L’ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 20201 organise le fonctionnement des auditions, audiences et communications dans les dossiers, devant les juridictions civiles de première instance et d’appel pendant la période d’état d’urgence sanitaire.
La présente étude a pour but de décrire uniquement les dispositions générales du titre I de l’ordonnance : « les dispositions applicables aux juridictions de l’ordre judiciaire statuant en matière non pénale ». Les mesures particulières et les dispositions particulières aux juridictions pour enfants et relatives à l’assistance éducative ne sont pas ici traitées.
Le principe recherché par l’ordonnance est la venue des dossiers aux audiences de plaidoiries et, donc, la continuité du service public avec les aménagements qui en découlent.
Dans cette période extraordinaire, l’ordonnance prévoit de déroger aux principes généraux du code de procédure civile, le principe du contradictoire et les droits de la défense sont relayés au second plan.
Il s’agit ici d’organiser les échanges du greffe vers les parties et entre les parties.
S’agissant des échanges du greffe vers les parties (art. 4 et 8)
1. L’article 4 de l’ordonnance n’envisage que l’information de la suppression et du renvoi de l’audience ou de l’audition, donnée par le greffe aux parties.
Le texte distingue deux situations.
• La première concerne les audiences où interviennent des avocats, qu’ils soient en assistance ou en représentation, mais aussi des justiciables qui auraient consenti à la réception des actes sur « le Portail du justiciable ».
Le mode de communication privilégié est alors le « moyen électronique »2, dont on doit deviner qu’il s’agit soit du réseau privé virtuel des avocats (RPVA), soit, en l’absence d’avocat, du mail adressé au justiciable s’il a consenti à la réception des actes sur le Portail du justiciable (dont l’utilisation n’est à ce jour pas expliquée ni réellement accessible).
Pour autant, il ne s’agit pas d’une obligation, car le texte prévoit que l’avis donné par le greffe peut se faire « par tout moyen, notamment électronique ». On doit donc s’attendre à recevoir cette information indépendamment du RPVA ou du portail du justiciable, mais aussi indépendamment du recours à la voie électronique, pourtant recommandée3. Une lettre simple, un bulletin d’audience, un appel téléphonique avec mention au dossier peuvent parfaitement être des moyens mis en œuvre.
• La seconde concerne tout ce qui ne relève pas d’une assistance ou d’une représentation par avocat, ou de la présence d’un justiciable ayant consenti à la réception des actes sur le portail du ministère de la justice.
L’information est alors donnée par tout moyen, notamment par lettre simple, mais pas uniquement.
Dans ce cas précis, il faut être vigilent sur le fait qu’après renvoi et si le défendeur n’a pas été cité à personne, la décision sera rendue par défaut, et que seule la voie de l’opposition lui sera ouverte.
Notons enfin que, dans les deux situations ci-avant évoquées, le recours à la lettre simple doit se faire désormais avec la nécessité de prendre en compte les restrictions de fonctionnement des services postaux qui étaient encore ineffectives lors de la rédaction de l’ordonnance.
2. L’article 8 envisage le cas où le greffe doit informer les avocats assistant ou représentant une partie de ce que la procédure se déroulera selon la procédure sans audience.
Là, aucun luxe de précaution n’est prévu : les parties en sont informées « par tout moyen ».
Il n’est notamment pas prévu de vérifier la bonne réception de cet avis. Or cette rédaction est préjudiciable puisque c’est cette « information » qui fait courir un délai : celui de quinze jours dont disposent les parties pour s’opposer à l’absence d’audience, et encore, uniquement pour les procédures autres que les procédures de référé, les procédures accélérées au fond et les procédures dans lesquelles le juge est tenu de statuer dans un délai déterminé.
Nul ne sait quand commence à courir ce délai : commence-t-il à courir à l’émission de l’avis ou, au contraire, à sa réception ? Et, dans tous les cas, comment rapporter la preuve de la date d’émission ou de réception ?
Notons que, de toute l’ordonnance, c’est le seul délai qui est évoqué. Comment se fait-il que son rédacteur n’ait pas été plus précis quant à sa mise en œuvre ?
3. Notons enfin, qu’en dehors de ces cas, les règles habituelles de communication du greffe avec les parties sont maintenues.
S’agissant des échanges entre les parties (art. 6 et 8)
Pendant la période d’urgence sanitaire, les parties peuvent échanger leurs écritures et leurs pièces par tout moyen ainsi que le prévoit l’article 6.
La seule obligation imposée par le texte est celle d’utiliser un moyen qui permet au juge de s’assurer que le principe du contradictoire est respecté, cela dans l’esprit de l’alinéa 1er de l’article 16 du code de procédure civile4.
Ce qu’il faut retenir, c’est que, dans la procédure sans représentation obligatoire comme dans la procédure avec représentation obligatoire, l’obligation de communication par voie électronique est désormais contournable.
Elle peut être utilisée, mais ce n’est plus une obligation soumise à sanction, laquelle était, il faut le rappeler, l’irrecevabilité relevée d’office en matière de procédure écrite ordinaire et de procédure à jour fixe5.
