Le décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 réformant la procédure civile a été publié au Journal officiel du 12 décembre. Il précise les cas dans lesquels le demandeur devra justifier, avant de saisir la justice, d’une tentative de conciliation, de médiation ou de procédure participative, à peine d’irrecevabilité que le juge peut prononcer d’office.
Le décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 poursuit, en matière de recours obligatoire aux modes de résolution amiable des différends avant la saisine du juge, l’œuvre initiée par la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 dite « Justice du XXIe siècle » et développée par la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme de la justice.
L’idée n’est pas nouvelle. Le député Prugnon l’avait fort bien résumée à la tribune de l’Assemblée nationale constituante le 7 juillet 1790 : « rendre la justice n’est que la seconde dette de la société ; empêcher les procès, c’est la première et il faut que la société dise aux parties : pour arriver au temple de la justice, passez par celui de la concorde » (L. J. Prugnon, Archives parlementaires, tome XVI, p. 739). Depuis, le législateur, lato sensu, a régulièrement repris cette double idée : développer les modes de résolution amiable des différends et inciter à y recourir en amont du procès. Il faut reconnaître que ces modes de résolution présentent certains avantages par rapport à la justice étatique. Ils permettent, notamment, une solution plus rapide et plus pérenne. Pourtant les « poches de résistance » sont nombreuses et les modes de résolution amiable des différends ne rencontrent pas le succès escompté ; les réticences seraient, d’ailleurs, en grande partie culturelles (Dalloz actualité, 16 juill. 2018, obs. T. Coustet).
Qu’à cela ne tienne. Éduquer prend du temps et la justice n’en a que raisonnablement. Si le justiciable ne peut entendre qu’il peut se concilier pour son bien, il devra entendre qu’il doit se concilier pour le bien de tous, et poursuivre l’effort général en vue de la résorption de la crise de la justice. Car toute résolution amiable de différend, surtout quand elle intervient préalablement à la saisine du juge, évite d’asphyxier davantage une institution sur-sollicitée, en manque de moyens financiers et humains.
Le législateur passe alors de l’incitation à l’obligation, comme avec l’article 4 de la loi du 18 novembre 2016. Cet article – qui n’a pas été codifié – impose un préalable de conciliation devant un conciliateur de justice en cas de saisine du tribunal d’instance par déclaration, mode d’introduction facultatif pour les litiges inférieurs à 4 000 €, sauf dans trois situations, pour lesquelles une telle conciliation ne serait pas pertinente. La sanction est alors l’irrecevabilité que le juge peut prononcer d’office. La loi du 23 mars 2019 a réécrit cet article 4, dont la nouvelle mouture entrera en vigueur le 1er janvier 2020. Tout d’abord, elle élargit les hypothèses de recours préalable obligatoire à un mode de résolution amiable des différends. Exigé en cas de saisine du tribunal judiciaire, ce recours doit précéder toutes les demandes tendant au paiement d’une somme n’excédant pas un certain montant mais aussi aux demandes relatives à un conflit de voisinage, toujours sous la même sanction. Le soin est alors laissé au pouvoir réglementaire de définir ce montant et le champs des conflits de voisinage. De plus, la loi du 23 mars 2019 prévoit que le justiciable pourra recourir, à son choix, à la conciliation par un conciliateur de justice, à la médiation telle que définie par l’article 21 de la loi du 8 février 1995, ou à la procédure participative.
