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Dossier 

L’entreprise et le droit pénal au temps du covid-19

En quelques semaines, le déferlement imprévisible et irrésistible de l’épidémie de coronavirus à travers le monde a contraint le gouvernement à adopter des mesures d’urgence provoquant un ralentissement sensible de notre économie en raison du confinement de la population et de la fermeture massive de la plupart des établissements recevant du public. Dans le même temps, le télétravail est devenu la norme pour tous les postes qui le permettaient. À défaut, les entreprises qui souhaitaient maintenir leur activité ont dû repenser l’organisation du travail en garantissant la sécurité des salariés, notamment par la mise en œuvre des mesures d’hygiène et de distanciation sociale, dites « barrières », désormais bien connues.

Dans ce contexte inédit, de nombreux entrepreneurs ont été ou peuvent être confrontés à un risque pénal en raison des conditions d’exercice de leur activité. Dans certains cas, ils peuvent aussi être victimes de procédés frauduleux, parfois très ingénieux, qui fleurissent depuis quelques semaines. En vue de se prémunir contre ces menaces, il importe d’avoir une vision globale, panoramique, des principales infractions pénales qui touchent au monde des affaires car, à côté des dispositions pénales spéciales prises dans l’urgence (I), gravitent d’autres infractions, plus classiques, qui trouvent aussi à s’appliquer à cette période troublée. Il en va ainsi pour les infractions liées au droit du travail (II) ou pour celles liées aux fraudes dont l’entreprise serait victime comme les escroqueries menées sur internet (III).

par Pierre-Henri Goutle 30 avril 2020

I - Les infractions spéciales liées à l’état d’urgence sanitaire

Le 30 janvier 2020, l’Organisation mondiale de la santé a déclaré que l’émergence d’un nouveau coronavirus (covid-19) constituait une urgence de santé publique de portée internationale. Le covid-19 étant un agent biologique pathogène de groupe II, particulièrement contagieux, différentes mesures ont été prises par le gouvernement aux fins de freiner sa propagation. La situation sanitaire se dégradant rapidement, le confinement de la population a été décidé, à compter du 17 mars. Quelques jours plus tard, la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 déclarait l’état d’urgence sanitaire, entraînant l’application de dispositions spéciales codifiées au code de la santé publique (CSP, art. L. 3131-12 s.). Par un décret n° 2020-293 du même jour, plusieurs fois modifié depuis, le gouvernement a décidé de mesures exceptionnelles pour limiter la propagation du virus.

A – Les mesures d’exception touchant à la vie économique

À situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles ! En entrant en guerre contre le covid-19, pour reprendre les mots du président de la République dans son allocution télévisée du 16 mars, la France a fait le choix d’instaurer des mesures d’exception dont l’irrespect est pénalement sanctionné.

En premier lieu, en vue de limiter la transmission du virus, on relève des mesures de confinement, avec l’interdiction de tout déplacement de personne hors de son domicile à l’exception de quelques déplacements strictement indispensables, limitativement énumérés dont les trajets domicile/travail ne pouvant être différés, les achats de fournitures professionnelles et de première nécessité, la présentation devant un service de police ou de gendarmerie, la convocation devant une juridiction.

En parallèle, la fermeture provisoire de nombreux établissements recevant du public a été décidée dont les restaurants, salles de spectacles, musées, établissements d’enseignements, magasins de vente et centre commerciaux, sauf dérogations comme les commerces alimentaires, pharmacies, etc. (v. liste en annexe du décret). Toujours en vue de limiter cette transmission, les rassemblements, réunions ou activités mettant en présence plus de cent personnes en milieu clos ou ouvert, ont été interdits (en deçà, possibilité est laissée aux préfets de les interdire).

En matière de transport, des dispositions ont été prises, qu’il s’agisse du transport maritime (limitation du nombre de passagers sur les navires de commerce, nettoyage journalier des espaces accueillant des passagers), aérien (interdiction de certaines liaisons), terrestre de voyageurs (nettoyage journalier des véhicules, affichage des mesures barrières, distance entre le conducteur et les passagers, etc.). Pour le transport de marchandises, les lieux de chargement / déchargement doivent, par exemple, être équipés d’un point d’eau ou de gel hydroalcoolique tandis que les véhicules devront avoir une réserve d’eau et de savon, des serviettes à usage unique ou du gel hydroalcoolique.

