La réponse à ces deux questions n’aura pas tardé, puisque la cour d’appel de Paris vient de retenir que « le principe d’égalité des armes relève de l’ordre public international de protection, de sorte qu’il est loisible à une partie de renoncer à son bénéfice » (Paris, 14 mai 2019, n° 16/16502). La confirmation ne fait aucun doute : l’ordre public procédural est susceptible de renonciation, de même que l’ordre public de protection. Voilà qui allait sans dire, mais qui va mieux en le disant !

Sur la caractérisation de cette renonciation, on constatera que le même arrêt signale que « le satisfecit général délivré par les parties sur la bonne tenue des audiences ne saurait davantage s’analyser en une renonciation à un grief sur l’admission des preuves ». Dès lors qu’une contestation a été soulevée au moment approprié et réitérée aux moments opportuns, la partie a préservé ses droits et n’a pas à renouveler son opposition systématiquement.

En revanche, la cour d’appel de Paris, dans un autre arrêt, réaffirme l’impossibilité de renoncer à l’ordre public international de direction, notamment relatif à la prohibition des pratiques de corruption (Paris, 28 mai 2019, n° 16/11182). Cette impossibilité d’y renoncer et l’admission du moyen devant le juge du recours vaut même en cas de mauvaise foi du plaideur et « peu important qu’elle bénéficie à celui qui se prévaut de sa propre turpitude, dès lors que le refus de donner force à un contrat de corruption transcende les intérêts des parties ». La raison tient dans « le refus de l’ordre juridique français de prêter le secours des voies de droit au paiement de sommes pour une cause illicite ». La ligne de partage est donc clairement établie : l’ordre public international de direction est le seul de tous les griefs qui est insusceptible de renonciation.

L’estoppel

Avec l’explosion du champ d’application de la renonciation, on peut se demander s’il y avait encore une place pour l’estoppel en droit français de l’arbitrage. Il est vrai que le principe est ponctuellement retenu, au point d’avoir été utilisé comme visa dans un arrêt de cassation (Civ. 1re, 28 févr. 2018, n° 16-27.823, D. 2018. 2448, obs. T. Clay ; RTD civ. 2018. 482, obs. N. Cayrol  ; Gaz. Pal. 2018, n° 27, p. 19, obs. D. Bensaude ; JDI 2018. Comm. 18, note J. Jourdan-Marques). Pour autant, il est devenu difficile d’y voir une plus-value par rapport à la règle issue de l’article 1466 du code de procédure civile. La cour d’appel de Paris nous apporte un indice dans un récent arrêt (Paris, 14 mai 2019, n° 17/06397), en retenant que « l’estoppel est un comportement procédural déloyal d’une partie qui se contredit au détriment de son adversaire. L’estoppel s’apprécie au regard des moyens invoqués ». Il semble donc que l’estoppel nécessite la caractérisation de positions juridiquement antagonistes. Or la cour d’appel constate qu’« il n’y a aucune contradiction entre le fait de refuser délibérément de participer à l’arbitrage – ce qui est une façon de dénier la compétence du tribunal arbitral – et l’appel de l’ordonnance d’exequatur de la sentence fondé sur un moyen tiré de ce que l’arbitre a outrepassé les termes de la convention d’arbitrage ».

Malheureusement, une autre définition était donnée quelques jours auparavant par une autre chambre de la cour d’appel de Paris (Paris, 18 avr. 2019, n° 18/02905). Celle-ci énonce que l’estoppel « nécessite que soient réunies, dans un même litige, une contradiction dans l’attitude procédurale se manifestant par un changement de position d’une partie, la volonté de tromper les attentes de son adversaire en ruinant ses attentes légitimes nées de la position initiale ainsi qu’une modification contrainte des moyens de défense de l’adversaire par l’effet de ce changement d’attitude ». Il n’y a donc pas un recoupement parfait entre les deux définitions et l’on peut regretter les incertitudes autour de ce principe. Mais a-t-il encore un véritable avenir en droit français ?

Le régime des sentences arbitrales internes étrangères

En matière internationale, l’accueil des sentences arbitrales est régi par les dispositions des articles 1514 et suivants du code de procédure civile. Le plus souvent, la question se pose de l’accueil des sentences internationales, qu’elles soient rendues en France ou à l’étranger. En revanche, la question est beaucoup plus rare d’une sentence arbitrale interne étrangère. Autrement dit, il s’agit d’un litige interne ayant fait l’objet d’une sentence mais dont la reconnaissance est demandée en France. L’accueil de cette sentence est-il possible et, si oui, selon quel régime ? C’est à cette rare interrogation, mais pas pour autant nouvelle (Civ. 1re, 17 oct. 2000, n° 98-11.776, D. 2000. 303 ; RTD com. 2001. 63, obs. E. Loquin ; Rev. arb. 2000. 648, note P. Mayer), que répond la cour d’appel de Paris par une motivation très pédagogique (Paris, 21 mai 2019, n° 17/19850). Elle énonce que « les dispositions des articles […] 1514 et suivants, sur la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales, sont applicables à la fois aux sentences arbitrales internationales et aux sentences rendues à l’étranger, quel que soit, pour ces dernières, leur caractère interne ou international ». La conséquence logique est que « la régularité de telles sentences est examinée au regard des règles applicables dans le pays où leur reconnaissance et leur exécution sont demandées, l’objet de l’exequatur étant d’accueillir dans l’ordre juridique français les sentences étrangères aux seules conditions qu’il a posées ». Dès lors, la sentence arbitrale interne étrangère est soumise au même régime de reconnaissance et d’exequatur que la sentence arbitrale internationale étrangère. Sur ces points, la cour d’appel s’aligne sur la solution rendue par la Cour de cassation il y a près de vingt ans.

Mais ce n’est pas tout ! L’arrêt est particulièrement marquant en ce qu’il ajoute qu’« en vertu de l’article VII, 1, de la Convention de New York du 10 juin 1958 pour la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales étrangères, à laquelle renvoie l’article 33 relatif à la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales de la Convention du 15 mars 1982 entre la République française et la République arabe d’Égypte sur la coopération judiciaire en matière civile, l’exequatur en France ne saurait être refusé à la sentence arbitrale rendue le 12 septembre 2009 au motif qu’elle a été annulée par une décision de la cour d’appel du Caire le 27 mai 2010 dès lors que le droit français de l’arbitrage international, plus favorable, ne prévoit pas une telle cause de refus de reconnaissance et d’exécution de la sentence rendue à l’étranger ». Ainsi, la sentence interne étrangère annulée au siège est tout de même susceptible d’être exécutée en France (l’affirmation est d’ailleurs un obiter dictum, la cour d’appel constatant, plus loin dans l’arrêt, que l’arbitrage est international). La solution est doublement importante. D’une part, elle reprend à son compte la fameuse jurisprudence Hilmarton-Putrabali (Civ. 1re, 23 mars 1994, n° 92-15.137, Hilmarton, Bull. civ. I, n° 104 ; D. 1994. 91 ; Rev. crit. DIP 1995. 356, note B. Oppetit ; RTD com. 1994. 702, obs. J.-C. Dubarry et E. Loquin ; Rev. arb. 1994. 327, note C. Jarrosson ; JDI 1994. 701, note E. Gaillard ; 10 juin 1997, nos 95-18.402 et 95-18.403, Hilmarton, Bull. civ. I, n° 195 ; D. 1997. 163 ; RTD com. 1998. 329, obs. J.-C. Dubarry et E. Loquin ; Rev. arb. 1997. 376, note P. Fouchard ; ibid. p. 329, spéc. n° 17 ; JDI 1997. 1033, note E. Gaillard ; 29 juin 2007, n° 05-18.053, Putrabali, Bull. civ. I, nos 250 et 251 ; D. 2007. 1969, obs. X. Delpech ; ibid. 2008. 180, obs. T. Clay ; ibid. 1429, chron. L. Degos ; Rev. crit. DIP 2008. 109, note S. Bollée ; RTD com. 2007. 682, obs. E. Loquin ; JDI 2007. 1236, note T. Clay ; LPA 2007, n° 192, p. 20, note M. de Boisséson ; Rev. arb. 2007. 507, note E. Gaillard ; RJDA 2007. 883, obs. J.-P. Ancel ; Gaz. Pal. 21-22 nov. 2007. 3, obs. S. Lazareff ibid. 14, note P. Pinsolle ; JCP 2006. I. 216, § 7, obs. C. Seraglini ; Bull. ASA 2007. 217, note P.-Y. Gunter), d’autre part, et c’est là l’essentiel, elle l’applique à une sentence étrangère interne, là où l’arrêt Putrabali établissait que « la sentence internationale, qui n’est rattachée à aucun ordre juridique étatique, est une décision de justice internationale ». L’incertitude sur l’extension de la jurisprudence Hilmarton-Putrabali à la sentence arbitrale interne étrangère avait été soulignée en doctrine (C. Seraglini et J. Ortscheidt, Droit de l’arbitrage interne et international, op. cit. ; n° 37, note de bas de page n° 149). C’est donc une décision très audacieuse que retient la cour d’appel, permettant d’y voir un grand arrêt. Nul doute que, si un pourvoi est formé sur ce point, l’arrêt à venir de la Cour de cassation fera date.

Les cas d’ouverture du recours

La compétence du tribunal arbitral

La compétence du tribunal arbitral est le terrain d’élection des règles matérielles. La principale d’entre elles énonce que « la clause compromissoire est indépendante juridiquement du contrat principal qui la contient, de sorte que l’existence et l’efficacité de la clause s’apprécient, sous réserve des règles impératives du droit français et de l’ordre public international, d’après la commune volonté des parties, sans qu’il soit nécessaire de se référer à une loi étatique » (Paris, 14 mai 2019, n° 17/06397 ; 21 mai 2019, n° 17/19850 ; Civ. 1re, 30 mars 2004, n° 01-14.311, Uni-kod, RTD com. 2004. 443, obs. E. Loquin ; Rev. arb. 2005. 959, note C. Seraglini ; JCP 2004. II. 10132, note G. Chabot ; S. Bollée, Quelques remarques sur la pérennité (relative) de la jurisprudence Dalico et la portée de l’article IX de la Convention européenne de Genève. À propos de l’arrêt société Uni-kod c. société Ouralkali, JDI 2006. 126). La conséquence bien connue de cette consécration des règles matérielles est l’exclusion du raisonnement conflictuel. C’est précisément ce que rappelle la cour d’appel de Paris, qui énonce qu’« il résulte, toutefois, de la lettre claire et précise du contrat, laquelle exprime la commune volonté des parties sans qu’il y ait lieu de procéder à une interprétation suivant une loi nationale, que la convention de fiducie ne donnait mandat à M. X que pour la souscription des actions, de sorte que l’arbitre s’est prononcé sans convention d’arbitrage sur des demandes relatives aux dépenses engagées pour faire fonctionner la société » (Paris, 14 mai 2019, n° 17/06397). Malgré toutes les qualités d’un édifice bâti sur les règles matérielles, on ne peut s’empêcher d’être gêné par certaines conséquences de cette indifférence à la loi étrangère. En l’espèce, le tribunal avait utilisé une règle d’interprétation issue du droit suisse pour se déclarer compétent. Le juge français, statuant comme juge de l’exequatur, donne une appréciation différente et estime que l’arbitre n’était pas compétent pour trancher une partie du litige. Il n’accorde qu’un exequatur partiel à la sentence. On peut se demander si le juge n’aurait pas pu, plutôt que d’écarter d’un revers de main la loi étrangère, vérifier la légitimité de celle-ci à s’appliquer et la prendre en considération pour opérer son contrôle.

Dans un autre arrêt, un contrat liait un établissement public de droit égyptien et un opérateur économique. Un tribunal arbitral s’est reconnu compétent pour connaître du litige opposant ces deux parties sur le fondement d’une disposition contenue dans leur convention. La difficulté résidait dans la prétendue cession du contrat par des actes réglementaires de l’État égyptien. Le tribunal arbitral s’est pourtant déclaré compétent, confirmé en cela par la cour d’appel de Paris (Paris, 21 mai 2019, n° 17/19850). La cour considère que le fait pour l’établissement public d’avoir volontairement poursuivi l’exécution des obligations contractuelles justifie la compétence du tribunal. Elle ajoute que la circonstance que « le droit égyptien soumette à une autorisation ministérielle la conclusion par un établissement public d’un contrat prévoyant le recours à l’arbitrage pour la résolution des litiges relatifs à ce contrat et à son exécution est indifférente à l’appréciation de l’efficacité de la clause compromissoire par le juge français, peu important que la sentence rendue en Égypte ait un caractère interne ou international ». La cour réaffirme ainsi l’indifférence du juge français au raisonnement conflictuel en matière de compétence arbitrale. Elle ajoute, ce qui n’est pas anecdotique, que le caractère interne de la sentence n’y change rien.

Le respect du principe de la contradiction

L’article 1510 du code de procédure civile impose aux arbitres de garantir respecter le principe de la contradiction. À défaut, sa sentence encourt l’annulation sur le fondement de l’article 1520, 4°, du code de procédure civile.

Quelle est l’étendue de l’obligation pesant sur les arbitres ? La cour d’appel de Paris le rappelle dans une formule bien établie en jurisprudence, en énonçant que « le principe de la contradiction exige seulement que les parties aient pu faire connaître leurs prétentions de fait et de droit et discuter celles de leur adversaire de telle sorte que rien de ce qui a servi à fonder la décision des arbitres n’ait échappé à leur débat contradictoire » et en ajoutant que « les arbitres n’ont aucune obligation de soumettre au préalable leur motivation à une discussion contradictoire des parties » (Paris, 14 mai 2019, n° 16/16502 ; v. égal. Paris, 14 mai 2019, n° 17/09133 ; 21 mai 2019, n° 17/19850 ; 26 mars 2019, n° 17/03739, Dalloz actualité, 17 avr. 2019, obs. J. Jourdan-Marques, préc.). Dans le présent arrêt, une partie reproche au tribunal d’avoir utilisé une pièce à son détriment alors qu’elle l’avait elle-même invoquée et que la partie adverse ne s’en était pas prévalue. Le moyen est rejeté, au motif que « l’invocation de la lettre […] dans les écritures de X vient toujours au soutien de l’allégation selon laquelle l’investissement n’était pas dépourvu de valeur. X ne peut donc faire grief aux arbitres d’avoir tiré la même conclusion de cette pièce dans leur raisonnement sur la preuve de l’expropriation ». On est ici dans une logique proche de celle prévue par l’article 7, alinéa 2, du code de procédure civile, qui dispose que, « parmi les éléments du débat, le juge peut prendre en considération même les faits que les parties n’auraient pas spécialement invoqués au soutien de leurs prétentions ». En l’espèce, une partie invoquait cette pièce au soutien de sa prétention et se l’est vue opposée par l’arbitre pour faire échec à cette prétention.

L’ordre public international

L’ordre public de fond

L’ordre public de fond est entendu de façon restrictive, de telle sorte que n’importe quel moyen ne puisse pas être opposé à la sentence. Ainsi, la cour d’appel vient de signaler que « la violation éventuelle de l’engagement de confidentialité souscrite au moment de l’arbitrage n’est pas une cause d’annulation de la sentence » (Paris, 28 mai 2019, n° 17/03659). En revanche, trois arrêts portent sur des questions qui sont partie intégrante de l’ordre public de fond : le premier concerne l’articulation de la procédure arbitrale avec la procédure collective, le second concerne des questions de corruption et le troisième la fraude procédurale.

• Arbitrage et procédure collective

L’articulation d’une procédure arbitrale avec une procédure collective requiert une vigilance accrue de la part des arbitres qui, dans le cadre de leur mission, ne doivent pas empiéter sur la compétence exclusive du juge de la faillite (D. Cohen, note ss Civ. 1re, 6 mai 2009, Rev. arb. 2010. 299, spéc. p. 305 : « L’arbitrage entretient des rapports complexes et subtils avec la matière des faillites : si l’arbitrabilité du droit des procédures collectives ne fait plus aujourd’hui de doute, il n’en reste pas moins que l’arbitre ne saurait empiéter sur la compétence exclusive du juge de la faillite – notamment pour ouvrir une procédure collective du débiteur, recevoir les déclarations de créances ou nommer des représentants de la procédure – et qu’il ne saurait violer des règles d’ordre public interne, voire international, du droit des faillites, teinté de considérations d’intérêt général manifestes »). La violation de certaines règles relatives aux procédures collectives est de nature à entraîner l’annulation de la sentence arbitrale. Si l’arbitre est compétent pour déterminer le montant d’une créance à l’égard d’une société en procédure collective, il ne peut condamner le débiteur à payer cette somme (v. sur cette question P. Ancel, Arbitrage et procédures collectives, Rev. arb. 1983. 275 ; P. Ancel, Arbitrage et procédures collectives après la loi du 25 janvier 1985, Rev. arb. 1987. 127 ; P. Fouchard, Arbitrage et faillite, Rev. arb. 1998. 471). Ce principe de suspension des poursuites individuelles s’applique en matière d’arbitrage et est régulièrement rappelé par les juridictions françaises.

C’est sur cette question qu’un important arrêt vient d’être rendu par la cour d’appel de Paris (Paris, 14 mai 2019, n° 17/09133). Il signale d’abord, ce qui ne faisait aucun doute, que « les principes de l’arrêt des poursuites individuelles des créanciers, du dessaisissement du débiteur et de l’interruption de l’instance en cas de procédure d’insolvabilité, sont à la fois d’ordre public interne et international ». Toutefois, elle va plus loin en tirant deux enseignements de ce principe. Elle énonce, d’abord, que, « lorsqu’une sentence arbitrale rendue à l’étranger a condamné au paiement d’une somme d’argent un débiteur à l’égard duquel une procédure collective est ouverte par un jugement ultérieur, le créancier ne peut solliciter son exequatur en France qu’après avoir déclaré sa créance ». La solution est donc simple : l’exequatur de la sentence est conditionné à la déclaration de la créance à la procédure collective. On peut tout de même être étonné par une telle solution, qui ne repose sur aucune disposition du code de procédure civile (C. pr. civ., art. 1514 et 1515) et qui, en pratique, paraît difficile à vérifier étant donné que l’exequatur est accordé dans le cadre d’une procédure non contradictoire (C. pr. civ., art. 1516).

Par ailleurs, la cour d’appel ajoute que « la sentence ne pouvant être contestée, conformément aux dispositions de l’article 1525 du code de procédure civile, que par la voie de l’appel de l’ordonnance d’exequatur et pour les motifs énumérés par l’article 1525 du même code, il appartient au créancier de solliciter l’exequatur, lorsque la vérification des créances fait apparaître une contestation à l’égard de laquelle le juge-commissaire n’est pas compétent. L’exequatur prononcé dans de telles circonstances ne peut avoir pour objet que la reconnaissance et l’opposabilité en France de la sentence. Il ne saurait, sans méconnaître le principe d’arrêt des poursuites individuelles, rendre exécutoire une condamnation à paiement ». Commençons par la seconde partie de cette motivation. Dès lors que l’arrêt des poursuites individuelles interdit à l’arbitre de condamner la partie à un paiement, on comprend que l’ouverture d’une procédure collective entre la reddition de la sentence et la demande d’exequatur conduise à limiter la portée de l’ordonnance d’exequatur à la seule reconnaissance et opposabilité de la sentence en France, à l’exclusion de son caractère exécutoire. Ceci étant, il y a, ici encore, un risque de méconnaissance par le président du tribunal de grande instance de l’existence d’une procédure collective.

La première partie de la motivation est en revanche beaucoup plus mystérieuse. On comprend, ce qui est parfaitement exact, qu’une sentence étrangère ne peut être discutée que dans le cadre d’un appel contre l’ordonnance d’exequatur et non devant le juge-commissaire. Autrement dit, si discussion sur la sentence il doit y avoir, les voies de recours propres à l’arbitrage sont les seules à être utilisables (le juge de l’exécution n’ayant aucun pouvoir en la matière, comme cela vient d’être rappelé, v. Paris, 18 avr. 2019, n° 18/06336, v. supra). En revanche, on comprend mal en quoi le créancier devrait, pour permettre cette discussion, solliciter l’exequatur. Quel pourrait bien être l’intérêt du créancier de faire cette demande d’exequatur alors qu’elle n’est pas nécessaire à la déclaration de la créance à la procédure collective et qu’elle ne permet pas d’obtenir la force exécutoire ?

La difficulté vient sans doute du fait que la discussion sur la sentence a lieu au stade de l’appel de l’ordonnance d’exequatur, ordonnance qui est délivrée sans débat contradictoire. Or il est acquis de longue date que celui qui sollicite l’ordonnance d’exequatur n’a pas intérêt à agir contre l’ordonnance ayant fait droit à sa demande (Paris, 10 nov. 1987, Rev. arb. 1989. 669, note A.-D. Bousquet ; Bull. ch. avoués 1988, 1, 5). C’est cette solution que la cour d’appel n’a, sans doute, pas souhaité la remettre en cause. Si le débiteur en procédure collective ne peut pas solliciter l’exequatur en vue, lors de l’appel contre l’ordonnance, de critiquer la sentence, il fallait bien que le créancier le fasse. Pour autant, la véritable question est celle des outils à la disposition du débiteur pour contraindre le créancier à demander l’exequatur de la sentence… En réalité, il faut se demander si, tout simplement, il n’aurait pas été plus simple d’autoriser le débiteur à solliciter l’exequatur de la sentence et à attaquer ensuite l’ordonnance (J. Jourdan-Marques, Le contrôle étatique des sentences arbitrales internationales, LGDJ, coll. « Bibliothèque de droit privé », 2017, n° 160, préf. T. Clay).

• Arbitrage et corruption

La corruption est en passe de devenir le joker pour remettre en cause une sentence arbitrale. L’intégration de la corruption dans l’ordre public international est déjà ancienne (Paris, 30 sept. 1993, Westman, D. 1993. 225 ; Rev. crit. DIP 1994. 349, note V. Heuzé ; RTD civ. 1994. 96, obs. J. Mestre ; RTD com. 1994. 703, obs. J.-C. Dubarry et E. Loquin ; Rev. arb. 1994. 359, note D. Bureau ; 16 mai 2017, n° 15/17442, D. 2017. 2054, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; ibid. 2559, obs. T. Clay ; JDI 2017. Comm. 20, note E. Gaillard ; Rev. arb. 2018. 248, note J.-B. Racine ; 21 févr. 2017, n° 15/01650, D. 2017. 2054, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; ibid. 2559, obs. T. Clay ; RTD com. 2019. 42, obs. E. Loquin ; Rev. arb. 2017. 915, note S. Bollée et M. Audit ; JCP 2017. Doctr. 1326, obs. C. Seraglini ; Cah. arb. 2017. 668, note B. Poulain ; ASA 2017. 551, note L.-C. Delanoy ; v. J.-B. Racine, L’arbitrage commercial international et l’ordre public, avant-propos L. Boy, préf. P. Fouchard, LGDJ, coll. « Bibliothèque de droit privé », 1999, n° 888 s.). La lutte contre ce fléau est légitimée par la Convention des Nations unies contre la corruption faite à Mérida le 31 octobre 2003, qui fait dire à la cour d’appel de Paris qu’il existe un consensus international sur la question (Paris, 16 mai 2017, n° 15/17442, préc.). Le seul constat qu’une sentence arbitrale donne effet à un contrat de corruption entraîne une contrariété à l’ordre public international. Toutefois, cette allégation pose la question de l’intensité du contrôle exercé sur la sentence pour établir la réalité de l’infraction. L’enjeu est donc essentiellement probatoire.

C’est sur cette épineuse question que la cour d’appel avait à se prononcer (Paris, 28 mai 2019, n° 16/11182). Cette affaire avait déjà donné lieu à un arrêt de la même cour ayant conduit la juridiction à ordonner un rabat de l’ordonnance de clôture pour permettre aux parties de discuter au fond du moyen relatif à la corruption (Paris, 10 avr. 2018, n° 16/11182, D. 2018. 1934, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; ibid. 2448, obs. T. Clay ; Rev. arb. 2018. 574, note E. Gaillard). Ces deux décisions doivent être lues en parallèle, car elles apportent un guide particulièrement précieux quant à la façon dont la cour entend désormais examiner les allégations de corruption. On en donnera ici les principaux traits, sans entrer dans le détail.

Premièrement, la cour d’appel de Paris avait signalé (Paris, 10 avr. 2018, n° 16/11182, préc.) que l’intensité du contrôle ne nécessite plus une violation flagrante de l’ordre public international et qu’elle entend contrôler en droit et en fait tous les éléments.

Deuxièmement, la cour ajoute, dans les deux arrêts, que la mauvaise foi ne fait pas obstacle à la discussion d’un argument relatif à la corruption, pas plus que le défaut de présentation du moyen devant le tribunal arbitral.

Troisièmement, la cour ne s’intéresse pas au respect des obligations contractuelles mais s’assure que la reconnaissance et l’exécution de la sentence n’ont pas pour effet de permettre l’exécution d’un contrat de corruption.

Quatrièmement, peu importe si les faits ont été pénalement qualifiés ou non par une juridiction pénale.

Cinquièmement, c’est à travers un faisceau d’indices et le caractère suffisamment grave, précis et concordant de ceux-ci, et non sur des faits de corruption précisément identifiés, que porte la discussion. L’arrêt du 10 avril 2018 donne une liste exhaustive des indices susceptibles de retenir l’attention.

En l’espèce, à la suite d’un long raisonnement prenant en considération les différents éléments de preuves versés au débat ainsi qu’un audit auquel l’intermédiaire s’est soumis, la cour d’appel identifie un certain nombre d’irrégularités. En substance, elle considère que les rémunérations perçues sont tantôt disproportionnées, tantôt la contrepartie de documents confidentiels, laissant présumer qu’ils ont été obtenus illégalement. L’audit auquel l’intermédiaire s’est soumis fait ressortir une utilisation difficilement vérifiable des sommes perçues et des moyens matériels et humains particulièrement faibles au regard des dépenses réalisées. En définitive, la cour d’appel considère qu’il existe des indices graves, précis et concordants de ce que les sommes versées finançaient et rémunéraient des activités de corruption d’agents publics.

Il est évidemment difficile de se faire un avis sur la matérialité des faits discutés. On remarquera néanmoins que, dans cette affaire, contrairement à d’autres (en matière de blanchiment, v. Paris, 21 févr. 2017, n° 15/01650, préc.), la cour d’appel ne substitue pas son appréciation à celle d’un tribunal arbitral ayant pu discuter cette allégation de façon approfondie.

Enfin, on peut rester convaincu par l’idée, soutenue par la cour d’appel de Paris, que « le refus de donner force à un contrat de corruption transcende les intérêts des parties » et qu’ainsi, peu importe que ce moyen bénéficie à celui qui se prévaut de sa propre turpitude. Dans la présente affaire, la partie avait poussé le cynisme jusqu’à indiquer dans ses propres conclusions « qu’elle était coutumière des pratiques de corruption d’agents publics étrangers, notamment par l’intermédiaire de prétendus consultants, ainsi qu’elle l’a reconnu aux termes d’accords de 2013 et 2014 avec le ministère américain de la justice portant sur des faits commis en Indonésie, en Arabie saoudite, en Égypte et aux Bahamas ». Finalement, la véritable question posée par ce type d’argumentaire devant le juge du recours contre la sentence est celle de l’intervention du ministère public et des suites qu’il convient d’y donner sur le plan pénal.

• Arbitrage et fraude

Comme la corruption, la fraude procédurale est en train de devenir un argument classique du recours en annulation (v. déjà, Paris, 20 déc. 2018, n° 16/25484, Dalloz actualité, 29 janv. 2019, chron. J. Jourdan-Marques  ; Rev. arb. 2015. 273) mais elle n’emporte que rarement la conviction de la cour d’appel. Elle suppose que de faux documents aient été produits, que des témoignages mensongers aient été recueillis ou que des pièces intéressant la solution du litige aient été frauduleusement dissimulées aux arbitres, de sorte que la décision de ceux-ci a été surprise. Lorsqu’un tel moyen est avancé, il appartient au juge de l’annulation d’examiner l’ensemble des circonstances susceptibles de caractériser la fraude alléguée, sans que puisse être utilement opposé le moyen tiré de la prohibition de la révision au fond des sentences, dès lors que la contestation porte précisément sur l’altération, par les manœuvres d’une partie, de l’appréciation des faits à laquelle se sont livrés les arbitres (Paris, 28 mai 2019, n° 17/03659). Encore convient-il que la prétention soit fondée en faits, ce qui n’était pas le cas dans la présente affaire.

L’ordre public procédural

L’ordre public procédural est notamment composé des règles d’égalité des armes (Paris, 8 nov. 2016, n° 13/12002, Rev. arb. 2016. Somm. 1213 ; Cah. arb. 2017. 487, note P. Giraud) ou de l’existence d’une motivation de la sentence (Paris, 28 mars 2017, n° 15/1774, inédit ; 30 janv. 2018, n° 16/11761, Cah. arb. 2018. 125, obs. P. Pedone). La cour d’appel de Paris rappelle que « l’égalité des armes, qui est un élément du procès équitable protégé par l’ordre public international, implique l’obligation d’offrir à chaque partie une possibilité raisonnable de présenter sa cause, y compris ses preuves, dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net désavantage par rapport à son adversaire » (Paris, 14 mai 2019, n° 16/16502 ; v. égal. Paris, 21 mai 2019, n° 17/19850 ; 28 mai 2019, n° 17/03659).

