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Dossier 

Réforme du droit des sûretés : saison 2 (partie II)

L’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 portant réforme du droit des sûretés a été publiée au Journal officiel du 16 septembre. Revue de détails d’une réforme très attendue.

 

Sous la direction de Jean-Denis Pellier, Professeur à l’Université de Rouen, Codirecteur du Master 2 Droit privé général

 

V. Partie 1 et 3 du présent du dossier.

le 4 octobre 2021

La cession de créance de droit commun à titre de garantie

par Jean-Denis Pellier, Professeur à l’Université de Rouen, Codirecteur du Master 2 Droit privé général

 

Droit antérieur à la réforme

Sous l’empire du droit antérieur à la nouvelle réforme du droit des sûretés, la cession de créance à titre de garantie n’était pas reconnue de manière générale. En effet, la Cour de cassation avait considéré qu’ « en dehors des cas prévus par la loi, l’acte par lequel un débiteur cède et transporte à son créancier, à titre de garantie, tous ses droits sur des créances, constitue un nantissement de créance » (Com. 19 déc. 2006, n° 05-16.395, D. 2007. 344 , note C. Larroumet ; ibid. 76, obs. X. Delpech ; ibid. 319, point de vue R. Dammann et G. Podeur ; ibid. 961, chron. L. Aynès ; AJDI 2007. 757 , obs. F. Cohet-Cordey ; RTD civ. 2007. 160, obs. P. Crocq ; RTD com. 2007. 217, obs. D. Legeais ; ibid. 591, obs. B. Bouloc . Rappr. Com. 26 mai 2010, n° 09-13.388, D. 2010. 2201, obs. A. Lienhard , note N. Borga ; ibid. 2011. 406, obs. P. Crocq ; RTD civ. 2010. 597, obs. P. Crocq ; RTD com. 2010. 595, obs. D. Legeais ; ibid. 601, obs. B. Bouloc . Comp. Com. 17 juin 2020, n° 19-13.153, qui semble admettre la possibilité d’une telle cession, D. 2020. 1357 ; ibid. 1857, obs. F.-X. Lucas et P. Cagnoli ; ibid. 1917, obs. J.-J. Ansault et C. Gijsbers ; Rev. prat. rec. 2021. 25, chron. P. Roussel Galle et F. Reille ; RTD civ. 2020. 671, obs. C. Gijsbers ; RTD com. 2020. 951, obs. A. Martin-Serf . V. à ce sujet, M. Mignot, Vers la validation de la cession de créance à titre de garantie ?, JCP 2020. 1037). Les seuls moyens de céder une créance à titre de garantie étaient donc la cession Dailly (C. mon. fin., art. L. 313-23 s.) ainsi que la cession fiduciaire de créance nommée (C. civ., art. 2018-2). Il est certes possible, également, de concevoir une cession de l’émolument de la créance, c’est-à-dire de son produit, à titre de garantie, la sûreté s’analysant alors en une cession fiduciaire portant sur un bien futur puisque n’appartenant pas encore au cédant (v. à ce sujet, J.-D. Pellier, Une figure méconnue : la cession de l’émolument de la créance, RTD civ. 2019. 229 ). Mais il ne s’agit plus alors d’une cession de créance.

Pourtant, l’on aurait pu penser qu’en définissant la cession de créance comme « un contrat par lequel le créancier cédant transmet, à titre onéreux ou gratuit, tout ou partie de sa créance contre le débiteur cédé à un tiers appelé le cessionnaire » (C. civ., art. 1321, al. 1er), l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations avait entendu englober l’hypothèse de la cession de créance à titre de garantie. Ce serait oublier que l’objet de la réforme n’était pas le droit des sûretés même si la considération est quelque peu artificielle (v. à ce sujet, J.-D. Pellier, Pour la cession de créance de droit commun à titre de garantie, in La réforme du droit des sûretés, dir. L. Andreu et M. Mignot, LGDJ, Institut universitaire Varenne, 2019, p. 243, spéc. nos 3 et 4). Quoi qu’il en soit, en exprimant clairement la possibilité d’une telle cession, les auteurs de la réforme ont fait le choix de couper court à toute difficulté.