En second lieu, le gouvernement est intervenu de manière plus directive, d’abord afin de réquisitionner, jusqu’au 31 mai 2020, les stocks de certaines catégories de masques de protection respiratoire détenus par toute personne morale de droit public ou de droit privé ainsi que les stocks de masques anti-projections détenus par les entreprises qui en assurent la fabrication ou la distribution. Au-delà, au plan local, les préfets peuvent notamment réquisitionner les établissements de santé, laboratoires, opérateur funéraire et tout bien, service ou personnel nécessaire à leur fonctionnement.

Ensuite, la mise à disposition de médicaments a été encadrée, notamment quant aux préparations à base d’hydroxychloroquine qui ne peuvent être dispensées par les pharmacies que dans le cadre d’une prescription émanant de certains spécialistes. Mieux, l’exportation est interdite, afin de garantir l’approvisionnement des patients sur le territoire.

Enfin, un contrôle des prix a été instauré sur certains produits comme les gels hydroalcooliques dont le prix de vente est plafonné (par exemple, au détail, un flacon d’un litre ne devra pas dépasser les 15 €).

B – Les sanctions pénales encourues

En temps normal, le non-respect des décrets et arrêtés de police est puni d’une simple amende de 38 €. Mais, depuis la déclaration de l’état d’urgence sanitaire, les choses ont changé, avec une aggravation des sanctions.

D’abord, est lourdement sanctionné le non-respect des réquisitions visant les biens et services (comme les masques) ou le personnel soignant, lequel est puni de six mois d’emprisonnement et de 10 000 € d’amende. En dehors de ces réquisitions, la violation des autres interdictions ou obligations est graduée, avec une peine d’amende prévue pour les contraventions de la quatrième classe, soit 750 € ou à une amende forfaitaire de 135 €, portée à 375 € en cas de majoration. En substance, cette contravention de 750 € correspond au montant maximum encouru en cas de contestation et de comparution devant un juge. L’amende forfaitaire, quant à elle, est une procédure « accélérée » permettant d’éteindre rapidement l’action publique : son montant varie en fonction de la célérité du contrevenant à s’acquitter de l’amende.

Pour les personnes étourdies, si cette violation est constatée à nouveau dans un délai de quinze jours, l’amende est celle prévue pour les contraventions de la cinquième classe, soit 1 500 €, avec application possible de la procédure de l’amende forfaitaire, c’est-à-dire 200 € pouvant être majorée à 450 €.

Pour les « récidivistes endurcis », fini les contraventions et place au délit : si ces violations sont « verbalisées » à plus de trois reprises dans un délai de trente jours, les faits sont punis de six mois d’emprisonnement et de 3 750 € d’amende. Signalons que plusieurs questions prioritaires de constitutionnalité ont été déposées devant les juridictions correctionnelles contre ce nouveau délit, au regard de son incompatibilité présumée avec le principe constitutionnel de présomption d’innocence (le prévenu pourrait être condamné pour ce délit, au regard de contraventions pouvant encore être contestées).

À noter que pour les personnes morales, le montant de ces amendes est quintuplé.

II - Les infractions liées au droit du travail

Depuis le début du confinement, beaucoup d’entreprises ont fait le choix du principe de précaution et ont décidé de suspendre toute activité. À l’inverse, d’autres entrepreneurs ont fait le choix de maintenir une activité productive et de nombreuses questions ont émergé quant au risque pénal encouru en raison de l’exposition d’un salarié au risque de contamination au covid-19. En effet, plusieurs entreprises ont fait l’objet de plaintes pour mise en danger de la vie d’autrui, déposées par des salariés, des organisations syndicales estimant que la sécurité et la protection des travailleurs n’étaient pas garanties, notamment quant à l’irrespect des mesures de distanciation.

A – La mise en danger délibérée d’autrui

La mise en danger délibérée de la personne d’autrui est entendue comme « le fait d’exposer directement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente par la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement » (C. pén., art. 223-1). Pour cette infraction, punie d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende, il n’est pas nécessaire que le salarié subisse un dommage, la seule exposition à un risque suffisant à caractériser le délit.

