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Dossier 

La protection des collectivités territoriales face aux usurpations en droit européen et en droit français des marques

Plan du dossier : Introduction - Le volet défensif de la protection des collectivités territoriales contre les usurpations - Le volet offensif de la protection des collectivités territoriales contre les usurpations

par Etienne Nicoletle 6 mai 2014

« Le plus beau patrimoine est un nom révéré »

« Le plus beau patrimoine est un nom révéré »1, écrivait, en 1823, Victor Hugo à propos du nom patronymique dont il avait hérité de son père.
A l’époque, l’attachement au nom des personnes était déjà bien ancré dans les mœurs et son importance pour valoriser la figure d’une personne déjà acquise. Il en allait d’ailleurs de même pour le nom d’une commune à laquelle, le Conseil d’Etat, dès 1862, reconnaissait le droit de s’opposer à ce que son nom soit ajouté au nom patronymique d’un individu2.

La protection des noms des communes et, plus généralement, des collectivités territoriales – définies à l’article 72 de la Constitution de 1958 comme étant « les communes, les départements, les régions, les collectivités à statut particulier et les collectivités d’outre-mer régies par l’article 74 » – n’est donc pas un sujet nouveau. En effet, à la différence des armoiries, drapeaux et emblèmes étatiques officiels qui ne peuvent faire l’objet d’une appropriation à titre de marque3, les noms des collectivités territoriales, mais également certains de leurs attributs (tels que les armoiries ou le chiffre d’un département), ne profitent pas d’une telle protection absolue à leur égard.

Les collectivités territoriales, et notamment les plus connues d’entre elles, jouissent pourtant souvent d’une certaine notoriété. Notoriété que des tiers tentent de détourner et de récupérer à leur profit pour développer leurs activités privées, et ce, spécialement, en procédant à un dépôt de marque incluant des attributs (leur nom dans la plupart des cas) des collectivités territoriales. Et acquérir, de ce fait, un monopole sur ces attributs.

Préserver l’identité des collectivités territoriales, c’est préserver les intérêts publics et donc ceux des administrés par ricochet. La protection de l’identité des personnes publiques, symbolisées par ces biens incorporels, contre les risques d’usurpation, a donc attiré l’attention du législateur tant européen que national.
Ainsi, la directive 89/104/CEE du Conseil du 21 décembre 1988, codifiée par la directive 2008/95/CE du Parlement Européen et du Conseil du 22 octobre 2008 rapprochant les législations des Etats membres sur les marques, a été transposée dans le Code de la propriété intellectuelle (CPI) par la loi n°91-7 du 4 janvier 1991 relative aux marques de fabrique, de commerce ou de service. Au-cours de la discussion parlementaire de ladite loi, un amendement du Sénat a également introduit une disposition, propre au droit français, tendant à renforcer la protection des collectivités territoriales par l’octroi d’un droit d’antériorité absolu sur leur nom, leur image ou leur renommée : l’article L. 711-4, h) du CPI.
En outre, un règlement (CE) 40/94 du Conseil du 20 décembre 1993, codifié par le règlement (CE) 207/2009 du Conseil du 26 février 2009, est venu régir la marque communautaire (RMC).

En dépit de ces interventions législatives, la question d’un renforcement de l’arsenal législatif pour la protection du nom des collectivités territoriales est toujours d’actualité. En témoignent les récentes questions parlementaires de certains élus regrettant que le régime juridique des noms géographiques des communes ne soit construit uniquement que par référence aux dispositifs légaux existants dans d’autres codes – le droit des marques et l’exclusivité pour le nommage en « .fr » sur Internet – et non par un dispositif propre au code général des collectivités territoriales consacrant « la disponibilité pleine et entière des collectivités territoriales sur leur dénomination »4 . Cependant, afin de ne pas brider « les libertés de création et d’entreprise », et au vu de l’application satisfaisante des dispositions légales en vigueur par les juridictions, un tel projet de monopole absolu a été écarté par les divers membres gouvernementaux interrogés.

La protection des collectivités territoriales contre les usurpations, en droit européen et en droit français, varie donc aujourd’hui selon que ces dernières ont pris la précaution ou non d’enregistrer leurs attributs – et plus particulièrement, en pratique, leur nom comme il a été dit précédemment – en tant que marque. A défaut de marque, la protection des collectivités territoriales contre les usurpations sera réduite, et ce, malgré la bienveillance du législateur à leur endroit dans la récente loi relative à la consommation5 .
L’arsenal législatif à la disposition des collectivités territoriales se décline ainsi en un volet défensif leur permettant de réagir, en l’absence de titularité de marque, en aval de l’usurpation (I), et en un volet offensif, en amont de l’usurpation, reposant sur la titularité de leurs attributs en tant que marque (II).