Droit issu de la réforme

La consécration de la cession de créance de droit commun à titre de garantie avait été proposée par l’avant-projet de réforme du droit des sûretés sous l’égide de l’Association Henri Capitant (C. civ., art. 2373 à 2375). Les auteurs de cet avant-projet avait toutefois pris le soin d’indiquer à ce sujet que « l’insertion d’une cession de créance à titre de garantie, qui constituerait une fiducie particulière, soustraite au droit commun de la fiducie-sûreté, a donné lieu à des débats qui ont divisé la commission. C’est sous réserve que sont présentés les textes qui suivent ». La raison profonde de cette proposition est ensuite précisée clairement : « Dans un souci d’attractivité internationale de la loi française, le premier article de cette sous-section consacre la possibilité, actuellement déniée par la jurisprudence de la Cour de cassation, de réaliser un transfert de créance à titre de garantie sur le fondement du régime de droit commun de la cession de créance (C. civ., art. 1321 s.). Les deux autres articles en précisent les règles pour tenir compte des spécificités de l’opération de garantie (respect du principe de spécialité ; obligation de restitution du cessionnaire après complet paiement) » (sur l’attractivité du droit français, v. P. Delebecque, « L’attractivité » du droit français : un mot d’ordre dépourvu de sens ?, in Mélanges en l’honneur du Professeur Laurent Aynès, LGDJ, 2019, p. 185 ; v. égal., C. Larroumet, Le mythe de l’attractivité du droit civil français, in Mélanges en l’honneur du Professeur Laurent Aynès, LGDJ, 2019, p. 365). Le législateur a manifestement été sensible à cette considération, puisque l’article 60, I, 9°, de la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite « PACTE », a autorisé le gouvernement à « inscrire dans le code civil la possibilité de céder une créance à titre de garantie ». Le rapport au président de la République accompagnant l’ordonnance du 15 septembre 2021 précise d’ailleurs qu’« Il s’agit de permettre, aux côtés de la fiducie-sûreté et dans un souci d’attractivité internationale de la loi française, la cession de créance à titre de garantie ».

C’est ainsi que naquirent les nouveaux articles 2373 à 2373-3 du code civil. Le premier de ces texte dispose que « La propriété d’une créance peut être cédée à titre de garantie d’une obligation par l’effet d’un contrat conclu en application des articles 1321 à 1326 » (il s’agit d’une reprise pure et simple de l’avant-projet de l’Association Henri Capitant). La cession de créance à titre de garantie se coule ainsi dans le moule du droit commun de la cession de créance (v. à ce sujet, F. Chénedé, La cession de créance, in Le nouveau régime général des obligation, dir. V. Forti et L. Andreu, Dalloz, coll. « Thèmes et commentaires », 2016, p. 87 ; C. Gijsbers, Le nouveau visage de la cession de créance, Dr. et patr., juill. 2016, p. 48 ; A. Gouëzel, Les opérations translatives, AJCA 2016. 135 ; v. égal., au sujet du projet de réforme, M. Julienne, Cession de créance : transfert d’un bien ou changement de créancier ?, Dr. et patr., juill. 2015, p. 69). À cet égard, il faut d’ailleurs préciser que le gouvernement supprime fort opportunément l’alinéa 3 de l’article 1323 du code civil, qui prévoit que « le transfert d’une créance future n’a lieu qu’au jour de sa naissance, tant entre les parties que vis-à-vis des tiers ». Ce texte représentait en effet un sérieux handicap pour la cession de créance (v. F. Danos, Proposition de modification de l’article 1323 du code civil : l’opposabilité aux tiers de la cession d’une créance future, RDC 2017, n° 114, p. 200), souffrant à cet égard de la comparaison avec la cession Dailly et le nantissement de créance (v. à ce sujet, M. Julienne, Nantissement ou cession(s) fiduciaire(s) : que choisir ?, RDC 2018/2, p. 318, n° 15 ; v. égal., J.-D. Pellier, Pour la cession de créance de droit commun à titre de garantie, art. préc., nos 8, 9 et 10). Le transfert de la créance s’opèrera donc désormais à la date de l’acte, que la créance soit présente ou future, comme l’indiquera d’ailleurs expressément l’alinéa 1er de l’article 1323.

