Samedi 21 septembre, l’acte 45 des Gilets jaunes, la Marche pour le climat et la manifestation contre les retraites dans Paris se sont soldées par 158 gardes à vue selon la Préfecture. Selon le parquet, 90 personnes se sont vues notifier un rappel à la loi, parfois assorti d’une interdiction de paraître à Paris pendant six mois, en application de la loi anti-casseurs du 10 avril 2019. Ces chiffres sont les plus importants depuis le 1er mai à Paris où 315 personnes avaient été gardées à vue, contre 900 le 8 décembre 2018. Ce 21 septembre, 7 500 policiers avaient été déployés dans la capitale. Quelques minutes après le début de la marche, le mouvement était déjà dispersé. « Très vite, des heurts éclatent entre forces de l’ordre et manifestants, infiltrés par des dizaines de black blocs » selon Libération daté du jour même. Le black bloc est un rassemblement spontané, éphémère, sans hiérarchie, d’individus habillés de noir, masqués, qui justifient la violence contre les représentations de l’État par la violence intrinsèque de celui-ci. La préfecture de police a justifié son intervention par la nécessité de « faire cesser les exactions ». « Les forces du désordre nous ont gazé puis repoussé sur le reste du cortège ‒ sans qu’il n’y ait d’issue ‒ alors que rien ne l’imposait », assure l’économiste et membre d’Attac, France Maxime Combes, en tête du cortège avec son organisation. D’autres ONG et figures politiques ont dénoncé le gazage et l’encerclement des manifestants pacifiques.
La France doit-elle se remettre en question quant à l’exercice du maintien de l’ordre sur son sol ? C’est en tout cas ce que souhaite un nombre d’acteurs croissant sur le territoire. S’ils reconnaissent la légitimité d’un usage proportionné et nécessaire de la force, ils dénoncent des dérives récurrentes. Le Défenseur des droits dénonce la restriction de la liberté de manifester dans son rapport d’activités remis en mars 2019, et déjà en janvier 2018 dans une étude sur la gestion du maintien de l’ordre. À l’époque, il préconisait diverses mesures afin de restaurer le plein exercice de ce droit, notamment l’interdiction des lanceurs de balles de défense (LBD 40x60) dans les opérations de maintien de l’ordre. En février, la commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe invitait les autorités françaises à « ne pas apporter de restrictions excessives à la liberté de réunion pacifique » et à « suspendre l’usage du lanceur de balle de défense », responsable de blessures et mutilations répétées. Quelques jours plus tard, c’est la Haut-commissaire aux droits de l’homme de l’ONU qui enjoignait la France à mener une enquête approfondie sur tous les cas d’usage excessif de la force survenus pendant les manifestations des Gilets jaunes.
Dans une tribune du 3 mai 2019, Amnesty International se positionnait également pour l’interdiction du LDB40 et des grenades lacrymogènes instantanées GLI-FA dans le cadre du maintien de l’ordre ‒ « la France est le seul pays de l’Union européenne à [en] utiliser ». « Nous appelons le ministre de l’Intérieur à interdire immédiatement ces armes qui ne respectent pas les principes de nécessité et de proportionnalité requis en droit français et en droit international », précise la tribune. Une question prioritaire de constitutionnalité était déposée en mars 2019 par diverses organisations (LDH, SM, SAF…) afin de faire interdire l’usage du LBD au titre de l’atteinte aux principes constitutionnels.
En avril, le Conseil d’État refusait de saisir le juge constitutionnel. « Nous avons besoin de pouvoir utiliser des lacrymogènes, des outils comme le LBD » pour « continuer à protéger l’ordre public » face à une « grande violence » et à « des attaques systématiques contre nos institutions » et « nos forces de l’ordre », justifiait de son côté le ministre de l’Intérieur Christophe Castaner, au micro d’Europe 1, le 18 janvier 2019. « Nous avons toujours dit que ces armes intermédiaires permettaient de ne pas utiliser les armes à feu. Ce n’est pas un danger mais une protection pour les forces de l’ordre et les manifestants », assure Frédéric Le Louette, président de GendXXI, organisation de gendarmes (et non syndicat car le statut de gendarme l’interdit) créée en janvier 2015, grâce aux arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme du 2 octobre 2014.