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Dossier 

Recours collectifs en Europe : la transposition de la directive (UE) 2020/1828 en question

Le mardi 18 avril dernier, la chaire droit de la consommation (CY Cergy Paris université), dirigée par les professeures Carole Aubert de Vincelles et Natacha Sauphanor-Brouillaud, organisait au ministère de l’Économie et des Finances (avec le concours de la DGCCRF) une rencontre intitulée Recours collectifs en Europe : la transposition de la directive (UE) 2020/1828 en question sous la direction scientifique des professeurs Laurence Usunier (CY Cergy Paris université) et Rafael Amaro (université de Caen Normandie).

Cet événement fit écho à l’actualité parlementaire après l’adoption en première lecture le 8 mars 2023 de la proposition de loi Vichnievsky/Gosselin, avant sa présentation au Sénat avant l’été.

La transposition de la directive du 25 novembre 2020 sur les actions représentatives en défense des intérêts collectifs des consommateurs

Comment transposer en droit français la directive (UE) 2020/1828 du 25 novembre 2020 sur les actions représentatives en défense des intérêts collectifs des consommateurs ? Cette directive ambitionne de pallier le risque d’ineffectivité qui plane sur le droit de la consommation du fait de la rareté des actions en justice intentées par les consommateurs eux-mêmes lorsque leurs droits sont violés par les professionnels, compte tenu du montant souvent modeste des sommes qui sont en jeu. Pour remédier à ce risque, la directive de 2020 oblige les États membres de l’Union européenne à introduire dans leurs droits des actions dites « représentatives » ; en d’autres termes, des mécanismes de recours collectifs permettant d’obtenir soit la cessation d’une atteinte portée par un professionnel aux règles du droit européen de la consommation, soit la réparation des préjudices que cette atteinte a pu causer aux consommateurs victimes.

Or, la France a pris du retard pour transposer cette directive, puisque la date limite pour ce faire était fixée au 25 décembre 2022. Le processus est aujourd’hui amorcé et se déploie sur la base d’une proposition de loi parlementaire portée depuis le 15 décembre 2022 par les députés Laurence Vichnievsky et Philippe Gosselin. C’est cette mouture du texte adoptée en première lecture et actuellement portée par la navette parlementaire qui constitua le support des échanges de la table ronde du 18 avril à Bercy, dans le but d’apprécier non seulement ses qualités et défauts intrinsèques, mais aussi sa compatibilité avec la directive (UE) 2020/1828.

Les recours collectifs en droit français

Le professeur Laurence Usunier rappela à titre liminaire le contexte dans lequel s’inscrit la proposition de loi. En France, les actions collectives en défense des intérêts des consommateurs consacrées par la directive du 25 novembre 2020 ne sont pas une nouveauté. Des dispositifs qui permettent aux associations de consommateurs agréées d’agir en cessation des agissements des professionnels qui violent les droits des consommateurs ont été progressivement admis à partir des années 1970. Puis, s’agissant de la réparation des préjudices causés à ces derniers, après l’échec de l’action en représentation conjointe introduite en droit français en 1992, une véritable action de groupe fut consacrée par la loi Hamon du 17 mars 2014. Initialement limitée aux seuls litiges de consommation, l’action de groupe a très vite été étendue à d’autres secteurs, comme celui des produits de santé, de l’environnement ou encore des données personnelles.

Cette acculturation de l’action de groupe en droit français est intervenue à l’initiative du législateur français lui-même, et non sous la contrainte d’un texte européen, comme pour nombre d’autres transpositions. En droit de l’Union, des dispositifs permettant à des entités protectrices des consommateurs d’agir en cessation des atteintes portées par des professionnels au droit européen de la consommation ont été consacrés progressivement à partir des années 1990. Mais s’agissant de la réparation des préjudices causés par ces atteintes aux consommateurs eux-mêmes, le législateur européen n’avait jusqu’alors jamais obligé les États membres à admettre un mécanisme d’action collective. Certes, une recommandation sur les recours collectifs avait été publiée par la Commission européenne en juin 2013, mais elle n’avait aucune portée contraignante. C’est donc le grand apport de la directive (UE) 2020/1828 que d’avoir consacré pour la première fois l’obligation pour tous les États membres d’introduire dans leur droit un mécanisme d’action représentative, non plus seulement en cessation, mais aussi en réparation des préjudices subis par les consommateurs en cas de violation de leurs droits par un professionnel. Si, dans une perspective française, la directive n’apparaît dès lors pas révolutionnaire, elle constitue tout de même une avancée pour les droits des consommateurs, car une dizaine d’États membres ne disposait d’aucun mécanisme d’action de groupe au jour de l’adoption de la directive.

