Depuis le 1er avril 2018, certains litiges de la fonction publique et sociaux doivent passer par la case « médiation préalable obligatoire » (MPO) avant de se retrouver devant le juge administratif. Cette mesure est prévue au IV de l’article 5 de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle : « À titre expérimental et pour une durée de quatre ans à compter de la promulgation de la présente loi, les recours contentieux formés par certains agents soumis aux dispositions de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires à l’encontre d’actes relatifs à leur situation personnelle et les requêtes relatives aux prestations, allocations ou droits attribués au titre de l’aide ou de l’action sociale, du logement ou en faveur des travailleurs privés d’emploi peuvent faire l’objet d’une médiation préalable obligatoire, dans des conditions fixées par décret en Conseil d’État ». Mais, il aura fallu attendre le mois de février 2018 pour connaître les modalités pratiques de cette expérimentation.
Un périmètre limité
Le décret du 16 février 2018 (v. AJDA 2018. 361) limite le champ de la MPO à une série de décisions individuelles défavorables pour certains agents de la fonction publique et certaines prestations sociales.
Sont ainsi concernés les agents du ministère des affaires étrangères, ceux de l’éducation nationale dans les académies d’Aix-Marseille, de Clermont-Ferrand et de Montpellier et, potentiellement, les agents des collectivités territoriales et des établissements publics locaux relevant de l’un des quarante-deux centres de gestion expérimentateurs (V. arrêté du 2 mars 2018).
L’article 1er fixe une liste limitative des décisions individuelles défavorables. Il s’agit de celles relatives à la rémunération ; au refus de détachement, de placement en disponibilité ou de congés non rémunérés prévus pour les agents contractuels ; à la réintégration à l’issue d’un détachement, d’une disponibilité ou d’un congé parental ou relatives au réemploi d’un agent contractuel à l’issue d’un congé non-rémunéré ; au classement de l’agent à l’issue d’un avancement de grade ou d’un changement de corps obtenu par promotion interne ; à la formation professionnelle tout au long de la vie ; aux mesures appropriées prises par les employeurs publics à l’égard des travailleurs handicapés ; à l’aménagement des conditions de travail des fonctionnaires qui ne sont plus en mesure d’exercer leurs fonctions. Sont exclues, en revanche, les mutations et la discipline. Potentiellement, cela représente un stock de 1 882 affaires en 2017 : 1 709 affaires pour la fonction publique territoriale, 133 pour l’éducation nationale et 40 pour le ministère des affaires étrangères.
S’agissant des litiges sociaux, sont visées les décisions relatives au revenu de solidarité active (RSA), à l’aide personnalisée au logement (APL), à l’allocation de solidarité spécifique et les décisions de radiation de la liste des demandeurs d’emploi rendues dans les départements et régions mentionnés dans l’arrêté du 6 mars 2018. En 2017, 1285 affaires enregistrées correspondaient au champ de l’expérimentation : 584 pour le RSA ; 262 pour les APL et 439 pour le contentieux Pôle emploi.
Pour relever de la MPO, ces décisions devront être prises entre le 1er avril 2018 et le 18 novembre 2020.
Dans ces domaines, le requérant qui saisit directement le juge s’exposera à une ordonnance de rejet. Et le tribunal devra transmettre au médiateur compétent le dossier.
Les médiateurs sont celui du ministère de l’Éducation nationale (le quai d’Orsay devant en désigner un), celui de Pôle emploi et les délégués du Défenseur des droits pour le RSA et les APL. Pour les agents des collectivités, le médiateur est désigné par le centre de gestion.
Les collectivités territoriales doivent être volontaires
Pour les agents territoriaux, la situation est un peu plus complexe. Pour que la MPO soit mise en place, il faut que la collectivité qui les emploie accepte de participer à l’expérimentation en signant une convention avec le centre de gestion. L’affiliation au centre de gestion n’est pas nécessaire pour signer la convention. Selon la Fédération nationale des centres de gestion, à la mi-août, près de 1 800 collectivités ont délibéré et signé une convention avec les 42 centres de gestion concernés et plus de 2 600 autres envisagent de le faire. L’article 1er du décret avait fixé au 1er septembre 2018 la date limite de signature des conventions. Mais l’engagement de la collectivité nécessite une délibération, ce qui peut prendre du temps. C’est pourquoi le décret n° 2018-654 du 25 juillet 2018 a repoussé cette échéance au 31 décembre. Il faut ensuite que le centre de gestion désigne un médiateur et qu’il le forme.