L’employeur doit donc se montrer vigilant, le code du travail lui imposant notamment de prévenir le risque biologique sur les lieux de travail, lequel peut être à l’origine de risques infectieux ou allergiques. Une défaillance de sa part sera susceptible d’engager sa responsabilité pénale comme dans les contentieux liés à des produits amiantifères. Par exemple, dans une affaire récente, dans le contexte d’un chantier de terrassement portant sur des roches et des terres naturellement amiantées, connues et identifiées avant l’acceptation du marché, les juges avaient condamné les prévenus pour mise en danger de la vie d’autrui en estimant que « la défaillance dans la mise en œuvre de la protection du public et des salariés contre l’inhalation de poussières d’amiante produites par les travaux entrepris sur le site entraînait un risque de mort ou de blessures graves lié à l’inhalation de fibres d’amiante ». Ils en avaient déduit que les salariés étaient exposés « à un risque de mort, de mutilation ou d’infirmité permanente, en relation directe et immédiate avec la violation manifestement délibérée des dispositions du code du travail » (Crim. 19 avr. 2017, n° 16-80.695, D. 2017. 869 ; RDI 2017. 479, obs. G. Roujou De Boubée ; AJ pénal 2017. 340, note V. Cohen-Donsimoni ; Dr. soc. 2017. 774, chron. R. Salomon ; RSC 2017. 285, obs. Y. Mayaud ; RTD com. 2017. 443, obs. L. Saenko ).

La responsabilité pénale de l’entreprise ou de ses représentants sera donc envisageable s’il était démontrée la violation, par l’employeur, d’une « obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement ». À l’heure actuelle, afin de ralentir la propagation du virus, on relève essentiellement des dispositions générales, applicables à tous, envisageant « des mesures d’hygiène et de distanciation sociale, dites « barrières », définies au niveau national, [qui] doivent être observées en tout lieu et en toute circonstance » (Décr. n° 2020-293, art. 2). S’y ajoutent des notes et fiches-conseils, sans force contraignante, éditées par le ministère du Travail pour aider les salariés et les employeurs dans la mise en œuvre des mesures de protection contre le covid-19 sur les lieux de travail.

Comme évoqué, quelques dispositions plus précises figurent dans ce décret n° 2020-293, en matière de transport avec notamment, pour le transport de marchandises, l’installation dans les véhicules, d’une « réserve d’eau et de savon ainsi que de serviettes à usage unique, ou de gel hydroalcoolique » ou encore, sur les lieux de chargement / déchargement.

En dehors de ce secteur d’activité, bien que les « mesures barrières », évoquées par le décret n° 2020-293, ne soient pas davantage étayées par des dispositions de nature législative ou réglementaire, il sera recommandé à l’employeur de mettre en œuvre toutes les mesures préconisées par les pouvoirs publics. À défaut, on peut estimer que les entreprises, qui s’abstiendraient de prendre les mesures de prévention adaptées tout en exigeant le maintien des salariés sur leur poste de travail pourraient voir leur responsabilité pénale recherchée pour mise en danger de la vie d’autrui. Pour ce faire, il faudra que soit démontrée la volonté intentionnelle de l’auteur d’enfreindre cette « obligation particulière de prudence ou de sécurité », ce qui pourrait se déduire du constat de l’adoption de mesures inadaptées et de l’empressement du chef d’entreprise à poursuivre l’activité sans véritable analyse des risques. Il est donc essentiel que les entreprises puissent justifier de la pertinence des mesures de prévention décidées dans le cas où leur inadéquation serait alléguée par les syndicats ou par les élus à l’appui d’une plainte pour mise en danger.

B – Atteinte involontaire à la vie / l’intégrité d’un salarié (en présence d’un dommage)

Au-delà de la mise en danger délibérée d’autrui, en présence d’un dommage, c’est-à-dire si le salarié a contracté le covid-19 sur son lieu de travail en raison de mesures de protection inadaptées, la responsabilité de l’employeur ou de ses délégataires pourra être recherchée en cas de décès ou même d’incapacité temporaire de travail (ITT).

Sur le terrain des sanctions, en cas d’ITT d’une durée inférieure ou égale à trois mois, le fait de causer à autrui, par la « violation manifestement délibérée » d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité, est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende (C. pén., art. 222-20).

Ensuite, les ITT supérieures à trois mois, causées par simple maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de prudence ou de sécurité sont punies de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 € d’amende (C. pén., art. 222-19, al. 1er). En cas de violation « manifestement délibérée » d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité, les peines sont portées à trois ans d’emprisonnement et à 45 000 € d’amende (C. pén., art. 222-19, al. 2). En cas de décès du salarié, c’est-à-dire d’homicide involontaire, suite à une maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement, la peine prévue est de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende (C. pén., art. 221-6, al. 1er) portée à cinq ans d’emprisonnement et à 75 000 € d’amende s’il y a violation « manifestement délibérée » d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité (C. pén., art. 221-6, al. 2).