La situation reste pour autant complexe dans le libéralisme consacré par le texte.
Il faut, bien évidemment, maintenir autant que possible le recours à la communication électronique qui garantit, entre avocats, le respect du contradictoire, sinon appliquer par prudence les recommandations du II de l’article 850 du code de procédure civile, selon lesquelles :
« II. - Lorsqu’un acte ne peut être transmis par voie électronique pour une cause étrangère à celui qui l’accomplit, il est établi sur support papier et remis au greffe selon les modalités de l’article 769 ou lui est adressé par lettre recommandée avec demande d’avis de réception. Si l’acte est une requête ou une déclaration d’appel, il est remis ou adressé au greffe en autant d’exemplaires qu’il y a de destinataires, plus deux.
Lorsque l’acte est adressé par voie postale, le greffe l’enregistre à la date figurant sur le cachet du bureau d’émission et adresse à l’expéditeur un récépissé par tout moyen. »
Mais il est impossible de soutenir que ces dernières sont obligatoires. Elles sont antinomiques avec l’état d’urgence sanitaire décrété, la fermeture des accueils des juridictions – interdisant la remise sous format papier – et encore plus avec le fonctionnement plus qu’aléatoire des services postaux qui rend illusoire l’envoi postal.
On comprend donc mieux la portée assez large et libérale donnée par le texte aux multiples formes de communication qui pourront être utilisées. La forme choisie devra impérativement, mais uniquement, permettre de démontrer au juge que le principe du contradictoire a bien été respecté.
Notons par ailleurs qu’aux termes de l’article 8 de l’ordonnance, pour les procédures avec représentation obligatoires ou lorsque les parties sont assistées ou représentées par un avocat et qu’il est acquit que la procédure se fera sans audience, la communication entre les parties est alors faite par « notification entre avocats ».
Ce texte renvoie manifestement aux dispositions des articles 671 et suivants du code de procédure civile qui définissent la « notification entre avocats », laquelle se fait par signification ou notification directe :
-
par l’apposition du cachet et de la signature de l’huissier de justice sur l’acte et sa copie avec l’indication de la date et du nom de l’avocat destinataire6,
- par la remise de l’acte en double exemplaire à l’avocat destinataire, lequel restitue aussitôt à son confrère l’un des exemplaires après l’avoir daté et visé7,
Ceci n’exclut pas, bien évidemment, la communication par voie électronique telle que prévue aux articles 748-1 et suivants du code de procédure civile, qui doit être privilégiée dès qu’elle est possible.
Commentaires
Très bonne analyse et excellent dossier réalisés par les auteurs Barbara GUTTON et Jérôme LANGLAIS . Dalloz-actualite joue son rôle d'information et de transmission de la connaissance du droit de manière magistrale . Bien cordialement . Claude VOLNY-ANNE.
Excellente synthèse. Certains tribunaux judiciaires s'efforcent d'assurer un service minimum en matière civile et commerciale (et pas seulement sur les contentieux décrétés unilatéralement comme essentiels par la chancellerie), en accord avec le barreau, en utilisant les "outils" mis à leur disposition par l'ordonnance n° 2020-304 ou le code de procédure civile. Malheureusement, ils se comptent sur les doigts d'une main. C'est regrettable car organiser des dépôts de dossiers dans le respect des consignes sanitaires, a minima pour les dossiers avec représentation d'avocat qui avaient été fixés à plaider entre le 12 mars et le 24 mai, sans audience, semble possible et permettrait d'apurer ce contentieux, avec une date de délibéré raisonnablement aménagée pour tenir compte des difficultés du magistrat et du greffe. Le choix de renvoyer les dossiers à un an ou plus est certes la facilité, mais c'est consternant.
Excellent tour d'horizon du régime dérogatoire, qui ne manque pas de donner froid dans le dos par les multiples entorses au formalisme protecteur du droit ordinaire. Les libertés qui sont prises par les rédacteurs des mesures d'exception apparaissent tellement excessives qu'on peut se demander s'il n'aurait pas été plus approprié de déclarer un moratoire pur et simple du fonctionnement des juridictions, sauf urgence ? Quant au principe de contradiction, largement tenu en échec durant la période de crise sanitaire, l'art. 16 CPC qui l'édicte "en toutes circonstances" (sic) autorise-t'il d'y déroger, même provisoirement ?
Merci beaucoup pour ces explications pratiques et constructives. J'ai été vraiment édifié sur plusieurs points.
Bonjour,
Peut-être vous savez vers quelle date peut-on attendre une décision qui aurait dû être rendue le 26 mars. Je vous remercie par avance si vous pouvez me répondre.
Mon adresse est : mariaelena.parra@orange.fr
Cordialement,
M.E.Parra V.
A relire
Bonjour,
Aucune audience virtuelles donc prévues par le droit français ?
Bonjour,
Juste une question à vous soumettre :
Un arrêt de la CA rendu très récemment, sans audience dans le cadre de l'urgence sanitaire, peu-t-il faire l'objet d'une opposition de la part de l'intimé ?
Vous remerciant par avance pour votre réponse
MG