Il ne faut pas se méprendre sur les raisons de la diversification. Il ne s’agit pas tant d’une faveur faite aux justiciables que d’une tentative de prévenir le blocage qui, si l’on avait maintenu le seul recours à la conciliation, serait, à coup sûr, survenu du fait du nombre insuffisant de conciliateurs de justice, qui rappelons-le, sont des bénévoles. En outre, il était impossible d’imposer uniquement le recours à la médiation et la procédure participative, qui sont des modes payants, sans porter une atteinte excessive au droit d’accès à un juge. Le choix laissé entre les trois modes de résolution amiable des différends règle, en théorie, toute difficulté, comme l’a d’ailleurs constaté le Conseil constitutionnel (Cons. const. 21 mars 2019, n° 2019-778 DC, spéc. §§ 19-20, AJDA 2019. 663 ; D. 2019. 910, obs. J.-J. Lemouland et D. Vigneau ; AJ fam. 2019. 172, obs. V. Avena-Robardet ; Constitutions 2019. 40, chron. P. Bachschmidt ).
Toutefois, le domaine du recours préalable obligatoire étant en grande partie celui des petits litiges, il est prévisible que les justiciables se tournent en masse vers la conciliation gratuite et que le blocage évoqué ci-avant, survienne. C’est pourquoi, le législateur de 2019 a précisé que l’exception au recours préalable obligatoire en cas de motif légitime, prévue dès la première version de l’article 4 de la loi du 18 novembre 2016, pourrait notamment s’entendre de l’indisponibilité de conciliateurs de justice dans un délai raisonnable. Le Conseil constitutionnel a trouvé la généralité de ces termes trop dangereuse et n’a admis la constitutionnalité de la disposition que sous réserve que le pouvoir réglementaire définisse la notion de « motif légitime » et précise le « délai raisonnable » d’indisponibilité du conciliateur de justice (Cons. const. 21 mars 2019, n° 2019-778 DC, spéc. § 20).
C’est ce que s’attache à faire le décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019, dont les dispositions entreront en vigueur le 1er janvier 2020. Il précise le domaine d’application du recours préalable obligatoire aux modes de résolution amiable des différends (I) et l’exception tenant au motif légitime et à l’indisponibilité des conciliateurs de justice (II).
I - La précision du domaine du recours préalable obligatoire aux modes de résolution amiable des différends
Dans les dispositions relatives au tribunal judiciaire, et plus particulièrement dans les dispositions communes aux procédures écrites et aux procédures orales, l’article 4 du décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 insère un chapitre sur l’introduction de l’instance. C’est là que se trouve le futur article 750-1 du code de procédure civile prévoyant un recours préalable obligatoire à un mode de résolution amiable. Cette position dans le code est hautement symbolique. Initialement, le projet de décret avait fait le choix de mettre cette disposition parmi les premiers articles relatifs à la seule procédure orale. En positionnant le futur article 750-1 en tête des dispositions communes, le décret érige le recours préalable à un mode de résolution amiable des différends en principe, qui ne saurait être exclu automatiquement des procédures écrites.
En réalité, on sait depuis la modification de l’article 4 de la loi du 18 novembre 2016 que ce recours est limité à deux hypothèses, que le décret précise.
Sans surprise, il l’est pour les demandes tendant au paiement d’une somme n’excédant pas 5 000 €. Revu à la hausse, ce montant est le nouveau seuil des « petites » demandes – aligné sur le nouveau taux de ressort – se prêtant particulièrement à un rapprochement amiable des positions des parties (Obs. du gouvernement sur la loi de programmation 2018-2022 et de réforme de la justice, reçues au greffe du Conseil constitutionnel le 14 mars 2019, spéc. p. 2).
Le recours préalable à un mode de résolution amiable des différends est également imposé pour les conflits de voisinage (Loi du 18 nov. 2016, art. 4). Dans ses observations adressées au Conseil constitutionnel le 14 mars 2019 sur la loi de programmation 2018-2022 et de réforme de la justice, le gouvernement avait précisé que la notion de conflit de voisinage, qui ne recouvre pas une catégorie définie par la loi, devait s’entendre comme recouvrant les conflits relatifs aux fonds dont les parties sont propriétaires ou occupants titrés et qui relèvent jusqu’au 1er janvier 2020 de la compétence du tribunal d’instance (COJ, art. R. 221-12 et R. 221-16).