La difficulté dans une affaire soumise à la cour tenait au fait que le conseil d’une des parties avait précédemment été le conseil de l’autre dans d’autres procédures. La partie s’inquiétait que des pièces confidentielles aient pu être obtenues en violation du secret professionnel. Toutefois, le tribunal avait demandé à cette partie de communiquer un certain nombre de pièces, demande à laquelle elle n’a pas satisfait. Finalement produites par l’adversaire – dans des conditions incertaines –, ces pièces auraient-elles dû être rejetées par le tribunal arbitral ? La réponse est négative pour la cour d’appel, qui retient que « les pièces litigieuses étant au nombre de celles qu’elle aurait dû produire dans l’instance arbitrale, X ne peut prétendre que leur admission aux débats ait porté atteinte au principe d’égalité des armes ». Autrement dit, dès lors que le tribunal a réclamé à l’une des parties la production de certaines pièces, il peut accueillir ces pièces lorsqu’elles émanent de la partie adverse, indépendamment de leur mode d’acquisition. On peut voir dans cette décision une forme de proportionnalité recherchée entre, d’une part, le droit à la preuve et, d’autre part, la loyauté de la preuve.

Dans une autre affaire, on signalera que la guerre à laquelle est confronté un État – en l’occurrence l’Irak – justifie que celui-ci bénéficie de délais supplémentaires sans que cela ne caractérise une rupture de l’égalité des armes (Paris, 28 mai 2019, n° 17/03659).

La responsabilité de l’arbitre

Une nouvelle fois, les juridictions françaises sont saisies d’une action en responsabilité des arbitres (pour un autre exemple récent, v. Paris, 2 avr. 2019, n° 16/00136, Dalloz actualité, 17 avr. 2019, obs. J. Jourdan-Marques, préc.).

En l’espèce, une violation du contradictoire par le tribunal arbitral avait entraîné l’annulation de la sentence. L’une des parties à l’arbitre engage alors la responsabilité des membres du tribunal arbitral (Paris, 21 mai 2019, n° 17/12238).

La question est résolue en deux temps. Le premier temps concerne la question de savoir si la violation du contradictoire touche à la mission d’organisation de la procédure incombant aux arbitres et engage leur responsabilité de droit commun ou à la mission juridictionnelle du tribunal, la responsabilité n’étant alors engagée qu’en présence d’une faute personnelle équipollente au dol (v. not. Civ. 1re, 15 janv. 2014, n° 11-17.196, Dalloz actualité, 23 janv. 2014, obs. X. Delpech ; ibid. 2541, obs. T. Clay ; AJCA 2014. 35, obs. M. de Fontmichel ; RTD com. 2014. 315, obs. E. Loquin ; JCP 2014. 370, concl. P. Chevalier et note E. Loquin ; ibid. 131, obs. B. le Bars ; ibid. 1751, § 2, obs. J. Ortscheidt ; Procédures 2014. Comm. 72, obs. L. Weiller ; LPA 2014, n° 215, p. 14, obs. L. Degos ; Rev. arb. 2016. 493, note J.-S. Borghetti). La cour d’appel de Paris tranche en faveur de la mission juridictionnelle, en énonçant que « l’erreur commise par les arbitres remet en cause le contenu de leur décision dans la mesure où celle-ci est appuyée exclusivement sur une expertise accompagnée de pièces auxquelles la société tunisienne n’a pas eu un accès total en raison d’une traduction partielle effectuée selon des critères déterminés exclusivement par les arbitres. Cette erreur qui porte sur la mise en œuvre d’un principe de procédure civile essentiel gouvernant l’élaboration de la décision juridictionnelle et qui concerne en l’espèce les conditions d’admissibilité des pièces sur laquelle celle-ci est fondée, doit être considérée comme commise dans l’exercice des fonctions juridictionnelles du tribunal arbitral et ne peut donc être source de responsabilité que si elle est constitutive d’une faute telle que qualifiée ci-dessus ». La solution est intéressante car elle peut apparaître en contradiction avec la position de la Cour de cassation lorsqu’elle a connu du recours contre la sentence dans la présente affaire (Civ. 1re, 18 mars 2015, n° 13-22.391, D. 2015. 2588, obs. T. Clay ; JCP 2015. 977, note C. Duclercq). Un commentateur estimait qu’à la lecture de la décision, « la violation du principe du contradictoire du tribunal arbitral toucherait non pas à la sentence elle-même, mais à la manière dont les arbitres ont mené la procédure d’arbitrage » (C. Duclercq, obs. ss Civ. 1re, 18 mars 2015, JCP 2015. 977). C’est donc une appréciation différente qui est proposée par la cour d’appel, sur laquelle la Cour de cassation pourrait bien avoir à se prononcer.

Le deuxième temps de la discussion concerne la caractérisation de la faute. Il était reproché aux arbitres, et en particulier au président, d’avoir procédé eux-mêmes à des traductions partielles bien que la langue de l’arbitrage fût le français. Pour la cour d’appel, « les arbitres ont commis une erreur d’appréciation sur la portée et l’étendue du principe du contradictoire, sur laquelle ils n’ont pas été spécialement alertés, et alors qu’aucun élément versé aux débats ne permet de retenir que les parties non traduites aient pu comprendre des informations pertinentes ». Il y a donc bien une faute des arbitres, mais celle n’est « pas constituti[ve] d’une faute lourde et n’est pas de nature à engager la responsabilité des deux arbitres en cause ».

Bien que ces deux aspects soient intéressants, l’essentiel de cet arrêt est ailleurs. La principale difficulté en matière de responsabilité de l’arbitre tient dans l’articulation entre le recours en annulation et l’action en responsabilité. La cour d’appel souligne d’emblée que « la décision de la cour d’appel qui annule la sentence ne se prononce pas sur la responsabilité des arbitres et n’a pas autorité de la chose jugée à cet égard ». La solution est limpide. D’un point de vue théorique, elle est d’autant plus imparable que les arbitres ne sont pas parties au recours en annulation. En revanche, force est de constater que la mise en œuvre est délicate.

D’une part, la motivation de la cour d’appel pour identifier une violation du contradictoire par les arbitres est particulièrement sommaire : « le comportement du tribunal arbitral ayant consisté à fonder sa décision sur une expertise accompagnée de pièces qu’il avait partiellement traduites en dehors de l’acquiescement de la société Blow pack, constitue une violation du principe du contradictoire, laquelle a entraîné l’annulation de la sentence ». Pourtant, les arbitres entendaient discuter la matérialité des faits, l’arrêt signalant que « les deux arbitres font tout d’abord valoir qu’ils ont le droit de se défendre en contestant les violations du principe du contradictoire qui leur sont reprochées ». L’appréciation de la cour d’appel confine donc au défaut de motivation tant elle semble prendre pour acquis une violation du contradictoire constatée par une autre juridiction dans une procédure à laquelle les arbitres n’étaient pas dans la cause !

D’autre part, lorsqu’à juste titre, la cour ne reconnaît aucune autorité (positive) de la chose jugée à la décision d’annulation, il y a un véritable risque de contrariété de décision. Dans l’arrêt, la cour d’appel retient qu’« il ne ressort pas de ces éléments que la société X ait fait savoir aux arbitres que les traductions qu’ils avaient réalisées selon les consignes exposées dans la lettre du 29 septembre 2010 étaient insuffisantes et qu’il convenait que les pièces annexées au rapport de l’expert soient traduites dans leur intégralité afin de lui permettre d’en avoir une connaissance exacte ». Une telle motivation peut se traduire, dans le cas d’un recours en annulation, par une renonciation à se prévaloir d’une irrégularité procédurale (C. pr. civ., art. 1466). Pourtant, dans le recours contre la sentence, ce moyen a été écarté par la cour d’appel (Paris, 2 avr. 2013, n° 11/18244, D. 2013. 2936, obs. T. Clay ; Gaz. Pal. 2013, n° 125, p. 20, note C. Duclerq ; Rev. arb. 2014. 106, note L. Jaeger). Autrement dit, la renonciation n’a pas été caractérisée lors du recours contre la sentence, ce qui a conduit à l’annulation de celle-ci, mais est implicitement utilisée dans l’action en responsabilité pour refuser de voir dans le comportement des arbitres une faute lourde. Il s’agit là d’une utilisation exemplaire de l’absence d’autorité de la chose jugée de la première décision sur la seconde, mais d’une conséquence regrettable de l’absence de coordination entre les deux décisions (pour aller plus loin, v. S. Bollée, Les recours et les tiers en matière d’arbitrage, Rev. arb. 2018. 139, spéc. p. 156 s. ; J. Jourdan-Marques, Le contrôle étatique des sentences arbitrales internationales, op. cit., nos 251 s.). Une réflexion sur cette question s’impose.

 

Dalloz actualité a également publié les autres chroniques d’arbitrage de Jérémy Jourdan-Marques :

• Chronique d’arbitrage : la motivation au cœur du contrôle, le 24 déc. 2018 isset(node/193722) ? node/193722 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>193722
• Chronique d’arbitrage : la fin de la saga Tecnimont, le 29 janv. 2019 isset(node/194173) ? node/194173 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>194173
• Chronique d’arbitrage : le Venezuela gagne une bataille devant le juge de l’annulation, le 6 mars 2019 isset(node/194744) ? node/194744 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>194744
• Chronique d’arbitrage : la cour d’appel de Paris s’adonne à l’orfèvrerie juridique, le 17 avr. 2019 isset(node/195469) ? node/195469 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>195469

L’affaire Tapie, suite… et toujours pas fin ?

Le 9 juillet 2019, le tribunal correctionnel a lancé un pavé dans la mare en relaxant les prévenus poursuivis dans le cadre de l’arbitrage Tapie. La motivation est marquante. Au-delà de l’absence d’infraction constatée, le juge propose une analyse des faits bien différente de celle de la cour d’appel de Paris qui a ordonné la révision de la sentence.

 

L’arbitrage Tapie est naturellement l’affaire du moment et elle intéresse aussi bien les praticiens de l’arbitrage que les curieux (I). Pour autant, la présente livraison est riche en décisions. Néanmoins, très peu d’entre elles concernent des recours en annulation – bien que l’on doive d’ores et déjà signaler une solution importante en matière de contrôle de la motivation (Paris, 18 juin 2019, n° 17/04601) – et ce sont surtout des considérations plus générales sur les sentences qui retiendront notre attention (III). En revanche, on retrouve un lot désormais constant d’arrêts relatifs à la clause compromissoire (II), dont un est remarquable à propos des pouvoirs du juge d’appui (Paris, 6 juin 2019, n° 18/27939). Enfin, les interactions entre l’arbitrage et l’Union européenne sont de plus en plus nombreuses et deux décisions méritent d’être mentionnées (IV).

I – L’arbitrage Tapie

On croyait le volet civil définitivement refermé par la décision de la deuxième chambre civile du 11 janvier 2018 (irrecevabilité de la tierce opposition de l’arbitre contre la décision de révision, Civ. 2e, 11 janv. 2018, n° 16-24.740, Dalloz actualité, 23 janv. 2018, obs. J. Jourdan-Marques ; ibid. 2448, obs. T. Clay ; Procédures 2018, n° 3, p. 23, obs. L. Weiller ; JCP 2018. 595, note D. Mouralis ; ibid. 897, n° 6, obs. R. Libchaber). Le jugement rendu par le tribunal correctionnel de Paris le 9 juillet 2019 pourrait presque conduire à reconsidérer cette position ou, à tout le moins, à la questionner (T. corr. Paris, 9 juill. 2019, n° 18334000654). Les faits sont tellement connus que nous ne rappellerons que l’essentiel. L’arbitrage a opposé Monsieur Tapie et le Consortium de Réalisation (CDR) s’est soldé par une sentence rendue par un tribunal composé de trois arbitres, Messieurs Estoup et Bredin (coarbitres) et Monsieur Mazeaud (président). Toutefois, une fraude a été suspectée, l’arbitre Estoup étant soupçonné d’avoir manipulé l’arbitrage au profit de Monsieur Tapie avec la complicité notamment de son avocat, Maître Lantourne. S’en est suivi un recours en révision, accueilli par la cour d’appel de Paris (Paris, 17 févr. 2015, n° 13/13278, Dalloz actualité, 20 févr. 2015, obs. X. Delpech , note D. Mouralis ; ibid. 425, édito. T. Clay ; ibid. 2031, obs. L. d’Avout et S. Bollée  ; Rev. arb. 2015. 832, note P. Mayer ; JCP 2015. 289, note S. Bollée ; Procédures avr. 2015. Étude 4, obs. L. Weiller ; Cah. arb. 2015. 281, note A. de Fontmichel ; Gaz. Pal. 2015, n° 94, p. 17, note M. Boissavy ; ibid., n° 167, p. 22, obs. M. Nioche ; Bull. ASA 2016. 207, note M. Henry) et confirmé par la Cour de cassation (Civ. 1re, 30 juin 2016, nos 15-13.755, 15-13.904 et 15-14.145, Dalloz actualité, 30 août 2016, obs. X. Delpech ; ibid. 2025, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; ibid. 2589, obs. T. Clay ; Rev. crit. DIP 2017. 245, note J.-B. Racine  ; JCP 2016. 954, note S. Bollée ; Procédures 2016, n° 290, obs. L. Weiller ; Rev. arb. 2016. 1123, note P. Mayer ; Cah. arb. 2017. 339, note M. Henry). Dans le cadre de ce recours, la cour d’appel a considéré que le coarbitre a, par son attitude, « surpris par fraude la décision du tribunal arbitral ».

La fraude civile ayant justifié l’accueil du recours en révision, il convenait de s’interroger sur la caractérisation d’une fraude pénale. C’est ce qu’avait à juger le tribunal correctionnel de Paris, qui était saisi d’une action contre six prévenus – dont Messieurs Tapie, Estoup et Lantourne – accusés d’escroquerie. De façon plutôt inattendue, tous les prévenus sont relaxés.

Il ne nous appartient pas de faire un commentaire d’une décision fleuve – et qui a fait l’objet d’un appel – relevant du droit pénal et allant, à ce titre, bien au-delà du seul arbitrage. Ceci dit, quelques remarques peuvent être formulées. Il est évident que la qualification de « fraude procédurale » retenue dans le cadre du recours en révision ne préjugeait pas, ni en droit ni en fait, de la caractérisation d’une infraction pénale. Pour autant, la motivation de l’une et l’autre des décisions apparaît, à certains égards, en parfaite contradiction. Dans son arrêt du 17 février 2017, la cour d’appel de Paris n’avait pas mâché ses mots à l’égard de l’arbitre Estoup. On y lit notamment que ce coarbitre « s’est employé, à seule fin d’orienter la solution de l’arbitrage dans le sens favorable aux intérêts d’une partie, à exercer au sein du tribunal arbitral, un rôle prépondérant et à marginaliser ses coarbitres poussés à l’effacement par facilité, excès de confiance, parti pris voire incompétence ainsi qu’il résulte de leurs auditions et de la teneur du courrier adressé par l’un d’eux à l’intéressé ». À l’inverse, le tribunal correctionnel retient qu’« aucun élément du dossier ne vient accréditer la thèse selon laquelle P. Estoup aurait mis à profit son autorité, son expérience de haut magistrat et sa pratique des arbitrages pour exercer au sein du tribunal arbitral un rôle prépondérant et marginaliser ses coarbitres ».

De plus, l’arrêt de la cour d’appel concluait en retenant que « Monsieur Estoup, au mépris de l’exigence d’impartialité qui est de l’essence même de la fonction arbitrale, a, en assurant une mainmise sans partage sur la procédure arbitrale, en présentant le litige de manière univoque puis en orientant délibérément et systématiquement la réflexion du tribunal en faveur des intérêts de la partie qu’il entendait favoriser par connivence avec celle-ci et son conseil, exercé une influence déterminante et a surpris par fraude la décision du tribunal arbitral ». Presque en miroir, le tribunal correctionnel retient quant à lui que « les témoignages de M. Pierre Mazeaud et de M. Jean-Denis Bredin ainsi que l’analyse des échanges entre les arbitres en cours de délibéré n’ont pas permis de rapporter la preuve que M. Pierre Estoup ait présenté le litige d’une façon univoque ou biaisée de manière à orienter systématiquement la solution dans un sens favorable aux intérêts de la partie Tapie ». L’utilisation de termes parfaitement identiques est révélatrice d’une volonté de mettre en opposition les deux décisions.

Pour autant – et dans l’hypothèse d’une solution identique en appel – ce jugement peut-il remettre en cause le volet civil de l’affaire ? L’arrêt de la Cour de cassation du 30 juin 2016 a mis un terme au recours en révision en rejetant le pourvoi formé contre l’arrêt d’appel. L’article 603, alinéa 2, du code de procédure civile interdit tout recours en révision contre cette décision en disposant que « le jugement qui statue sur le recours en révision ne peut être attaqué par cette voie ». En outre, même à écarter cette règle, il ne semble pas que le jugement du tribunal correctionnel fasse apparaître une cause de révision prévue par l’article 595.

Une autre voie serait celle du pourvoi en cassation formé contre les deux arrêts pour contrariété de décisions. L’article 618 du code de procédure civile énonce que « la contrariété de jugements peut aussi, par dérogation aux dispositions de l’article 605, être invoquée lorsque deux décisions, même non rendues en dernier ressort, sont inconciliables et qu’aucune d’elles n’est susceptible d’un recours ordinaire ; le pourvoi en cassation est alors recevable, même si l’une des décisions avait déjà été frappée d’un pourvoi en cassation et que celui-ci avait été rejeté ». La mise en œuvre de ce dispositif implique, en premier lieu, que l’appel confirme la décision de première instance. Elle nécessite surtout, en second lieu, qu’une contradiction puisse être caractérisée entre les deux décisions. Sur ce point, la tâche est simplifiée par le fait que le pourvoi peut être dirigé contre deux décisions dont l’une émane du juge pénal et l’autre du juge civil, lorsqu’elles sont inconciliables et aboutissent à un déni de justice (Cass., ass. plén., 29 nov. 1996, n° 93-20.799, Sté Chaumet c/ Sté Claude Béhar, D. 1997. 6 ; JCP 1997, n° 12, p. 134, note T. Le Bars ; Cass., ch. mixte, 11 déc. 2009, n° 08-86.304, Sté Verica, D. 2010. 19, obs. C. Girault  ; JCP 2009. 583, obs. D. Cholet). En outre, la comparaison à réaliser n’est pas seulement entre les dispositifs, mais peut également avoir lieu entre motifs et dispositif (Cass., ass. plén., 3 juill. 2015, n° 14-13.205, Biancotto c/ Sté Le Crédit touristique des transports, D. 2015. 1496 ; Just. & cass. 2016. 407, étude M. Molinié-Ozenfant et B. Ridoux ; JCP 2015. 1566, note A. Botton ; Procédures 2015, n° 10, p. 11, obs. Y. Strickler).

Pour autant, plusieurs difficultés devraient se présenter face à l’auteur de cet éventuel pourvoi. Premièrement, la contradiction, si tant est qu’elle existe, se situe entre les motifs. En revanche, les dispositifs ne sont pas contradictoires, dès lors qu’une fraude civile n’est pas nécessairement équivalente à une fraude pénale. Deuxièmement, la contradiction se situe dans l’analyse du comportement du coarbitre Estoup. C’est ce comportement qui est à l’origine de la révision de la sentence, alors que celui de Monsieur Tapie ne justifie qu’indirectement la révision. Autrement dit, la principale victime de la contradiction est le coarbitre. Cependant, il convient de rappeler que l’arbitre n’est pas partie au recours en révision. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il avait exercé une tierce opposition contre l’arrêt (Civ. 2e, 11 janv. 2018, n° 16-24.740, préc.). Celle-ci a été rejetée faute d’intérêt à agir. On voit mal, par conséquent, la Cour de cassation retenir à son profit un intérêt à agir pour contester la contrariété entre l’arrêt statuant sur le recours en révision et la décision du tribunal correctionnel. En revanche, Monsieur Tapie était relativement épargné par la décision du 17 février 2015 relative au recours en révision. Il convient donc de déterminer si Monsieur Tapie peut se prévaloir d’une éventuelle contradiction entre les motifs disculpant Monsieur Estoup et ceux justifiant la révision de la sentence arbitrale. On serait là sur une appréciation particulièrement extensive du pourvoi pour cause d’inconciliabilité qui, en principe, les décisions doivent être inconciliables dans leur exécution (Civ. 2e, 19 mars 2015, n° 14-16.275, Dalloz actualité, 18 mai 2015, obs. M. Kebir isset(node/172071) ? node/172071 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>172071). Or, force est de constater que ce n’est pas le cas en l’espèce. En tout état de cause, si le volet pénal se poursuit avec l’appel, on ne sera pas totalement étonné de voir le volet civil s’ouvrir de nouveau.

II – La clause compromissoire

A – La qualification de clause compromissoire

S’il existe un grand nombre de modèles de clauses compromissoires qui permettent de n’avoir aucun doute sur la volonté exprimée, il arrive que les parties laissent libre cours à leur imagination et décident de rédiger leur propre clause. C’est souvent à cet instant que les ennuis commencent. Dans une affaire (Lyon, 4 juin 2019, n° 19/00698), le cahier des clauses générales contenait une clause formulée ainsi : « Pour le règlement des contestations qui peuvent s’élever à l’occasion de l’exécution ou du règlement du marché, les parties contractantes doivent se consulter pour examiner l’opportunité de soumettre leur différend à un arbitrage, ou pour refuser l’arbitrage. Sauf disposition contraire du CCAP, les litiges qui n’auraient pu être réglés par arbitrage sont portés devant le tribunal du lieu de l’exécution des travaux ». Il s’agissait pour le juge de déterminer si une telle clause devait être qualifiée de compromissoire. C’est une réponse négative qui est prononcée par la cour, qui décide que « cette disposition n’institue pas une clause de conciliation préalable ni une clause compromissoire, mais un simple préalable dont le non-respect n’est pas sanctionné par l’irrecevabilité des demandes portées directement devant le juge ». La solution paraît convaincante. Avant de renvoyer le litige à l’arbitre, encore convient-il de s’assurer que la clause opposée est bien une clause compromissoire. Autant le principe compétence-compétence justifie une appréciation superficielle, autant la nature de la clause doit pouvoir être discutée devant le juge. Autrement dit, le juge peut qualifier la clause sans être limité dans ses pouvoirs. Une fois la qualification de clause compromissoire établie, le principe compétence-compétence impose un renvoi du litige devant les arbitres pour déterminer la validité et l’applicabilité de la clause au litige.

B – Les effets de la clause compromissoire

Le principal effet de la clause compromissoire réside dans l’incompétence des juridictions judiciaires pour connaître du litige. Le juge est amputé du pouvoir de vérifier la compétence de l’arbitre par l’effet du principe compétence-compétence (1). En revanche, une question beaucoup plus originale s’est posée devant la cour d’appel de Paris : il s’agissait de savoir si, en présence d’une clause compromissoire combinée à une clause de conciliation préalable, le juge d’appui pouvait contrôler la mise en œuvre de cette dernière avant de procéder à la désignation des arbitres (2). Enfin, la question du référé-provision devant le juge judiciaire nécessite d’en apprécier les conditions de recevabilité (3).

1 – Le principe compétence-compétence

Il n’est pas rare qu’un défendeur tente de faire échec à une action intentée devant les juridictions judiciaires en opposant une clause compromissoire au demandeur. La particularité de ce contentieux est d’être susceptible de se présenter devant n’importe quelle juridiction française, contrairement au contentieux post-arbitral, qui est très souvent concentré devant la cour d’appel de Paris. La difficulté tient alors au caractère spécifique du droit de l’arbitrage. Il en résulte très souvent des décisions qui ignorent le principe compétence-compétence. Depuis le début du mois de juin, on peut identifier pas moins de six décisions rendues en matière de compétence (Aix, 27 juin 2019, n° 17/02153 ; Aix, 13 juin 2019, n° 18/18352 ; Cayenne, 24 juin 2019, n° 19/00062 ; Lyon, 12 juin 2019, n° 18/07247 ; Paris, 12 juin 2019, n° 19/08056 ; Bourges, 11 juill. 2019, n° 19/00152). Toutes ces décisions (sauf celle de la cour d’appel de Bourges), qu’elles accueillent l’exception de procédure ou qu’elles la rejettent, violent de façon plus ou moins importante le principe compétence-compétence (même la décision de la cour d’appel de Paris, qui est rendue par une chambre non-spécialiste d’arbitrage).

Pour mémoire, lorsqu’une clause compromissoire est invoquée devant le juge judiciaire, l’article 1448, alinéa 1er, du code de procédure civile énonce que la juridiction « se déclare incompétente sauf si le tribunal arbitral n’est pas encore saisi et si la convention d’arbitrage est manifestement nulle ou manifestement inapplicable ». Il s’agit là de l’effet négatif du principe compétence-compétence. Ce principe est appliqué avec une grande rigueur par la Cour de cassation, et de façon parfaitement identique en matière interne ou internationale. Jean-Baptiste Racine enseigne qu’il est nécessaire que « l’inapplicabilité de la convention d’arbitrage soit évidente au prix d’un simple examen sommaire » (J.-B. Racine, Droit de l’arbitrage, PUF, 2016, n° 366). En somme, il est prohibé au juge auquel une clause compromissoire est opposée de réaliser un examen complet de la question. Il doit se limiter à constater l’existence d’une clause et renvoyer les contestations relatives à celle-ci devant l’arbitre.

On comprend aisément pourquoi ce principe est difficilement appréhendé par les juridictions judiciaires. Il implique une forme d’autocensure à laquelle il est légitimement possible d’être réfractaire. C’est la raison pour laquelle, même lorsqu’ils renvoient finalement à l’arbitrage, les juges ont une tendance significative à réaliser un examen approfondi.

Prenons l’exemple de l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 12 juin 2019. Dans le cadre d’une opération de vente de blé, la société Sovarex acquiert le marchandise à la société Ameropa pour la revendre à la société Commitrade. La Sovarex n’ayant pas payé Ameropa, la marchandise est bloquée, ce qui conduit Commitrade à payer Ameropa pour le compte de Sovarex. Afin de se faire rembourser le montant payé, Commitrade assigne Sovarex devant les juridictions judiciaires. Sovarex oppose la clause compromissoire contenue dans son contrat. Commitrade considère, quant à elle, qu’elle agit en vertu du rapport juridique liant Sovarex et Ameropa et que le contrat ne contient aucune clause compromissoire.

Indépendamment de la pertinence du raisonnement juridique avancé par Commitrade, la seule question à laquelle la cour d’appel doit répondre est de savoir s’il y a une clause compromissoire potentiellement applicable à l’action. Dès lors qu’une telle clause existe – d’autant plus qu’elle se trouve dans le contrat liant les parties au litige – il n’y a pas d’autre solution que de renvoyer les parties à l’arbitrage. Pourtant, la cour d’appel de Paris propose un raisonnement plus élaboré. Elle énonce notamment que le litige trouve son origine dans le contrat contenant la clause et que cette dernière est suffisamment large pour s’appliquer en l’espèce. De tels motifs sont superflus. Ils conduisent à anticiper la résolution du litige sur la compétence par l’arbitre. En voulant conforter la compétence arbitrale, le juge va au-delà des prérogatives qui lui sont confiées. Le principe compétence-compétence n’est pas respecté, quand bien même la solution est favorable à l’arbitrage. C’est là toute la difficulté du principe compétence-compétence : que ce soit pour accueillir ou écarter l’exception d’incompétence, le juge doit se livrer à une appréciation extrêmement superficielle. Toute motivation supplémentaire est, au mieux, surabondante, au pire, susceptible d’entraîner la cassation. Il en ira ainsi chaque fois que le juge écarte la clause et retient sa compétence après un examen approfondi (V. not., Aix, 27 juin 2019, n° 17/02153 ; Aix, 13 juin 2019, n° 18/18352 ; Lyon, 12 juin 2019, n° 18/07247).

Néanmoins, on terminera sur ce point en rappelant que la responsabilité ne repose pas intégralement sur la cour d’appel. En effet, il ne suffit pas à une partie d’invoquer une clause compromissoire ; encore faut-il se prévaloir de l’effet négatif du principe compétence-compétence en fondant son argumentation sur l’article 1448 du code de procédure civile. Or certains arrêts ne mentionnent même pas cette disposition (Aix, 27 juin 2019, n° 17/02153 ; Lyon, 12 juin 2019, n° 18/07247). La question est donc de savoir si le défendeur en a fait mention dans ses conclusions. À défaut, le moyen n’a pas a être relevé d’office et ne peut être soutenu pour la première fois devant la Cour de cassation (Civ. 1re, 19 déc. 2018, n° 17-28.233, Dalloz actualité, 6 mars 2019, obs. J. Jourdan-Marques isset(node/194744) ? node/194744 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>194744).

2 – La désignation des arbitres par le juge d’appui

L’arrêt rendu le 6 juin 2019 par la cour d’appel de Paris est important et sera sûrement abondamment commenté tant la solution est intéressante théoriquement et fondamentale en pratique (Paris, 6 juin 2019, n° 18/27939). L’arrêt est très pédagogique et il suffit de reproduire l’essentiel du raisonnement pour le comprendre. La question posée était de savoir « qui, du juge d’appui ou du tribunal arbitral, a le pouvoir d’apprécier la fin de non-recevoir tirée par les intimées du non respect prétendu de la procédure de conciliation/médiation préalable ». La cour répond que « l’article 1465 […] prévoit que le tribunal arbitral est seul compétent pour statuer sur les questions relatives à son pouvoir juridictionnel ». Il en résulte que « l’ordonnance […] qui a retenu l’irrecevabilité de la demande de désignation des arbitres faute de médiation préalable doit donc être annulée pour excès de pouvoir [et] il doit donc être procédé à la désignation des arbitres choisis à titre subsidiaire par les intimées ».

La solution est simple, claire et efficace : le juge d’appui saisi ne peut refuser de désigner un arbitre que dans l’hypothèse prévue à l’article 1455 du code de procédure civile, à savoir « si la convention d’arbitrage est manifestement nulle ou manifestement inapplicable ». Il ne peut en revanche pas vérifier la mise en œuvre de la clause de conciliation préalable à l’arbitrage, question qui relève de l’arbitre.

