« Regardez, cette femme transporte ses paillettes », lance le Dr Bérengère Ducrocq, la directrice du centre d’étude et de conservation des œufs et du sperme humain (Cecos) de Lille. À peine arrivés sur le site du CHU, nous voilà déjà dans l’ambiance. Une femme sort en effet du centre de dons avec une grosse bonbonne. À l’intérieur se trouvent des tubes conservés dans de l’azote réfrigéré qui contiennent les paillettes (spermatozoïdes, ovocytes ou embryons). Elle se dirige vers le service d’assistance médicale à la procréation (PMA) du CHU où un gynécologue va lui transférer ce matériau en vue d’une grossesse. « Les femmes ont cinq jours pour venir récupérer leur bonbonne, assure le médecin. C’est ainsi que ça se passe dans tous les Cecos ». Ce mercredi 22 novembre, la directrice reçoit dans cet établissement, l’un des trente-trois Cecos de France, la Commission d’accès des personnes nées d’une PMA aux données des tiers donneurs (Capadd) dont elle fait elle-même partie. La commission a été créée par la loi n° 2021-1017 du 2 août 2021 relative à la bioéthique, qui a ouvert la PMA aux couples de femmes et aux femmes célibataires, et initié un droit d’accès aux origines des personnes majeures nées d’une assistance médicale à la procréation (PMA) avec tiers donneurs (c’est-à-dire les individus ayant effectué un don de gamète (spermatozoïdes ou ovocytes) ou un don d’embryon). Un total changement de paradigme puisque jusqu’ici, l’anonymat des donneurs était la règle, instituée par la loi bioéthique de 1994. Désormais, la loi requiert du donneur un consentement préalable d’accès à ses données pour les enfants nés de ses dons (10 maximum) qui en feront la demande à leur majorité. Il s’agit des données identifiantes ou « DI » (nom de naissance, prénoms, sexe, date et lieu de naissance) et des données non identifiantes ou « DNI » (âge, état général au moment du don, caractéristiques physiques, situation familiale et professionnelle, pays de naissance, motivations du don écrites par ses soins). « Depuis 2018, nous prévenions les donneurs, hommes et femmes, que cette issue se profilait. Sur les 250 personnes qui ont fait un don, une cinquantaine a donné son consentement », révèle le Dr Ducrocq.
Notons que l’accès à ces informations demeure encadré par la loi. Il appartient aux intéressés de formuler une demande d’accès aux DI et DNI de leur tiers donneur ou donneuse auprès de la Capadd qui a pour mission de contacter ces tiers donneurs afin de recueillir leur consentement ou leur refus de transmettre ces éléments. Dans ce processus, la commission s’appuie sur le registre de l’Agence de la biomédecine (ABM) qui est sensée disposer de ces ressources – depuis 1994, l’identité des donneurs devait être accessible en cas de nécessité médicale ce qui a peu été respecté. Voilà pour la théorie. En pratique, le droit d’accès aux origines s’avère difficile à organiser, comme la commission l’a révélé dans son premier rapport, publié le 15 septembre dernier. « Les centres de dons sont confrontés à un archivage des dossiers des donneurs et receveurs qui présente des fragilités », euphémisent les rapporteurs. En introduction, ils rappellent qu’on estimait en 2019 à 70 000 le nombre d’enfants nés en France à l’issue d’une PMA avec tiers donneurs sur les 50 dernières années, dont une grande partie semblerait l’ignorer (selon une enquête du Cecos de Bicêtre, 30 % des parents voulaient garder un secret absolu et 20 % étaient indécis). Aussi, la logique adoptée par la commission est celle de la transparence. « Nous ne voulons pas ajouter du secret au secret. Toutes les informations dont nous disposons, nous essayons de les transmettre », prévient Stéphanie Kretowicz, la présidente de la Capadd. Y compris lorsqu’un demandeur sollicite la commission parce qu’il pense être né d’un don mais sans que ses parents lui aient confirmé l’information. C’est l’un...