C’est donc sans surprise que le futur article 750-1 du code de procédure civile renvoie aux actions mentionnées aux futurs articles R. 211-3-4 et R. 211-3-8 du code de l’organisation judiciaire qui reprennent les actuels articles R. 221-12 et R. 221-16. Ainsi une tentative de résolution amiable est obligatoire avant d’introduire :
- l’action en bornage ;
- les actions relatives à la distance prescrite par la loi, les règlements particuliers et l’usage des lieux pour les plantations ou l’élagage d’arbres ou de haies ;
- les actions relatives aux constructions et travaux mentionnés à l’article 674 du code civil ;
- les actions relatives au curage des fossés et canaux servant à l’irrigation des propriétés ou au mouvement des usines et moulins ;
- les contestations relatives à l’établissement et à l’exercice des servitudes instituées par les articles L. 152-14 à L. 152-23 du code rural et de la pêche maritime, 640 et 641 du code civil ainsi qu’aux indemnités dues à raison de ces servitudes ;
- les contestations relatives aux servitudes établies au profit des associations syndicales prévues par l’ordonnance n° 2004-632 du 1er juillet 2004 relative aux associations syndicales de propriétaires.
En vertu du futur article D. 212-19-1 du code de l’organisation judiciaire et des futurs tableaux IV-II et IV-III annexés audit code, toutes ces actions relèvent de la compétence matérielle des chambres de proximité.
II - La précision de l’exception tenant au motif légitime
L’alinéa 2 du nouvel article 750-1 du code de procédure civile énonce les situations dans lesquelles la juridiction peut être saisie directement, sans tentative préalable de résolution amiable du différend. Il s’agit, tout d’abord, de l’hypothèse posée par la loi du 18 novembre 2016 suivant laquelle l’une des parties au moins sollicite l’homologation d’un accord (C. pr. civ., art. 750-1, 1°). Il s’agit ensuite des hypothèses ajoutées par la loi du 23 mars 2019 dans lesquelles un recours gracieux ou une tentative de conciliation préalable est déjà imposée par un texte spécifique (C. pr. civ., art. 750-1, 2° et 4°). Il s’agit enfin des situations dans lesquelles l’absence de tentative préalable de résolution amiable des différends est justifiée par un motif légitime (C. pr. civ., art. 750-1, 3°). Comme nous l’avons déjà souligné, la loi du 23 mars 2019 a étayé cette dernière exception. Le motif légitime peut « notamment » résulter de l’indisponibilité des conciliateurs de justice dans un délai raisonnable (Loi du 18 nov. 2016, art. 4). Le décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 revient sur les notions de « motifs légitime » et de « délai raisonnable ».
Concernant la notion de « motif légitime », il est intéressant de noter que celle-ci, souvent usitée – sept fois dans le code civil et seize fois dans le code de procédure civile – longtemps n’a pas été définie, abandonnée au pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond. Les choses ont évolué avec le décret n° 2015-282 du 11 mars 2015. Ce dernier a ajouté aux articles 56 et 58 du code de procédure civile, l’obligation d’inscrire dans l’assignation, la déclaration ou la requête, « les diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable du litige ». Il est possible toutefois d’en être dispensé sur justification d’un motif légitime et le texte poursuit : « tenant à l’urgence ou à la matière considérée, en particulier lorsqu’elle intéresse l’ordre public ». Cette précision du motif légitime évite qu’une interprétation trop large ne vide l’exigence de diligences préalables et qu’une interprétation trop stricte ne conduise à une atteinte substantielle au droit au juge.
Le décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 détaille davantage encore ce que recouvre la notion de « motif légitime ». Il peut s’agir selon le futur article 750-1, 3°, du code de procédure civile, de trois hypothèses.
