« L’amiable doit être le principe et le judiciaire l’exception », tel était le credo affirmé par le garde des Sceaux le 5 janvier 2023 lors de la présentation à la presse de son plan d’action pour l’amiable issu des États généraux de la Justice.
Avant-même la réforme de 2023, le consommateur avait déjà vocation à bénéficier de modes amiables extrajudiciaires de règlement de ses litiges, notamment à l’aune de l’article 750-1 du code de procédure civile – rétabli – qui impose désormais une tentative amiable obligatoire devant le tribunal judiciaire pour les demandes en paiement de moins de 5 000 €, les conflits de voisinage et les troubles anormaux de voisinage. Dans cette hypothèse, le justiciable se voit offrir trois alternatives : la conciliation, la médiation, et la procédure participative. Originellement, la disposition prévoyait une dispense de l’obligation de prouver la tentative de recourir au processus en cas d’indisponibilité du conciliateur.
Cette dispense avait été annulée par le Conseil d’État par un arrêt du 22 septembre 2022 au motif de son imprécision. Le texte a subséquemment été corrigé, rétabli par décret du 11 mai 2023, et est entré en vigueur le 1ᵉʳ octobre 2023. La « médiation de la consommation », singularisée et obligatoire depuis 2016, est ainsi comprise dans la tentative de médiation préalable de l’article 750-1 du code de procédure civile.
La pratique de la médiation de la consommation
Valérie Alvarez témoigna tout d’abord de son expérience de médiatrice des communications électroniques. Celle-ci rend gratuitement des propositions de solutions dans ce champ, que les parties sont libres d’accepter ou non. Il existe une hypothèse rare dite de « médiation simplifiée », où, avant-même d’examiner au fond le dossier, la médiatrice laisse le professionnel faire une première proposition au consommateur. Elle indique alors à ce dernier que l’opérateur est d’accord pour le satisfaire, complètement ou partiellement dans sa requête, avec ladite proposition. La médiatrice ne réalise alors pas d’analyse au fond, et en cas d’accord des parties, formule seulement une proposition de solution prenant acte de l’engagement pris par le professionnel.
Dans les autres hypothèses, ou si le consommateur refuse la proposition du professionnel en procédure simplifiée, la médiatrice va instruire le dossier, l’analyser, essayer de comprendre le différend qui lui est soumis, procéder à son analyse juridique et technique, et, au besoin, solliciter des parties des pièces complémentaires ou des précisions. Elle rend consécutivement sa proposition de solution à la lumière de ce qu’elle nomme sa « jurisprudence de médiation » en prenant en compte des hypothèses analogues. Cette technique du précédent éclaire ce qu’il y a d’identique, même dans un contexte différent, et concoure à garantir son impartialité et sa neutralité vis-à-vis des professionnels et consommateurs. Elle permet en outre une cohérence dans les solutions de règlement proposées par la médiation des communications électroniques depuis vingt ans qu’elle existe. La médiatrice insista sur l’importance pour elle, dans le cadre de la médiation de la consommation, de pouvoir apprécier l’affaire en équité et pas uniquement en légalité. Dans 87 % des cas, la proposition qu’elle formule satisfait le consommateur.
Par-delà les réussites, furent ensuite analysées les hypothèses d’échecs. L’essentiel, 52 % en 2022 pour les communications électroniques, tient à l’irrecevabilité des demandes. Pour que la médiatrice puisse se déclarer compétente, plusieurs conditions sont en effet requises : tout d’abord que le professionnel soit membre de l’Association de la médiation des communications électroniques, ensuite qu’il existe un lien contractuel entre le professionnel et le consommateur, que la demande ne soit pas manifestement abusive, que le différend date de moins d’un an, que le consommateur n’ait pas saisi un autre médiateur ou le juge, et enfin qu’il ait épuisé toutes les voies de recours auprès de son interlocuteur professionnel. C’est le plus souvent cette dernière condition qui fait défaut. Pour prévenir ces échecs de recevabilité des demandes, la médiation des communications électroniques développe une politique d’information et d’accompagnement des consommateurs, quitte à les réorienter vers le médiateur compétent.
Une autre forme d’échec tient au refus du professionnel d’entrer en médiation, ce à quoi il n’est jamais contraint. Pour autant, dans la pratique de la régulation sectorielle considérée, la médiatrice va demander au professionnel de l’éclairer sur les raisons de ce refus, et va, le cas échéant, informer le consommateur de ces motifs.
Le troisième type d’échec intervient cette-fois après la formulation de la proposition de solution par la médiatrice. Sa fréquence très rare, 3 % des hypothèses, montre d’ailleurs aux yeux de la médiatrice le travail réalisé d’acceptabilité des propositions par les deux parties. Dans la plupart de ces hypothèses de refus, les professionnels s’opposent au principe même d’une solution en équité ; ou alors le montant demandé par le consommateur est simplement trop élevé et ils l’estiment infondé ; ou encore les opérateurs ne s’estiment pas convaincus par la motivation de la proposition de solution.
Enfin, dans 7 % des cas, le consommateur ne souhaite simplement pas suivre la proposition de solution qui lui est adressée. La missive précise alors explicitement qu’il demeure libre de porter son litige devant le juge, que toute la médiation est confidentielle, et que la proposition faite ni ne le contraint, ni ne le garantit.