Ensuite, l’article 2373-1, conformément au principe de spécialité des sûretés réelles (non seulement quant à l’assiette de la sûreté, mais également quant à la créance garantie), prévoit que « Les créances garanties et les créances cédées sont désignées dans l’acte. Si elles sont futures, l’acte doit permettre leur individualisation ou contenir des éléments permettant celle-ci tels que l’indication du débiteur, le lieu de paiement, le montant des créances ou leur évaluation et, s’il y a lieu, leur échéance ». Sont ainsi repris les mêmes éléments d’identification des créances qu’en matière de nantissement (C. civ., art. 2356) et de cession Dailly (C. mon. fin., art. L. 313-23). On observera toutefois que, contrairement à ce que préconisait l’avant-projet de l’Association Henri Capitant, il n’est plus fait référence à la nature des créances, ce qui est regrettable, car la cession peut porter, en théorie, sur une créance non monétaire (v. à ce sujet, V. Egéa, La circulation d’une créance non monétaire l’exemple de la délivrance, D. 2012. 2111 ). Il est vrai, cependant, que le rapport au président de la République indique que cette liste n’est « qu’indicative ». Toutefois, l’on comprend, à la lecture de l’article suivant, que le régime de la cession de créance à titre de garantie a été pensé en contemplation des créances de sommes d’argent. En effet, le nouvel article 2373-2 du code civil prévoit que « Les sommes payées au cessionnaire au titre de la créance cédée s’imputent sur la créance garantie lorsqu’elle est échue. Dans le cas contraire, le cessionnaire les conserve dans les conditions prévues aux articles 2374-3 à 2374-6 ». La cession de créance à titre de garantie a donc vocation à se transformer en sûreté portant sur une somme d’argent (pour un mécanisme analogue en matière de nantissement de créance, v. M. Julienne, Le nantissement de créance, préf. L. Aynès, Économica, 2012, spéc. nos 195 s.). C’est la raison pour laquelle on lui applique les règles prévues pour la cession de somme d’argent à titre de garantie, également issues de la nouvelle ordonnance (v. C.-A. Michel, Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 11) : la cession de somme d’argent à titre de garantie, Dalloz actualité, 24 sept. 2021 ; J.-D. Pellier, La propriété retenue ou cédée à titre de garantie, JCP à paraître, spéc. nos 7 et 8). Le rapport au président de la République indique à cet égard que « Dans une telle hypothèse en effet, le droit de propriété dont était titulaire le cessionnaire sur la créance se reporte sur la somme d’argent versée en paiement de celle-ci ; sa sûreté-propriété sur la créance se transforme en sûreté-propriété sur la somme d’argent, ce qui conduit à lui appliquer le régime prévu pour cette sûreté ». En revanche, il a sans doute été jugé superfétatoire de préciser que le créancier disposait d’un droit exclusif sur la créance cédée, contrairement à ce qui était prévu par l’avant-projet de l’Association Henri Capitant (C. civ., art. 2375 : « Le cessionnaire a sur la créance cédée un droit exclusif. Il exerce l’intégralité des droits qui lui sont attachés »).