Tout d’abord, un motif légitime pourra tenir à « l’urgence manifeste ». C’est la première fois qu’apparaît dans le code de procédure civile cette expression et elle pourrait poser quelques difficultés. On imagine par exemple que le demandeur devra spécialement motiver la saisine directe de la juridiction, la démonstration d’une simple situation d’urgence ne pouvant être suffisante. En outre, le président du tribunal judiciaire ou le juge du contentieux de la protection pouvant être saisis en référé « dans tous les cas d’urgence » (C. pr. civ., futur art. 834), faut-il comprendre que si celle-ci n’est pas manifeste, la procédure de référé devra être précédée d’une tentative de résolution amiable du différend ? Deux arguments conduisent à une réponse positive qui peut surprendre. Le nouvel article 750-1 se trouve dans les dispositions communes à la procédure écrite et à la procédure orale et donc aux ordonnances de référés. De plus, depuis le 25 mars 2019, le juge peut enjoindre aux parties, même sans leur accord, de rencontrer un médiateur qu’il désigne en tout état de la procédure même en référé (Loi n° 95-125 du 8 févr. 1995, art. 22-1). Le moyen d’y échapper pourrait être de s’appuyer sur les circonstances de l’espèce.
En effet, c’est la deuxième hypothèse : un motif légitime pourra tenir aux circonstances de l’espèce. Bien que la suite du texte précise ces circonstances, il s’agit d’une hypothèse très ouverte. En effet, il est question de circonstances « nécessitant qu’une décision soit rendue non contradictoirement ». La tentative préalable de résolution amiable du différend est donc pertinemment exclue en cas de procédure d’ordonnance sur requête. Mais surtout, le motif légitime peut tenir aux « circonstances de l’espèce rendant impossible une telle tentative [de résolution amiable] ». La généralité de cette formule laissera la part belle à l’appréciation souveraine des juges du fond.
Enfin, le motif légitime pourra tenir à « l’indisponibilité des conciliateurs de justice. L’article 4 de la loi du 18 novembre 2016 tel qu’il entrera en vigueur le 1er janvier 2020 précise « dans un délai raisonnable ». L’expression n’est dans nouvelle dans les textes de droit interne (bien que n’apparaissant pas dans le code de procédure civile), mais le Conseil constitutionnel a exigé qu’elle soit précisée. Le projet de décret avait choisi alors de la définir de la manière suivante : « qui ne [met] pas en péril les droits du plaideur au regard de la nature et des enjeux du litige ». Il est vrai qu’un droit reconnu tardivement équivaut à une absence de droit (J.-M. Coulon et M.-A. Frison-Roche, Avant-propos, in Le temps dans la procédure, Dalloz, coll. « Thèmes et commentaires », 1996). « Tout retard indu est une injustice envers celui ou ceux qui attende(nt) d’être jugé(s) » (A. Seriaux, Les enjeux éthiques de l’activité de jurisdictio, RRJ 1998-2, p. 445, spéc. p. 450).
Or le décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 choisit de ne pas retenir cette définition ; plus que cela, il choisit de ne pas définir le délai raisonnable mais l’indisponibilité des conciliateurs de justice. Cette dernière est définie par sa conséquence, à savoir « l’organisation de la première réunion de conciliation dans un délai manifestement excessif au regard de la nature et des enjeux du litige ».
Mais ce choix peut-il satisfaire l’exigence du Conseil constitutionnel ? L’article 4 de la loi du 18 novembre 2016 prévoit toujours un délai raisonnable qui reste non précisé. De plus, ne prendre en compte que la première réunion, n’est-ce pas dangereux pour les droits du plaideur ?
De ces droits, il n’est d’ailleurs plus expressément question. Au mieux, ils se dessinent derrière les enjeux du litige. Enfin, en préférant l’expression « délai manifestement excessif » à celui de « délai raisonnable », on ne peut s’empêcher de penser que le décret cherche à restreindre les exceptions au recours préalable aux modes de résolution amiable des différends. Reste à voir quelle application la pratique en fera.
Géraldine Maugain