Néanmoins, l’arrêt va plus loin et propose un véritable moment de réflexion doctrinale. Comme le faisait remarquer le défendeur, en matière de contrôle de la sentence arbitrale, le juge du recours n’examine pas les questions relatives au respect de la clause de conciliation préalable dans le cadre du cas d’ouverture relatif à la compétence de l’arbitre (Paris, 28 juin 2016, n° 15/03504, Rev. arb. 2016. 1157, note J. Barbet ; Gaz. Pal. 2016. 37, obs. D. Bensaude ; Paris, 29 janv. 2019, n° 16/20822, Dalloz actualité, 6 mars 2019, obs. J. Jourdan-Marques isset(node/194744) ? node/194744 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>194744). Autrement dit, cette question ne relève pas de la compétence et ne devrait pas être écartée par le principe compétence-compétence. L’objection est très sérieuse. Comment refuser d’un côté, que cette question soit soumise au contrôle du juge de l’annulation qui vérifie l’existence d’un pouvoir juridictionnel de l’arbitre sur le fondement des articles 1492.1° ou 1520.1° du code de procédure civile et, de l’autre côté, comme le fait la cour d’appel, retenir qu’il s’agit d’une question relative au pouvoir juridictionnel de l’arbitre ? En réalité, on se trouve ici au cœur des ambiguïtés relatives à la notion de pouvoir juridictionnel, qui demeure extrêmement délicate à définir (P. Théry, Pouvoir juridictionnel et compétence [étude de droit international privé], thèse, Paris II, 1981, n° 19, p. 20). Implicitement, la cour d’appel distingue la notion de compétence de la notion de pouvoir, la première étant plus restrictive que la seconde. La compétence renvoie à l’arbitrabilité du litige, à la validité de la clause et à son champ d’application (V. not., J. Jourdan-Marques, Le contrôle étatique des sentences arbitrales internationales, préf. T. Clay, LGDJ, coll. « Bibliothèque de droit privé », 2017, n° 401) ; le pouvoir englobe les questions de compétence, auxquelles il faut ajouter les discussions relatives à la recevabilité de l’action, qu’il s’agisse de la prescription, de l’autorité de la chose jugée ou encore, comme ici, de la clause de conciliation préalable. Or si toutes le questions relatives au pouvoir sont de la compétence exclusive de l’arbitre (C. pr. civ., art. 1465), seules celles relevant de la compétence peuvent faire l’objet d’un contrôle a posteriori par le juge étatique. Cette solution peut largement être discutée. Elle a toutefois le mérite d’exister.

Deux remarques peuvent être encore formulées à l’égard de cette décision. D’une part, pour asseoir sa solution, la cour d’appel ajoute que « le défaut de pouvoir du juge d’appui pour connaître des questions relatives au pouvoir juridictionnel du tribunal arbitral et donc de la fin de non-recevoir soulevée par les intimés et tirée du non-respect prétendu de la procédure préalable de conciliation/médiation est en cohérence avec son rôle spécifique d’assistance à l’arbitrage, de facilitateur de la procédure arbitrale que suggère cette appellation, venue du droit suisse, utilisée par la pratique et entrée dans les textes à l’occasion de la réforme du 13 janvier 2011 ». Voilà une belle formule qui s’appuie sur la ratio legis des textes instaurant le juge d’appui et sur le droit comparé, ce qui est suffisamment rare pour être souligné. D’autre part, on peut se demander si une autre voie – d’ailleurs invoquée par l’intimé – n’était pas empruntable. Dans son raisonnement, la cour d’appel s’est placée sur le fond du débat, alors qu’elle aurait pu rester sur le terrain de la procédure. Lorsqu’une clause de conciliation préalable et une clause compromissoire se retrouvent dans un même contrat, la mise en œuvre de la seconde est conditionnée à l’échec de la première. Il n’était pas interdit de considérer que, d’un point de vue procédural, le non-respect de la clause doive s’analyser en une condition de recevabilité de l’action et non une défense au fond. En conséquence, peu importe la présence d’une clause compromissoire dans le contrat, dès lors que le non-respect d’une clause de conciliation préalable est une fin de non-recevoir faisant obstacle à la saisine du juge judiciaire (et du juge d’appui). Une telle approche pouvait se prévaloir d’un arrêt récent ayant retenu que le principe de l’estoppel est de nature à faire échec au principe compétence-compétence (Civ. 1re, 28 févr. 2018, n° 16-27.823, D. 2018. 2448, obs. T. Clay ; RTD civ. 2018. 482, obs. N. Cayrol  ; Gaz. Pal. 2018, n° 27, p. 19, obs. D. Bensaude ; JDI 2018. Comm. 18, note J. Jourdan-Marques). Si nous avons pu critiquer fortement ce dernier arrêt, il n’en demeure pas moins qu’il serait intéressant de connaître l’appréciation qui en sera faite par la Cour de cassation.

3 – Le référé-provision exercé devant le juge judiciaire

Le juge étatique est également susceptible d’accorder des mesures conservatoires, notamment un référé-provision. Ceci étant, trois conditions doivent être réunies : la condition du caractère non sérieusement contestable de la créance – condition classique du référé-provision ; l’absence de constitution du tribunal arbitral – condition énoncée par l’article 1449 du code de procédure civile ; l’urgence de la situation – condition spécifique à l’arbitrage (sur laquelle, v. C. Seraglini et J. Ortscheidt, Droit de l’arbitrage interne et international, Lextenso éditions, Montchrestien, coll. « Domat, Droit privé », 2013, n° 693 ; J.-B. Racine, Droit de l’arbitrage, op. cit., nos 305 s.). Deux exemples en sont donnés par la cour d’appel de Paris (Paris, 6 juin 2019, n° 18/27683 ; Paris, 26 juin 2019, n° 19/02646) qui fait preuve de fermeté dans l’appréciation de cette dernière condition. Le premier arrêt prend en considération le délai entre l’exigibilité de la créance et la demande ainsi que les stipulations contractuelles pour écarter la demande ; le second s’intéresse à la situation financière du demandeur et du défendeur pour rejeter l’action.

III – La sentence

Les arrêts portant sur la sentence arbitrale sont de nature très variée. On trouve d’abord une décision apportant d’intéressantes précisions sur les frais d’arbitrage (A) et une autre sur l’autorité de la chose jugée de la sentence (B). Ensuite, des décisions portent sur des aspects procéduraux des voies de recours, notamment en présence d’une partie étrangère (C) et la tierce opposition contre une ordonnance d’exequatur (D). Enfin, plusieurs arrêts concernent les cas d’ouverture du recours (E).

A – Les frais d’arbitrage

On dit souvent qu’« un mauvais accord vaut mieux qu’un bon procès ». Pire, il est certain qu’un mauvais accord vaut mieux qu’un mauvais procès. C’est en tout cas le conseil qui aurait dû être donné à une partie condamné à payer près de 240 000 € (somme approximative, la condamnation étant libellée en plusieurs devises) en divers frais de procédure à son adversaire auquel il devait… 40 000 GBP… La sentence arbitrale était contestée en ce qu’elle avait condamné le débiteur à payer au créancier la somme de 120 000 GBP au titre « de frais de représentation ». Ces frais correspondaient au temps passé par l’associé unique de la société pour suivre l’arbitrage et préparer sa défense, celui-ci n’ayant pas sollicité de cabinet d’avocat externe. La somme avait été appréciée par l’arbitre par équivalence avec le montant des honoraires que l’associé a dû renoncer à facturer à d’autres clients du fait du temps consacré au suivi de la procédure d’arbitrage. Les griefs formulés à l’encontre de la sentence sont tous écartés (Paris, 25 juin 2019, n° 16/04150). Il en résulte que, moyennant une motivation adéquate et une soumission à un débat contradictoire, les frais internes générés par l’arbitrage peuvent faire l’objet d’une réparation au titre des frais d’arbitrage, ce dont on peut se réjouir. Il n’est en effet pas normal qu’une partie assurant une partie des tâches liées à sa défense soit moins bien indemnisée que celle déléguant l’intégralité du travail à un représentant.

B – L’autorité de la chose jugée de la sentence

L’article 1484 du code de procédure civile énonce que « la sentence arbitrale a, dès qu’elle est rendue, l’autorité de la chose jugée relativement à la contestation qu’elle tranche ». Cette autorité de la chose jugée n’est remise en cause que par l’annulation de la sentence sur le fondement des articles 1491 et suivants (en matière interne) ou 1518 et suivants (en matière internationale) du code de procédure civile. En matière interne, lorsque la juridiction annule la sentence arbitrale, elle statue sur le fond dans les limites de la mission de l’arbitre, sauf volonté contraire des parties (C. pr. civ., art. 1493). Deux questions se posent alors : celle de l’autorité de la sentence ou de la partie de la sentence n’étant pas annulée et celle des prétentions recevables devant le juge. C’est sur ces deux questions que se prononce un arrêt du 2 juillet 2019 (Paris, 2 juill. 2019, n° 14/25565). Sur quatre sentences rendues par le tribunal arbitral, une sentence avait été annulée intégralement et la seconde partiellement.

D’une part, en toute logique, la cour retient que l’autorité de la chose jugée de la sentence n’ayant pas été annulée s’oppose à la recevabilité d’une prétention déjà examinée. Il en va seulement différemment « lorsque des événements postérieurs sont venus modifier la situation antérieurement reconnue par la justice ». Une telle solution existe également pour une décision judiciaire (Civ. 2e, 17 mars 1986, n° 84-12.635, Bull. civ. II, n° 41). Cependant, faute de faits nouveaux, la demande est jugée, en l’espèce, irrecevable.

D’autre part, la partie se prévalait de la caducité de la cession de parts objet du litige. Le juge d’appel constate expressément que cette demande « n’a pas été soumise au tribunal arbitral ». Toutefois, il juge la demande irrecevable. En effet, la sentence a ordonné l’exécution de cette cession et a donc, implicitement, jugé que la cession de parts n’était pas caduque. Ainsi, la cour fait peser sur la partie une obligation de concentration des moyens – voire une obligation de concentration des demandes, sauf à considérer que la question puisse être soumise à un autre tribunal arbitral.

En revanche, sont recevables les prétentions qui se rattachent par un lien suffisant de dépendance aux prétentions originaires tranchées par la sentence annulée. Sur ce point, il s’agit de déterminer la signification de la formule selon laquelle le juge statue sur le fond « dans les limites de la mission de l’arbitre » : les demandes dont est saisi le juge doivent-elles être parfaitement identiques à celles tranchées par l’arbitre ? La réponse est négative, il suffit d’établir l’existence d’un « lien suffisant de dépendance aux prétentions originaires ».

C – Les spécificités procédurales du recours en présence d’une partie étrangère

Il est fréquent, si ce n’est systématique, qu’en matière d’arbitrage international, une partie – voire les deux – soit d’origine étrangère. De très nombreuses questions peuvent en découler.

1 – L’indication du domicile dans le recours

On signalera, à titre liminaire, que l’indication du domicile n’a pas à être mise à jour au fur et à mesure de la procédure judiciaire. La Cour de cassation énonce que « s’il résulte de l’article 975 du code de procédure civile que la déclaration de pourvoi comporte, à peine de nullité, l’indication du domicile du demandeur à la cassation, aucun texte ne lui impose de faire connaître son changement de domicile ultérieur » (Civ. 1re, 11 juill. 2019, n° 17-20.423). En outre, malgré le changement de domicile moins d’une semaine après l’acte, aucune présomption n’est posée venant remettre en doute la sincérité de la mention dans l’acte de saisine de la juridiction. Si cette solution n’est pas spécifique aux sociétés étrangères, elle est susceptible de rendre bien plus complexe la signification des actes à l’étranger.

2 – La signification d’un acte à l’étranger

La signification d’un acte du procès à une partie étrangère peut être extrêmement complexe, dès lors qu’il convient de suivre une procédure spécifique prévue par les articles 683 et suivants du code de procédure civile. L’un des risques résulte du silence des autorités étrangères, paralysant ainsi le recours devant le juge français. Cependant, le juge n’est pas démuni. L’article 688 du code de procédure civile dispose que « s’il n’est pas établi que le destinataire d’un acte en a eu connaissance en temps utile, le juge saisi de l’affaire ne peut statuer au fond que si les conditions ci-après sont réunies : 1° L’acte a été transmis selon les modes prévus par les règlements communautaires ou les traités internationaux applicables ou, à défaut de ceux-ci, selon les prescriptions des articles 684 à 687 ; 2° Un délai d’au moins six mois s’est écoulé depuis l’envoi de l’acte ; 3° Aucun justificatif de remise de l’acte n’a pu être obtenu nonobstant les démarches effectuées auprès des autorités compétentes de l’État où l’acte doit être remis ». Autrement dit, le recours exercé par l’appelant ne sera pas bloqué par la carence des autorités étrangères, le juge pouvant outrepasser le silence de celle-ci à l’expiration d’un certain délai et en fonction des diligences entreprises (V. Civ. 2e, 11 avr. 2019, n° 17-31.497, Dalloz actualité, 6 mai 2019, obs. F. Mélin isset(node/195534) ? node/195534 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>195534 ; JCP 2019. 1084, note K. Mehtiyeva).

Il est en revanche beaucoup plus original – et à dire vrai particulièrement inquiétant – que les carences proviennent des autorités françaises. C’est pourtant ce qui semble s’être passé dans une affaire soumise à la cour d’appel de Paris (Paris, 18 juin 2019, n° 17/04601). Après une relance de la partie au litige ayant suivi la procédure exigée par le code, il a été répondu que « compte tenu du nombre d’actes en retour après notification ou tentative de notification à l’étranger non encore traités, la section compétente du parquet de Paris n’est pas en mesure actuellement d’indiquer que cet acte lui a été retourné ». La cour était confrontée à la délicate situation d’un intérêt à sacrifier au profit de l’autre : celui du demandeur et son intérêt à voir sa prétention tranchée dans un délai raisonnable et celui du défendeur à exercer ses droits de la défense. Afin de ne pas handicaper la partie demanderesse, la cour d’appel de Paris décide de passer outre ce défaut de notification et, constatant les diligences réalisées, accepte de statuer par défaut. C’est un goût amer que laisse néanmoins cette solution, et on n’oubliera pas que la France est susceptible d’engager sa responsabilité, si elle est fautive dans l’exécution des notifications à l’étranger.

3 – Le respect des délais de la procédure d’appel

Il résulte des articles 1495 et 1527 du code de procédure civile que le recours en annulation est formé, instruit et jugé selon les règles relatives à la procédure en matière contentieuse prévues aux articles 900 à 930-1 du même code. Selon l’article 909 du code de procédure civile, dans sa rédaction antérieure au décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, applicable en la cause, « l’intimé dispose, à peine d’irrecevabilité relevée d’office, d’un délai de deux mois à compter de la notification des conclusions de l’appelant prévues à l’article 908 pour conclure et former, le cas échéant, appel incident ». Ce délai se trouve augmenté de deux mois, en application de l’article 911-2 du même code lorsque l’intimé réside à l’étranger. La partie étrangère soutenait pourtant que ces délais n’étaient pas applicables à un recours contre la sentence arbitrale et que, en outre, ils étaient contraires à l’article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l’homme. Toutefois, la cour d’appel de Paris balaie ces arguments et confirme, sans surprise, l’applicabilité des délais Magendie aux contestations portant sur des sentences arbitrales internes ou internationales (Paris, 18 juin 2019, n° 17/04601).

D – La tierce opposition contre l’ordonnance d’exequatur d’une sentence

Une sentence arbitrale a condamné l’État libyen à indemniser des investisseurs, qui ont obtenu l’exequatur de la sentence en France et fait pratiquer des saisies contre la Banque centrale de Libye. Cette dernière a formé une contestation contre cette mesure d’exécution en faisant notamment valoir qu’elle n’avait pas été condamnée par la sentence et qu’elle n’était pas une émanation de l’État libyen. Elle a par ailleurs saisi la cour d’appel de Paris d’une tierce opposition contre l’arrêt confirmant l’ordonnance d’exequatur de la sentence arbitrale. L’action est sèchement déclarée irrecevable par la cour d’appel de Paris : « En premier lieu, il convient de relever que si en matière d’arbitrage interne, la voie de la tierce opposition est ouverte en application de l’article 1501 du code de procédure civile, l’article 1506 du code de procédure civile ne renvoyant pas à ce texte, pour les sentences rendues en France en matière internationale et pour les sentences rendues à l’étranger, celles-ci ne peuvent pas être frappées d’une tierce opposition. En second lieu, comme le soutient la société B-C, le seul recours ouvert contre l’ordonnance d’exequatur d’une sentence rendue à l’étranger est l’appel prévu par l’article 1525 du code de procédure civile, dans les cas d’ouverture énumérés par l’article 1520 du code de procédure civile qui visent la sentence elle-même et non l’ordonnance d’exequatur qui n’est donc en tant que telle, susceptible d’aucun recours. Dès lors, la tierce opposition à l’arrêt d’appel statuant sur la décision qui accorde l’exequatur à une sentence rendue à l’étranger, permettrait si elle était admise, à un tiers à la convention d’arbitrage et à l’instance arbitrale, d’opposer aux parties à cette convention et cette instance, des moyens visant la sentence elle-même alors qu’aucun recours n’est ouvert aux tiers contre la sentence rendue à l’étranger » (Paris, 28 mai 2019, n° 16/21946).

L’irrecevabilité de la tierce opposition n’étonnera aucun spécialiste à l’arbitrage. Contrairement à la matière interne, les dispositions du code de procédure civile sur l’arbitrage international ne font aucune référence à la possibilité, pour les tiers, de former une tierce opposition contre la sentence arbitrale. L’article 1506 du code de procédure civile ne renvoie pas à l’article 1501 du même code, excluant toute tierce opposition. Ce silence est classiquement analysé comme excluant toute tierce opposition contre la sentence arbitrale internationale (Civ. 1re, 8 oct. 2009, n° 07-21.990, Bull. civ. I, n° 201 ; D. 2009. 2959, obs. T. Clay ; JCP 2010. I. 644, § 6, obs. J. Béguin ; Rép. dr. com., act. nov. 2009, p. 6, obs. X. Delpech ; C. Seraglini, Les effets de la sentence, Rev. arb. 2013. 705, n° 11). Dans la présente espèce, la cour d’appel se contente d’étendre la solution à la décision accordant l’exequatur à la sentence.

Pourtant, un arrêt, rendu en matière interne, ouvrait la voie à une évolution du droit positif (Com. 5 mai 2015, n° 14-16.644, D. 2015. 1046 ; ibid. 1810, obs. P. Crocq ; ibid. 2588, obs. T. Clay ; Rev. sociétés 2016. 317, note B. Le Bars ; RTD civ. 2015. 882, obs. H. Barbier ; ibid. 933, obs. P. Théry ; RTD com. 2016. 59, obs. E. Loquin ; JCP 2015, n° 21, p. 981, note J.-B. Perrier ; Lexbase Hebdo 2015, n° 427, note D. Nemtchenko ; JCP E 2015, 2362, note J. Jourdan-Marques ; Procédures 2015. Comm. 264, note L. Weiller ; Gaz. Pal. 2015, n° 263-265, p. 27, note L. Mayer ; JCP 2015, doctr. 1304, obs. R. Libchaber ; ibid., doctr. 877, n° 6, obs. J. Ortscheidt ; JCP 2015, doctr. 1222, obs. P. Simler), d’autant qu’une partie de la doctrine milite désormais en ce sens (T. Clay, « Liberté, égalité, efficacité » : la devise du nouveau droit français de l’arbitrage. Commentaire article par article (Deuxième partie), JDI 2012, p. 815, spéc. p. 841 ; J. Jourdan-Marques, Le contrôle étatique des sentences arbitrales internationales, préf. T. Clay, LGDJ, coll. « Bibliothèque de droit privé », 2017, nos 230 s. et 245 s. ; v. égal., mais de façon moins tranchée, C. Seraglini, Les effets de la sentence, préc., n° 24 ; E. Loquin, Perspective pour une réforme des voies de recours, Rev. arb. 1992. 321, n° 28 ; S. Bollée, Les effets des sentences arbitrales à l’égard des tiers, Rev. arb. 2015. 695, nos 25 et s. ; S. Bollée, Les recours et les tiers en matière d’arbitrage, Rev. arb. 2018. 139 ; S. Lemaire, L’opposabilité de la sentence arbitrale aux tiers. Approche critique du droit français, in Mélanges en l’honneur du Professeur Pierre Mayer, LGDJ, Lextenso éditions, 2015, p. 465, nos 37 s.). L’exclusion de la tierce opposition en matière internationale ne semble pas trouver de fondement solide. Elle est d’ailleurs admise en droit comparé (art. 831, al. 3, du code de procédure civile italien : « La sentence arbitrale est susceptible de tierce opposition dans les cas prévus à l’article 404 »). La fermeture de cette voie de recours a pour conséquence de laisser les tiers dans une situation précaire. En effet, ils se retrouvent exclus de la procédure arbitrale, mais pourront se voir opposer la sentence avec des effets proches de l’autorité de la chose jugée, sans pouvoir former une tierce opposition contre celle-ci. Pour autant, les faits de l’espèce étaient un peu particuliers : ce n’est pas tant la sentence qui était attaquée par cette voie que l’ordonnance d’exequatur. On peut donc se demander si c’est cette décision que le demandeur avait intérêt à attaquer par la voie de la tierce opposition.

E – Les cas d’ouverture du recours

1 – La compétence du tribunal

a – Clause d’arbitrage et clause de la nation la plus favorisée

Les traités d’investissement contiennent régulièrement des clauses d’arbitrage. Mais ils peuvent également contenir des clauses dites « de la nation la plus favorisée ». Ces clauses permettent de bénéficier d’un avantage accordé aux ressortissants d’un autre État dans un autre traité. La question est alors de savoir si l’investisseur peut se prévaloir de la clause de la nation la plus favorisée pour bénéficier de la clause d’arbitrage contenue dans un autre traité. C’est une réponse négative qu’apporte la cour d’appel de Paris, qui énonce que « la clause de la nation la plus favorisée, qui étend au traitement des ressortissants d’un État partie à un traité les avantages accordés aux ressortissants d’un autre traité de protection conclu avec un autre État partie, ne concerne que les avantages substantiels contenus dans les traités d’investissement, dont notamment le traitement national, le traitement juste et équitable et les conditions d’expropriation. Cette clause n’a pas vocation à s’étendre aux avantages procéduraux de règlement des différends prévus dans les traités de protection des investissements et notamment à l’extension de la délimitation de la compétence des arbitres ». Sous couvert d’une solution simple, la cour d’appel de Paris s’attaque en réalité à une question hautement controversée et rend une décision qui tranche de façon radicale avec une partie de la jurisprudence arbitrale (C. Crépet Daigremont, Consentement à l’arbitrage et clause de la nation la plus favorisée, in Droit international des investissements et de l’arbitrage transnational, ss. la dir. de C. Leben, Pedone, 2015, ch. 19, p. 727). Celle-ci ne manquera pas de faire l’objet d’importants débats dans les mois à venir.

b – Le délai d’arbitrage

La mission du tribunal arbitral est limitée dans le temps. L’article 1463 du code de procédure civile énonce que « si la convention d’arbitrage ne fixe pas de délai, la durée de la mission du tribunal arbitral est limitée à six mois à compter de sa saisine ». Faute pour l’arbitre de respecter ce délai, la sentence encourt l’annulation sur le fondement de l’article 1492 (ou 1520) 1° ou 3° (la jurisprudence continue à recourir au 1° malgré le décret n° 2011-48 du 13 janvier 2011 portant réforme de l’arbitrage qui l’invite à le réaliser désormais sur le fondement du 3° : C. Seraglini et J. Ortscheidt, Droit de l’arbitrage interne et international, op. cit., n° 318). Des discussions peuvent émerger concernant le point de départ de ce délai. L’article 1456, alinéa 1er, du code de procédure civile est utilisé à cette fin. Celui-ci énonce que « le tribunal arbitral est constitué lorsque le ou les arbitres ont accepté la mission qui leur est confiée. À cette date, il est saisi du litige ». La saisine est donc présumée avoir lieu lors de l’acceptation de sa mission par le tribunal arbitral. Néanmoins, les parties sont susceptibles de modifier ce point de départ, sur le fondement de l’article 1461 du code de procédure civile, qui en fait une disposition supplétive de volonté.

C’est cette voie que tentait d’emprunter une partie dans un litige soumis à la cour d’appel de Versailles (Versailles, 4 juin 2019, n° 17/06632). Il était allégué que le contrat prévoyait une « saisine » de l’arbitre dès sa désignation et donc antérieurement à l’acceptation de sa mission. Le raisonnement était audacieux et dangereux. Audacieux, car il n’est pas rare que la notion de saisine soit utilisée de façon légère par les parties sans avoir en tête les conséquences juridiques. Dangereux, car il peut se passer un temps plus ou moins long entre la désignation et l’acceptation de la mission, ce qui ampute d’autant le délai d’arbitrage. En l’espèce, le contrat prévoyait notamment que l’acceptation de la mission ne pouvait avoir lieu avant l’expiration des délais prévus pour l’exercice d’une action en récusation. Cet argument convainc la cour d’appel, qui énonce que « qu’affirmer que le délai de l’arbitrage commence à compter de cette désignation d’un litige à l’arbitre désigné dans les conditions de l’article 10 des conditions particulières supposerait que la mission d’arbitrage commence avant la phase destinée à permettre à une partie de récuser l’arbitre au besoin, ce qui n’a pas de sens ». Elle en conclut que « faute de stipulations particulières adoptées sur ce point par les parties, en dépit de ce que permet expressément l’article 1461 du code de procédure civile, le point de départ du délai d’arbitrage doit s’apprécier conformément aux dispositions du code de procédure civile auquel les parties ont expressément entendu soumettre la procédure d’arbitrage ». Ainsi, le délai de l’arbitrage débute conformément aux dispositions de l’article 1456 du code de procédure civile et la sentence est sauvée. Cette décision doit cependant attirer l’attention des praticiens dans la rédaction des clauses et inciter à ne pas utiliser la notion de « saisine » sans avoir à l’esprit les conséquences juridiques.

c – La capacité pour agir

La capacité pour agir fait-elle partie des griefs pouvant être examinés par le juge de l’annulation dans le cadre de l’examen de la compétence du tribunal arbitral ? La Cour de cassation y répond négativement (Civ. 1re, 11 juill. 2019, n° 17-20.423) en énonçant que « la capacité pour agir dans l’instance arbitrale est une question de recevabilité de l’action devant le tribunal arbitral et non de compétence de celui-ci ». Il est donc nécessaire de distinguer la capacité à compromettre, qui relève de l’existence de la clause compromissoire et est, de ce fait, susceptible d’un contrôle par le juge de l’annulation (Civ. 1re, 14 mars 2012, n° 10-25.560, RJC 2013, n° 1, p. 23, note B. Moreau), de la capacité à agir. Cette dernière, comme l’existence d’une clause de conciliation préalable (Paris, 28 juin 2016, n° 15/03504, préc. ; Paris, 29 janv. 2019, n° 16/20822, préc.) est une fin de non-recevoir de la compétence exclusive de l’arbitre et exclue de tout contrôle par le juge du recours. On remarquera toutefois qu’en procédure civile, c’est une qualification de nullité pour irrégularité de fond qui est retenue (C. Chainais, F. Ferrand, L. Mayer et S. Guinchard, Procédure civile. Droit interne et européen du procès civil, 34e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2018, n° 308). Il s’agit ici encore d’une belle illustration des difficultés notionnelles créées par l’arbitrage.

2 – La constitution du tribunal arbitral

a – L’égalité des parties

Les listes d’arbitres sont au cœur des débats depuis quelques années. Un auteur explique que « la liste d’arbitres est insérée dans la convention d’arbitrage. Ainsi, le choix du nom des arbitres intervient au moment de la négociation du contrat et non lorsque le litige survient. Ces clauses d’arbitrage peuvent contenir la liste d’arbitres ou renvoyer à une liste d’arbitres incluse dans la documentation contractuelle (dans les conditions particulières notamment) » (M. Danis, Les listes d’arbitres en question, Cah. arb. 2014. 465). La jurisprudence a validé le principe (Montpellier, 12 oct. 2017, n° 17/00269, D. 2017. 2559, obs. T. Clay ; v. égal. les arrêts cités par M. Danis). La solution est reprise par la cour d’appel de Versailles (Versailles, 4 juin 2019, n° 17/06632), qui énonce « qu’en signant, le contrat de sous-traitance, la société SMB a ainsi accepté que l’un des arbitres mentionnés à l’article 10 des conditions spécifiques soit désigné dans l’hypothèse où l’une des parties soumettrait un litige à l’arbitrage ; que, de plus, la société SMB ne rapporte pas la preuve de circonstances particulières qui se seraient opposées à ce qu’elle-même propose un certain nombre d’arbitres lors de la négociation de la convention ; que, si elle fait valoir qu’elle était sous la dépendance économique de son donneur d’ordre qui l’a soumis à un contrat d’adhésion, force est de constater qu’elle n’en rapporte la preuve d’aucune manière ; qu’enfin, la cour observe qu’au moment de la signature du contrat, le réclamant, par définition ne peut être connu ; qu’ainsi, la société SMB aurait parfaitement pu prendre elle-même l’initiative de soumettre un différend à arbitrage et ainsi choisir elle-même un nom d’arbitre dans la liste de l’article 10 des conditions spécifiques ; qu’aussi, la société SMB ne rapporte pas la preuve d’une rupture du principe d’égalité des parties dans la désignation de l’arbitre ». Sur le principe, ces listes sont donc admises par la jurisprudence. Il n’en demeure pas moins que pour la cour, des considérations relatives à la dépendance économique ou à l’absence de possibilité pour une partie de désigner des noms pourraient être de nature à fragiliser la liste. En outre, il est essentiel que le choix soit réalisé par le demandeur à l’arbitrage, et non pas par une partie préalablement désignée.

b – L’autorité des décisions du juge d’appui

L’indépendance ou l’impartialité de l’arbitre peut être contestée durant l’arbitrage, soit devant l’institution chargée d’organiser l’arbitrage, soit devant le juge d’appui (C. pr. civ., art. 1456, al. 3). La question de l’autorité des décisions du juge d’appui – et en miroir celle des décisions de l’institution – est fréquemment posée (C. Jarrosson, L’autorité de chose jugée des décisions relatives à l’indépendance des arbitres, Rev. arb. 2016. 127). En l’état actuel du droit positif, les décisions du juge d’appui ont l’autorité de la chose jugée (Paris, 8 avr. 2014, n° 12/20478, Rev. arb. 2015. 118, note P. Pic ; Civ. 1re, 4 nov. 2015, n° 14-22.643, Rev. arb. 2016. 245, note C. Jarrosson), contrairement aux décisions de l’institution (Paris, 23 juin 2015, n° 13/09748, Rev. arb. 2015. 957). La cour d’appel de Versailles s’inscrit dans cette lignée jurisprudentielle en retenant que « ces décisions [du juge d’appui] ont ainsi irrévocablement statué sur l’indépendance de l’arbitre, question qui ne peut ainsi plus être rejugée par le moyen du recours en annulation dès lors que l’objet de la contestation est identique quant à l’appréciation des causes de récusation ou du moyen d’annulation, également fondés sur le défaut d’indépendance de l’arbitre et déduits des mêmes circonstances ; qu’ainsi, l’intervention du juge étatique dans le processus de constitution du tribunal arbitral a eu pour effet en réglant, sans recours possible, les contestations portant sur la qualité des arbitres, d’assurer et de consacrer la régularité de la constitution du tribunal arbitral à cet égard ; que, dans ces circonstances, une nouvelle contestation de cette régularité ne pourrait être fondée que sur la révélation ultérieure d’un vice affectant la composition du tribunal arbitral » (Versailles, 4 juin 2019, n° 17/06632).