Enfin, l’article 2373-3 énonce que « Lorsque la créance garantie est intégralement payée avant que la créance cédée ne le soit, le cédant recouvre de plein droit la propriété de celle-ci ». C’est donc automatiquement que le cédant redevient titulaire de sa créance, conformément à ce que la jurisprudence avait décidé en matière de cession Dailly (Civ. 1re, 19 sept. 2007, n° 04-18.372, D. 2007. 2532, obs. X. Delpech ; RTD civ. 2008. 322, obs. T. Revet ; RTD com. 2008. 162, obs. D. Legeais , considérant, s’agissant d’une cession de créance à titre de garantie, « que c’est seulement dans ce dernier cas que le cédant d’origine peut retrouver la propriété de la créance cédée sans formalité particulière dans la mesure où la garantie prend fin lorsque son bénéficiaire n’a plus de créance à faire valoir ou lorsqu’il y renonce »). Il y a là une précision tout à fait heureuse (même si la jurisprudence serait certainement parvenue à ce résultat sans le secours d’un texte) et, aux dires du rapport au président de la République, « conforme à la logique des sûretés-propriétés : le transfert de propriété n’y est que temporaire ».

Perspectives

La consécration (bienvenue) de la cession de créance de droit commun à titre de garantie pose la question légitime de la concurrence de cette sûreté avec le nantissement de créance (sur la question de la concurrence entre les sûretés, v. de manière générale, C.-A. Michel, La concurrence entre les sûretés, préf. P. Dupichot, LGDJ, coll. « Bibl. dr. privé », t. 580, 2018). Ce dernier investit en effet également le créancier d’un droit exclusif au paiement reposant (curieusement) sur un droit de rétention (v. J.-D. Pellier, Le nantissement de créance, Dalloz actualité, 22 sept. 2021), conformément au nouvel alinéa 1er de l’article 2363 du code civil (« Après notification, le créancier nanti bénéficie d’un droit de rétention sur la créance donnée en nantissement et a seul le droit à son paiement tant en capital qu’en intérêts »), ce que la jurisprudence avait au demeurant admis (sans toutefois se fonder sur un droit de rétention) avant même l’entrée en vigueur des nouvelles dispositions (v. Civ. 2e, 2 juill. 2020, n° 19-11.417 et 19-13.636, D. 2020. 1940 , note J.-D. Pellier ; ibid. 1917, obs. J.-J. Ansault et C. Gijsbers ; Rev. prat. rec. 2020. 6, obs. D. Cholet et A. Provansal ; ibid. 7, obs. D. Cholet et O. Salati ; ibid. 2021. 25, chron. O. Salati ; RTD civ. 2020. 666, obs. C. Gijsbers ; ibid. 946, obs. N. Cayrol ; v. égal., Civ. 2e, 17 sept. 2020, n° 19-10.420, D. 2020. 1836 ; RTD civ. 2020. 946, obs. N. Cayrol ; rappr. Civ. 2e, 10 déc. 2020, n° 19-19.340 ; v. à ce sujet, M. Julienne, Le nantissement enfin pris au sérieux, Banque et Droit n° 194, sept.-oct. 2020, p, 4 ; J.-D. Pellier, La consécration du droit exclusif au paiement du créancier nanti, D. 2020. 1940 ). Toutefois, le nantissement ne saurait conférer au créancier qui en bénéficie l’ensemble des prérogatives du titulaire de la créance. La cession de créance pourrait donc bien sortir vainqueur de cet affrontement (Rappr. P. Théry, Quelques observations sur le droit des sûretés, advenu et à venir, RDA déc. 2019, p. 122 : « Si, à formalités égales, le créancier a le choix entre cession et nantissement, l’expérience de la loi Dailly qui traitait de la cession et du nantissement des créances professionnelles laisse augurer un abandon du nantissement au profit de la cession dont les effets sont plus énergiques mais aussi plus prévisibles grâce aux solutions dégagées depuis 1981 par la chambre commerciale »). Mais après tout, pour reprendre le mot du regretté Professeur Crocq, « abondance de biens ne nuit pas ! » (P. Crocq, Les sûretés fondées sur le droit de propriété, in Quelle réforme pour le droit des sûretés ?, dir. Y. Blandin et V. Mazeaud, Dalloz, 2019, p. 75 s., n° 18). 