La médiatrice déplore cependant que, parfois, dès l’origine, le processus est biaisé par le consommateur qui l’a saisie en sachant d’emblée qu’il refusera toute solution amiable, et souhaite dans ce cas seulement pouvoir démontrer au juge que la médiation a été un échec.
La tentative amiable préalable de l’article 750-1 du code civil
C’est ainsi la notion de « tentative » de médiation de l’article 750-1 du code de procédure civile « nouvelle version » qui est à considérer et sur laquelle la processualiste Soraya Amrani-Mekhi s’exprima ensuite. Celle-ci insista sur l’aspect radical de la sanction de l’article 750-1, puisqu’à défaut de tentative amiable préalable, l’action du consommateur est irrecevable, et cette privation temporaire d’accès au juge peut être soulevée d’office, y compris en procédure de référé.
Avant la réformation du texte en 2023, on parlait seulement de « tentative amiable » préalable. Désormais, l’article explicite les trois modes alternatifs de règlement des litiges (MARL) offerts aux parties : la conciliation, la médiation (au sens large, incluant la « médiation de la consommation ») et les procédures participatives. En droit de la consommation, ces dernières sont illusoires, car il faudrait un accord des deux avocats et la conclusion d’une convention en ce sens, ce, alors que, même en dehors de ce champ, la procédure participative demeure quasi inusitée.
Il est donc essentiel pour le consommateur de se préconstituer la preuve qu’il y a bien eu tentative amiable préalable à la saisine du juge, en en justifiant le cas échéant dans l’assignation, soit qu’il y ait eu échec, soit que la conciliation n’ait tout simplement pas eu lieu dans le délai de trois mois du fait de l’insuffisance des conciliateurs dans le ressort en question, ou encore qu’il n’y ait tout simplement pas eu de réponse du professionnel à la proposition du consommateur.
Plus complexes sont les situations où le consommateur saisit un médiateur, mais pas le bon ; ou le saisit, mais en ne remplissant pas les conditions préalables idoines, notamment à défaut de démarche préalable directe auprès du professionnel. Du reste, dans l’essentiel des litiges de consommation qui sont le plus souvent inférieurs à 5 000 €, il n’y aura pas d’appel possible, et seul le pourvoi en cassation restera ouvert. Force est de constater que les décisions de la deuxième chambre sont rares. Il existe seulement deux arrêts sur la notion de tentative amiable préalable (Civ. 2e, 15 avr. 2021 n° 24-14.106, Dalloz actualité, 10 mai 2021, obs. C. Bléry ; 1ᵉʳ juill. 2021, Dalloz actualité, 15 juill. 2021, n° 20-12.303, obs. C. Bléry). Dans les deux hypothèses, les magistrats du quai de l’Horloge estimèrent que la caractérisation de la tentative préalable est une question de fait qui relève de l’appréciation souveraine des juges du fond. Ces magistrats ont cependant l’obligation de motiver leur décision à cet égard. Il s’agit par-là de ménager le « droit au juge ». Dans ce dessein de garantir ce droit fondamental pour le consommateur, et à la lumière du fort taux d’irrecevabilité des recours amiables dans certains secteurs (par ex., médiation des avocats ou des notaires), il est probable aux yeux de l’universitaire qu’on n’opposera pas au justiciable de refus de statuer, si, de bonne foi, celui-ci s’est égaré dans sa tentative d’amiable préalable en ne s’adressant pas au bon interlocuteur. La jurisprudence future devra néanmoins déterminer les critères et le curseur appropriés pour caractériser la réalité de la tentative d’amiable.
Bianca Schulz, juriste du Centre européen des consommateurs en France (CEC France) interrogea la professeure sur les modalités de la preuve d’une tentative de médiation dans un autre pays de l’Union européenne où la médiation n’est pas forcément obligatoire. Soraya Amrani-Mekhi rappela que la preuve de la tentative demeure libre, que l’amiable préalable soit national ou à l’étranger. La circulaire du 17 octobre 2023 évoque seulement la nécessité de se préconstituer une preuve assez consistante, par exemple si le consommateur va dans un conseil départemental d’accès au droit (CDAD), une maison de Justice, ou devant un conciliateur officiant en mairie. Mais aucun formalisme n’est exigé de lui. Dans les litiges sériels pour des demandes en paiement inférieures à 5 000 €, les avocats vont généralement rédiger un courrier-type à destination du professionnel pour garantir cette dimension justificative. Le document rappelle alors le contenu de l’article 750-1 du code de procédure civile, indique le souhait du consommateur d’entrer dans une voie amiable, et invite le professionnel à répondre à cette demande. Une fois un « délai raisonnable » laissé au professionnel pour répondre, le justiciable aura ainsi de quoi justifier sa tentative d’amiable préalable, et pourra saisir le juge sans craindre de refus.
Le magistrat Clément Bergère-Mestrinaro déplora que l’amiable ne soit pas assez connu et identifié par les juridictions, notamment en confondant conciliation, médiation, et médiation de la consommation ; en n’ayant par ailleurs par assez en tête la gratuité de cette dernière, ce qui est une donnée essentielle pour ces litiges au montant généralement relativement modeste. Par ailleurs, les juges doivent garder en tête que les...