3 – La contradiction

L’article 1510 du code de procédure civile impose aux arbitres de respecter le principe de la contradiction. À défaut, sa sentence encourt l’annulation sur le fondement de l’article 1520, 4°, du code de procédure civile. Il s’agissait cette fois de savoir si la substitution, par les arbitres, de la notion de « rupture » par celle de « résiliation » était constitutive d’un moyen de droit relevé d’office soumis obligatoirement à la discussion des parties. Pour la cour d’appel de Paris (Paris, 25 juin 2019, n° 17/06430), la réponse est négative : le « tribunal arbitral s’est contenté, sans soulever de moyen nouveau, de qualifier juridiquement les faits allégués et débattus devant lui et d’en tirer les conséquences juridiques pour motiver sa décision ». Autrement dit, si le tribunal arbitral reprend à son compte les fondements discutés par les parties et se limite au remplacement d’un terme par un autre, il respecte le contradictoire. Cette solution rassure dès lors que l’argumentation des parties est parfois maladroite et qu’il est souhaitable que les arbitres disposent d’un certaine marge de manœuvre pour reformuler de façon plus rigoureuse – sans en changer la teneur – les prétentions.

4 – La motivation de la sentence

En droit de l’arbitrage, l’exigence de motivation n’est, en principe, pas absolue. Si elle ne semble pas souffrir d’exception en arbitrage interne, il en va différemment en matière internationale. La jurisprudence considère de longue date que la sentence non motivée n’est pas, de ce seul fait, contraire à l’ordre public international (Civ. 1re, 22 nov. 1966, Gerstlé, JCP 1968. II. 15318, obs. H. Motulsky ; JDI 1967. 631, note B. Goldman ; Rev. crit. DIP 1967. 372, note P. Francescakis). Le renvoi opéré par l’article 1506, 4°, à l’article 1482 du code de procédure civile a un caractère supplétif. Aussi, les parties peuvent-elles convenir de dispenser les arbitres de motiver leur sentence (C. Seraglini et J. Ortscheidt, Droit de l’arbitrage interne et international, op. cit., n° 872). Toutefois, cette exception est entendue de façon très restrictive. Les parties sont présumées souhaiter une sentence motivée (Paris, 20 juin 1996, Rev. arb. 1996. 657, obs. D. Bureau ; Paris, 30 mars 1995, Rev. arb. 1996. 131, obs. J. Pellerin). C’est pour cette raison que, contrairement à la matière interne avec l’article 1492, 6°, du code de procédure civile, aucun cas d’ouverture ne vise spécifiquement la motivation.

Il n’en demeure pas moins que, du fait de la présomption selon laquelle les parties souhaitent une sentence motivée, l’existence d’une motivation est examinée par le juge du recours. La question est alors de savoir sous quel angle cet examen peut être réalisé. Il y a de cela quelques mois, la cour d’appel de Paris a énoncé, sur le fondement de l’article 1520.3°, du code de procédure civile, relatif à la mission de l’arbitre, que « l’exigence de motivation des décisions de justice est un élément du droit à un procès équitable ; qu’elle est nécessairement comprise dans la mission des arbitres, même si elle ne figure pas dans le règlement d’arbitrage auquel les parties se sont soumises » (Paris, 20 nov. 2018, nos 16/10379 et 16/10381, Dalloz actualité, 24 déc. 2018, obs. J. Jourdan-Marques isset(node/193722) ? node/193722 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>193722 ; ibid., 11 janv. 2019, obs. P. Giraud isset(node/193763) ? node/193763 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>193763 ; Rev. arb. 2019, à paraître, chron. P. Giraud). On peut alors s’étonner que la même cour d’appel (pôle 1, chambre 1, avec un changement de présidence) rende une solution radicalement opposée (Paris, 18 juin 2019, n° 17/04601). Celle-ci énonce, dans le cadre d’un grief fondé sur l’article 1520, 3°, du code de procédure civile, que « le défaut de motivation d’une sentence n’est pas un cas d’ouverture du recours en annulation dans le droit français de l’arbitrage international, de sorte qu’en dehors des cas de violation de l’ordre public international, non invoquée en l’espèce, ou de méconnaissance du principe de la contradiction, la motivation de la sentence échappe au contrôle du juge de l’annulation ».

Pour être bien comprise, la décision nécessite de prendre en compte deux éléments. Premièrement, la cour d’appel indique que si la motivation est susceptible de faire l’objet d’un contrôle, c’est sous l’angle de l’ordre public international ou de la méconnaissance du principe de la contradiction. En elle-même, cette solution n’est pas totalement étonnante dès lors qu’elle a déjà été retenue par la jurisprudence (Paris, 28 mars 2017, n° 15/17742, inédit ; Paris, 30 janvier 2018, n° 16/11761, Cah. arb. 2018. 125, obs. P. Pedone) et que nous faisions part d’une préférence pour un contrôle issu de ces cas d’ouverture (J. Jourdan-Marques, obs. ss Paris, 20 nov. 2018, Dalloz actualité, 24 déc. 2018, préc.). En l’état actuel du droit positif, ces glissements d’un grief à l’autre n’emportent pas de conséquences réelles, le contrôle exercé étant, pour l’essentiel, identique. Deuxièmement, et c’est ce qui est en revanche tout à fait essentiel dans cet arrêt, la cour d’appel précise que la violation de l’ordre public international n’est pas « invoquée en l’espèce ». En conséquence, il n’y a pas de passerelle envisageable pour une partie se prévalant d’un défaut de motivation entre les 3° et 5° de l’article 1520 du code de procédure civile. Le juge ne se substitue pas à la partie ayant mal orienté son grief. La solution est terrible pour le justiciable (injuste ?), qui respecte une jurisprudence datée d’il y a à peine six mois et qui voit pourtant son moyen écarté faute d’avoir invoqué le bon cas d’ouverture nouvellement décidé. En définitive, jusqu’à cet arrêt du 18 juin 2019, le défaut de motivation en matière internationale était communément invoqué sur le fondement de l’article 1520, 3°, 4° ou 5°. Le premier d’entre eux est désormais écarté – jusqu’à un prochain revirement ou à une intervention de la Cour de cassation ? – sans obligation pour le juge de requalifier la prétention de la partie.

IV – Arbitrage et Union européenne

Deux décisions récentes attirent l’attention concernant les relations entre l’arbitrage et l’Union européenne. La première est rassurante (CJUE 6 juin 2019, aff. C-264/18). La Cour de justice avait à juger de la validité de l’article 10 de la directive 2014/24, qui exclut les services d’arbitrage et de conciliation ainsi que d’autres modes alternatifs similaires de règlement des conflits des règles de passation de marchés publics. La Cour confirme la validité de cette exclusion à travers une motivation convaincante : « les arbitres et conciliateurs doivent toujours être acceptés par toutes les parties au litige et sont désignés d’un commun accord par celles-ci. Un organisme public qui lancerait une procédure de passation de marchés publics pour un service d’arbitrage ou de conciliation ne saurait, dès lors, imposer à l’autre partie l’adjudicataire de ce marché en tant qu’arbitre ou conciliateur commun. Compte tenu de leurs caractéristiques objectives, les services d’arbitrage et de conciliation, visés à cet article 10, sous c), ne sont, partant, pas comparables aux autres services inclus dans le champ d’application de la directive 2014/24. Il s’ensuit que c’est sans porter atteinte au principe de l’égalité de traitement que le législateur de l’Union a pu, dans le cadre de son pouvoir d’appréciation, écarter les services visés à l’article 10, sous c), de la directive 2014/24 du champ d’application de cette dernière » (§§ 32 et 33). En outre, l’arrêt opère un raisonnement similaire concernant la désignation des avocats, également exclue du champ d’application de la directive (§§ 34 s.).

En revanche, la deuxième décision est plus inquiétante (TPICE 18 juin 2019, aff. T-624/15). Les faits sont complexes et nous ne dirons que quelques mots sur la décision, qui fera probablement l’objet de commentaires plus détaillés. L’affaire portait sur un arbitrage d’investissements CIRDI (sentence arbitrale dans l’affaire Micula c/ Roumanie du 11 déc. 2013) dans le cadre d’un litige « intraeuropéen », à savoir entre un investisseur européen et un État européen. On sait que depuis l’arrêt Achmea, ce mode de règlement des différends d’investissements intraeuropéen fait l’objet d’une grande hostilité de la Cour de justice (CJUE 6 mars 2018, aff. C-284/16, AJDA 2018. 1026, chron. P. Bonneville, E. Broussy, H. Cassagnabère et C. Gänser ; D. 2018. 2005 , note V. Korom ; ibid. 1934, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; ibid. 2448, obs. T. Clay ; Rev. crit. DIP 2018. 616, note E. Gaillard ; RTD eur. 2018. 597, étude J. Cazala ; ibid. 649, obs. Alan Hervé ; ibid. 2019. 464, obs. L. Coutron  ; Rev. arb. 2018. 424, note S. Lemaire ; Procédures 2018. Comm. 143, obs. C. Nourissat ; JDI 2018. 903, note Y. Nouvel ; JDI 2019. 271, note B. Rémy). Dans la décision Achmea, la Cour a considéré que le droit de l’Union s’oppose à une disposition contenue dans un accord international conclu entre les États membres, aux termes de laquelle un investisseur de l’un de ces États peut, en cas de litige concernant des investissements dans l’autre État, introduire une procédure contre ce dernier devant un tribunal arbitral. Simplement, la spécificité de l’affaire en commentaire était d’être à cheval sur une période antérieure et postérieure à l’adhésion de la Roumanie. En effet, l’entrée de la Roumanie au sein de l’Union européenne l’avait conduite à modifier sa législation nationale concernant les aides d’État. C’est la disparition de cette aide qui a incité l’investisseur à engager l’action devant un tribunal CIRDI. La Commission européenne est intervenue à l’instance arbitrale et a fait valoir que « [t]oute décision rétablissant les privilèges annulés par la Roumanie ou octroyant des compensations aux requérants en arbitrage pour la perte de ces privilèges constituerait une nouvelle aide qui ne serait pas compatible avec le traité [FUE] » (§ 17). Le tribunal étant passé outre cet avis, le requérant a obtenu gain de cause et a bénéficié d’une indemnisation par le tribunal arbitral pour les préjudices causés par l’abrogation des incitations. Logiquement, l’investisseur a sollicité l’exécution forcée de la sentence arbitrale devant les juridictions roumaines, qui lui a été accordée par plusieurs d’entre elles. La Roumanie se trouvait donc entre le marteau – de la décision arbitrale et des jugements de ses propres tribunaux l’invitant à exécuter la décision – et l’enclume – de la Commission, qui l’enjoignait de ne pas exécuter ce qu’elle considérait être une aide d’État. C’est à ce stade qu’intervient la décision du TPICE.

Le débat s’est cristallisé autour de la question de savoir si la Commission était compétente ratione temporis pour procéder au contrôle de l’action de la Roumanie. Le tribunal énonce que « le droit de l’Union n’est devenu applicable en Roumanie qu’à compter de son adhésion à l’Union le 1er janvier 2007. Ce n’est donc qu’à cette date que la Commission a acquis la compétence lui permettant de procéder au contrôle de l’action de la Roumanie au titre de l’article 108 TFUE » (§ 67). À partir de là, le tribunal recherche si les faits ayant fondé la condamnation de la Roumanie sont antérieurs à son entrée dans l’Union européenne. C’est une réponse positive à laquelle aboutit le juge européen (§§ 74 s.). Il ajoute qu’il est indifférent que la condamnation de la Roumanie soit postérieure à l’adhésion (§§ 76 s.). En conclusion, le tribunal énonce que « la Commission n’était aucunement compétente pour apprécier leur supposé caractère illégal au regard du droit de l’Union, à tout le moins pour ce qui est de la période antérieure à l’adhésion. De même, le droit à l’indemnisation en cause étant né au moment de cette abrogation […], la Commission ne pouvait pas non plus se prononcer sur la compatibilité de celle-ci pour cette même période » (§ 87).

Pourquoi considérer la décision comme inquiétante, alors que le TPICE conforte la décision des arbitres au détriment de Commission ? Évidemment, on se réjouit que les décisions portant sur des faits antérieurs à l’adhésion d’un État soient consolidées et échappent à l’emprise du droit européen et de la Commission. En revanche, on peut être doublement soucieux. D’une part, parce que le zèle de la Commission pour empêcher l’exécution de la sentence rendue par un tribunal établi par un traité international laisse songeur quant à sa conception de l’État de droit et au respect des décisions de justice internationales. D’autre part, car une lecture a contrario invite à penser qu’une approche toute différente serait admissible dans l’hypothèse de faits postérieurs à l’adhésion à l’Union. Voilà qui devrait renforcer la Commission dans son approche et accroître les tensions entre l’arbitrage d’investissements et l’Union européenne.

Arbitrage et question préjudicielle : la cour d’appel de Paris jette un pavé dans la mare

Une simple question préjudicielle est-elle de nature à provoquer une onde de choc ? Assurément, oui. Car il n’est pas banal que la question porte sur l’interprétation d’un traité multilatéral dont l’application était demandée dans un arbitrage n’ayant aucun lien avec l’Union européenne. La Cour de justice est-elle sur le point de devenir le juge des recours contre les sentences ?

 

Cet arrêt sera abondamment commenté. Ce n’est toutefois pas le seul. Au titre des arrêts importants, on signalera un nouvel arrêt de la Cour de cassation à propos de l’obligation de révélation des arbitres (Civ. 1re, 3 oct. 2019, n° 18-15.756, commentaire à venir par C. Debourg) ainsi qu’un arrêt concernant l’intervention des tiers dans le recours en annulation (Paris, 24 sept. 2019, n° 17/14143).

I – Question préjudicielle et Traité sur la charte de l’énergie

L’arrêt rendu par la cour d’appel de Paris le 24 septembre 2019 (n° 18/14721 ; l’arrêt est rendu sur renvoi après cassation, Civ. 1re, 28 mars 2018, n° 16-16.568, Gaz. Pal. 2018, n° 27, p. 21, obs. D. Bensaude ; Rev. arb. 2018. 561, note C. Fouchard ; JDI 2019. 160, note E. Gaillard) pourrait être le début d’une longue saga ainsi que d’une profonde remise en question de Paris comme place d’arbitrage en matière d’investissements (bien que, il faut le reconnaître, cet épouvantail est régulièrement agité sans que l’on puisse concrètement en évaluer les conséquences). L’arrêt étant très récent, il est difficile d’avoir le recul nécessaire pour en donner une appréciation définitive. Les questions soulevées sont d’autant plus délicates qu’elles invitent à un regard croisé entre droit de l’arbitrage, droit européen et droit international public. La question posée par cet arrêt est susceptible de deux niveaux de lecture.

Le premier, retenu par la cour d’appel de Paris, est le suivant. Un litige survient entre un investisseur et un État. L’investisseur saisit un tribunal arbitral sur le fondement du Traité sur la charte de l’énergie (ci-après, « le TCE »). La compétence est discutée devant le tribunal arbitral, qui se déclare compétent. Un recours en annulation est formé devant la cour d’appel de Paris, juge du siège. Celle-ci décide de poser une question préjudicielle à la Cour de justice quant à l’interprétation des dispositions du traité relatives à la compétence, et sursoit à statuer. À ce stade, le raisonnement paraît orthodoxe. D’une part, ce n’est pas la première fois que la cour d’appel de Paris pose une question préjudicielle à la Cour de justice en matière d’arbitrage (Civ. 1re, 18 nov. 2015, n° 14-26.482, Dalloz actualité, 2 déc. 2015, obs. X. Delpech ; D. 2015. 2450 ; ibid. 2588, obs. T. Clay ). D’autre part, l’Union européenne est partie au TCE. À ce titre, le traité fait partie intégrante du droit de l’Union européenne. L’article 267 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne permet donc à la cour d’interroger la juridiction de Luxembourg.

C’est ce que la décision énonce, en retenant que « la CJUE est compétente pour connaître de ces questions d’interprétation relatives aux dispositions du TCE, en vertu de l’article 267 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne en ce qu’elles visent à assurer l’application uniforme du droit de l’Union européenne et la cour d’appel de Paris, juridiction de l’ordre judiciaire, devant faire application des dispositions du TCE pour apprécier la compétence du tribunal arbitral, a la faculté de saisir la Cour de justice de ces questions d’interprétation, peu important que le différend des parties ait été soumis en premier lieu à un tribunal arbitral ». La cour d’appel ajoute que « le critère d’application de cette procédure est exclusivement tiré de la qualification de l’acte dont l’interprétation est sollicitée, à l’exclusion de toute considération relative à la nature du litige au principal ou à la qualité des parties devant le juge national ». Une telle analyse pourrait satisfaire les européanistes.

Pourtant, en deuxième lecture, il faut bien dire que la solution ne convainc pas. Pour le comprendre, il faut apporter une précision essentielle. Le TCE est un traité multilatéral auquel sont parties des États membres et l’Union européenne es qualitès. Mais il est aussi un traité dont certaines parties sont extérieures à l’Union. C’est le cas en l’espèce, puisque le défendeur à l’arbitrage est la République de Moldavie et le demandeur un ressortissant ukrainien. Ni l’un ni l’autre ne sont donc États (Moldavie et Ukraine) ou ressortissants de l’Union. Or que prévoit le TCE pour la résolution des litiges ? Il offre, en application de son article 26.3, la faculté à l’investisseur de saisir un tribunal arbitral dont la compétence est acceptée inconditionnellement par l’État d’accueil (si tant est que l’on soit dans le champ d’application du traité). Autrement dit, l’interprétation du traité est confiée, lorsque l’investisseur le décide, à un tribunal arbitral. Jamais le TCE ne prévoit de confier en dernier ressort l’interprétation de ses dispositions à la CJUE ; jamais les parties contractantes n’ont consenti à cette compétence de la CJUE. En définitive, cette question préjudicielle revient à donner le dernier mot à la Cour de justice (à condition, naturellement, que celle-ci accepte de répondre à la question posée) pour la résolution d’un litige sans lien avec l’Union européenne.

Il convient toutefois d’aller plus loin et d’envisager des pistes pour fonder cette solution – ou la contester – en droit de l’arbitrage et éventuellement dans d’autres disciplines (sur lesquelles nous nous limiterons à soulever certaines questions sans prétention aucune quant à la réponse, laissant ainsi les spécialistes apporter leur éclairage).

En droit de l’arbitrage, il est vrai qu’il existe des fondements solides. D’abord, les parties ont conventionnellement décidé de fixer le siège de l’arbitrage à Paris – ce que rien n’imposait. Ce choix n’est pas anodin et conduit à confier au juge de l’annulation, conformément au droit français, le pouvoir de contrôler la sentence arbitrale sur la compétence (C. pr. civ., art. 1520, 1°). Les parties ne sont pas sans savoir les conséquences d’un tel choix. Nous avons nous-même eu l’occasion d’insister sur le caractère déterminant du choix du siège (J. Jourdan-Marques, Le contrôle étatique des sentences arbitrales internationales, préf. T. Clay, 2017, LGDJ, coll. « Bibliothèque de droit privé », n° 866). Or la question préjudicielle fait bien partie des dispositions prévues par le système juridique français, d’autant que ce n’est pas la première fois que la juridiction de contrôle y a recours dans le cadre d’un contentieux post-arbitral. La solution était donc – au moins en théorie – prévisible.

Ensuite, les parties ne peuvent s’étonner que le juge examine de façon attentive la compétence arbitrale. Comme le rappelle la cour d’appel, « le juge de l’annulation contrôle la décision du tribunal arbitral sur sa compétence qu’il se soit déclaré compétent ou incompétent, en recherchant tous les éléments de droit et de fait permettant d’apprécier la portée de la convention d’arbitrage. Il n’en va pas différemment lorsque, comme en l’espèce, les arbitres sont saisis sur le fondement du Traité sur la Charte de l’énergie ».

C’est une jurisprudence parfaitement classique, qui date de l’affaire du Plateau des Pyramides (Paris, 12 juill. 1984, Égypte c/ SPP, Rev. arb. 1986. 75 ; JDI 1985. 129, note B. Goldman) et qui a été confirmée par la Cour de cassation (Civ. 1re, 6 janv. 1987, SPP c/ Égypte, Rev. arb. 1987. 469, note P. Leboulanger ; JDI 1987. 638, note B. Goldman ; 6 oct. 2010, n° 08-20.563, Abela, D. 2010. 2441, obs. X. Delpech ; ibid. 2933, obs. T. Clay ; Rev. crit. DIP 2011. 85, note F. Jault-Seseke  ; Rev. arb. 2010. 813, note F.-X. Train ; JCP 2010. 1028, note P. Chevalier ; ibid. 1286, obs. J. Ortscheidt ; Gaz. Pal. 8 févr. 2011. 14, obs. D. Bensaude). Elle a été depuis étendue au contrôle des sentences rendues en matière d’arbitrage d’investissement (Paris, 12 avr. 2016, n° 13/22531, D. 2016. 2589, obs. T. Clay  ; Rev. arb. 2016. 833, note C. Fouchard ; Cah. arb. 2017. 357, note M. Audit [il s’agit de la même affaire] ; 25 avr. 2017, n° 15/01040, D. 2017. 2559, obs. T. Clay  ; Rev. arb. 2017. 648, note M. Laazouzi ; Cah. arb. 2017. 674, note W. Ben Hamida ; 29 janv. 2019, n° 16/20822, Dalloz actualité, 6 mars 2019, obs. J. Jourdan-Marques ; Rev. arb. 2019. 250, note M. Audit ; Cah. arb. 2019. 87, note T. Portwood et R. Dethomas ; 2 avr. 2019, n° 16/24358, Dalloz actualité, 16 avr. 2019, obs. J. Jourdan-Marques). Dans l’ensemble, cette solution est approuvée en doctrine, et là encore, nous avons pu écrire en sa faveur (J. Jourdan-Marques, Le contrôle étatique des sentences arbitrales internationales, op. cit., nos 463 s.).

En somme, la solution de la cour d’appel de Paris est d’une parfaite rectitude juridique du point de vue du droit de l’arbitrage et conforme aux positions doctrinales majoritaires.

Sauf que… cette solution n’est pas du tout satisfaisante.

Il existe des arguments en droit de l’arbitrage pour la contester. Envisageons d’abord la volonté des parties. Le TCE est un traité multilatéral conclu par des États membres, l’Union européenne et des États tiers. Il résulte de l’article 26 du traité que l’investisseur a la possibilité de choisir l’arbitrage pour la résolution du litige. Cette disposition confie donc au tribunal arbitral le pouvoir de trancher les litiges relatifs au traité et, en conséquence, un monopole quant à son interprétation. Le choix du siège ne doit pas remettre en cause cette analyse. Le juge de l’annulation est choisi pour examiner la validité de la sentence arbitrale, pas pour donner une appréciation uniforme du traité (d’autant que rien n’interdit que le juge du siège appartienne un à ordre juridique qui n’est pas tenu par le traité). Or en posant cette question préjudicielle, la cour d’appel de Paris va au-delà du simple contrôle de la sentence. Elle attend de la Cour de justice une interprétation uniforme qu’elle retiendra systématiquement pour l’avenir. Autant, la solution est concevable lorsque la norme devant faire l’objet d’une interprétation concerne un intérêt public de dimension européenne (le droit de la concurrence, par ex.), autant on peut être plus réservé sur l’intérêt d’une telle harmonisation lorsqu’il s’agit de simples intérêts privés.

De plus, il convient de ne pas oublier que le juge français et la Cour de justice appartiennent à deux ordres juridiques autonomes. Même s’il existe des liens entre l’un et l’autre, notamment via la question préjudicielle, c’est bien l’ordre juridique français qui a été désigné par les parties pour contrôler la sentence. Donner le dernier mot au juge d’un ordre juridique qui n’est pas celui désigné par les parties peut être examiné comme une violation de la volonté de ces dernières.

Par ailleurs, cette solution est en retrait par rapport à la conception autonome de l’arbitrage prônée par le droit français. Les travaux doctrinaux sur la question sont particulièrement marquants (E. Gaillard, Aspects philosophiques du droit de l’arbitrage international, Académie de droit international de la Haye, 2008).

Dans des formules restées célèbres, la Cour de cassation a repris à son compte cette théorie. L’arrêt Putrabali l’a affirmé sans détour en posant que « la sentence internationale, qui n’est rattachée à aucun ordre juridique étatique, est une décision de justice internationale » (Civ. 1re, 29 juin 2007, n° 05-18.053, Putrabali, Bull. civ. I, nos 250 et 251 ; D. 2007. 1969, obs. X. Delpech ; ibid. 2008. 180, obs. T. Clay ; ibid. 1429, chron. L. Degos ; Rev. crit. DIP 2008. 109, note S. Bollée ; RTD com. 2007. 682, obs. E. Loquin  ; JDI 2007. 1236, note T. Clay ; LPA 2007, n° 192, p. 20, note M. de Boisséson ; Rev. arb. 2007. 507, note E. Gaillard ; RJDA 2007. 883, obs. J.-P. Ancel ; Gaz. Pal. 21-22 nov. 2007. 3, obs. S. Lazareff ; ibid. 14, note P. Pinsolle ; JCP 2006. I. 216, § 7, obs. C. Seraglini ; Bull. ASA 2007. 217, note P.-Y. Gunter ; v. égal., Civ. 1re, 8 juill. 2015, n° 13-25.846, Synd. mixte des aéroports de Charente [Smac] c/ Ryanair, AJDA 2016. 671 , note F. Lombard ; ibid. 2015. 1396 ; D. 2015. 1547 ; ibid. 2031, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; ibid. 2588, obs. T. Clay ; AJCT 2016. 50, obs. S. Hul ; RTD com. 2016. 71, obs. E. Loquin  ; JCP 2015. 1370, n° 5, obs. C. Seraglini ; Procédures 2015. Étude 9, chron. L. Weiller ; Rev. arb. 2016. 1131, note M. Laazouzi ; JDI 2016. 568, note P. de Vareilles-Sommières).

Le rapport du président Jean-Pierre Ancel dans le cadre de cet arrêt est éloquent. Il relève que « dans la conception de la jurisprudence française, la sentence internationale ne se rattache pas à l’ordre juridique de son pays d’origine, précisément parce qu’elle est “internationale”. Elle n’est donc pas le produit d’un ordre juridique, elle n’a pas de “nationalité” : elle émane, en effet, d’une juridiction autonome, détachée du contexte juridique local, auquel elle n’est reliée que par les dispositions impératives du droit local sur l’arbitrage, qui sont peu nombreuses (spécialement, pour l’organisation du recours contre la sentence). C’est l’affirmation de l’autonomie de l’arbitrage international : l’arbitrage, mode normal et habituel de règlement des litiges relatifs aux relations économiques internationales, constitue l’arbitre en véritable juridiction internationale de ce type de litiges » (J.-P. Ancel, Rapport de Monsieur le Président Jean-Pierre Ancel, Rev. arb. 2007. 507, spéc. p. 509). On peut se demander si la décision de la cour d’appel de Paris de poser une question préjudicielle à la Cour de justice n’est pas une négation de cette autonomie. En agissant ainsi, la cour d’appel donne à la Cour de justice la faculté d’imposer son interprétation d’un traité auquel elle est partie à l’ensemble des tribunaux arbitraux.

Cette solution retenue par la cour d’appel doit éventuellement conduire la doctrine à réfléchir de nouveau à la question de la nature du contrôle exercé par le juge à propos du cas d’ouverture relatif à la compétence. La question est de savoir si le juge de l’annulation doit sanctionner toutes les divergences d’appréciation avec le tribunal arbitral. Une partie de la doctrine s’est depuis longtemps prononcée en faveur d’une auto-censure du juge du recours. François-Xavier Train explique que l’« on pourrait […] envisager que le contrôle complet […] des sentences relatives à la compétence […] ne se traduise pas nécessairement par l’annulation de la sentence à chaque fois que le juge ne parvient pas exactement à la même conclusion que l’arbitre. En d’autres termes, à un contrôle approfondi ferait suite une sanction mesurée » (F.-X. Train, note ss Civ. 1re, 6 oct. 2010, Abela, préc., n° 13).