La cession de somme d’argent à titre de garantie

par Claire-Anne Michel, Maître de conférences, Université Grenoble Alpes, CRJ

 

Multiplication des sûretés-propriétés mobilières. En matière de sûretés mobilières, les évolutions les plus marquantes de l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 portant réforme du droit des sûretés ne sont sans doute pas celles relatives au sûretés préférentielles (gage ou nantissement). Innovantes certes, elles s’inscrivent néanmoins dans la continuité de la voie initiée par l’ordonnance du 23 mars 2006. Bien différente est la conclusion qui s’impose s’agissant des sûretés-propriétés : entre consécration de la validité de la cession de créance à titre de garantie et consécration de la cession de somme d’argent à titre de garantie, la présente ordonnance fait œuvre de nouveauté. C’est à la faveur de l’article 60-I, 11°, de la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 habilitant le gouvernement à « inscrire et organiser dans le code civil le transfert de somme d’argent au créancier à titre de garantie », que celui que l’on dénomme communément le « gage-espèces » est, « dans un souci d’attractivité du droit français, de lisibilité et de sécurité juridique » (v. Rapport au président de la République, spéc. sous présentation de l’art. 11 de l’ordonnance ), aujourd’hui consacré. En effet, en dépit de son importance pratique considérable, le gage-espèces s’épanouissait jusqu’alors sans support textuel spécifique. Or, les évolutions législatives contemporaines (consécration du gage avec dépossession de choses fongibles – art. 2341 c. civ. – ou encore fiducie-sûreté – art. 2011 c. civ. –) avaient fait naître des interrogations quant à la qualification de l’opération et donc quant à son régime, incertitudes que la présente ordonnance dissipe.

Ainsi, jusqu’à présent dans l’ombre, le gage-espèces accède aujourd’hui à la lumière.

Le droit antérieur à la réforme: une sûreté dans l’ombre

Sous l’empire du droit antérieur à l’ordonnance du 15 septembre 2021, lequel a vocation à s’appliquer jusqu’à l’entrée en vigueur de cette dernière le 1er janvier 2022 (Ord., art. 37), les principes avaient été établis par la jurisprudence, toutefois, leur pérennité était incertaine en raison de l’avènement, à l’initiative de l’ordonnance du 23 mars 2006, de l’article 2341 du code civil.

S’agissant des principes jurisprudentiels, une distinction devait être opérée selon le sort réservé à la somme remise au créancier. À défaut d’individualisation de la somme au sein du patrimoine de ce dernier, l’opération emportait transfert de la propriété de cette somme. La qualification de cession fiduciaire était retenue, en conséquence de quoi, à l’image de tout mécanisme fiduciaire, le créancier s’engageait à restituer la somme au constituant dès lors que l’obligation garantie était exécutée. En cas d’inexécution, il devenait définitivement propriétaire de la somme et la compensation fondait alors l’extinction de l’obligation de restitution (Com. 3 juin 1997, n° 95-13.365, D. 1998. 61 , note J. François ; ibid. 104, obs. S. Piédelièvre ; RTD com. 1997. 663, obs. M. Cabrillac ; ibid. 686, obs. A. Martin-Serf ; ibid. 1998. 403, obs. B. Bouloc ). Cette qualification ne pouvait en revanche être retenue dans l’hypothèse où la somme remise au créancier demeurait individualisée dans le patrimoine du créancier. La qualification de gage était alors retenue (rappr. Com. 23 avr. 2003, n° 02-11.015, JCP 2003. I.176, obs. P. Delebecque), les modes de réalisation du gage s’imposaient alors. Néanmoins, à une époque où l’opprobre à l’encontre du pacte commissoire avait encore cours, la jurisprudence admettait ce mode de réalisation.