La survenance d’une ITT ou le décès d’un salarié ayant été invité par l’employeur à poursuivre son activité pourra inciter le parquet à ouvrir une enquête préliminaire. La difficulté sera, pour l’employeur, de justifier de l’adéquation des mesures adoptées et de leur suivi rigoureux par les salariés, mais aussi d’établir que la contamination n’est pas intervenue sur le lieu de travail, preuve qu’il sera difficile à rapporter dans le contexte actuel où de grandes zones d’ombre demeurent quant à la manière dont se propage le virus.

C – Manquement aux règles d’hygiène et de sécurité prévues au code du travail

Le code du travail est constellé de dispositions en matière de santé et de sécurité que l’employeur ou son délégataire doit mettre en œuvre.

De manière générale, le code prévoit que l’employeur doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures comprennent des actions de prévention des risques professionnels, des actions d’information et de formation, la mise en place d’une organisation et de moyens adaptés. En plus, l’employeur doit veiller à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes (C. trav., art. L. 4121-1). C’est à ce titre qu’une grande entreprise de commerce électronique américaine a été condamnée, au civil, le 14 avril dernier, devant le tribunal judiciaire de Nanterre (puis en appel, le 24 avril), pour ne pas avoir effectué une évaluation des risques adaptée à la situation exceptionnelle du moment (distanciation sociale non respectée, formation et information du personnel insuffisantes). Il lui a été ordonné de procéder à l’évaluation des risques professionnels et à la mise en œuvre des mesures prévues à l’article L. 4121-1 du code du travail.

Au-delà de ces dispositions générales, des obligations particulières liées à la sécurité et à l’aménagement des lieux de travail devront être respectées, la loi prévoyant que les établissements et locaux de travail soient aménagés de manière à ce que leur utilisation garantisse la sécurité des travailleurs : ils doivent être tenus dans un état constant de propreté et présenter des conditions d’hygiène et de salubrité propres à assurer la santé des travailleurs (C. trav., art. L. 4221-1). L’employeur devra aussi être vigilant sur l’utilisation des équipements de travail et des moyens de protection en mettant à la disposition des travailleurs des équipements appropriés au travail à réaliser (C. trav., art. L. 4321-1).

Il conviendra également d’être attentif à la prévention des risques biologiques, notamment quant à l’évaluation de ces risques, aux mesures et moyens de prévention, à l’information et la formation des travailleurs et au suivi de leur état de santé (C. trav., art. L. 4421-1). D’après le ministère du Travail, sachant que le covid-19 est considéré comme agent biologique pathogène de groupe II, peuvent être considérés comme exposés au risque biologique, les professionnels directement exposés au risque de contamination du fait de leur activité habituelle (ex : professionnels de santé et de secours), mais également les travailleurs dont les fonctions les exposent indirectement, c’est-à-dire dont l’activité n’implique pas l’utilisation délibérée d’un agent biologique (ex : soins et aides à domicile, services à la personne), dès lors que leurs tâches impliquent des contacts de « moins d’un mètre » avec des personnes potentiellement contaminées.

À défaut de mettre en œuvre ces dispositions éparpillées dans le code du travail, l’employeur ou son délégataire peuvent être pénalement sanctionnés, par une amende de 10 000 € avec une aggravation des sanctions, en cas de récidive, la peine prévue étant alors d’un an d’emprisonnement et de 30 000 € d’amende. En outre, précisons que l’amende est appliquée autant de fois qu’il y a de travailleurs de l’entreprise concernés indépendamment du nombre d’infractions relevées dans le procès-verbal de l’inspection du travail.

À l’heure actuelle, comme le rappelle le ministère du Travail, il incombe à l’employeur de :

  • procéder à l’évaluation des risques encourus sur les lieux de travail et déterminer les mesures de prévention les plus pertinentes ;
  • associer les représentants du personnel à ce travail ;
  • solliciter, lorsque cela est possible, la médecine du travail qui a pour mission de préconiser toute information utile sur les mesures de protection, la mise en œuvre des « gestes barrières » ;
  • respecter et faire respecter les « gestes barrières » recommandés.

Au niveau de la responsabilité pénale du chef d’entreprise, à la lumière de ces préconisations, le ministère considère que l’employeur qui ne peut mettre en télétravail ses salariés mais qui met à leur disposition des moyens de protection (savon, gel hydroalcoolique et tout autre moyen recommandé), les informe régulièrement sur la prévention des risques de contamination (rappel des « gestes barrières » et de distanciation) en adaptant leur formation à la situation de l’entreprise et à la nature des postes occupés, ne devrait pas encourir de sanction pénale « sous réserve de l’appréciation souveraine des juges ».