La proposition a été reprise par Magalie Boucaron-Nardetto, qui propose de ne sanctionner que les cas où « le tribunal arbitral a de manière incontestable dépassé sa compétence ou, au contraire, fait preuve d’excès de timidité. En admettant que le juge étatique reconnaisse cette “marge arbitrale d‘appréciation” dans l’appréciation de sa compétence, les juridictions d’État ne devraient rejeter la sentence de compétence ou d’incompétence uniquement s’il s’avère que l’interprétation de la convention d’arbitrage proposée est raisonnablement “insoutenable” ou “arbitraire” » (M. Boucaron-Nardetto, Le principe compétence-compétence en droit de l’arbitrage, préf. J.-B. Racine, 2013, PUAM, n° 740). Elle est même de droit positif dans le cadre de la Convention de Washington, puisque son article 52(1)(b) prévoit que « chacune des parties peut demander, par écrit, au Secrétaire général l’annulation de la sentence pour l’un quelconque des motifs suivants : […] excès de pouvoir manifeste du Tribunal ». La présence de l’adjectif « manifeste » donne une marge de manœuvre en faveur des arbitres. Une telle solution pourrait être envisagée dans le cadre du droit des investissements, afin que les arbitres aient un véritable monopole pour l’interprétation des traités et que le juge ne sanctionne que les vices les plus graves. La lecture de l’arrêt démontre d’ailleurs comment deux appréciations du traité s’opposent et aucune des deux ne paraît fantaisiste. Laisser le soin à l’arbitre de trancher entre les deux ne paraît donc pas totalement inenvisageable.

Au-delà du droit de l’arbitrage, cette solution n’est pas sans poser des questions très variées, en particulier en droit international public. On peut se demander si elle ne présente pas un risque quant à la souveraineté des États – ici l’Ukraine et la Moldavie (il est d’ailleurs piquant de constater que dans un autre arrêt du même jour, la cour d’appel de Paris énonce qu’elle « examine les recours en annulation des sentences rendues en cette matière selon les règles de son droit interne, mais dans les limites de l’abandon de souveraineté consenti par l’État hôte dans le traité » [Paris, 24 sept. 2019, n° 17/14143]). Certes, on fera remarquer que la question préjudicielle a été soulevée par la Moldavie et que sa souveraineté est respectée. Ceci étant, la solution de la cour d’appel ne distingue pas selon l’auteur de la question. On peine à imaginer qu’une réponse différente soit apportée si c’est l’investisseur qui soulève le moyen. De plus, l’Ukraine n’a, quant à elle, jamais consenti à ce qu’un traité auquel elle est partie soit interprété par la Cour de justice.

Par ailleurs, des questions d’articulation des traités viennent immédiatement à l’esprit. Cette solution conduit à faire prévaloir le droit européen sur le TCE. La cour d’appel est particulièrement claire à ce sujet puisqu’elle énonce que la solution vise à assurer « l’application uniforme du droit de l’Union européenne ». Ce faisant, le TCE est identifié à du droit européen soumis au droit primaire. Alors que, dans la hiérarchie des normes, les TUE et TFUE doivent être situés au même niveau que le TCE, la cour d’appel de Paris opère une hiérarchisation entre les deux, soumettant clairement le second aux deux premiers. Une telle solution devrait sûrement être confrontée à la Convention de Vienne du 22 mai 1969 sur le droit des traités, aux principes généraux du droit international public et à la coutume internationale. Une articulation guidée par le principe lex specialis derogat generali n’aurait-elle pas pu être envisagée, afin d’écarter l’application de l’article 267 du TFUE ? En effet, bien que le TCE soit un traité multilatéral, ne doit-il pas être perçu, dans un cas identique à celui du présent litige, comme un traité bilatéral ?

Enfin, on ne peut s’empêcher de penser qu’une telle solution pourrait également entraîner des conséquences sur le terrain diplomatique. Peut-être que la présence de la République de Moldavie comme partie au litige n’a-t-elle pas impressionné la cour d’appel de Paris, d’autant qu’elle est l’auteur de la question. En irait-il de même avec la Fédération de Russie s’opposant à la question ?

En somme, on aurait pu espérer de la part de la cour d’appel de Paris une motivation plus dense. En l’état, un raisonnement fondé uniquement sur le droit européen paraît insuffisant pour convaincre d’une solution qui soulève de nombreuses interrogations en droit de l’arbitrage et en droit international public.

II – La clause d’arbitrage

A – Les clauses d’arbitrage pathologiques

La lecture des arrêts de cour d’appel nous offre régulièrement de beaux exemples de clauses pathologiques. L’arrêt rendu le 26 septembre 2019 par la cour d’appel de Rouen (n° 18/01597) est un cas d’école d’une piètre rédaction de la clause et d’une incompréhension totale de ce qu’est l’arbitrage par les parties et le juge. La clause est évidemment à l’origine des difficultés. Celle-ci était stipulée de la façon suivante : « Arbitrage et médiation : Les litiges qui pourraient survenir dans le cadre de l’application des présents accords seront arbitrés paritairement dans le cadre de la Commission des Traités et des Primes avant toute éventuelle saisine des juridictions ». Alors, clause compromissoire ou clause de médiation préalable ? En faveur de la première hypothèse, on retrouve à deux reprises la notion d’arbitrage ; en faveur de la seconde, on retrouve la notion de médiation, le caractère paritaire (interdit en arbitrage interne par l’art. 1451, al. 1er, du c. pr. civ.) et la référence à la saisine postérieure des juridictions.

Entre les deux qualifications, il convient de choisir. D’après une éminente doctrine, la notion d’arbitrage est résiduelle, ce qui a pour conséquence « d’attirer à elle en principe, toutes les hypothèses qui semblent de prime abord lui revenir au même titre qu’à une autre quelconque notion appartenant à la même famille » (C. Jarrosson, La notion d’arbitrage, préf. B. Oppetit, 1987, LGDJ, coll. « Bibl. de droit privé », n° 486). Autrement dit, la qualification d’arbitrage doit, dans le doute, primer sur toute autre qualification. Que l’on suive cette proposition doctrinale ou non, il convient, a minima, d’être cohérent entre la qualification et le régime. On peut alors regretter que la cour d’appel ne tranche pas véritablement la question de la qualification et alimente la confusion. Elle énonce notamment que « la clause d’arbitrage préalable s’impose avant toute saisine de juridiction », ce qui n’a aucun sens. En définitive, elle conclut à l’irrecevabilité de l’action, qui est la sanction spécifique à la clause de médiation préalable, alors que la clause compromissoire est sanctionnée par une exception de procédure. Autant dire que les parties ne sont pas bien avancées pour déterminer si elles doivent saisir un arbitre ou un médiateur dans le cadre de la résolution de leur litige.

B – La portée du choix du siège

On sait que le choix du siège de l’arbitrage entraîne de nombreuses compétences, notamment en ce qu’il permet d’identifier le juge d’appui et le juge de l’annulation compétents. Peut-on aller plus loin, et considérer que le siège vaut prorogation de compétence au profit du juge des référés compétent pour se prononcer sur des mesures d’instruction, provisoires ou conservatoires dans la phase pré-arbitrale (C. pr. civ., art. 1449) ? La cour d’appel de Paris répond – fort logiquement – négativement à cette question (Paris, 26 sept. 2019, n° 19/04186). La motivation est parfaitement ciselée : « Force est de constater que ces clauses compromissoires se limitent à prévoir un arbitrage et ne désignent pas de juridiction compétente pour connaître d’une demande fondée sur l’article 1449 du code de procédure civile. En outre, s’il est admis que, en principe, la compétence territoriale du juge des référés est celle de la juridiction appelée à connaître d’un éventuel litige au fond, ce principe n’est pas transposable en présence d’une clause compromissoire qui n’emporte aucune conséquence sur la compétence des juridictions étatiques en dehors de celles qui sont prévues expressément aux articles 1459 et 1487 du code de procédure civile ». Autrement dit, la compétence territoriale du juge des référés doit être déterminée par la mise en œuvre des articles 42 et suivants du code de procédure civile.

C – L’opposabilité de la clause

Le principe compétence-compétence est particulièrement mal compris par les juridictions peu expérimentées en matière d’arbitrage. Un arrêt de la cour d’appel de Pau en fait la parfaite démonstration (Pau, 25 juill. 2019, n° 18/03884). Le litige fait suite à une exception d’incompétence devant un conseil de prud’hommes. Deux questions étaient soulevées : l’incompétence du conseil de prud’hommes au regard de la clause compromissoire ; l’incompétence du conseil de prud’hommes au profit du tribunal de commerce.

Or l’ordre de traitement de ces questions n’est pas indifférent. En effet, le régime de la clause compromissoire est distinct selon qu’elle ait vocation à s’appliquer à un salarié ou à un non-salarié (le principe compétence-compétence ne s’applique pas au salarié, ce qui permet au juge de constater l’incompétence du tribunal arbitral sans renvoyer l’affaire, Soc. 30 nov. 2011, nos 11-12.905 et 11-12.906, D. 2011. 3002 ; ibid. 2012. 2991, obs. T. Clay ; Dr. soc. 2012. 309, obs. B. Gauriau ; RTD com. 2012. 351, obs. A. Constantin ; ibid. 528, obs. E. Loquin  ; Rev. arb. 2012 . 333, note M. Boucaron-Nardetto [1re décis.] ; JCP 2012. 843, § 2, obs. C. Seraglini ; ibid. 2011. 2518, obs. N. Dedessus-Le-Moustier ; JCP S 2012, n° 5, p. 42, note S. Brissy ; Procédures 2012. Comm. 42, obs. L. Weiller ; ibid. Comm. 75, obs. A. Bugada ; RDC 2012. 539, note X. Boucobza et Y.-M. Serinet). Or, dans la présente affaire, la cour d’appel constate que le litige ne relève pas des juridictions prud’homales, mais bien du tribunal de commerce. Autrement dit, c’est par cette étape que la cour aurait dû commencer, afin de retenir l’application des dispositions « classiques » de l’arbitrage (interne, dans le cas d’espèce) et appliquer pleinement le principe compétence-compétence.

Pour rejeter l’exception d’incompétence au profit du tribunal arbitral, il est énoncé « qu’il n’est pas démontré que M. X aurait eu connaissance de la clause compromissoire, celle-ci doit lui être déclarée inopposable ». La motivation est triplement erronée en droit. D’abord, car l’article 2061 du code civil n’est jamais cité et on s’interroge sur le fondement pour aboutir à cette décision. Ensuite, parce que l’inopposabilité de la clause nécessite (1) que le nouvel article 2061 du code civil (dans sa version issue de la loi du 18 nov. 2016) soit applicable ratione temporis à la cause – ce qui n’est pas certain – et que (2) le demandeur à l’exception « n’a[it] pas contracté dans le cadre de son activité professionnelle » – ce qui est ici douteux. Enfin, car la question de la connaissance – ou plutôt de l’acceptation de la clause – relève du tribunal arbitral et non de la cour d’appel.

D – Les actions extracontractuelles

La clause compromissoire n’a pas seulement vocation à s’appliquer à des actions contractuelles ; elle est également susceptible de soumettre une action extracontractuelle à l’arbitrage (sur cette question v., J. Jourdan-Marques, Action extracontractuelle et arbitrage, Rev. arb. 2019, à paraître). Très souvent, ces questions sont soulevées au stade du principe compétence-compétence. C’est le cas dans une affaire portant sur une rupture brutale des relations commerciales établies (Paris, 5 sept. 2019, n° 17/03703). Cet arrêt est particulièrement révélateur des problèmes de méthode auxquels les juridictions sont confrontées pour traiter de ces questions. Si la solution finale de l’arrêt – le renvoi à l’arbitre de la question de la compétence – était la seule envisageable par application des dispositions de l’article 1448 du code de procédure civile, la motivation pour y aboutir ne convainc pas.

D’abord, la cour d’appel décide de procéder à la qualification de l’action en rupture brutale des relations commerciales établies. Elle tranche en faveur d’une qualification contractuelle. Ce faisant, la cour va au-delà de ce qui lui est autorisé par le principe compétence-compétence. Toute opération de qualification réalisée par le juge est surabondante à ce stade. Elle empiète sur le travail de l’arbitre, qui doit pouvoir se prononcer prioritairement sur cette question sans être lié par un préjugement de la juridiction étatique (v. J. Jourdan-Marques, Action extracontractuelle et arbitrage, préc., nos 13 s.).

Ensuite, la motivation retenue pour justifier une qualification contractuelle est doublement malvenue. La cour d’appel énonce « qu’il est désormais constant que les litiges relatifs à la rupture brutale des relations commerciales établies relèvent, au sens du règlement Bruxelles I, de la matière contractuelle et non délictuelle (CJUE 14 juill. 2016, Granarolo) ; Que l’action en réparation du préjudice subi du fait de la rupture brutale de relations commerciales établies sur le fondement de l’article L. 442-6, I, 5°, entre dans la sphère d’un litige découlant de la relation contractuelle au sens du droit européen ».

D’une part, il est loin d’être certain que la solution de l’arrêt Granarolo ait été étendue en dehors du champ d’application du règlement Bruxelles I (J.-P. Arroyo, Rupture brutale des relations commerciales établies dans les litiges internationaux : vers un régime unifié de la qualification de l’action ?, RLC 2018, n° 72, nos 15 et s.), la Cour de cassation n’ayant pas encore tranché cette question.

D’autre part, et beaucoup plus fondamentalement, la qualification autonome retenue par la Cour de justice ne peut en aucun cas être considérée comme liant les juridictions en matière d’arbitrage, dès lors que celui-ci est expressément exclu du champ d’application du règlement Bruxelles I bis (art. 1er, 2, d). Rien n’impose au juge judiciaire de suivre les qualifications du droit international privé pour les étendre à l’arbitrage (v. J. Jourdan-Marques, Action extracontractuelle et arbitrage, préc., nos 42 s.).

En somme, la cour d’appel de Paris s’est aventurée sur le terrain de la qualification alors qu’elle aurait dû laisser à l’arbitre le soin de se prononcer. On peut d’autant plus le regretter que ce détour est inutile pour aboutir à une solution identique. En effet, la cour rappelle ensuite, à juste titre, la jurisprudence parfaitement établie de la Cour de cassation (Civ. 1re, 8 juill. 2010, n° 09-67.013, Doga, D. 2010. 2884, obs. X. Delpech , note M. Audit et O. Cuperlier ; ibid. 2540, obs. Centre de droit de la concurrence Yves Serra ; ibid. 2933, obs. T. Clay ; Rev. crit. DIP 2010. 743, note D. Bureau et H. Muir Watt ; RTD com. 2011. 667, obs. P. Delebecque ; ibid. 2012. 525, obs. E. Loquin  ; Rev. arb. 2010. 514, note R. Dupeyré ; ibid. 2011. 191, note Y. Strickler). Elle énonce qu’« il est constant qu’un litige portant sur la réparation du préjudice subi du fait de la brutalité de la rupture des relations commerciales établies ne doit pas nécessairement être porté devant les juridictions étatiques, fût-ce sur le fondement d’une loi de police, et que les clauses compromissoires s’appliquent notamment aux litiges portant sur l’article L 442-6, I, 5°, du code de commerce ; Qu’il en résulte que l’arbitrage n’est pas exclu du seul fait que les dispositions de l’article L. 442-6, I, 5°, sont invoquées par l’une de parties au litige ».

En définitive, comment fallait-il procéder ? Deux étapes suffisaient : premièrement, constater qu’une éventuelle qualification de loi de police des règles relatives à la rupture brutale des relations commerciales établies est indifférente quant au renvoi de la demande devant l’arbitre ; deuxièmement, établir un lien entre l’action et la clause compromissoire, afin de s’assurer que l’exception d’incompétence n’est pas fantaisiste (sur ce point v., J. Jourdan-Marques, Action extracontractuelle et arbitrage, préc., nos 18 s.). Pour le reste, la détermination de la compétence arbitrale relève de l’arbitre, en vertu du principe compétence-compétence.

La question s’est également posée dans une seconde affaire (Paris, 14 oct. 2019, n° 19/01346). Toutefois, à l’inverse de la première, la cour d’appel écarte la clause compromissoire et se déclare compétente, ce qui pourrait lui valoir une cassation. L’action est cette fois dirigée contre le représentant légal d’une partie au contrat. Une fois de plus, la cour d’appel retient une qualification délictuelle. De plus, elle considère que le champ d’application ratione personae de la clause est restrictif, celui-ci étant limité aux parties au contrat. Enfin, elle souligne que la seule connaissance de la clause est insuffisante et que l’opposabilité de la clause compromissoire suppose que le tiers vienne aux droits de la partie signataire de la clause compromissoire, ou justifie de liens contractuels indirects avec le contrat d’origine. Chacun de ces trois éléments de la motivation constituent une violation du principe compétence-compétence. Le juge ne peut pas dire si l’action est contractuelle ou délictuelle ; le juge ne peut pas affirmer que la clause ne s’applique qu’aux parties au contrat (v. J. Jourdan-Marques, Action extracontractuelle et arbitrage, préc., n° 10) ; le juge ne peut pas se prononcer sur l’opposabilité de la clause. Aucun de ces motifs ne caractérise une nullité ou une inapplicabilité manifeste de la clause.

III – Les recours contre la sentence

A – Les règles procédurales applicables à la procédure

La procédure à suivre pour exercer un recours contre la sentence est prévue aux articles 1495 et 1527 du code de procédure civile, qui énoncent de façon presque identique que les recours « sont formés, instruits et jugés selon les règles relatives à la procédure en matière contentieuse prévues aux articles 900 à 930-1 ». En conséquence, il apparaît peu discutable que cette procédure est soumise à la voie électronique prévue à l’article 930-1 du code de procédure civile. Pourtant, la Cour de cassation a dû le rappeler, dans un arrêt publié au Bulletin (Civ. 2e, 26 sept. 2019, n° 18-14.708, Dalloz actualité, 2 oct. 2019, obs. C. Bléry ; D. 2019. 1891 ). Elle énonce que « la recevabilité du recours en annulation de la sentence arbitrale était conditionnée par sa remise à la juridiction par la voie électronique et que les conventions passées entre une cour d’appel et les barreaux de son ressort, aux fins de préciser les modalités de mise en œuvre de la transmission des actes de procédure par voie électronique, ne peuvent déroger aux dispositions de l’article 930-1 du code de procédure civile, notamment en en restreignant le champ d’application ».

La voie électronique s’impose donc dans les recours contre les sentences. L’existence d’un protocole n’y change rien, pas plus que le défaut d’onglet propre au recours en annulation dans le RPVA. Comme le souligne Corinne Bléry, « l’absence de case ne doit pas empêcher la remise par voie électronique du recours en annulation… il faut “forcer” le logiciel, utiliser d’autres “cases” non prévues à l’effet de former un recours en annulation » (C. Bléry, obs ss. Civ. 2e, 26 sept. 2019, préc.).

Cette question des « cases à remplir » a d’ailleurs fait l’objet d’un arrêt encore plus récent de la cour d’appel de Paris (Paris, 8 oct. 2019, n° 19/02239). Saisie d’un déféré contre une ordonnance du conseiller de la mise en état, la cour devait se prononcer sur la régularité de sa saisine dans le cadre d’un recours en annulation. La partie avait formé une « “déclaration d’appel” mentionnant dans la rubrique “Objet/Portée de l’appel : recours en annulation d’une Sentence arbitrale” ». La difficulté tenait à ce que l’onglet informatique sélectionné par le requérant indiquait « déclaration d’appel » et non « autres recours à la diligence des parties » (v. égal., Paris, 30 janv. 2018, n° 15/24612, Gaz. Pal. 2018, n° 27, p. 25, obs. D. Bensaude ; 28 oct. 2014, n° 13/16871, D. 2014. 2541, obs. T. Clay  ; Rev. arb. 2015. 823, note L. Weiller). La cour d’appel considère que cette seule circonstance « ne saurait, sans qu’il soit porté une atteinte disproportionnée au droit au recours, être sanctionnée par une irrecevabilité ». Le recours en annulation est donc recevable, malgré l’erreur dans la sélection de la case sur le RPVA.

B – L’intervention des tiers au recours

La question de l’intervention des tiers dans les recours contre la sentence est suffisamment rare pour que l’arrêt devienne immédiatement intéressant (Paris, 24 sept. 2019, n° 17/14143). C’est une situation très originale qui est à l’origine de cette demande d’intervention. Une sentence d’accord-parties a été rendue. Quelques mois plus tard, un recours est formé par une des parties au litige. Il est déjà original de se retrouver dans ce cas de figure, la sentence d’accord-parties étant le fruit de l’accord des parties. Pour autant, rien dans le code de procédure civile n’interdit, au moins sur le principe, l’exercice d’un tel recours. Profitant de cette action, deux tiers interviennent volontairement à l’instance. Leur demande est déclarée irrecevable. La cour énonce que « le juge étatique du pays désigné par les parties comme siège de l’arbitrage examine les recours en annulation des sentences rendues en cette matière selon les règles de son droit interne, mais dans les limites de l’abandon de souveraineté consenti par l’État-hôte dans le traité. Il en résulte que des personnes qui se prétendent investisseurs, mais n’ont pas la nationalité du ou des autres États signataires du traité, n’ont pas qualité pour intervenir dans l’instance en annulation de la sentence ».

Cette solution s’inscrit dans un courant déjà ancien d’hostilité à l’intervention volontaire des tiers dans le recours contre la sentence (Paris, 18 sept. 2003, Rev. arb. 2004. 311 [3e esp.], note J.-B. Racine ; v. égal., Paris, 27 févr. 1997, Delphi Overseas, Rev. arb. 1997. 159, obs. C. Jarrosson ; 8 mars 2001 ; ibid. 2001. 567, obs. C. Legros ; 9 avr. 2009, Cah. arb. 2010. 889 [2e esp.], note E. Loquin ; LPA 2011, n° 38, p. 9 [1re esp.], obs. M. de Boisséson ; Rev. arb. 2009. 436 ; JCP E 2009, n° 50, 2167, § 8, obs. J. Ortscheidt). 

Le raisonnement en matière d’arbitrage commercial et d’investissement est d’ailleurs similaire : c’est la volonté des parties qui justifie l’exclusion des tiers des recours contre la sentence. Il n’en demeure pas moins que cette solution n’est pas parfaitement satisfaisante. La volonté des parties n’est pas suffisante pour fermer une voie procédurale ouverte aux tiers dans le cadre du recours contre la sentence. Comme le remarque un auteur, « la composante contractuelle de l’arbitrage n’a en effet véritablement d’incidence sur l’office du juge que s’il statue sur le fond, puisqu’il est alors tenu par les limites de la convention d’arbitrage. Or, en matière internationale, le juge ne se prononce pas sur le fond du litige. Il ne puise pas directement son pouvoir juridictionnel de la convention des parties. L’intervention volontaire d’un tiers à l’instance ne paraît donc pas incompatible avec la nature contractuelle de l’arbitrage au stade du contrôle de la validité de la sentence par le juge » (J. Ortscheidt, obs. ss Paris, 9 avr. 2009, préc.).

À défaut d’intervention du tiers dans le recours, et à défaut de tierce opposition ouverte contre la sentence (Civ. 1re, 8 oct. 2009, n° 07-21.990, Association de défense de la bibliothèque polonaise [2 arrêts], Bull. civ. I, n° 201 ; D. 2009. 2959, obs. T. Clay  ;JCP 2010. I. 644, § 6, obs. J. Béguin ; Rép. dr. com., nov. 2009. 6, obs. X. Delpech), le tiers est dans la situation où une sentence est susceptible de lui causer un préjudice sans qu’il ne puisse la contester d’une quelconque manière.

C – Le contrôle de la compétence

Les frais d’une procédure judiciaire peuvent-ils être réclamés dans le cadre d’une procédure arbitrale ? Telle était la question soulevée par une affaire (Paris, 10 sept. 2019, n° 17/10639). Dans le cadre d’une première procédure judiciaire, les juridictions étatiques se sont déclarées incompétentes pour trancher un litige. Une fois le tribunal arbitral saisi, l’une des parties réclame le paiement des frais engagés dans le cadre de la procédure étatique et pour lesquels il n’a pas reçu de compensation.

La réponse à cette question a en principe été donnée récemment. La cour d’appel de Paris a jugé que « la qualification de dommages-intérêts attribuée par la société Shackleton aux sommes ainsi réclamées n’en change pas la nature qui est celle de frais de justice découlant, non pas du contrat, mais des différentes procédures juridictionnelles au cours desquelles ils ont été engagés ; Que c’est donc à juste titre que l’arbitre unique a jugé que ces demandes n’entraient pas dans le champ de la clause compromissoire, de sorte qu’il n’était pas compétent pour en connaître » (Paris, 13 nov. 2018, n° 16/16608, D. 2018. 2448, obs. T. Clay ; Gaz. Pal. 2019, n° 11, p. 38, obs. D. Bensaude). Ainsi, la question soulevée a donné lieu à une réponse négative, dès lors que les frais découlant d’une procédure étatique ne peuvent entrer dans le champ d’une clause compromissoire.

Toutefois, il convient de ne pas oublier que le droit de l’arbitrage est plus complexe qu’une simple réponse positive ou négative. D’abord, parce la question doit être soulevée devant l’arbitre avant de l’être devant le juge étatique. À défaut, l’article 1466 du code de procédure civile y voit une renonciation à se prévaloir de ce moyen. Ensuite, lorsque plusieurs sentences arbitrales sont rendues, il convient de soulever devant le juge le moyen sur la compétence lors du recours contre la sentence sur la compétence. En conséquence, la compétence ne peut plus être discutée lors d’un recours contre une sentence ultérieure si les délais pour contester la première sentence sont expirés. Autrement dit, les articles 1492 et 1520 sont amputés de leur 1° lorsqu’une sentence sur la compétence est rendue et une fois que les délais pour la contester sont expirés.

Dans le cas d’espèce, la compétence du tribunal pour connaître des frais de justice exposés devant le juge étatique n’a pas fait l’objet d’une discussion devant le tribunal arbitral et n’a pas été contestée lors du recours contre la sentence sur la compétence. Ces deux défaillances du demandeur, qui se suffisent l’une et l’autre à elles-mêmes, conduisent à rejeter le recours, quand bien même le tribunal aurait sans doute dû se déclarer incompétent.

C’est également une question de compétence qui est soulevée par un arrêt de la chambre sociale (Soc. 16 oct. 2019, n° 17-31.802). L’arrêt est destiné à une très faible publicité (FS-D), mais la solution est suffisamment perturbante pour l’évoquer. L’affaire concerne la compétence de la commission arbitrale des journalistes. Dans le cadre d’un litige, la cour d’appel de Paris s’était déclarée incompétente pour trancher la demande d’indemnité de licenciement formée devant elle (Paris, 24 sept. 2015, n° 14/12710). La compétence a de nouveau été discutée devant la commission, puis dans le cadre du recours en annulation formé devant le juge judiciaire. C’est sur ce point que l’arrêt est rendu.

La qualification d’arbitrage conduit la décision rendue par la Commission à être assimilée, pour l’exercice des voies de recours, à une sentence arbitrale. Elle peut alors faire l’objet d’un recours en annulation, au titre duquel la compétence de la Commission sera examinée conformément à l’article 1492, 1°, du code de procédure civile. C’est à ce titre que la solution nous intéresse.

La Cour de cassation énonce dans le présent arrêt que « l’autorité de la chose jugée est attachée depuis son prononcé au dispositif de l’arrêt du 24 septembre 2015 aux termes duquel la cour d’appel s’est déclarée incompétente pour connaître de la demande d’indemnité de licenciement, opposant par là implicitement à la demande du salarié la fin de non-recevoir à caractère d’ordre public qui sanctionne le défaut de pouvoir juridictionnel, et a renvoyé les parties à saisir la commission d’arbitrage des journalistes afin que celle-ci statue, dans l’exercice de son pouvoir, sur cette demande ; que ces chefs de dispositif n’ayant pas fait l’objet d’un pourvoi, sont devenus irrévocables ; qu’il s’ensuit que la cour d’appel a rejeté à bon droit le recours en annulation dirigé contre la décision de la commission arbitrale des journalistes qui, en statuant sur la demande d’indemnité de licenciement, a, ainsi qu’elle y était tenue, respecté l’autorité de la chose jugée attachée à la décision prud’homale ». À la lecture de la motivation, l’arbitragiste toussote. Celle-ci pose deux difficultés.

D’une part, il est de jurisprudence constante que l’incompétence des juridictions judiciaires au profit d’une juridiction arbitrale n’est pas une fin de non-recevoir, mais une exception de procédure (Civ. 1re, 6 juin 1978, Rev. arb. 1979. 230, note P. Level ; Civ. 3e, 13 mai 1981, Rev. arb. 1983. 110 ; Civ. 1re, 9 oct. 1990, n° 89-11.857, Bull. civ. I, n° 205 ; D. 1991. 571 , note M. Santa-Croce  ; Rev. arb. 1991. 305, note M.-L. Niboyet-Hoegy ; 6 nov. 1990, Rev. arb. 1991. 73, note P. Delebecque ; 19 nov. 1991, Bull. civ. I, n° 313 ; Rev. arb. 1992. 462, note D. Hascher ; v. aussi, Civ. 2e, 22 nov. 2001, n° 99-21.662, Bull. civ. II, n° 168 ; D. 2002. 42, et les obs. ; RTD com. 2002. 46, obs. E. Loquin  ; Dr. et proc. 2002. 108, note M. Douchy ; Procédures 2002, n° 1, note R. Perrot ; JCP G 2002, II, 10174, note C. Boillot ; JCP E 2002. 1467, note G. Chabot ; Civ. 1re, 3 févr. 2010, Bull. civ. I, n° 31 ; JCP G 2010, I, 546, § 8, obs. T. Clay ; 14 avr. 2010, Bull. civ. I, n° 96 ; Rev. arb. 2010. 496, note P. Callé ; RJC 2010. 84, obs. B. Moreau).