Mais quelle pérennité pour ces solutions avec l’avènement de l’article 2341, alinéa 2, du code civil, lequel prévoit que « si la convention dispense le créancier de (l’obligation de tenir les choses fongibles séparées des choses de même nature qui lui appartiennent), il acquiert la propriété des choses gagées à charge de restituer la même quantité de choses équivalentes ». Y avait-il encore place pour la cession fiduciaire innommée, non soumise aux articles 2333 et suivants consacrés au gage (v. semblant favorable au maintien de la cession fiduciaire innommée, Com. 3 avr. 2019, n° 18-11.281, D. 2019. 757 ; Just. & cass. 2020. 282, rapp. A. Vaissette ; RTD com. 2019. 990, obs. A. Martin-Serf ) ? Quelle était la nature juridique du mécanisme auquel aboutissait cette disposition : gage irrégulier ou fiducie-sûreté (v. M. Bourassin et V. Brémond, Droit des sûretés, 7e éd., 2019, n° 900) ? Les incertitudes affluaient. En consacrant la cession de somme d’argent à titre de garantie, l’ordonnance du 15 septembre 2021 apporte un élément de réponse.

Droit issu de la réforme : la lumière

Ce ne sont désormais pas moins de sept articles qui viendront bientôt régir le gage-espèces (futurs, C. civ., art. 2374 à 2374-6). Pour novatrice que sont ces textes, les solutions adoptées ne surprennent guère car elles tirent leur inspiration tantôt de dispositions communes aux sûretés réelles (v. par ex., C. civ., art. 2374-1 faisant de la sûreté une sûreté solennelle ou encore l’art. 2374-4 c. civ. envisageant le sort des fruits ; v. Rapport au président de la République), tantôt de mesures applicables à toutes les sûretés fiduciaires (V. par ex., C. civ., art. 2374-5 admettant l’imputation en cas de défaillance du débiteur ou encore l’art. 2374-6 imposant une restitution de la somme en cas d’exécution de la créance garantie). Que retenir de ces nouvelles règles ?

S’agissant de la constitution du gage-espèces, le code civil consacre une sûreté qui ne peut être qu’une sûreté avec dépossession. En effet, la remise des sommes au créancier, par tradition matérielle de monnaie fiduciaire ou par simple écriture en présence de monnaie scripturale, détermine l’opposabilité aux tiers de la sûreté (C. civ., art. 2374-2). S’agissant des effets, le cessionnaire devient propriétaire des sommes. Il acquiert, en outre, et par principe, le droit de disposer librement des sommes cédées ; seule la stipulation conventionnelle contraire prévoyant l’affectation des sommes peut y faire obstacle (C. civ., art. 2374-3). Cette libre disposition des sommes et son éventuelle entrave sont la clé de voûte permettant de préciser le sort des fruits et des intérêts. À défaut de libre de disposition, les fruits et intérêts viennent accroître l’assiette de la sûreté. La clause contraire est toutefois possible (C. civ., art. 2374-4, al. 1er). Différente est la règle en présence d’un créancier libre de disposer des sommes. La confusion des sommes au sein du patrimoine du créancier s’y oppose : comment, dans une telle situation, identifier « les fruits » produits par « la somme » remise au créancier à titre de garantie (v. Rapport au président de la République) ? Néanmoins, dans une telle situation, l’article 2374-4 permet aux parties de prévoir un intérêt au profit du cédant, lequel se « substituera » à un droit aux fruits impossible à concevoir.

S’agissant enfin des effets, les règles inhérentes au mécanisme fiduciaire se retrouvent tant dans l’article 2374-5, consacré à l’hypothèse de la défaillance du débiteur, qu’à l’article 2374-6, relatif, quant...

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