Cette étape préparatoire explique que les collectivités n’ont pas pu s’engager, contrairement aux autres, dans l’expérimentation dès le 1er avril. Ainsi, précise Philippe Gazagnes, référent national médiation des juridictions administratives, au 30 juin, six médiations avaient été engagées pour l’éducation nationale : trois sur l’académie d’Aix-Marseille et trois sur celle de Montpellier. Elles concernent la disponibilité, l’avancement ou encore le congé parental. Les décisions de radiation de la liste des demandeurs d’emploi ont généré 87 médiations, dont 53 en Occitanie, 14 dans les Pays de Loire et 20 en Auvergne Rhône-Alpes. 47 sont terminées, dont 16 en Occitanie, 3 dans les Pays de Loire et 7 en Auvergne Rhône-Alpes. Sur ces 47, 21 médiations ont échoué (14 pour l’Occitanie, 6 pour les Pays de Loire et 1 pour l’Auvergne Rhône Alpes). Le taux de résolution est de 55 %. Et le délai moyen d’une médiation est de 18 jours.
Les services du Défenseur des droits ont enregistré, au 31 août, 148 demandes de MPO, dont 109 recevables transmises aux délégués. Ceux-ci ont clos 30 dossiers, en 34 jours en moyenne. Dans 9 cas, les demandeurs ont abandonné leur démarche après explications pédagogiques du délégué. 21 médiations ont été engagées qui ont abouti dans seulement trois cas à ce que l’organisme modifie sa position. Il est évidemment trop tôt, souligne Christine Jouhannaud, pour tirer des conclusions de ces chiffres, particulièrement au regard de la période estivale.
La médiation est gratuite pour les agents de l’État et les litiges sociaux. Pour les collectivités, dans les conventions signées avec le centre de gestion, il y a généralement un volet relatif au financement.
La MPO va-t-elle réellement prévenir la saisine du juge ?
C’est la grande interrogation pour les acteurs du dispositif : combien de médiations préalables obligatoires vont être demandées ? Et ce dispositif va-t-il faire baisser le nombre de recours juridictionnels ?
Certes, le Conseil d’État a fourni des statistiques extrêmement précises sur le nombre de litiges correspondant au champ de la MPO pour les années 2016 et 2017. Mais ces chiffres ne sont sans doute pas l’étiage haut des médiations. La question, dit Christine Jouhannaud, est « quelle appréciation les gens vont-ils porter sur ce nouveau mécanisme ? » Chez le Défenseur des droits, on a calculé que le nombre de recours amiables dans les domaines de la MPO est dix fois supérieur au nombre de recours juridictionnels. Quelle est la proportion de ces personnes qui demandera une médiation ?
Les incertitudes sont plus grandes encore pour les centres de gestion. Sur le nombre de collectivités qui vont adhérer, d’abord ; ensuite sur celui de leurs agents qui demanderont une médiation. Faire appel à un médiateur est moins difficile que d’engager un recours juridictionnel contre son employeur. En outre, relève Yves Ricordel, le dispositif du compte personnel de formation, créé début 2017 et qui donc n’a fait l’objet que de très peu de contentieux jusqu’à présent, est inclus dans le champ de la MPO et pourrait créer un appel d’air.
Les demandes de MPO pourraient donc être beaucoup plus nombreuses que les contentieux antérieurs. Mais le dispositif pourrait aussi – c’est en tout cas une hypothèse que n’excluent pas nombre d’acteurs – provoquer une hausse de ceux-ci. L’idée étant qu’en cas d’échec de la médiation, le demandeur, toujours insatisfait et peut-être conforté dans sa conviction de son bon droit, se tournerait plus facilement vers le juge après avoir fait ce premier pas.
Réagissez à cet article