Ainsi, la solution va à l’encontre du droit positif. D’ailleurs, la cour d’appel, dans son arrêt de 2015 rendu dans la présente affaire, s’était limitée à constater son « incompétence », et non son « défaut de pouvoir ». Il est toutefois exact que la qualification d’exception de procédure est contestée en doctrine. Comme l’explique Pierre Callé, « en présence d’une clause compromissoire, les juridictions étatiques sont dépourvues, de par la volonté des parties, de tout pouvoir juridictionnel à l’égard du litige qui leur est soumis. Il ne s’agit pas d’une question de compétence qui implique une répartition de la matière litigieuse entre plusieurs juges, mais de pouvoir, c’est-à-dire d’aptitude de la juridiction à trancher le litige » (P. Callé, note ss Civ. 1re, 3 févr. 2010, préc.). Il n’est toutefois pas certain que l’intention de la chambre sociale ait été d’engager une révolution sur cette question.

D’autre part, et cette étape du raisonnement vaut aussi bien pour une qualification de fin de non-recevoir que d’exception de procédure, la décision d’incompétence du juge judiciaire n’a aucunement autorité de la chose jugée pour les arbitres. Premièrement, car cela reviendrait à faire application non pas de l’autorité négative de la chose jugée, mais d’une forme d’autorité positive de la chose jugée, laquelle est encore largement discutée (C. Chainais, F. Ferrand, L. Mayer et S. Guinchard, Procédure civile. Droit interne et européen du procès civil, 2018, Dalloz, coll. « Précis », nos 1086 s.). Deuxièmement, car l’article 1465 du code de procédure civile dispose que « le tribunal arbitral est seul compétent pour statuer sur les contestations relatives à son pouvoir juridictionnel ». Ainsi, le tribunal arbitral ne peut être privé de sa faculté de se prononcer sur son pouvoir juridictionnel par une décision antérieure rendue par une juridiction étatique. Telle est la logique de l’effet positif du principe compétence-compétence. Il n’y a donc aucune autorité de la chose jugée susceptible de contraindre l’arbitre à se déclarer compétent. En conséquence, le juge de l’annulation aurait dû examiner ce cas d’ouverture du recours en dépit de la décision antérieure.

Néanmoins, la Commission arbitrale des journalistes est une anomalie et c’est sans doute ici que se niche la difficulté. La qualification d’arbitrage est usurpée dès lors qu’il s’agit d’un arbitrage « forcé », là où l’arbitrage trouve sa source dans la volonté des parties. Le Conseil constitutionnel y voit une « juridiction spécialisée » (Cons. const. 14 mai 2012, nos 2012-243/244/245/246 QPC, Dalloz actualité, 4 juin 2012, obs. L. Perrin ; D. 2012. 2991, obs. T. Clay ; ibid. 2013. 1584, obs. N. Jacquinot et A. Mangiavillano ; Dr. soc. 2012. 1039, étude A. Sintives ; RDT 2012. 438, obs. E. Serverin ; Légipresse 2012. 350 et les obs. ; ibid. 364, comm. F. Gras ; Constitutions 2012. 456, chron. C. Radé  ; Procédures 2012. 223, obs. A. Bugada ; Gaz. Pal. 2012, n° 274-276, p. 15, obs. D. Bensaude) et la cour d’appel de Paris une « juridiction étatique d’exception » (Paris, 4 juin 2009, n° 08/04319, Sté Libération, D. 2009. 2959, obs. T. Clay ). Le caractère hybride de cette juridiction brouille la réflexion. En effet, exclure la qualification d’arbitrage aurait permis, par exemple, d’appliquer l’article 81, alinéa 2, du code de procédure civile, qui énonce que « le juge qui se déclare incompétent désigne la juridiction qu’il estime compétente. Cette désignation s’impose aux parties et au juge de renvoi ». Ainsi, il aurait été inutile de convoquer une maladroite autorité positive de la chose jugée. Il est sans doute temps d’en finir avec la qualification d’arbitrage de cette commission. À défaut, il convient de ne pas heurter frontalement le régime de l’arbitrage prévu par le code de procédure civile.

D – La constitution du tribunal arbitral

La jurisprudence en matière d’obligation de révélation est toujours aussi foisonnante. L’arrêt du 3 octobre 2019 (Civ. 1re, 3 oct. 2019, n° 18-15.756, Dalloz actualité, à paraître, obs. C. Debourg) constitue une nouvelle pierre au monumental édifice bâti par la jurisprudence, édifice qui ne brille pas toujours par sa stabilité, sa cohérence et sa solidité. L’affaire est relativement simple. Le cabinet d’un des arbitres a mené plusieurs missions, avant et pendant l’arbitrage, pour des entités du groupe d’une des parties au litige. Aucune de ces missions n’a fait l’objet d’une révélation aux parties de la part de l’arbitre. Saisie d’un recours en annulation, la cour d’appel de Paris a annulé la sentence (Paris, 27 mars 2018, n° 16/09386, D. 2018. 2448, obs. T. Clay  ; Rev. arb. 2019. 522 [1re esp.], note L.-C. Delanoy ; Gaz. Pal. 2018, n° 27, p. 19, obs. D. Bensaude). Le pourvoi contre l’arrêt est rejeté, la Cour de cassation faisant sienne la motivation de la cour d’appel. Le raisonnement distingue les missions antérieures à l’arbitrage des missions menées durant l’arbitrage.

Concernant les missions antérieures à l’arbitrage, la Cour de cassation conforte le raisonnement de la cour d’appel qui a pu « exactement décid[er] que […] l’existence d’un contrat exécuté en 2010 par le cabinet H&M pour la Volkswagen Bank devait être regardée comme notoire du fait de sa publication avant le début de l’arbitrage dans un annuaire professionnel connu de tous les cabinets d’avocats d’affaires allemands ». C’est donc la notoriété d’une situation qui justifie sa non-révélation. La jurisprudence affirme de façon continue que l’arbitre doit « informer les parties de toute relation qui ne présente pas un caractère notoire » (par ex., Paris, 13 mars 2008, n° 06/12878, D. 2008. 3111, obs. T. Clay ). Toutefois, il ne s’agit pas de savoir si l’information est véritablement connue, mais si elle aurait dû l’être. La notoriété de la situation fait peser sur les parties une obligation de « curiosité », dont les limites sont encore largement indéterminées (v. égal. Paris, 12 avr. 2016, n° 14/14884, D. 2016. 2589, obs. T. Clay ; RTD civ. 2016. 856, obs. H. Barbier  ; Rev. arb. 2017. 234, note E. Loquin et p. 949, note M. Henry ; Cah. arb. 2016. 447, note T. Clay ; maintenu par, Civ. 1re, 19 déc. 2018, n° 16-18.349, Dalloz actualité, 1er févr. 2019, obs. C. Debourg ; ibid., 29 janv. 2019, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2019. 24  ; Procédures, n° 4, p. 14, obs. L. Weiller ; JCP E 2019, n° 15, p. 20, note A. Constans). En l’espèce, le critère déterminant repose sur la nationalité : les cabinets d’avocats allemands doivent connaître – et consulter – les annuaires professionnels allemands.

On peut toutefois douter de la pertinence de l’exclusion des faits notoires de l’obligation de révélation. D’abord, l’exception de notoriété conduit à exclure de l’obligation de révélation les éléments les plus importants. Ensuite, l’obligation de révélation pèse, selon l’article 1456, alinéa 2, du code de procédure civile, intégralement sur l’arbitre. L’exception de notoriété et l’obligation de curiosité ne reposent sur aucun fondement juridique et sont en contradiction directe – dans la lettre et l’esprit – avec le texte. Elles invitent l’arbitre à être le moins précis possible, là où les dix dernières années de jurisprudence entendaient renforcer l’obligation de révélation.

Concernant les missions concomitantes à l’arbitrage, la Cour de cassation refuse de faire peser sur les parties une obligation de curiosité continue, en se réappropriant la motivation selon laquelle la partie « n’était pas tenue de poursuivre ses recherches après le début des opérations d’arbitrage et il incombait à l’arbitre d’informer les parties de toute circonstance susceptible d’affecter son indépendance ou son impartialité survenant après l’acceptation de sa mission ». La Cour confirme que les parties n’ont pas à renouveler régulièrement leurs investigations pendant l’instance arbitrale (v. égal., Paris, 14 oct. 2014, n° 13/14076, D. 2014. 2541, obs. T. Clay  ; Newsletter du CMAP, nov. 2014. 10, obs. L. Jandard ; Cah. arb. 2014. 795, note D. Cohen ; Rev. arb. 2015. 151, note M. Henry ; confirmé par Civ. 1re, 16 déc. 2015, n° 14-26.279, D. 2016. 2589, obs. T. Clay  ; Rev. arb. 2016. 536, note M. Henry ; Cah. arb. 2016. 653, note D. Cohen ; Gaz. Pal. 2016, n° 26, p. 27, obs. D. Bensaude). En conséquence, l’obligation de révélation pèse exclusivement sur l’arbitre pendant le déroulement de l’arbitrage, que le fait soit notoire ou non.

Toutefois, le défaut de révélation n’entraîne pas immédiatement l’annulation de la sentence. Il convient d’établir que le fait non révélé est de nature à générer aux yeux des parties un doute raisonnable sur l’impartialité et l’indépendance de l’arbitre. C’est bien le cas en l’espèce, la Cour de cassation relevant que « la mission confiée pendant l’arbitrage par la société Porsche au cabinet H&M, revêtait une incontestable importance aux yeux de ce dernier, pour figurer, comme suffisamment notable, au titre de sa communication, dans le “top 5” en 2014 et 2015 de ses dossiers les plus remarquables ; que par ces énonciations, qui procèdent de son pouvoir souverain d’appréciation, la cour d’appel, qui n’était pas tenue de procéder à des recherches que ces constatations rendaient inopérantes, a légalement justifié sa décision sur l’existence d’un doute raisonnable quant à l’indépendance et à l’impartialité de M. Z ». Il est intéressant de voir ce doute caractérisé non pas à travers des critères objectifs, mais des critères subjectifs issus de la communication du cabinet de l’arbitre. Reste à savoir si une absence de communication aurait conduit à une conclusion inverse et, à défaut, quels auraient pu être les éléments à retenir pour établir l’existence de ce doute.

E – L’ordre public

Les éléments composant l’ordre public international et la question de l’intensité du contrôle font l’objet de discussions régulières dans le cadre d’un recours contre la sentence. Un arrêt du 10 septembre 2019 opère quelques rappels utiles (Paris, 10 sept. 2019, n° 17/10639). D’une part, l’inconciliabilité entre la sentence attaquée et une autre décision est susceptible de constituer une violation de l’ordre public international. La cour précise que des décisions sont inconciliables lorsqu’elles entraînent des conséquences juridiques qui s’excluent mutuellement. La solution n’est pas nouvelle (Paris, 17 janv. 2012, n° 10/21349, Planor Afrique, D. 2012. 2991, obs. T. Clay  ; Rev. arb. 2012. 569, note M.-L. Niboyet ; Gaz. Pal. 6-8 mai 2012. 16, obs. D. Bensaude ; Int’l Arb. L. Rev. 2012, n° 15-2, p. 11, note B. Grange ; 4 déc. 2012, n° 11/07800, Planor Afrique, D. 2012. 2991, obs. T. Clay  ; Rev. arb. 2013. 411 [2e esp.], note C. Debourg). La cour rappelle également que la violation de l’autorité de la chose jugée n’est pas d’ordre public international et ne peut fonder une annulation de sentence pour inconciliabilité.

Par ailleurs, l’arrêt apporte également un éclairage sur l’intensité du contrôle de l’ordre public international. On sait que la jurisprudence est en train d’opérer un revirement sur cette question – au moins dans les termes choisis – mais aucune certitude n’existe actuellement quant à l’ampleur de la solution. En effet, depuis quelques années déjà, la cour n’évoque plus le caractère « flagrant, effectif et concret » de la violation, mais son caractère « manifeste, effectif et concret ». Simplement, on peut se demander si ce nouvel étalon de contrôle s’applique à l’ensemble des griefs relevant de l’ordre public international (pour un ex. concernant l’ordre public procédural : Paris, 28 mars 2017, n° 15/17742, inédit ; 30 janv. 2018, n° 16/11761, Cah. arb. 2018. 125, obs. P. Pedone) ? Si une réponse positive s’imposera progressivement, la cour d’appel énonce explicitement que c’est bien le caractère manifeste, effectif et concret de la violation alléguée qui s’applique en matière d’inconciliabilité de décisions.

IV – La compétence du juge de l’exécution

La question du juge de l’exécution en matière d’arbitrage fait rarement l’objet d’une attention approfondie (v. toutefois, D. Mouralis, Le contentieux devant le juge de l’exécution, in L’exécution des sentences arbitrales internationales, M. de Fontmichel et J. Jourdan-Marques [dir.], 2017, LGDJ, Lextenso, p. 131). Dans une affaire soumise à la cour d’appel de Paris (Paris, 11 sept. 2019, n° 19/04988), le litige ayant donné lieu à un arbitrage portait sur la répartition de sommes se trouvant au crédit d’un compte indivis ouvert dans les livres d’une banque. La question posée nécessitait de déterminer qui du juge des référés ou du juge de l’exécution était compétent pour connaître de la demande formulée par une partie à la sentence contre la banque – tiers à l’instance arbitrale – en vue d’obtenir que cette dernière exécute les dispositions édictées par la sentence. La cour d’appel énonce que « cette demande qui tend à l’exécution de la sentence arbitrale relève de la compétence exclusive du juge de l’exécution et ne peut donc pas prospérer devant le juge des référés qui ne dispose pas du pouvoir de statuer sur la question de savoir si la sentence arbitrale dont se prévaut la société Bouygues constitue un titre exécutoire et s’il est opposable à la banque ». Le juge de l’exécution est donc le seul compétent pour connaître de l’opposabilité à un tiers de la sentence arbitrale.

V – La spécialisation des juges judiciaires en matière d’arbitrage

Le décret n° 2019-912 du 30 août 2019 modifiant le code de l’organisation judiciaire et pris en application des articles 95 et 103 de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice prévoit, en son article 3, une disposition visant l’arbitrage. Celle-ci énonce en son 10° que « sauf stipulation contraire des parties et sous réserve de la compétence du tribunal judiciaire de Paris ou de son président en matière d’arbitrage international ainsi que de la compétence de la cour d’appel ou de son premier président en matière de voies de recours, des demandes fondées sur le Livre IV du code de procédure civile ». On peut se réjouir que le législateur envisage une spécialisation des juridictions sur les questions d’arbitrage. Le droit de l’arbitrage est souvent trop complexe pour être correctement appréhendé par des juridictions ayant à connaître de telles questions de façon exceptionnelle.

Pour autant, la mise en œuvre de cette future spécialisation pourrait être un peu complexe. On comprend d’abord que l’arbitrage international est exclu, sauf dans les très rares cas où les parties auraient désigné un siège en dehors de Paris. De plus, les voies de recours relevant des cours d’appel ne sont pas concernées, aussi bien en matière interne qu’internationale (recours en annulation ; recours contre l’ordonnance d’exequatur en matière internationale ; appel de la sentence en matière interne ; recours en révision en matière interne). En revanche, l’identification des demandes concernées pourrait être fastidieuse et soulever des interrogations. De façon assez évidente, on doit pouvoir inclure dans le champ de cette spécialisation toutes les demandes formées devant le juge d’appui, la tierce opposition et la requête en exequatur de la sentence. En revanche, on peut être plus circonspect sur les mesures d’instruction, provisoire ou conservatoire : sont-elles fondées sur le Livre IV (C. pr. civ., art. 1449) ou sur les dispositions spécifiques du code de procédure civile (par ex., C. pr. civ., art. 145) ?

On peut se poser une question identique pour le juge de l’exécution (JEX) ou sur le juge chargé de connaître de l’action en responsabilité contre l’arbitre. Selon nous, dans ces deux cas, une réponse négative devrait s’imposer – l’action n’étant pas fondée sur le Livre IV – mais la question sera sans doute posée. Enfin, il convient de préciser que les discussions sur le principe compétence-compétence devraient être exclues. En effet, ce n’est pas la demande qui est fondée sur le Livre IV, mais le moyen de défense. On imagine mal les parties devoir, dans un premier temps, passer du juge non spécialisé au juge spécialisé, pour, dans un second temps, être renvoyées devant l’arbitre. Pourtant, il est clair que les questions les plus originales sont bien celles relatives au principe compétence-compétence et c’est sans doute là que le besoin de spécialisation se fait le plus ressentir. Pour finir, on fera remarquer que cette question n’est pas totalement dénuée d’enjeux. Ainsi, pour un territoire comme la Guadeloupe, qui doit accueillir le centre d’arbitrage de l’OHADAC, il conviendrait de ne pas voir le juge privé de sa compétence au profit d’une autre juridiction, sous peine de perdre une partie de son attractivité.

Le conseiller de la mise en état, l’exécution de la sentence de la Russie

Une sentence arbitrale à plus d’un milliard de dollars, la Fédération de Russie comme débiteur, une demande de suspension de l’exécution provisoire… et un conseiller de la mise en état pour trancher. C’est la situation dans laquelle s’est trouvé le président de la nouvelle chambre internationale de la cour d’appel de Paris, qui n’a pas hésité à rejeter la demande.

 

Au-delà de cette belle ordonnance (Paris, 22 oct. 2019, n° 19/04161, Fédération de Russie c. JSC Oschadbank, v. infra, « Les recours contre la sentence »), la présente livraison s’attarde sur un très grand nombre d’arrêts révélant la diversité des effets de la clause compromissoire. De plus, on signalera tout particulièrement un arrêt de la cour d’appel de Versailles (Versailles, 22 oct. 2019, n° 18/03519, Elisa Distribution), qui soulève des discussions concernant l’indépendance et l’impartialité d’un arbitre ainsi que la conformité de la sentence à l’ordre public.

La clause compromissoire

La clause compromissoire soulève des questions de plusieurs ordres : de validité, d’articulation, de circulation et d’extension.

La validité de la clause

La clause compromissoire par référence

Il n’est pas rare que la clause compromissoire ne figure pas dans le contrat principal, mais dans un document annexe, auquel il est fait référence. La question de la validité de cette clause se pose, aussi bien quant à la forme qu’au fond. Cette question a fait l’objet d’études doctrinales d’ampleur (X. Boucobza, La clause compromissoire par référence en matière d’arbitrage international, Rev. arb. 1998. 495 ; B. Oppetit, La clause d’arbitrage par référence, Rev. arb. 1990. 551). La jurisprudence est fixée depuis longtemps. Dans l’arrêt Bomar Oil, la Cour de cassation a énoncé qu’« en matière d’arbitrage international, la clause compromissoire par référence écrite à un document qui la contient, par exemple des conditions générales ou un contrat type, est valable, à défaut de mention dans la convention principale, lorsque la partie à laquelle la clause est opposée a eu connaissance de la teneur de ce document au moment de la conclusion du contrat et qu’elle a, fût-ce par son silence, accepté l’incorporation du document au contrat » (Civ. 1re, 9 nov. 1993, n° 91-15.194, Rev. arb. 1994. 108, note C. Kessedjian ; JDI 1994. 690, note E. Loquin). Depuis, l’exigence d’une « référence écrite » a été supprimée (Civ. 1re, 20 déc. 2000, n° 98-21.548, Rev. arb. 2003. 1341, note C. Legros ; 11 mai 2012, n° 10-25.620, JCP G 2012. Doctr. 1354, n° 4, obs. C. Seraglini ; Rev. arb. 2012. 561, note L. Bernheim-Van de Casteele). Deux conditions seulement subsistent : la connaissance et l’acceptation (sur ce point, v. J.-B. Racine, Droit de l’arbitrage, PUF, coll. « Thémis droit », 2016, nos 255 s. ; C. Seraglini et J. Ortscheidt, Droit de l’arbitrage interne et international, Lextenso éditions, Montchrestien, coll. « Domat, Droit privé », 2013, n° 660).

C’est sur une sorte de clause par référence que la Cour de cassation avait à se prononcer (Civ. 1re, 4 déc. 2019, n° 18-23.176, Priosma). Dans les faits, un contrat avait été conclu en 2011, lequel contenait une clause compromissoire. Deux ans plus tard, un contrat identique est conclu mais une partie est remplacée par une autre. La spécificité du contrat de 2013 tient dans son contenu, qui renvoyait pour une large part au contrat de 2011. La question était donc de savoir si la clause compromissoire contenue dans le contrat de 2011 pouvait s’appliquer au nouveau cocontractant de 2013. C’est une réponse positive qui est apportée par le tribunal arbitral et validée par la cour d’appel de Paris (Paris, 29 mai 2018, n° 16/12944, RDC 2018. 386, note X. Boucobza et Y.-M. Serinet). Le pourvoi est rejeté. La Cour de cassation retient que, « le contrat de 2013 étant dépourvu de substance sans sa référence à l’ensemble des stipulations du contrat de 2011, Priosma avait nécessairement eu connaissance de celui-ci, qui fixait seul les droits et obligations des parties ; qu’ayant ainsi fait ressortir l’acceptation par Priosma, lors de la conclusion du contrat, de la clause compromissoire contenue dans celui de 2011, la cour d’appel a légalement justifié sa décision ». La motivation est éclairante. Les deux juridictions ont successivement fait mention de la connaissance et de l’acceptation. Ceci étant, la caractérisation de ces conditions est réduite à sa plus simple expression : ce n’est pas la connaissance effective qui est recherchée, mais la connaissance nécessaire. Dès lors, l’acceptation découle automatiquement de cette connaissance, faute d’opposition à la clause. En définitive, la Cour de cassation confirme une jurisprudence particulièrement favorable à la clause compromissoire par référence. Reste à savoir s’il en ira de même en matière interne avec la nouvelle formule retenue par l’article 2061 du code civil (« la clause compromissoire doit avoir été acceptée par la partie à laquelle on l’oppose », v. not. C. Jarrosson et J.-B. Racine, Les dispositions relatives à l’arbitrage dans la loi de modernisation de la justice du XXIe siècle, Rev. arb. 2016. 1005, n° 14 s. ; il faut également combiner, en matière interne, l’article 2061 du code civil avec l’article 1443 du code de procédure civile : « À peine de nullité, la convention d’arbitrage est écrite. Elle peut résulter d’un échange d’écrits ou d’un document auquel il est fait référence dans la convention principale »). Rien ne semble l’interdire.

Le fondement de la validité de la clause

En matière interne, la validité de la clause est soumise à l’article 2061 du code civil. L’article ayant été modifié par la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016, la question de survie de la loi ancienne aux clauses conclues avant son entrée en vigueur se pose avec acuité. Dès la promulgation de la loi, la doctrine a fait part de ses doutes quant à cette question (C. Jarrosson et J.-B. Racine, Les dispositions relatives à l’arbitrage dans la loi de modernisation de la justice du XXIe siècle, Rev. arb. 2016. 1005, n° 27). Implicitement, un arrêt de la cour d’appel de Colmar vient d’opter pour la survie de la loi ancienne, qui continue à être applicable aux clauses formées avant l’entrée en vigueur de la loi du 18 novembre 2016 (Colmar, 30 oct. 2019, n° 15/02482, Lohr). Cela dit, pouvait-il véritablement en aller autrement dès lors que la sentence contrôlée était antérieure à la réforme ?

Par ailleurs, cet arrêt rappelle que l’article 2061 du code civil n’épuise pas les dispositions relatives à la validité de la clause compromissoire. Celle-ci peut aussi être appréciée à l’aune de l’article L. 721-3 du code de commerce. Mieux, une partie rappelait une chose méconnue : les articles 1025 et 1026 du code de procédure civile local d’Alsace-Moselle sont encore en vigueur. Or le premier prévoit des dispositions dérogatoires concernant la validité de la clause compromissoire (P. Hoonakker, D. d’Ambra et S. Guinchard, « Règles locales de procédure civile en matière contentieuse », in Droit et pratique de la procédure civile, Dalloz Action, 2017-2018, n° 722.61 ; Rép. civ., Alsace et Moselle, par J.-L. Vallens, n° 16 ; Rép. internat., Alsace et Moselle. Conflits de juridictions, par J.-M. Bischoff, n° 35). Il énonce que « la convention attribuant à un ou plusieurs arbitres le pouvoir de trancher un litige est valable, en droit, dans la mesure où les parties ont le droit de transiger sur l’objet du litige ». Voilà une formule particulièrement moderne, d’autant qu’elle date de plus d’un siècle. Ceci étant, la cour d’appel de Colmar ne s’embarrasse pas de ces textes spéciaux et évalue la compétence de l’arbitre à l’aune du seul article 2061. Alors que l’arbitre s’était déclaré compétent, elle juge que la convention portait sur une cession à titre patrimonial qui n’était pas intervenue dans le cadre d’une activité professionnelle. Il est toutefois difficile d’évaluer la décision, le défendeur ayant été déclaré irrecevable dans ses conclusions. Un éventuel pourvoi laisse augurer de belles questions d’articulation entre les articles 2061 ancien et nouveau, 721-3 et le droit local !

L’articulation de la clause

La question de l’articulation de la clause compromissoire avec une clause attributive de juridiction peut intervenir à deux moments devant le juge judiciaire. D’une part, lors d’une saisine du juge désigné par une clause préalablement à la constitution du tribunal arbitral ; d’autre part, postérieurement à la reddition d’une sentence, dans le cadre du recours exercé contre celle-ci. Ces deux situations ont fait l’objet de décisions dans la période récente.

D’une part, une partie peut faire état de l’existence d’une clause compromissoire dans une instance où le juge étatique est saisi par la partie adverse. En principe, l’examen du juge est supposé être superficiel en application du principe compétence-compétence. Toutefois, la Cour de cassation ne tient pas toujours parfaitement la ligne – ce que l’on peut regretter pour la lisibilité de sa jurisprudence. Ainsi, dans une affaire déjà examinée sur renvoi après cassation (Civ. 1re, 1er juin 2017, n° 16-11.487, Procédures 2017. Comm. 201, obs. L. Weiller ; Gaz. Pal. 2017, n° 38, p. 28, obs. D. Bensaude), partiellement rabattu et rectifié (Civ. 1re, 24 janv. 2018, n° 16-11.487), la Cour de cassation était à nouveau saisie (Civ. 1re, 4 déc. 2019, n° 18-23.395, Russian Satellite Communications Company) d’un pourvoi contre l’arrêt d’appel (Paris, 29 mai 2018, n° 17/16484, RDC 2018. 386, note X. Boucobza et Y.-M. Serinet). En substance, un contrat de cession de titres avait été conclu entre deux sociétés. Finalement, le cédant avait lui-même cédé ses droits par un second contrat. L’un et l’autre de ces contrats contenaient une clause compromissoire. À la suite de cela, un troisième contrat, tripartite cette fois, a été conclu pour fixer les modalités de la cession. Celle-ci stipulait une clause d’élection de for (on a, une fois de plus, la preuve que les rédacteurs d’actes n’ont parfois aucune conscience des conséquences des stipulations contractuelles). Finalement, un litige survient entre le second cessionnaire et le cédant. Le tribunal de commerce est saisi du litige par le second cessionnaire. Le défendeur oppose la clause compromissoire figurant dans les deux premiers contrats. Le premier arrêt d’appel avait accueilli l’exception d’incompétence sur le fondement du principe compétence-compétence (Paris, 19 janv. 2016). Celui-ci était cassé au motif qu’« aucune clause compromissoire ne liait les sociétés [cédante] et [cessionnaire au second degré] et que le contrat tripartite contenait une clause attributive de juridiction ». Le second arrêt d’appel a pris acte de la solution de la Cour de cassation et écarté l’exception d’incompétence. Sans surprise, le pourvoi est rejeté.

On reste sceptique sur la solution. En présence de deux contrats contenant une clause compromissoire et un troisième contrat contenant une clause attributive de juridiction, il est difficile d’identifier le caractère « manifeste » de l’inapplicabilité de la clause (dans le même sens, v. X. Boucobza et Y.-M. Serinet, note ss Paris, 29 mai 2018, RDC 2018. 386). La longueur de la motivation nécessaire pour emporter la conviction est particulièrement révélatrice du doute qui peut subsister sur cette question. Certes, renvoyer à l’arbitre alors que l’incompétence est probable n’est pas sans inconvénient. Il n’en demeure pas moins que le principe compétence-compétence est de droit positif et mérite une application rigoureuse et constante.

D’ailleurs, la cour d’appel de Paris (Paris, 26 nov. 2019, n° 18/20873, Axa France IARD) est sur une ligne concurrente, pour des faits voisins, de celle retenue par la Cour de cassation (à l’exception de l’arrêt du 29 mai 2018, mais qui est rendu sur renvoi après cassation. Sans être liée, la cour d’appel était donc fortement incitée à rendre une décision conforme). Elle énonce que « la présence d’une clause attributive de juridiction dans l’un des contrats ne fait pas obstacle à la compétence arbitrale pour statuer sur l’existence, la validité et l’étendue de la convention d’arbitrage ». On n’aurait pas dit mieux et les parties sont invitées à mieux se pourvoir. C’est une analyse similaire qui est retenue dans un deuxième arrêt (Paris, 30 oct. 2019, n° 18/27504, Auchan Hypermarché). Des parties, en relation de longue date, avaient pour habitude d’inclure des clauses attributives de juridiction dans leurs conventions, notamment en 2010, 2011, 2012, 2013, 2014 et 2016. En revanche, en 2015, elles avaient opté pour une clause compromissoire. La cour d’appel de Paris en déduit que, dès lors que le fait générateur est une lettre du 10 décembre 2015, la clause n’est pas manifestement inapplicable et elle renvoie à l’arbitrage. Cela dit, il ne nous semble pas que la date du fait générateur doive être le fait déclencheur de l’incompétence étatique. Ici encore, il suffit de constater l’existence d’un lien entre la clause et le litige, celui-ci n’étant pas uniquement caractérisé par une date.