En outre, si le processus a pris du retard, c’est qu’en parallèle, un premier bilan des actions de groupe a été dressé par rapport parlementaire établi en juin 2020 par les mêmes députés Laurence Vichnievsky et Philippe Gosselin. Or ce rapport constate l’échec de l’action de groupe à la française. Au jour du rapport, peu d’actions avaient été introduites et seules trois avaient pu aboutir à une transaction entre l’association requérante et le professionnel en cause. Aucune action n’avait en revanche abouti à un jugement sur la responsabilité du professionnel, encore moins à une indemnisation des victimes, soit que les actions de groupe intentées ont été rejetées, soit qu’elles restaient pendantes de très longues années après leur introduction. Pour remédier à ces difficultés, une proposition de loi fut déposée par les auteurs du rapport en septembre 2020, mais elle ne fut jamais inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale.

Dans ce contexte, la transposition de la directive du 25 novembre 2020 offrait une occasion de remettre l’ouvrage sur le métier, afin de tenter de remédier aux insuffisances du dispositif français actuel. La question qui se posait à notre législateur était dès lors de savoir si la directive devait donner lieu à une transposition a minima, se contentant de retoucher les quelques points sur lesquels la directive imposait des changements, ou opter pour une transposition maximale réformant en profondeur le régime de notre action de groupe pour en renforcer l’efficacité. Le gouvernement français a si longuement hésité sur la question que, fin 2022, aucun projet de loi de transposition de la directive n’avait encore été présenté. C’est alors que le 15 décembre 2022, les députés Laurence Vichnievsky et Philippe Gosselin ont consécutivement déposé une proposition de loi no 639 sur les actions de groupe, reprenant très largement les termes de leur proposition de 2020. La proposition a cette fois trouvé sa place à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale à la faveur d’une niche parlementaire.

Subséquemment, il était évident qu’elle devait servir de véhicule à la transposition de la directive, d’autant que, précisément, le délai de transposition de la directive de 2020 est déjà dépassé.

Sur le plan des sources du droit, le professeur Usunier fit remarquer que le scénario en présence est original, car il est rare que la transposition d’une directive européenne passe par une proposition de loi parlementaire. Et de fait, si la proposition de loi avait le mérite de ne pas se contenter d’une transposition a minima de la directive, elle avait également l’inconvénient de n’avoir pas été du tout pensée à la lumière de la directive. C’est la raison pour laquelle le Conseil d’État a été saisi du texte, chose, là encore, assez rare. Dans un avis du 9 février 2023, le Conseil a donc formulé un certain nombre de propositions de retouches tendant notamment à mieux assurer la compatibilité de la proposition de loi avec la directive que, de facto, elle doit transposer. Ces propositions ont été intégrées en commission des lois et le texte a ensuite été voté en première lecture à l’Assemblée nationale le 8 mars 2023.

La proposition de loi Vichnievsky/Gosselin du 15 décembre 2022

Le professeur Rafaël Amaro présenta ensuite le contenu de la proposition de loi. Ce premier formula à titre liminaire plusieurs observations concernant le véhicule législatif emprunté, la structure de la loi-cadre et les dispositions transitoires envisagées.