Le volet défensif de la protection des collectivités territoriales contre les usurpations

A défaut d’avoir enregistré leurs attributs à titre de marque, les collectivités territoriales peuvent lutter, a posteriori, contre les usurpations de tiers ayant enregistré, eux, une marque afin de bénéficier de leur notoriété et de créer ainsi un risque de confusion dans l’esprit des administrés.
Tant le droit européen des marques, transposé dans notre droit national (A), que l’article L. 711-4, h) du CPI, propre au droit français (B), offrent des moyens permettant de lutter contre ces appropriations illicites.

A. Les actions de défense issues du droit européen des marques

A titre liminaire, et avant de commencer l’étude proprement dite des moyens de protection du droit des marques, il convient de souligner le rôle que peuvent jouer les dispositions du droit commun sur la responsabilité civile.

Les articles 1382 et suivants du Code civil permettent en effet à la collectivité territoriale d’agir sur ce terrain, et d’obtenir gain de cause, si elle parvient à démontrer que le tiers usurpateur a voulu tirer indûment profit de sa notoriété. Une telle démonstration nécessite, conformément au droit de la responsabilité civile, que la collectivité prouve une faute, un préjudice et un lien de causalité.

Autrement dit, comme ce fut évoqué dans l’affaire Association Paris-Sans Fil6 , la collectivité doit ramener la preuve que le tiers « ait entendu se placer dans le sillage de la ville de Paris afin de tirer profit, sans bourse délier, des investissements réalisés par cette dernière ». Si le risque de confusion est avéré, l’action sur le fondement du parasitisme aboutira et la collectivité sera indemnisée à hauteur du préjudice subi. En revanche, et c’est l’inconvénient d’une telle action, la marque tierce ne pourra être annulée sur ce fondement.

Plus protecteur, l’article L. 711-3, c) du CPI, issu de la transposition de la directive européenne précitée, prévoit l’action en nullité de la marque pour déceptivité. Aux termes de cet article, il est énoncé que « ne peut être adopté comme marque ou élément de marque un signe (…) de nature à tromper le public, notamment sur la nature, la qualité ou la provenance géographique du produit ou du service ». C’est donc sur le fondement d’un risque de tromperie, dû à la volonté de conférer à la marque l’apparence d’une origine officielle7ou d’une provenance géographique véritable8, que le tiers sera sanctionné.

Comme le font remarquer certains auteurs, la diversification croissante des domaines d’intervention des collectivités territoriales, accentuée par le mouvement de décentralisation sous l’ère du gouvernement Raffarin, entraîne un risque de confusion non négligeable entre la collectivité territoriale et la marque usurpatrice dans l’esprit du public9.

Ainsi, dans la nouvelle loi relative à la consommation, la protection des collectivités territoriales contre ces risques de tromperie a été renforcée puisque le nouvel article L. 712-2-1 du CPI leur permettra, si elles en font la demande, d’être alertées par l’Institut national de la propriété industrielle (INPI) dès lors qu’une demande d’enregistrement d’une marque, contenant leur dénomination, sera déposée10. Cette alerte sera assortie d’un droit d’opposition11 qui leur permettra de contester, a priori, le dépôt d’une marque qui apparaitrait comme déceptive.

Enfin, l’arsenal juridique est complété par l’action en nullité pour dépôt frauduleux. Fondé sur l’article L. 712-6 du CPI – également issu du droit européen – ou sur l’adage latin fraus omnia corrumpit, ce moyen permet à la collectivité territoriale de demander l’annulation d’une marque pour laquelle, « sous une apparence de dépôt régulier, celui-ci le dépôt a été effectué dans la seule intention de nuire ou de s’approprier le bénéfice d’une action entreprise ou d’y faire obstacle en lui opposant la propriété de la marque frauduleusement obtenue »12.

En effet, la marque constituant un droit d’occupation, elle ne nécessite pas d’être nouvelle ou originale pour exister (l’antériorité n’étant pas une condition vérifiée par l’INPI) et elle pourra appartenir, de ce fait, à tout déposant. Certains usurpateurs y ont d’ailleurs vu une source potentielle d’enrichissement consistant dans le monnayage de marques à la collectivité intéressée. Mais la jurisprudence, à plusieurs reprises, est intervenue pour sanctionner ces déposants se livrant « à un véritable poker des marques »13 aussi bien sur le nom entier de la collectivité que sur son nom d’usage pour une station de sports d’hiver par exemple14. Cette alternative a également été appliquée en jurisprudence quand le tiers, détournant le droit des marques de sa fonction par l’appropriation d’un signe identifiant un département, s’était réservé « un accès privilégié et monopolistique à un marché local au détriment des autres opérateurs »15. En somme, c’est en présence d’un dépôt présentant un caractère manifestement spéculatif et commercial de l’utilisation de la marque que celle-ci sera annulée16.

Toutefois, parce que le caractère de...

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