D’autre part, le juge du recours est susceptible d’examiner l’appréciation faite par l’arbitre de l’articulation de la clause compromissoire avec d’autres clauses relatives au litige. En l’espèce, l’arbitre était confronté à une clause compromissoire contenue dans le contrat principal et une clause attributive de juridiction dans une transaction (Civ. 1re, 6 nov. 2019, n° 18-10.395, Trans World Finances). Celui-ci a retenu sa compétence, au motif que la clause attributive de juridiction, bien que postérieure, avait un objet distinct et que les parties n’y avaient pas renoncé. La cour d’appel de Paris a validé la sentence (Paris, 17 oct. 2017, n° 15/13696). Comme à son habitude, la cour d’appel a réalisé un examen de ce grief en recherchant tous les éléments de droit ou de fait permettant d’apprécier la portée de la convention d’arbitrage et d’en déduire les conséquences sur le respect de la mission confiée aux arbitres. La Cour de cassation rejette le pourvoi. Elle commence par identifier le sens du protocole transactionnel. Ensuite, elle examine le champ d’application de la clause d’élection de for contenue dans celui-ci. Il en ressort, selon la formulation de l’arrêt d’appel, que cet accord réservait nécessairement tous les litiges découlant du contrat initial qui porteraient sur des objets distincts de ceux visés par les réclamations. Ainsi coexistaient deux clauses avec un champ d’application distinct : la clause attributive de juridiction pour les litiges découlant de la transaction et la clause compromissoire pour les litiges pouvant toujours survenir dans le cadre de l’exécution du contrat. Il ne restait plus qu’à déterminer dans le champ de quelle clause entrait le litige. Le juge énonce alors que le tribunal arbitral était compétent pour connaître de demandes qui, ne relevant pas du périmètre de la transaction, entraient dans le champ de la convention d’arbitrage. Le raisonnement est parfaitement rigoureux et la solution convaincante. L’arrêt rappelle que la conclusion postérieure d’une clause relative au litige n’entraîne pas ipso facto renonciation à la clause compromissoire. Si les clauses ne sont pas inconciliables, il convient de déterminer leur champ d’application et de vérifier si le litige doit y être soumis.

La circulation de la clause

La clause compromissoire est susceptible de circuler au gré des opérations affectant l’obligation. La subrogation fait partie de ces hypothèses. La question peut alors se poser sous deux angles. Si A est le solvens, B le créancier subrogeant et C le débiteur. La clause peut se trouver, première hypothèse, dans la relation entre le créancier subrogeant B et le débiteur C et, deuxième hypothèse, dans une relation parallèle entre le solvens A et le débiteur C. La question est de savoir si l’action du solvens A contre le débiteur C est soumise à la clause.

Dans la première hypothèse, la réponse ne fait pas de doute. La cour d’appel de Paris le rappelle opportunément en affirmant qu’« il en résulte que l’assureur [le solvens] qui a indemnisé son assuré, en vertu de la police le liant à ce dernier est légalement subrogé dans tous les droits de celle-ci, la créance lui étant transmise avec ses accessoires, ses modalités, ses exceptions ou ses limitations, et notamment avec la clause compromissoire, dont il est dès lors fondé à se prévaloir et qui s’impose à lui » (Paris, 26 nov. 2019, n° 18/20873, Axa France IARD). Cette solution se fonde directement sur le régime général des obligations et ne nécessite pas le recours à des dispositions spécifiques du droit de l’arbitrage. Elle découle simplement de la nature de la subrogation.

La deuxième hypothèse est plus complexe. Dans un arrêt du 6 novembre 2019 (Civ. 1re, 6 nov. 2019, n° 18-18.292, Aquasea Yachting), la Cour de cassation avait à connaître d’une action exercée par un assuré contre son assureur. Le dommage avait été subi par le salarié de l’assuré. L’assuré avait alors indemnisé le salarié et entendait se retourner contre l’assureur. Afin d’échapper à la clause compromissoire contenue dans le contrat d’assurance et saisir les juridictions étatiques, l’assuré faisait valoir qu’il était subrogé dans les droits de la victime et qu’il exerçait l’action directe de cette dernière. Il invoquait l’inapplicabilité manifeste de la clause compromissoire, la victime étant étrangère à la relation contractuelle entre l’assuré et l’assureur.

La cour d’appel d’Aix-en-Provence (Aix-en-Provence, 23 nov. 2017) avait accueilli l’exception d’incompétence par une motivation dont les termes nous sont donnés par la Cour de cassation. Elle avait retenu que « la nullité ou l’inapplicabilité manifeste de la convention d’arbitrage, seule de nature à faire obstacle à la compétence prioritaire de l’arbitre pour statuer sur sa propre compétence, doit pouvoir être constatée lors d’un examen sommaire par le juge étatique, tout contrôle substantiel et approfondi étant exclu, il retient, enfin, que le fait que la société Aquasea Yachting se prétende subrogée dans les droits de la victime n’est pas de nature à écarter la clause compromissoire ». Le pourvoi est rejeté. La motivation retenue par la cour d’appel d’Aix et validée par la Cour de cassation nous paraît convaincante à double titre. D’abord, en dépit des mérites évidents de l’argumentation fondée sur la subrogation personnelle, celle-ci ne peut caractériser une inapplicabilité manifeste, dans la mesure où l’action oppose deux parties à la clause compromissoire. Il revient donc aux arbitres de se prononcer en priorité sur cette question. Ensuite, contrairement à un arrêt récent, le juge ne tranche pas par anticipation la question (Civ. 1re, 19 déc. 2018, n° 17-28.951, Dalloz actualité, 28 févr. 2019, obs. V. Chantebout ; ibid., 6 mars 2019, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2019. 2435, obs. T. Clay ; Gaz. Pal. 2019, n° 11, p. 34, obs. D. Bensaude ; Dr. mar. fr. 2019, n° 810, note P. Delebecque, les faits étaient d’ailleurs tout à fait similaires, si ce n’est que l’action directe était exercée par la victime et non l’assuré subrogé). En effet, dans ce dernier arrêt, la Cour de cassation avait énoncé que « la clause compromissoire n’était pas manifestement inapplicable dès lors qu’accessoire du droit d’action, elle était opposable aux victimes exerçant l’action directe contre les assureurs ». Or il ne revient pas au même de dire que la clause n’est pas manifestement inapplicable et de dire qu’elle est opposable à la victime. Il appartient au juge saisi en violation d’une clause compromissoire de préserver la plénitude de la compétence arbitrale et de réserver son examen à un éventuel recours (sur l’ensemble de la question, v. J. Jourdan-Marques, « Action extracontractuelle et arbitrage », Rev. arb. 2019. 685).

L’extension de la clause

La clause peut être étendue à un autre contrat ou à un tiers.

L’extension à un autre contrat

En matière de champ d’application de la clause compromissoire, une question qui se pose fréquemment est de savoir si celle-ci a vocation à s’appliquer, en l’absence d’une quelconque référence en ce sens, à un contrat dans lequel elle ne figure pas. Deux parties avaient conclu deux contrats distincts le même jour : d’une part, des statuts d’une société en participation (SEP) et d’autre part une convention relative à l’attribution de droits sur un immeuble (ci-après « la Convention »). Dans les statuts de la SEP figurait une clause compromissoire stipulant que « toutes les contestations qui s’élèveraient entre les parties à l’occasion de l’interprétation ou de l’exécution des présentes tant au cours de la durée de la société en participation que lors de sa liquidation ». En revanche, la Convention ne contenait aucune clause compromissoire et y figurait une stipulation indiquant qu’« en cas de litige, celui-ci sera porté devant la juridiction compétente ». La question était de savoir si la clause compromissoire des statuts de la SEP s’appliquait à une action fondée sur la Convention. Le tribunal arbitral a répondu positivement à cette interrogation. Le recours contre la sentence est rejeté et la motivation est particulièrement riche (Paris, 12 nov. 2019, n° 17/11962, Immosport). D’abord, la cour d’appel de Paris énonce que « la seule interprétation qu’il convient de donner aux conventions d’arbitrage est celle qui est conforme à la volonté des parties ». Cette formule est, à notre connaissance, nouvelle. C’est aussi une belle formule. Elle rappelle le fondement contractuel de l’arbitrage, qui est la pierre angulaire de l’institution. Ceci étant, il faudra vérifier à l’usage si une telle formule n’est pas riche d’ambiguïtés. En effet, une part du régime de la clause compromissoire révèle parfois une forme de forçage de la volonté des parties (en premier lieu desquels, le mécanisme de transmission de la clause compromissoire). Ensuite, la cour examine la volonté des parties en l’espèce. Elle souligne qu’« il résulte ainsi clairement tant du préambule de la Convention […] que de l’analyse des statuts de la SEP et des termes de la Convention que ces deux derniers actes juridiques, quoique distincts, constituent des contrats liés entre eux, complémentaires et dépendants l’un de l’autre, exprimant la volonté commune des parties de garantir le dénouement convenu de cette opération » puis ajoute qu’« il se déduit dès lors tant de la Convention que des statuts de la SEP et du libellé de cette clause compromissoire qui concerne tant les événements survenant pendant la vie de la SEP qui prend fin à l’acquisition du bien immobilier que lors de sa liquidation, la volonté des parties d’étendre la portée de ladite clause à l’ensemble des contentieux indissociables pouvant survenir au dénouement de l’opération vue dans son ensemble ». Ainsi, la cour donne à la clause une portée maximale. Elle estime que sa rédaction est suffisamment large pour que ses effets s’étendent aux conventions complémentaires et dépendantes. Enfin, elle écarte la clause contenue dans la convention, en énonçant que celle-ci « se borne à indiquer qu’en cas de litige, celui-ci sera porté devant la juridiction compétente, ne constitue pas une clause attributive de compétence au profit d’une juridiction étatique et ne manifeste pas la volonté des parties de faire échapper leur litige à l’arbitrage, conformément à la clause compromissoire insérée dans les statuts de la SEP ».

La solution mérite d’être remarquée et ne manquera pas de faire l’objet de discussions. Elle s’inscrit dans une longue histoire de faveur à l’efficacité de la clause compromissoire. Il n’en demeure pas moins, en l’espèce, qu’elle conduit à anesthésier une autre clause contractuelle, qui perd toute efficacité.

En revanche, un autre argument est avancé pour justifier la compétence arbitrale, et il laisse plus songeur. Dans la présente affaire, le demandeur avait dans un premier temps saisi la juridiction étatique, laquelle s’était déclarée incompétente (TGI Paris, 19 mai 2015, n° 12/09963). La cour d’appel en déduit que, si elle « annulait la sentence partielle rendue à raison de l’incompétence du tribunal arbitral, lequel est saisi de demandes, fondées sur l’application de la Convention, déjà présentées […] devant le tribunal de grande instance, celui-ci, irrecevable à agir devant le juge étatique, serait privé d’accéder au juge arbitral, ce qui constituerait un déni de justice. Le tribunal arbitral a donc à juste titre retenu sa compétence pour connaître de l’ensemble du litige et le recours en annulation de la sentence arbitrale est rejeté ». La référence au déni de justice paraît séduisante. Pour autant, l’argumentation ne convainc pas ou, à tout le moins, ne doit pas être généralisée, pour deux raisons. D’une part, parce qu’une décision d’incompétence du juge saisi en violation d’une clause compromissoire est – en principe – rendue à la suite d’une application du principe compétence-compétence dans son effet négatif. En conséquence, ce juge ne tranche absolument pas la question de la compétence arbitrale et, par ricochet, de sa propre compétence. Mais, il est aussi vrai que dans le jugement du 19 mai 2015, le juge n’a pas fait application de l’article 1448 du code de procédure civile et a « vidé » la question de la compétence. D’autre part, parce qu’une décision d’incompétence fondée sur une clause compromissoire est une exception de procédure. Elle n’a pas autorité de la chose jugée et n’interdit pas une saisine ultérieure des juridictions judiciaires après une sentence d’incompétence. Cela dit, là encore, le tribunal de grande instance a déclaré la demande irrecevable, ce qui dénote l’utilisation d’une fin de non-recevoir et donc le recours à un moyen de défense erroné. Pour autant, le cumul de ces deux bévues de la juridiction saisie en violation de la clause compromissoire devait-il conduire la cour d’appel à laisser croire que le déni de justice interdit d’annuler une sentence pour incompétence lorsqu’un premier juge a renvoyé les parties devant l’arbitre ? Il nous semble qu’une formule plus circonstanciée aurait, a minima, été préférable.

L’extension à un tiers

L’extension de la clause compromissoire à un tiers est également une question classique du droit de l’arbitrage (sur la question, v. C. Seraglini et J. Ortscheidt, Droit de l’arbitrage interne et international, Lextenso éditions, Montchrestien, coll. « Domat, Droit privé », 2013, n° 711 et les sources citées). La question est de savoir quels sont les critères permettant de réaliser une telle extension. Dans son arrêt ABS, la Cour de cassation a posé un seul et unique critère : celui de l’implication du tiers. Elle énonce que « l’effet de la clause d’arbitrage international s’étend aux parties directement impliquées dans l’exécution du contrat et les litiges qui peuvent en résulter » (Civ. 1re, 27 mars 2007, n° 04-20.842, D. 2007. 2077, obs. X. Delpech , note S. Bollée ; ibid. 2008. 180, obs. T. Clay ; Rev. crit. DIP 2007. 798, note F. Jault-Seseke ; RTD civ. 2008. 541, obs. P. Théry ; RTD com. 2007. 677, obs. E. Loquin ; Rev. arb. 2007. 785, note J. El-Ahdab ; JDI 2007. 968, note C. Legros ; LPA 2007, n° 192, note F. Parsy ; JCP G 2007. II. 10118, note C. Golhen ; ibid. I. 168, § 11, obs. C. Seraglini ; ibid. I. 200, § 11, obs. Y.-M. Serinet ; LPA 2007, n° 160, note A. Malan ; Gaz. Pal. 21-22 nov. 2007. 6, note F.-X. Train ; Cont. conc. cons. 2007. 166, note L. Leveneur). La cour d’appel de Paris ne semble pas être tout à fait sur la même position. Elle retient dans un arrêt récent que « dans le droit de l’arbitrage international, les effets de la clause compromissoire s’étendent aux parties directement impliquées dans l’exécution du contrat dès lors que leurs situations et leurs activités font présumer qu’elles avaient connaissance de l’existence et de la portée de cette clause » (Paris, 26 nov. 2019, n° 18/20873, Axa France IARD). Ce faisant, elle rappelle son attachement à l’extension de la clause, tout en ajoutant une exigence de connaissance. Elle suit en cela l’avis d’une partie de la doctrine (J.-B. Racine, Droit de l’arbitrage, PUF, coll. « Thémis droit », 2016, n° 325) et reprend une formulation déjà esquissée (Paris, 26 févr. 2013, n° 11/17961, Rev. arb. 2014. 82, note P. Duprey et C. Fouchard). Néanmoins, la divergence entre la cour d’appel et la Cour de cassation ne paraît pas très importante, tant la connaissance paraît découler de l’implication. En revanche, on peut regretter que la cour énonce, au stade préarbitral, qu’« il ne peut être soutenu, comme l’a fait le tribunal, que [la partie] était étrang[ère] à cet accord de classification et qu’elle n’avait pas connaissance de la clause compromissoire ». Cette appréciation revient au tribunal arbitral, qui doit bénéficier d’une plénitude de compétence pour trancher ce point.

Un autre arrêt adopte d’ailleurs une solution plus conventionnelle (Civ. 1re, 4 déc. 2019, n° 18-26.809, Thermador). Un pacte d’actionnaire avait été conclu entre une société et deux de ses salariés. Après le départ de ces derniers chez un concurrent, la société a assigné l’ensemble des protagonistes – anciens salariés et concurrents – devant la juridiction étatique. Les défendeurs ont soulevé l’incompétence de la juridiction étatique en raison de la clause compromissoire stipulée dans le pacte d’actionnaire. L’arrêt d’appel avait rejeté l’exception à l’égard des tiers au pacte d’actionnaire, au motif « qu’il n’existe pas de clause compromissoire applicable à l’action délictuelle en responsabilité fondée sur le grief d’actes de concurrence déloyale et de parasitisme » (Rennes, 2 oct. 2018, n° 18/02173). Il est cassé au visa de l’article 1448 du code de procédure civile. La motivation est laconique. Il est reproché à la cour d’appel de ne pas avoir recherché si le litige n’était pas « en relation avec l’inexécution prétendue […] de l’obligation de non-concurrence mise à leur charge par le pacte d’actionnaire, ce qui était de nature à écarter le caractère manifeste de l’inapplicabilité de la convention d’arbitrage ». La solution est une application rigoureuse, mais juste, du principe compétence-compétence. En outre, le critère retenu d’une action « en relation » assure un juste équilibre entre la compétence prioritaire de l’arbitre et la nécessité de rechercher un lien entre l’action et la clause (sur ce point, v. J. Jourdan-Marques, Action extracontractuelle et arbitrage, op. cit., nos 20 s.).

La sentence arbitrale

L’autorité de chose jugée de la sentence arbitrale

Une affaire soumise à la cour d’appel de Paris soulevait une question d’autorité de la chose jugée d’une sentence arbitrale (Paris, 31 oct. 2019, n° 17/13250, CNER c. Orca Marée). Une sentence arbitrale a été rendue entre, d’un côté, un demandeur et de l’autre, trois défendeurs, dont un auquel la clause compromissoire a été étendue. Devant les juridictions étatiques, le troisième défendeur – celui auquel la clause a été étendue – agissait contre le demandeur. Se posait donc la question de l’autorité de la chose jugée de la sentence arbitrale à l’égard des parties. Celle-ci est écartée, au motif que le litige soumis aux juridictions étatiques n’avait pas le même objet que celui tranché par le tribunal arbitral. L’intérêt de l’arrêt réside dans les modalités procédurales de l’examen de cette question. Le défendeur invoquait l’autorité de la chose jugée sous l’angle d’une exception d’incompétence. Il ne nous semble pas qu’il s’agisse du fondement idoine. L’autorité de la chose jugée de la sentence arbitrale, prévue par l’article 1484, alinéa 1er, du code de procédure civile, est identique à celle du jugement étatique. Il en résulte qu’opposer à une partie l’autorité de la chose jugée doit se faire sous l’angle d’une fin de non-recevoir, fondée sur l’article 122 du code de procédure civile, et non d’une exception de procédure. Deux conséquences en découlent. D’une part, l’article 1448 du code de procédure civile relatif à l’effet négatif du principe compétence-compétence est sans objet et, d’autre part, le moyen de défense peut, conformément à l’article 123 du code de procédure civile, être soulevé en tout état de cause.

La confidentialité de la sentence

Comme le remarque la doctrine, les contours exacts de la confidentialité « restent à fixer par la jurisprudence » (C. Seraglini et J. Ortscheidt, Droit de l’arbitrage interne et international, Lextenso éditions, Montchrestien, coll. « Domat, Droit privé », 2013, n° 393). Un arrêt de la cour d’appel de Rouen apporte sa pierre à l’édifice (Rouen, 21 nov. 2019, n° 19/01280, Accelonix). L’une des parties produisait dans l’instance judiciaire une sentence partielle rendue dans une procédure parallèle. La confidentialité de la procédure arbitrale était invoquée pour s’opposer à cette production. La cour écarte le moyen, au motif que la procédure d’arbitrage n’étant pas confidentielle dès lors qu’il s’agit de la protection des droits. Néanmoins, le fondement de cette solution se trouve dans l’acte de mission, qui prévoit cette exception à la publicité. On aurait aimé savoir si, à défaut de clause, la confidentialité aurait pu s’opposer à ce que la sentence soit invoquée dans une procédure judiciaire au soutien des prétentions d’une partie.

L’exequatur de la sentence

Il existe, en matière internationale, trois façons différentes pour un créancier bénéficiant d’une sentence arbitrale d’obtenir l’exequatur. La première, connue de tous, est la procédure d’exequatur de l’article 1516 du code de procédure civile. La seconde, est prévue à l’article 1521, qui énonce que « le premier président ou, dès qu’il est saisi, le conseiller de la mise en état peut conférer l’exequatur à la sentence ». La troisième, enfin, est issue de l’article 1527, alinéa 2, du code de procédure civile, qui dispose que « le rejet de l’appel ou du recours en annulation confère l’exequatur à la sentence arbitrale ou à celles de ses dispositions qui ne sont pas atteintes par la censure de la cour ».

Dans une affaire – d’une relative complexité – soumise à la cour d’appel de Paris (Paris, 29 oct. 2019, n° 19/12047, Bouygues bâtiment Île-de-France), il était reproché au conseiller de la mise en état d’avoir rendu une ordonnance d’exequatur, en application de l’article 1521, alors qu’il existait une première ordonnance rendue sur le fondement de l’article 1516. L’ordonnance était donc attaquée devant la cour d’appel.

À ce titre, la cour d’appel constate qu’« il résulte de l’article 916, alinéa 1er, que les ordonnances du conseiller de la mise en état ne sont susceptibles d’aucun recours indépendamment de l’arrêt au fond, sauf les exceptions prévues par les alinéas suivants du même article dans lesquels elles peuvent être déférées à la cour ». Or, pour la cour, l’ordonnance du conseiller n’était pas de celles pouvant être déférées.

Mais c’était sans compter sur les talents de technicien du demandeur. Celui-ci n’avait pas formé un déféré « classique », mais un « déféré-nullité » en alléguant un excès de pouvoir du conseiller de la mise en état. À ce titre, il soutenait que la fermeture de toute voie de droit permettait justement de se prévaloir de ce recours. Malin.

La cour d’appel ne se laisse pourtant pas séduire et juge le déféré-nullité irrecevable. Elle rappelle que, selon l’article 1524 du code de procédure civile, le recours en annulation emporte de plein droit recours contre l’ordonnance d’exequatur. Il en résulte que le voie du déféré-nullité ne peut pas être ouverte, dès lors qu’il existe bien un recours contre l’ordonnance, recours dont la cour d’appel est déjà saisie, puisqu’il s’agit du recours en annulation en cours d’examen. Encore plus malin.

Tout ça pour quoi ? Si l’arrêt ne le dit pas expressément, il est probable que l’enjeu concerne l’exécution provisoire. En effet, l’article 1526, alinéa 1er, du code de procédure civile prévoit que le recours n’est pas suspensif. Le bénéficiaire peut ainsi faire exécuter la sentence alors que le recours en pendant devant la cour d’appel. On peut alors imaginer l’inquiétude du débiteur s’il estime qu’il a de bonnes chances d’obtenir l’annulation de la sentence. En l’espèce, l’enjeu était tout de même à 18 millions d’euros…

Les recours contre la sentence

Aspects procéduraux des recours contre la sentence

La procédure devant la cour d’appel

C’est la deuxième fois en un peu plus d’un mois (Paris, 8 oct. 2019, n° 19/02239, Dalloz actualité, 29 oct. 2019, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2019. 2435, obs. T. Clay ) que la cour d’appel de Paris répond à la même question (Paris, 22 oct. 2019, n° 19/04575, Zwahlen & Mayr), preuve que les erreurs en la matière sont très fréquentes (et le conseiller de la mise en état constant dans ses décisions). Saisie d’un déféré contre une ordonnance du conseiller de la mise en état, la cour devait se prononcer sur la régularité de sa saisine dans le cadre d’un recours en annulation. La partie avait formé une « “déclaration d’appel” mentionnant dans la rubrique “Objet/Portée de l’appel : recours en annulation d’une sentence arbitrale” ». La difficulté tenait à ce que l’onglet informatique sélectionné par le requérant indiquait « déclaration d’appel » et non « autres recours à la diligence des parties » (v. égal. Paris, 30 janv. 2018, n° 15/24612, Gaz. Pal. 2018, n° 27, p. 25, obs. D. Bensaude ; 28 oct. 2014, n° 13/16871, D. 2014. 2541, obs. T. Clay ; Rev. arb. 2015. 823, note L. Weiller). La cour d’appel considère que cette seule circonstance « ne saurait, sans qu’il soit porté une atteinte disproportionnée au droit au recours, être sanctionnée par une irrecevabilité ». Le recours en annulation est donc recevable, malgré l’erreur dans la sélection de la case sur le RPVA.

L’arrêt de l’exécution

Si cette chronique nous donne l’occasion de voyager dans toute la France, on a moins souvent la chance de commenter une ordonnance d’un conseiller de la mise en état. Or les questions posées devant celui-ci sont loin d’être dénuées d’intérêt. Dans une affaire opposant une banque ukrainienne à la Fédération de Russie, les juridictions françaises sont saisies du recours en annulation contre une sentence ayant accordé la modeste somme de 1,1 milliard de dollars au demandeur ukrainien. Depuis le décret du 13 janvier 2011, le recours en annulation n’est plus suspensif d’exécution, mais le conseiller de la mise en état peut arrêt ou aménager l’exécution si elle est susceptible de léser gravement les droits de l’une des parties (C. pr. civ., art. 1526). Telle était la raison de la saisine du conseiller de la mise en état dans ce recours soumis à la nouvelle chambre internationale de la cour d’appel de Paris (Paris, 22 oct. 2019, n° 19/04161, Fédération de Russie c. JSC Oschadbank).

La question est d’autant plus stimulante que, pour réclamer la suspension de l’exécution, la Fédération de Russie faisait valoir une argumentation ingénieuse. En principe, le critère posé par l’article 1526, alinéa 2, du code de procédure civile renvoie à une analyse casuistique de la situation économique du créancier ou du débiteur (v. I. Michou, « L’exécution provisoire de la sentence internationale », in M. de Fontmichel et J. Jourdan-Marques [dir.], L’exécution des sentences arbitrales internationales, LGDJ, 2017, p. 119, nos 15 s.). Ce n’est pas l’approche suivie par le plaideur. La Fédération de Russie estime, en substance, que le créancier risque de poursuivre l’exécution de la sentence dans le monde entier, en particulier dans des pays n’offrant pas une protection adéquate de l’immunité d’exécution. En conséquence, il convient au juge français, juge de l’annulation, de suspendre l’exécution provisoire pour empêcher l’exécution de la sentence à l’étranger.

Cette argumentation n’emporte pas la conviction du conseiller de la mise en état. Il estime, d’abord, et la précision n’est pas anodine, que « le texte de l’article 1526 précité ne cantonne pas expressément son bénéfice à une appréciation des seules conséquences économiques d’une exécution de la sentence pour l’une des parties ». Néanmoins, il ajoute que l’opposition à l’exécution ne peut résulter d’un « motif général, abstrait ou hypothétique ». Dès lors, la seule circonstance qu’une exécution de la sentence soit envisagée à l’étranger ne caractérise pas un risque de lésion grave des droits du débiteur, mais est justement conforme à l’objectif du texte. Enfin, il rappelle que l’interruption de l’exécution appartient aux juridictions de chaque État où l’exécution est demandée.

La motivation est convaincante. D’une part, en dépit de toutes les critiques qui peuvent être adressées à l’exécution immédiate (mais la tendance n’est pas à un retour en arrière, comme le démontre l’instauration d’un principe de l’exécution provisoire de droit par l’art. 3 du décr. n° 2019-1333, 11 déc. 2019, réformant la procédure civile), le critère de la lésion grave des droits de l’une des parties ne doit pas être dévoyé. Si le conseiller ouvre la voie à ce que l’appréciation ne soit pas exclusivement économique, il n’en demeure pas moins qu’elle doit être sérieusement circonscrite. D’autre part, l’argument selon lequel une suspension de l’exécution par le juge français est sans effet à l’étranger est, juridiquement, imparable. Le moyen paraît même, pour le spécialiste français du droit de l’arbitrage, quelque peu fantaisiste. D’ailleurs, l’article 1526 du code de procédure civile s’applique indifféremment au juge de l’annulation et au juge de l’exequatur, rappelant ainsi que l’absence d’exécution à l’étranger est indifférente en France. Il n’en demeure pas moins qu’un juge étranger pourrait être sensible à une suspension de l’exécution par le juge de l’annulation. Ainsi, l’argument était infondé en droit, mais réaliste en faits. Il n’a pourtant pas ému le conseiller de la mise en état.

On peut être certain que l’affaire ne s’arrêtera pas là. Au-delà des aspects financiers, la question de l’exécution pourrait rebondir sur une radiation du recours en annulation si le débiteur n’exécute pas la sentence (C. pr. civ., art. 526). L’enjeu est donc considérable, et on devrait entendre à nouveau parler de cette affaire.