Initialement, la proposition préconisait une codification dans le code civil d’un socle procédural commun pour tous types d’actions de groupe, quelle que soit la matière en cause. L’idée du socle commun est reprise dans le texte adopté en première lecture, mais le choix a été fait, sur les recommandations du Conseil d’État, de l’inclure dans une loi-cadre. Pour le Conseil, une codification dans le code civil était inopportune en raison de la nature procédurale des règles de l’action de groupe. Une codification dans le code de procédure civile l’était également selon la juridiction administrative, en raison cette fois du « caractère législatif » des règles introduites, alors que le recueil susnommé relève entièrement du domaine de l’article 37 de la Constitution.

Cette loi-cadre entend avant tout satisfaire l’objectif de lisibilité et d’accessibilité de la loi en unifiant le régime de l’action de groupe. Ce choix conduit notamment, à l’article 3, I, de la loi proposition, à abroger toutes les règles en vigueur : le droit commun du code de procédure civile et du code de justice administrative, mais aussi toutes les dispositions spéciales qui avaient essaimé dans pas moins de cinq autres codes depuis la loi Hamon, et trois lois non codifiées. Figure parmi les dispositions abrogées l’intégralité du chapitre du code de la consommation sur l’action de groupe (C. consom., art. L. 623-1 à L. 623-32).

S’agissant de la structure du texte, la proposition contient quarante et un articles ordonnés en deux titres. La numérotation de ces articles rappelle le code général des impôts puisqu’elle use des adverbes multiplicatifs (jusqu’à l’article 2, sexdecies !). Le premier titre est le plus important en ce qu’il contient toutes les dispositions sur l’action de groupe. Il est structuré, comme souvent pour les textes procéduraux, en suivant le cours naturel de l’instance, de son introduction à son extinction. Le titre 2 prévoit quant à lui les dispositions diverses et transitoires, et contient notamment une nouvelle sanction civile (infra).

S’agissant des dispositions transitoires, contrairement à la proposition initiale, l’actuel article 3 a fait le choix de revenir au régime habituel d’application temporelle des règles de procédure : les nouvelles règles sur l’action de groupe seront applicables aux instances introduites après la promulgation du texte, y compris si le fait générateur de responsabilité est antérieur. On notera que dans la proposition initiale, il fallait que le fait générateur soit postérieur à la promulgation. Ce choix consistait donc à appliquer à l’action de groupe le régime des règles substantielles, ce qu’avait également retenu la loi Hamon pour l’action de groupe du code de la consommation. C’est d’ailleurs la principale explication à l’absence d’action de groupe « concurrence » puisqu’en général, les pratiques anticoncurrentielles – et c’est vrai tout particulièrement pour les cartels – ne sont jugées qu’une décennie, voire deux, après leur commission. Cette modification est donc importante pour ces contentieux dans lesquels les faits sont souvent anciens : outre la concurrence, on pense donc aux contentieux de l’environnement ou de la santé.

Au fond ensuite, le professeur Amaro formula cinq grandes remarques en relevant tout d’abord que la qualité pour agir est étendue à un plus grand nombre de titulaires que dans l’état actuel du droit.

  • l’universitaire souligna ensuite que la loi distingue, comme la directive, deux grands types d’actions de groupe : l’action en cessation et l’action en réparation. L’action en cessation, relativement simple, fait l’objet d’un seul article, quand l’action en réparation fait l’objet de neuf articles.
  • en outre, l’architecture processuelle en vigueur a été maintenue dans ses grandes lignes. L’instance engagée par cette action est structurée en deux phases principales avec une première phase de jugement sur la responsabilité à partir de cas modèles et une seconde phase de réparation du préjudice, laquelle peut être individuelle ou collective. C’est au cours de cette phase que les victimes pourront se déclarer et obtenir réparation. Le système de l’opt-in différé est donc maintenu, y compris pour les litiges de consommation pour lesquels le système de l’opt-out tend à se développer à d’autres endroits.
  • la proposition contient en revanche une suppression notable pour l’action consommation : celle de l’action simplifiée de l’actuel article L. 623-14 du code de la consommation.
  • le législateur crée enfin une « sanction civile » en insérant un nouvel article 1253 au code civil qui figure donc dans le sous-titre sur le droit commun de la responsabilité extracontractuelle. Cette sanction civile est manifestement inspirée de...

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