« Le plus beau patrimoine est un nom révéré »1, écrivait, en 1823, Victor Hugo à propos du nom patronymique dont il avait hérité de son père.
A l’époque, l’attachement au nom des personnes était déjà bien ancré dans les mœurs et son importance pour valoriser la figure d’une personne déjà acquise. Il en allait d’ailleurs de même pour le nom d’une commune à laquelle, le Conseil d’Etat, dès 1862, reconnaissait le droit de s’opposer à ce que son nom soit ajouté au nom patronymique d’un individu2.
La protection des noms des communes et, plus généralement, des collectivités territoriales – définies à l’article 72 de la Constitution de 1958 comme étant « les communes, les départements, les régions, les collectivités à statut particulier et les collectivités d’outre-mer régies par l’article 74 » – n’est donc pas un sujet nouveau. En effet, à la différence des armoiries, drapeaux et emblèmes étatiques officiels qui ne peuvent faire l’objet d’une appropriation à titre de marque3, les noms des collectivités territoriales, mais également certains de leurs attributs (tels que les armoiries ou le chiffre d’un département), ne profitent pas d’une telle protection absolue à leur égard.
Les collectivités territoriales, et notamment les plus connues d’entre elles, jouissent pourtant souvent d’une certaine notoriété. Notoriété que des tiers tentent de détourner et de récupérer à leur profit pour développer leurs activités privées, et ce, spécialement, en procédant à un dépôt de marque incluant des attributs (leur nom dans la plupart des cas) des collectivités territoriales. Et acquérir, de ce fait, un monopole sur ces attributs.
Préserver l’identité des collectivités territoriales, c’est préserver les intérêts publics et donc ceux des administrés par ricochet. La protection de l’identité des personnes publiques, symbolisées par ces biens incorporels, contre les risques d’usurpation, a donc attiré l’attention du législateur tant européen que national.
Ainsi, la directive 89/104/CEE du Conseil du 21 décembre 1988, codifiée par la directive 2008/95/CE du Parlement Européen et du Conseil du 22 octobre 2008 rapprochant les législations des Etats membres sur les marques, a été transposée dans le Code de la propriété intellectuelle (CPI) par la loi n°91-7 du 4 janvier 1991 relative aux marques de fabrique, de commerce ou de service. Au-cours de la discussion parlementaire de ladite loi, un amendement du Sénat a également introduit une disposition, propre au droit français, tendant à renforcer la protection des collectivités territoriales par l’octroi d’un droit d’antériorité absolu sur leur nom, leur image ou leur renommée : l’article L. 711-4, h) du CPI.
En outre, un règlement (CE) 40/94 du Conseil du 20 décembre 1993, codifié par le règlement (CE) 207/2009 du Conseil du 26 février 2009, est venu régir la marque communautaire (RMC).
En dépit de ces interventions législatives, la question d’un renforcement de l’arsenal législatif pour la protection du nom des collectivités territoriales est toujours d’actualité. En témoignent les récentes questions parlementaires de certains élus regrettant que le régime juridique des noms géographiques des communes ne soit construit uniquement que par référence aux dispositifs légaux existants dans d’autres codes – le droit des marques et l’exclusivité pour le nommage en « .fr » sur Internet – et non par un dispositif propre au code général des collectivités territoriales consacrant « la disponibilité pleine et entière des collectivités territoriales sur leur dénomination »4 . Cependant, afin de ne pas brider « les libertés de création et d’entreprise », et au vu de l’application satisfaisante des dispositions légales en vigueur par les juridictions, un tel projet de monopole absolu a été écarté par les divers membres gouvernementaux interrogés.
La protection des collectivités territoriales contre les usurpations, en droit européen et en droit français, varie donc aujourd’hui selon que ces dernières ont pris la précaution ou non d’enregistrer leurs attributs – et plus particulièrement, en pratique, leur nom comme il a été dit précédemment – en tant que marque. A défaut de marque, la protection des collectivités territoriales contre les usurpations sera réduite, et ce, malgré la bienveillance du législateur à leur endroit dans la récente loi relative à la consommation5 .
L’arsenal législatif à la disposition des collectivités territoriales se décline ainsi en un volet défensif leur permettant de réagir, en l’absence de titularité de marque, en aval de l’usurpation (I), et en un volet offensif, en amont de l’usurpation, reposant sur la titularité de leurs attributs en tant que marque (II).