Inversement, une application inadaptée pourra engager la responsabilité de l’employeur.

D – La fraude au chômage partiel

Suite à la mise en place du confinement, un décret n° 2020-325 du 25 mars 2020 relatif à l’activité partielle a modifié les modalités de calcul de l’allocation versée par l’État aux employeurs en cas d’activité partielle, afin de faire face à la baisse d’activité qui résulte de la situation sanitaire et de ses conséquences et d’éviter les risques de licenciement.

Toutefois, la mise en chômage partiel des salariés n’est pas compatible avec le télétravail pendant les heures chômées et lorsqu’un employeur demande à un salarié de télétravailler alors que ce dernier est placé en activité partielle, cela s’apparente à une fraude assimilable à du travail illégal. Outre les sanctions civiles comme le remboursement des sommes perçues indûment au titre du chômage partiel, des sanctions pénales sont prévues.

Toute demande d’indemnisation portant sur des heures effectivement travaillées ou correspondant à des jours de congés ou de repos peut d’abord être constitutive de travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié (C. trav., art. L. 8221-5). Cette infraction, sanctionnée par un emprisonnement de trois ans et une amende de 45 000 €, vise le fait pour tout employeur de mentionner sur le bulletin de paie un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli. Ce sera le cas, lorsque le chef d’entreprise cumule le dispositif d’activité partielle avec un travail effectif de ses salariés, et ce, durant des heures officiellement déclarées comme chômées.

Mais ce n’est pas le seul risque pénal, le chef d’entreprise pouvant aussi être poursuivi pour l’obtention frauduleuse d’aides publiques, sanctionnée par deux ans d’emprisonnement et 30 000 € d’amende. Est ici réprimée, dans la catégorie des atteintes à la confiance publique, le fait « de fournir sciemment une fausse déclaration ou une déclaration incomplète en vue d’obtenir ou de tenter d’obtenir, de faire obtenir ou de tenter de faire obtenir d’une personne publique, d’un organisme de protection sociale ou d’un organisme chargé d’une mission de service public une allocation, une prestation, un paiement ou un avantage indu » (C. pén., art. 441-6).

Le ministère du Travail ayant invité les salariés et les représentants du personnel à signaler aux DIRECCTE, tout manquement à cette règle du chômage partiel, il est fort à parier que des employeurs auront à s’expliquer quant à l’irrespect de ces dispositions.

III - Les infractions protégeant l’entreprise victime de fraudes

Alors que dans nos développements précédents, nous mettions l’accent sur les infractions pouvant être commises par l’entrepreneur, il s’agira ici d’aborder les fraudes et menaces pesant sur son activité et pour lesquelles, il sera le plus souvent victime.

A – Les risques liés aux escroqueries 2.0

Depuis l’apparition des premiers cas de coronavirus, les arnaques de la part de sociétés et d’individus malveillants se multiplient, principalement via internet. La gendarmerie nationale a récemment communiqué sur les menaces identifiées dont les sites internet liés au covid-19 commercialisant des moyens de protection comme des masques, gels hydroalcooliques. On relève également les escroqueries liées aux faux ordres de virement adressés par des escrocs à des entreprises, ainsi que l’hameçonnage/phishing via des courriels, SMS, réseaux sociaux, appels téléphoniques, en orientant la victime vers un faux site pour lui soustraire des informations personnelles, professionnelles, bancaires, etc.

Pour illustrer ces menaces, prenons l’exemple d’une affaire révélée par la presse, début mars, où une entreprise pharmaceutique normande avait passé une commande massive de masques et de gels pour près de 6,6 millions d’euros, à une société dont l’identité a été usurpée. Concrètement, les escrocs se seraient fait passer pour les fournisseurs habituels de l’entreprise, en affirmant livrer rapidement une grande quantité du matériel voulu. Ils ont ensuite disparu et l’argent aurait été viré sur un compte dans l’extrême orient.

Au-delà de l’usurpation d’identité (punie d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende), de tels agissements peuvent être qualifiés d’escroquerie, laquelle est entendu comme « le fait, soit par l’usage d’un faux nom ou d’une fausse qualité, soit par l’abus d’une qualité vraie, soit par l’emploi de manœuvres frauduleuses, de tromper une personne physique ou morale et de la déterminer ainsi, à son préjudice ou au préjudice d’un tiers, à remettre des fonds, des valeurs ou un bien quelconque, à fournir un service ou à consentir un acte opérant obligation ou décharge » (C. pén., art. 313-1). Ce délit est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 375 000 € d’amende.