Les pouvoirs du juge d’appel en matière interne

Depuis le décret n° 2011-48 du 13 janvier 2011, l’appel est en principe fermé contre les sentences arbitrales internes, sauf volonté contraire des parties. Cette réforme aligne le droit positif sur la pratique, qui prévoyait presque systématiquement des clauses de renonciation à l’appel. Il n’en demeure pas moins que les parties peuvent encore, conformément à l’article 1489 du code de procédure civile, prévoir l’inverse. C’est ce qui est arrivé dans une affaire soumise à la cour d’appel d’Aix-en-Provence (Aix-en-Provence, 7 nov. 2019, n° 17/05094, Audit et certification de comptes de sociétés). Rien que pour cela, l’arrêt mérite d’être signalé. Néanmoins, il est également intéressant quant au raisonnement tenu par la cour. Elle énonce que « la voie de l’appel ouverte par les parties dans l’acte de cession du 16 juillet 2013 ne fait pas obstacle à ce qu’il soit conclu à la nullité de la sentence arbitrale sur le fondement de l’article 1492 du code civil ». L’affirmation n’est pas exacte. La cour a peut-être été influencée par l’article 1490, alinéa 1er, du code de procédure civile qui dispose que « l’appel tend à la réformation ou à l’annulation de la sentence ». Pour autant, envisager d’examiner le recours sous l’angle de l’article 1492 du code de procédure civile – spécifique au recours en annulation – dans le cadre d’un appel contre la sentence constitue un contresens. En effet, l’appel remet en cause la chose jugée et emporte un effet dévolutif (C. Seraglini et J. Ortscheidt, Droit de l’arbitrage interne et international, Lextenso éditions, Montchrestien, coll. « Domat, Droit privé », 2013, n° 522). La jurisprudence a depuis longtemps établi que le juge n’est pas tenu par les cas d’ouverture du recours en annulation dans le cadre d’un appel (Civ. 1re, 14 mars 2006, n° 03-18.801, D. 2006. 1329 ; JCP G 2006. I. 148, n° 3, obs. J. Ortscheidt). Or s’il n’est pas formellement interdit de se placer sur le terrain du recours en annulation dans un premier temps, c’est à la condition, quel que soit le résultat, d’examiner le fond dans un second temps. Autrement dit, le passage par les cas d’ouverture du recours en annulation est parfaitement inutile puisque la cour devra quoi qu’il arrive évoquer le fond. Pire, il peut induire en erreur si le juge n’examine pas le fond après avoir constaté que la sentence n’est pas susceptible d’annulation au sens de l’article 1492 du code de procédure civile. La méthode est donc à éviter.

Les pouvoirs du juge de l’annulation en matière interne

L’article 1493 du code de procédure civile prévoit que, « lorsque la juridiction annule la sentence arbitrale, elle statue sur le fond dans les limites de la mission de l’arbitre, sauf volonté contraire des parties ». La cour d’appel de Colmar avait à se prononcer sur le sens de la précision « sauf volonté contraire des parties » (Colmar, 30 oct. 2019, nos 15/02482 et 15/02563, Lohr). Elle souligne qu’« il doit être souligné que les dispositions de l’article 1493 du code de procédure civile visent la “volonté contraire des parties”, et non la volonté contraire commune aux parties ou la volonté contraire de toutes les parties. Dès lors, la formulation “volonté contraire des parties” signifie qu’il suffit que l’une des parties s’oppose à ce que la cour statue au fond, pour que cette dernière soit tenue par cette expression de volonté ». En conséquence, elle refuse de statuer au fond face à l’opposition d’une partie. En réalité, la cour se méprend totalement sur le sens de la formule. Il ne s’agit pas d’interdire à la cour d’appel de trancher au fond le litige en cas de désaccord d’une partie, mais bien de lui imposer de trancher au fond en l’absence de volonté contraire de toutes les parties (dans le même sens, v. C. Seraglini et J. Ortscheidt, Droit de l’arbitrage interne et international, Lextenso éditions, Montchrestien, coll. « Domat, Droit privé », 2013, n° 554). Pourtant, en remplaçant le pluriel par un singulier (lorsque la juridiction annule la sentence arbitrale, elle statue sur le fond dans les limites de la mission de l’arbitre, sauf volonté contraire d’une partie), la cour aurait pu constater que son interprétation n’est pas satisfaisante.

Aspects substantiels des recours contre la sentence

L’arbitrabilité du litige

En principe, l’arbitrabilité du litige est fixée par les articles 2059 et 2060 du code civil. Cependant, ces dispositions sont devenues, depuis plus de vingt ans, totalement obsolètes. Il est d’ailleurs navrant que les deux réformes de l’article 2061 du code civil n’aient pas permis de toiletter ces dispositions, qui ne reflètent pas le droit positif et induisent en erreur le justiciable.

Toutefois, un arrêt de la cour d’appel de Paris permet de revenir sur une question assez originale (Paris, 12 nov. 2019, n° 17/11962, Immosport). Le demandeur à l’annulation invoquait le caractère inarbitrable de la matière immobilière, en ce qu’elle porte sur l’attribution de droits réels et nécessite le respect de certaines formalités pour rendre la constitution du droit opposable. La réponse de la cour est particulièrement pédagogique. Elle retient qu’« il appartient à l’arbitre, hors les cas où la non-arbitrabilité relève de la matière, de mettre en œuvre les règles de droit impératives, sous le contrôle du juge de l’annulation. Quand bien même le tribunal arbitral attribuerait un droit réel sur les biens immobiliers en cause, […] il appartiendrait alors à la juridiction arbitrale de faire respecter les règles rendant opposables aux parties et aux tiers la constitution de ce droit réel immobilier, la matière en elle-même n’étant pas de celles qui sont inarbitrables, les prétentions ne portant pas sur des droits indisponibles au jour où le tribunal arbitral est saisi et n’intéressant pas l’ordre public au sens de l’article 2060 du code civil ». Trois informations utiles ressortent de cette décision : le cœur de l’inarbitrabilité concerne les « droits indisponibles » ; la matière immobilière – lato sensu – est arbitrable ; le tribunal arbitral doit en faire respecter le formalisme. Seule cette dernière précision pourrait soulever des interrogations, notamment quant à la manière pour l’arbitre de « faire respecter » ce formalisme.

Le délai d’arbitrage

La distinction entre le délai d’arbitrage et le calendrier d’arbitrage n’est pas toujours parfaitement appréhendée (Colmar, 30 oct. 2019, n° 15/02563, Lohr). En matière interne (mais les règles sont peu ou prou identiques en matière internationale, sauf le délai de six mois prévu par le code), l’article 1463 du code de procédure civile énonce que, « si la convention d’arbitrage ne fixe pas de délai, la durée de la mission du tribunal arbitral est limitée à six mois à compter de sa saisine. Le délai légal ou conventionnel peut être prorogé par accord des parties ou, à défaut, par le juge d’appui ». Il en ressort que l’arbitre est tenu par un délai pour rendre sa sentence et qu’il n’a pas le pouvoir de le proroger lui-même. Cette dernière solution vaut aussi bien en matière interne qu’internationale (Civ. 1re, 15 juin 1994, n° 92-15.098, Rev. crit. DIP 1994. 680, note D. Cohen ; RTD com. 1995. 406, obs. J.-C. Dubarry et E. Loquin ; Rev. arb. 1995. 88, note E. Gaillard : « le principe selon lequel le délai fixé par les parties, soit directement, soit par référence à un règlement d’arbitrage, et dans lequel les arbitres doivent accomplir leur mission, ne peut être prorogé par les arbitres eux-mêmes, traduit une exigence de l’ordre public aussi bien interne qu’international en ce qu’il est inhérent au caractère contractuel de l’arbitrage ») et l’accord des parties ne permet pas d’y déroger (Civ. 2e, 7 nov. 2002, n° 01-10.351, D. 2002. 3241 ; Rev. arb. 2003. 115, note E. Loquin ; JCP G 2003. I. 164, n° 5, obs. J. Ortscheidt). En revanche, le calendrier est distinct du délai. Le calendrier fixe le tempo de la procédure, en particulier les échanges de mémoires et les audiences. Il doit s’inscrire au sein du délai d’arbitrage. Conformément à l’article 1464 et 1509, alinéa 2, du code de procédure civile, le tribunal arbitral peut déterminer la procédure arbitrale. À ce titre, il est libre de modifier le calendrier de la procédure. Ainsi, le tribunal arbitral peut modifier le calendrier, mais pas proroger le délai. Si le calendrier est étendu au-delà du délai d’arbitrage, plusieurs possibilités permettent d’éviter l’annulation de la sentence. Premièrement, demander une prorogation aux parties, à l’institution ou au juge d’appui. Deuxièmement, démontrer une prorogation tacite par les parties, ce qui implique notamment que les deux continuent de participer à la procédure arbitrale sans protester. Troisièmement, établir la renonciation à se prévaloir de cette irrégularité de la partie qui invoque l’expiration du délai. En définitive, les débats relatifs au calendrier ne sont pas pertinents devant le juge de l’annulation. Seuls une prorogation unilatérale du délai par l’arbitre et/ou un dépassement de celui-ci peut entraîner l’annulation de la sentence.

Une question de délai se posait également dans un arrêt de la cour d’appel de Paris (Paris, 19 nov. 2019, n° 17/20392, Oc’Via , V. Chantebout, Dalloz actualité, à paraître). Etant impliqué dans l’affaire, on signalera simplement que la cour d’appel considère que, en matière de prorogation de délai, les « énonciations de la sentence arbitrale […] font foi jusqu’à inscription de faux ». Autrement dit, s’il est indiqué dans la sentence que les parties ont accepté une prorogation du délai, celle-ci vaut jusqu’à inscription de faux.

Il peut enfin arriver que deux délais contradictoires coexistent, en particulier dans l’acte de mission. Comment la résoudre ? Pour la cour d’appel de Versailles, à défaut de protestation des parties, c’est la date la plus tardive qui doit être retenue (Versailles, 22 oct. 2019, n° 18/03519, Elisa Distribution). La solution nous paraît tout à fait raisonnable, même si l’on peut regretter qu’un acte de mission fasse naître de telles interrogations…

L’indépendance et l’impartialité des arbitres

Une chronique sans décision relative à l’indépendance et à l’impartialité des arbitres serait un peu fade. Heureusement, la cour d’appel de Versailles nous en offre un beau morceau, et l’on s’en réjouit (Versailles, 22 oct. 2019, n° 18/03519, Elisa Distribution). L’affaire est d’autant plus intéressante qu’elle soulève certaines questions relativement inédites et conduit à revenir sur d’autres déjà envisagées. Il était reproché à l’arbitre d’avoir des liens avec le directeur juridique d’une des parties. En substance, et de façon assez peu subtile, le demandeur soutenait que le directeur juridique avait « proposé la désignation de l’arbitre ». Cela étant, le requérant touche un point sensible. Habituellement, on considère que l’arbitre doit révéler ses liens avec les parties, les conseils et les arbitres (J.-B. Racine, Droit de l’arbitrage, PUF, coll. « Thémis droit », 2016, n° 500). Cela dit, une vraie question se pose quant à ce qui doit être entendu par « parties » et « conseils ». Par-delà les liens avec la personne morale, qu’en est-il des personnes physiques ? Faut-il révéler les liens uniquement les mandataires sociaux ? Les cadres ? Tous les salariés ? Les stagiaires ? Faut-il envisager uniquement les personnes impliquées dans la résolution du litige, ou la révélation doit-elle être illimitée ? On ne peut pas nier que, parfois, les liens personnels avec les personnes physiques peuvent avoir une influence aussi importante que les liens financiers avec les personnes morales.

La cour d’appel ne s’y trompe d’ailleurs pas et s’engage pleinement dans l’examen du moyen. Il était reproché deux choses à l’arbitre : ne pas avoir révélé qu’il avait participé à un colloque avec le directeur juridique, ne pas avoir révélé que le directeur juridique appartenait à la même unité de recherche que lui, au sein d’une université française. Alors que sur ces deux points, la jurisprudence a déjà considéré que ces éléments étaient indifférents (Civ. 1re, 4 juill. 2012, n° 11-19.624, Dalloz actualité, 13 juill. 2012, obs. X. Delpech ; D. 2012. 2425, obs. X. Delpech , note B. Le Bars ; ibid. 2991, obs. T. Clay  ; Procédures 2012, comm. 284, note L. Weiller ; JCP G 2012. Doctr. 1354, § 1er, obs. C. Seraglini ; Gaz. Pal. 30 sept.-2 oct. 2012. 16, obs. D. Bensaude ; RLDC oct. 2012. 3, obs. J. Mestre ; Paris, 18 sept. 2018, n° 16/26009, Dalloz actualité, 29 janv. 2019, obs. J. Jourdan-Marques), la cour d’appel de Versailles énonce que « les circonstances invoquées pour critiquer l’indépendance ou l’impartialité de l’arbitre doivent caractériser l’existence de liens matériels ou intellectuels de nature à faire naître un doute raisonnable dans l’esprit des parties sur son jugement ». On sera particulièrement attentif à un éventuel pourvoi sur cette question. Ouvrir la voie à un examen des liens intellectuels ne revient-il pas à ouvrir une boîte de Pandore ?

En réalité, chaque fois que l’on parle d’indépendance et d’impartialité, il convient de distinguer rigoureusement trois choses : ce qui doit être révélé, ce qui peut justifier une récusation de l’arbitre, ce qui peut justifier l’annulation de la sentence. Or, quoi qu’on en dise, n’est-il pas perturbant pour une partie de constater que l’arbitre qui lui a signifié n’avoir absolument rien à révéler, a siégé côte à côte avec une partie dans un colloque. À l’inverse, peut-on raisonnablement envisager qu’un arbitre – en particulier lorsqu’il est universitaire – tienne les comptes de tous les intervenants ayant participé aux mêmes ateliers scientifiques que lui, à raison d’une douzaine par an pendant quarante ans de carrière ? Difficile de trancher avec certitude – bien que l’on puisse pressentir l’appréciation (critique) qui sera portée sur ce point par une partie des observateurs.

Face à cette question, l’appréciation de la cour est d’ailleurs particulièrement stimulante. Elle ne recherche pas tant la réalité des faits allégués par le requérant que le rôle joué par l’arbitre dans ces « rencontres intellectuelles ». Elle constate que l’arbitre n’est pas à l’origine de l’intervention du directeur juridique dans le colloque ni dans les formations de son université. Ce point paraît central pour la cour. Il est vrai qu’il est séduisant. N’y a-t-il pas une différence de nature quant au lien entre deux individus qui se côtoient à l’occasion de manifestations scientifiques ou d’activités universitaires et un individu qui sollicite un autre ? Et d’ailleurs, une réponse positive n’impose pas une récusation ou une annulation de la sentence. En tout cas, la question est posée.

Enfin, on remarquera que dans cette procédure, l’arbitre a été interrogé directement. Sans que cela soit clairement explicité, il semblerait que la partie défenderesse ait produit une attestation de l’arbitre dans le cadre du recours en annulation. Il nous semble qu’une telle pratique est vertueuse. Comment traiter sérieusement de ces questions sans que l’arbitre soit jamais interrogé ? C’est une voie qui, selon nous, doit être sérieusement explorée pour renforcer la qualité de l’examen réalisé lors du recours contre la sentence (J. Jourdan-Marques, Le contrôle étatique des sentences arbitrales internationales, préf. T. Clay, 2017, LGDJ, coll. « Bibliothèque de droit privé », nos 268 s.).

La mission d’amiable compositeur

Une question de respect par l’arbitre de sa mission d’amiable compositeur était invoquée dans une affaire soumise à la cour d’appel de Paris (Paris, 19 nov. 2019, n° 17/20392, Oc’Via ; étant impliqué dans l’affaire, nous renvoyons pour l’essentiel au commentaire de V. Chantebout, Dalloz actualité, à paraître). On signalera seulement que la cour énonce qu’« en constatant qu’il demeurait tenu de respecter les dispositions de l’ordre public de direction au risque d’encourir l’annulation de la sentence, l’arbitre statuant en amiable composition a respecté sa mission ». La réponse est particulièrement importante. La question était de savoir si l’arbitre ayant refusé d’user de ses pouvoirs d’amiable compositeur au motif de la qualification d’ordre public de direction d’une règle, la sentence pouvait être annulée dès lors que l’arbitre se serait trompé sur la qualification de la règle. La cour refuse d’entrer dans ce raisonnement. Elle considère qu’il suffit que l’arbitre se soit cru tenu par une règle d’ordre public de direction pour que le refus de mettre en œuvre les pouvoirs d’amiable compositeur n’emporte pas annulation.

Le respect du contradictoire et de la mission

En principe, en matière de respect du principe de la contradiction, la question de l’intensité du contrôle ne soulève guère de discussion. En effet, l’identification d’une violation par les arbitres de la contradiction justifie de vérifier que tous les éléments de fait ou de droit utilisés par les arbitres ont bien été débattus. En revanche, cela ne nécessite pas une immixtion du juge dans le raisonnement des arbitres.

Il en va en principe de même en matière de contrôle du respect de la mission. Il suffit d’un simple regard sur la sentence et sur les pièces du dossier pour déterminer si l’arbitre a bien respecté sa mission. Qu’en est-il si ce n’est pas le cas ? En principe, la non-révision au fond s’oppose à ce que le juge reprenne intégralement le raisonnement de l’arbitre.

Pourtant, un arrêt de la Cour de cassation envisage une approche bien différente (Civ. 1re, 6 nov. 2019, n° 17-20.573, Dresser-Rand). Il rejette le pourvoi formé contre un arrêt de la cour d’appel de Paris (Paris, 28 févr. 2017, n° 15/06036, Gaz. Pal. 2017, n° 27, p. 29, obs. D. Bensaude). Le litige portait sur une cession d’actions. Il s’agissait de savoir si les cédants avaient violé leur obligation de fournir des documents comptables sincères et complets et si le cessionnaire avait eu une connaissance effective de cette violation avant la date de réalisation de la vente.

Les arbitres ont rendu une sentence favorable aux cédants. Il leur était reproché d’avoir méconnu leur mission et le principe de la contradiction en mettant en œuvre un principe issu des règles IBA (International Bar Association) sur la présomption défavorable tirée du défaut de production de pièces, sans consulter préalablement les parties sur l’application de ces règles, sans avoir à aucun moment ordonné la production de ces rapports, ni avoir invité les parties à s’expliquer sur la non-production de ces pièces.

En synthèse, la Cour de cassation valide la sentence en trois temps. Premier temps, elle constate qu’une clause contractuelle interdisait au cessionnaire d’invoquer la garantie s’il avait une connaissance effective des faits ou des circonstances constitutifs d’une violation substantielle par les cédantes de leurs obligations. Deuxième temps, elle réalise un examen approfondi de la motivation du tribunal – ce qu’avait également fait la cour d’appel – pour constater que le tribunal avait établi cette connaissance effective. Troisième temps, elle en déduit que le motif critiqué n’avait pas déterminé, même partiellement, la solution adoptée et était surabondant.

La solution est intéressante par le cheminement suivi. Un examen superficiel aurait pu – sans que cela soit certain – conduire à l’annulation de la sentence en considérant qu’une partie de la solution était fondée sur un moyen n’ayant pas fait l’objet d’un débat contradictoire. Pour éviter cela, la cour d’appel et – dans une moindre mesure – la Cour de cassation préfèrent reprendre intégralement le raisonnement du tribunal arbitral. Or elles constatent que la sentence est suffisamment motivée par un autre moyen et que le tribunal ne s’est pas fondé sur le motif critiqué. Autrement dit, pour juger surabondant le motif critiqué, elle vérifie l’existence d’une motivation suffisamment solide par ailleurs.

Dès lors, n’y a-t-il pas une révision au fond de la sentence ? Sans doute pas. La cour se contente d’identifier le véritable fondement de la solution du tribunal, sans chercher à en évaluer la pertinence. Toutefois, le juge de l’annulation marche sur un fil, car à suivre cette voie, la révision au fond n’est certainement pas loin.

L’ordre public

• Ce que n’est pas l’ordre public

La détermination du contenu de l’ordre public est une question toujours délicate. Autant, il est parfaitement établi qu’une violation positive de l’ordre public – interne ou international selon le domaine – est susceptible d’entraîner l’annulation de la sentence, autant, on pouvait s’interroger sur une violation négative. Autrement dit, une règle qualifiée à tort d’ordre public. La réponse de la cour d’appel de Paris est claire sur cette question « ne viole pas l’ordre public une sentence qui fait application d’une disposition législative qui aurait été qualifiée à tort d’ordre public » (Paris, 19 nov. 2019, n° 17/20392, Oc’Via, V. Chantebout, Dalloz actualité, à paraître).

• L’ordre public de procédure

La fraude procédurale est un cas d’ouverture connu du recours, sur le fondement de l’ordre public procédural. La cour d’appel de Paris (Paris, 26 nov. 2019, n° 17/17127, Société nationale des chemins de fer tunisiens [SNCFT]) rappelle à cet égard une formule déjà usitée (Paris, 28 juin 2016, n° 15/03504, Rev. arb. 2016. 1157, note J. Barbet ; Gaz. Pal. 2016. 37, obs. D. Bensaude ; Paris, 22 janv. 2019, n° 17/15605, Dalloz actualité, 6 mars 2019, obs. J. Jourdan-Marques ; Gaz. Pal. 2019, n° 11, p. 34, obs. D. Bensaude ; Paris, 28 mai 2019, n° 17/03659, Dalloz actualité, 7 juin 2019, obs. J. Jourdan-Marques) : « Il résulte de l’article 1520, 5°, du code de procédure civile que le recours en annulation est ouvert contre une sentence internationale rendue en France si la reconnaissance ou l’exécution de cette décision sont contraires à l’ordre public international. La fraude procédurale commise dans le cadre d’un arbitrage peut être sanctionnée au regard de l’ordre public international de procédure. Elle suppose que de faux documents aient été produits, que des témoignages mensongers aient été recueillis ou que des pièces intéressant la solution du litige aient été frauduleusement dissimulées aux arbitres, de sorte que la décision de ceux-ci a été surprise ».

En revanche, les modalités de l’examen réalisé en matière de fraude procédurale méritent encore réflexion. Dans son arrêt du 28 mai 2019, la cour avait énoncé qu’« il appartient au juge de l’annulation d’examiner l’ensemble des circonstances susceptibles de caractériser la fraude alléguée, sans que puisse être utilement opposé le moyen tiré de la prohibition de la révision au fond des sentences, dès lors que la contestation porte précisément sur l’altération, par les manœuvres d’une partie, de l’appréciation des faits à laquelle se sont livrés les arbitres ». Pourtant, dans le présent arrêt, la cour retient que « les griefs articulés […] contre ces documents devant la cour sont les mêmes que ceux qu’elle avait développés devant les arbitres. Le caractère prétendument mensonger de ces éléments ayant fait l’objet d’un débat contradictoire au cours de l’instance arbitrale, la décision du tribunal n’a pas été surprise par une fraude mais procède d’une appréciation éclairée de l’exactitude et de la portée des documents qui lui étaient soumis, appréciation qu’il n’appartient pas à la cour de réviser ». Les solutions peuvent sembler un peu difficiles à concilier. Révision ou pas révision ? Deux choses ne font pas de doutes : d’une part, à défaut de discussion devant le tribunal, la fraude procédurale peut être invoquée devant le juge de l’annulation et l’examen n’est pas limité ; d’autre part, et l’arrêt du 28 mai 2019 l’avait déjà jugé ainsi, un grief de fraude procédurale discuté devant l’arbitre ne peut plus l’être ultérieurement. Cette seconde solution mérite réflexion et maturation. On comprend l’idée de la cour, qui est de considérer que la religion de l’arbitre n’a pu être trompée, dans la mesure où il a pu se prononcer sur la fraude. Mais dès lors, l’attendu de l’arrêt du 28 mai 2019 n’est-il pas mal calibré pour rendre compte de cette retenue du juge de l’annulation ? En outre, est-elle satisfaisante ? En matière de corruption ou de blanchiment, la cour ne s’embarrasse pas de telles considérations : elle substitue son appréciation à celle de l’arbitre, alors même que ce dernier s’est prononcé en toute connaissance de cause (Paris, 21 févr. 2017, n° 15/01650, D. 2017. 2054, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; ibid. 2559, obs. T. Clay ; RTD com. 2019. 42, obs. E. Loquin  ; Rev. arb. 2017. 915, note S. Bollée et M. Audit ; JCP 2017. Doctr. 1326, obs. C. Seraglini ; Cah. arb. 2017. 668, note B. Poulain ; ASA 2017. 551, note L.-C. Delanoy). La nature de l’ordre public en jeu – de fond ou procédural – suffit-elle à laisser l’appréciation pleine et entière de cette question à l’arbitre ? C’est une question à laquelle nous nous garderons bien, pour l’instant, de répondre.

• L’ordre public de fond

La cour d’appel de Versailles, dans son arrêt du 22 octobre 2019 (Versailles, 22 oct. 2019, n° 18/03519, Elisa Distribution), était également confrontée à une question de violation de l’ordre public. Il s’agissait de savoir si une clause prévoyant un pacte de préférence pouvait être considérée comme contraire au droit de la concurrence. Le tribunal arbitral a tranché négativement cette question. La cour rejette le grief. Elle estime que « les arbitres ont procédé à une analyse in concreto de la validité du pacte de préférence ». Elle en déduit que le demandeur l’invite ainsi à « vérifier la pertinence du raisonnement juridique par lequel les arbitres ont considéré que le droit de préférence […] ne constituait pas une atteinte à la concurrence et n’était notamment pas disproportionné du fait de sa durée, et ce faisant, demande à la Cour d’exercer un contrôle au fond de la sentence, qui échappe au juge de l’annulation ; que la sentence ne peut être déclarée contraire à l’ordre public économique ».

Un pourvoi sur cette question précise serait d’utilité publique. Les spécialistes d’arbitrage le savent, la jurisprudence en matière de contrôle de l’ordre public est à la croisée des chemins. Pour l’instant, la Cour de cassation est largement restée silencieuse. En revanche, la cour d’appel de Paris s’inscrit dans une dynamique bien différente de celle qui a eu cours il y a une dizaine d’années. Le temps n’est plus à rechercher une violation de l’ordre public qui « crève les yeux » (Paris, 18 nov. 2004, n° 02/19606, Thales Air Défense c. Euromissile, D. 2005. 3050 , obs. T. Clay ; Rev. crit. DIP 2006. 104, note S. Bollée ; RTD com. 2005. 263, obs. E. Loquin ; RTD eur. 2006. 477, chron. J.-B. Blaise ; JDI 2005. 357, note A. Mourre ; JCP 2005. II. 10039, note G. Chabot ; ibid. I. 134, obs. C. Seraglini ; adde C. Seraglini, L’affaire Thales et le non-usage immodéré de l’exception d’ordre public [ou les dérèglements de la déréglementation], Cah. arb. 2006. 87 ; L. Radicati di Brozolo, L’illicéité « qui crève les yeux » : critère de contrôle des sentences au regard de l’ordre public international [à propos de l’arrêt Thales de la cour d’appel de Paris], Rev. arb. 2005. 529 ; Civ. 1re, 4 juin 2008, n° 06-15.320, SNF c. Cytec Industries, Dalloz actualité, 6 juin 2008, obs. X. Delpech ; D. 2008. 1684 , obs. X. Delpech ; ibid. 2560, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; ibid. 3111, obs. T. Clay ; RTD com. 2008. 518, obs. E. Loquin ; RTD eur. 2009. 473, chron. L. Idot  ; Rev. arb. 2008. 473, note I. Fadlallah ; JCP 2008. I. 164, obs. C. Seraglini ; JDI 2008. 1107, note A. Mourre ; LPA 2008, n° 199, p. 21, note P. Duprey ; Gaz. Pal. 20-21 févr. 2009. 32, note F.-X. Train). En effet, depuis quelques années déjà, la cour n’évoque plus le caractère « flagrant, effectif et concret » de la violation, mais son caractère « manifeste, effectif et concret » (Paris, 27 sept. 2016, n° 15/12614, D. 2017. 2054, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; ibid. 2559, obs. T. Clay ; Rev. arb. 2017. Somm. 325 ; ibid. 824, E. Gaillard ; JDI 2017. Comm. 20, note E. Gaillard ;  16 mai 2017, n° 15/17442, D. 2017. 2054, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; ibid. 2559, obs. T. Clay ; JDI 2017. Comm. 20, note E. Gaillard ; Rev. arb. 2018. 248, note J.-B. Racine ; 16 janv. 2018, n° 15/21703, D. 2018. 1635 , note M. Audit ; ibid. 966, obs. S. Clavel et F. Jault-Seseke ; ibid. 1934, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; ibid. 2448, obs. T. Clay ; Rev. arb. 2018. 401, note S. Lemaire ; JDI 2018. Comm. 12, note S. Bollée ; ibid. Comm. 13, note E. Gaillard ; 27 févr. 2018, n° 16/01358, Rev. arb. 2018. Somm. 299 ; 10 avr. 2018, n° 16/11182, D. 2018. 1934, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; ibid. 2448, obs. T. Clay ; Rev. arb. 2018. 574, note E. Gaillard). La jurisprudence est donc en train d’opérer un revirement sur cette question – au moins dans les termes choisis – mais aucune certitude n’existe actuellement quant au périmètre de la solution.

La question est désormais de savoir si ce nouvel étalon de contrôle s’applique à l’ensemble des griefs relevant de l’ordre public – national et international (pour un ex. concernant l’ordre public procédural, v. Paris, 28 mars 2017, n° 15/17742, inédit ; 30 janv. 2018, n° 16/11761, Cah. arb. 2018. 125, obs. P. Pedone) ? C’est en cela que le présent arrêt est doublement marquant. Premièrement, car il oppose au requérant le principe de non-révision au fond pour refuser d’approfondir son examen, ce qui n’est pas nécessairement satisfaisant (pour une reprise des débats sur cette question, v. J. Jourdan-Marques, Le contrôle étatique des sentences arbitrales internationales, préf. T. Clay, 2017, LGDJ, coll. « Bibliothèque de droit privé », nos 546 s.). Deuxièmement, car le grief porte sur une violation du droit de la concurrence, qui relève aussi bien de l’ordre public interne qu’international. Ainsi, un arrêt de la Cour de cassation sur cette question représenterait une occasion en or pour répondre à trois questions : le contrôle de l’ordre public doit-il être identique en matière interne et en matière internationale ; le contrôle de l’ordre public doit-il être identique, quelle que soit la nature de l’ordre public en jeu (fond ou procédure ; corruption, blanchiment, concurrence, etc.) ; le contrôle de l’ordre public est-il immunisé contre le principe de non-révision au fond ? C’est une réponse triplement positive que nous sommes tenté d’apporter, et qui nous invite à espérer une cassation de l’arrêt. Affaire à suivre !