1. État des lieux
La loi n° 2016-1767 du 19 décembre 2016 prorogeant l’application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence, parue au Journal officiel le 20 décembre, a été adoptée en première lecture par le Sénat le 15 décembre 2016, sans modification, et le 13 décembre par l’Assemblée nationale en première lecture également après engagement de la procédure accélérée.
Cette loi, outre une nouvelle prorogation de l’état d’urgence jusqu’au 15 juillet 2017, vient compléter l’article 6 de la loi du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence portant sur les assignations à résidence, dont les dispositions seront examinées dans la présente note.
En outre, la loi prévoit que l’article 4 de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 (qui prévoit que « la loi portant prorogation de l’état d’urgence est caduque à l’issue d’un délai de quinze jours francs suivant la date de démission du gouvernement ou de dissolution de l’Assemblée nationale ») n’est pas applicable en cas de démission du gouvernement consécutive à l’élection du président de la République ou à celle des députés à l’Assemblée nationale (art. 4).
2. Quelques avis et commentaires du texte
Dans un avis consultatif du 8 décembre 2016 (n° 392427), le Conseil d’État, saisi les 22 novembre et 7 décembre 2016 du projet de loi, retient que la prorogation de l’état d’urgence est justifiée par le « contexte institutionnel particulier » et que « la conjonction de la menace terroriste persistante d’intensité élevée et des campagnes électorales présidentielles et législatives, caractérise « un péril imminent résultant d’atteinte graves à l’ordre public » au sens de l’article 1er de la loi du 3 avril 1955. » Le Conseil d’État considère que, dans ces circonstances, le maintien temporaire des mesures législatives propres à l’état d’urgence opère une « conciliation qui n’est pas déséquilibrée entre la prévention des atteintes à l’ordre public et le respect des droits et libertés reconnus par la Constitution »1.
Le Conseil d’État a également rappelé que « l’état d’urgence reste un état de crise par nature temporaire. Ses renouvellements ne sauraient par conséquent se succéder indéfiniment ».
Dans un avis rendu le 15 décembre 2016, la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) a appelé les pouvoirs publics à mettre fin à l’état d’urgence, et à renoncer sans délai au droit de dérogation qu’ils ont exercé en vertu des articles 15-1 de la Convention européenne des droits de l’homme et 4-1 du Pacte international sur les droits civils et politiques.
Réitérant ses plus vives critiques sur la permanence de l’état d’urgence, la CNCDH estime que l’inscription de l’état d’urgence dans la durée fait courir à la démocratie de nombreux dangers2.
La CNCDH retient notamment :
- qu’« en touchant presque exclusivement des personnes de confession musulmane réelle ou supposée, et en aggravant le sentiment d’être victimes d’ostracisme, les mesures prises sur le fondement de la loi de 1955 compromettent la cohésion nationale » ;
- que « la position française présente le risque d’être instrumentalisée pour porter atteinte à l’autorité de la Cour de Strasbourg, à un moment où les attaques dont celle-ci fait l’objet dans plusieurs pays compromettent le patrimoine de « respect de la liberté et de prééminence du droit » commun aux États membres du Conseil de l’Europe. »
Le commissaire aux droits de l’homme, M. Nils Muiznieks, a également exprimé ses inquiétudes. Dans un entretien au journal Le Monde du 30 novembre 2016, il a mis en garde les autorités françaises, soulignant qu’une prorogation sans fin de l’état d’urgence signifierait « un renoncement à la démocratie, et donc la victoire des terroristes ». À cette occasion, il a déclaré avoir « des doutes sérieux sur leur [des mesures prises dans le cadre du régime d’exception] efficacité » et espère que « l’état d’urgence cessera bientôt, car les risques d’abus et de remise en cause de droits sont là, les risques de stigmatisation et d’atteinte à la cohésion sociale sont là »3.
3. La loi n° 2016-987 du 21 juillet 2016 prorogeant l’application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence et portant mesures de renforcement de la lutte antiterroriste
Si la loi n° 2016-987 du 21 juillet 2016 a prolongé l’état d’urgence d’une durée de six mois, elle a également prévu, outre les mesures qui seront examinées dans la présente note :
- l’exclusion du crédit de réduction de peine et de certains aménagements de peine pour les condamnés au titre d’infractions terroristes (C. pr. pén., art. 720-1, 721-1-1 et 723-1) ;
- la vidéosurveillance à titre exceptionnel des cellules hébergeant des détenus provisoires sous mandat de dépôt criminel (C. pr. pén., art. 716-1 A) ;
- l’augmentation de la durée totale de détention provisoire pour les actes de terrorisme (C. pr. pén., art. 706-24-3) ;
- l’augmentation du quantum des peines encourues pour certains actes de terrorisme (C. pén., art. 421-5 et 421-6).
Précisons ici, même si cela sera rappelé après, que la loi a instauré une nouvelle technique de renseignement permettant de transmettre en temps réel des données de connexion à l’égard d’une personne préalablement identifiée susceptible d’être en lien avec une menace terroriste et d’une ou plusieurs personnes appartenant à son entourage, si les information sont susceptibles « de fournir des informations au titre de la finalité qui motive l’autorisation » (CSI, art. L. 851-2).
D’autres mesures ont également été consacrées, telle que la fermeture administrative et provisoire des lieux de culte où sont tenus des propos faisant l’apologie ou provoquant à la haine, à la violence ou au terrorisme (art. 8 de la L. n° 55-385, 3 avr. 1955).
4. Synthèse des mesures administratives prises en application de la loi du 3 avril 1955
En application de l’article 4-1 de la loi du 3 avril 19554 modifiée par la loi du 21 juillet 2016, les autorités administratives transmettent au Parlement tous les actes pris en application de l’état d’urgence. Le tableau ci-dessous présente une synthèse des actes transmis depuis le 22 juillet 2016.
(Source des données : ministère de l’intérieur, au 21 décembre 2016)
Assignations à résidence en vigueur | Perquisitions administratives ordonnées | Interdictions de séjour ou d’accès | Remise d’armes | Actes relatifs à la fermeture de site ou de lieu de réunion |
93 | 591 | 31 | 4 | 13 |
Contrôles d’identité, fouilles de bagages et de véhicules (1) | Interdictions de manifestation ou restrictions de circulation | Zones de protection et de sécurité |
1 974 |
23 |
22 |
(1) En application de l’article 8-1 de la loi du 3 avril 1955 modifiée par la loi du 21 juillet 2016.