B - L’exercice illégal d’intermédiaire en financement participatif (crowfunding)

Au-delà du soutien moral apporté par la population aux personnels soignants, il a été constaté que cet élan de solidarité se poursuivait sur des plateformes d’appel à projets, notamment pour la recherche de vaccin. La DGCCRF a ainsi relevé que certains individus exerçaient de manière illégale, l’activité d’intermédiaire en financement participatif qui consiste à mettre en relation, au moyen d’un site internet, les porteurs d’un projet déterminé et les personnes finançant ce projet (C. mon. fin., art. L. 548-1).

Il convient donc d’être vigilant sur la participation ou la mise en œuvre d’une opération de crowfunding, l’exercice illicite de cette activité, pour les opérations de prêt avec ou sans intérêt, étant puni des peines prévues pour l’infraction d’escroquerie (5 ans d’emprisonnement et 375 000 € d’amende).

C - Les atteintes informatiques

Une autre menace, usant là encore des nouvelles technologies réside dans les rançongiciels/ransomware qui se matérialise généralement par une attaque du système informatique d’une entreprise grâce à un logiciel malveillant. Celui-ci va crypter les données de l’entreprise (fichiers clients, comptabilité, etc.) et détruire les sauvegardes. L’auteur du piratage sollicitera ensuite une rançon auprès de la victime, évidemment sans aucune garantie de décryptage des données en cas de paiement.

Ces piratages, qui peuvent être facilités par une défaillance de l’équipement informatique du collaborateur en télétravail, d’une négligence de sa part ou d’un défaut de mise à jour du matériel informatique par l’entreprise, sont réprimés par plusieurs textes. Les hackeurs pourront principalement être sanctionnés au titre des atteintes aux systèmes de traitement automatisé de données (C. pén., art. 323-1 s.). Il est également possible d’agir sur le terrain de l’extorsion entendue comme « le fait d’obtenir par violence, menace de violences ou contrainte soit une signature, un engagement ou une renonciation, soit la révélation d’un secret, soit la remise de fonds, de valeurs ou d’un bien quelconque » (C. pén., art. 312-1), voire éventuellement du chantage qui est « le fait d’obtenir, en menaçant de révéler ou d’imputer des faits de nature à porter atteinte à l’honneur ou à la considération, soit une signature, un engagement ou une renonciation, soit la révélation d’un secret, soit la remise de fonds, de valeurs ou d’un bien quelconque » (C. pén., art. 312-10). À la différence de l’extorsion, le chantage est une pression strictement morale consistant à menacer de révéler ou imputer des faits offensants pour autrui, qui auraient, par exemple, pu être découverts par le hacker à l’occasion du piratage.

D - Les fraudes liées à la vente de produits sanitaires

Tandis que l’épidémie de covid-19 pousse tout un chacun, entreprises comme particuliers, à rechercher des moyens de protection, la presse a révélé que certains individus produisaient et vendaient « sous le manteau » ou via internet, des produits particulièrement demandés à l’heure actuelle comme des masques ou des gels hydroalcooliques.

Outre des sanctions pour pratiques commerciales trompeuses (notamment en cas de fausses informations sur les caractéristiques du bien, son origine, les résultats des contrôles effectués), cette activité peut aussi être constitutive de travail dissimulé par dissimulation d’activité, en raison de l’exercice à but lucratif d’une activité de production ou l’accomplissement d’actes de commerce. Par exemple, il en ira ainsi lorsque l’auteur des faits n’a pas procédé aux déclarations sociales et fiscales liées à son activité ou bien s’il n’est pas immatriculé (au répertoire des métiers, au registre du commerce et des sociétés) ou encore s’il a poursuivi son activité après un refus d’immatriculation ou une radiation (C. trav., art. L. 8221-3).

La répression est sévère, le travail totalement ou partiellement dissimulé étant, rappelons-le, puni d’un emprisonnement de trois ans et d’une amende de 45 000 €.

En définitive, ce canevas d’infractions démontre, s’il en était besoin, que le chef d’entreprise doit se montrer particulièrement vigilant dans le cadre de ses activités professionnelles maintenues durant le confinement. Car même si l’exercice professionnel se déroule en mode « dégradé », cela ne constituera évidemment pas une cause d’exonération de la responsabilité pénale du chef d’entreprise qui pourra toujours être recherchée.