1. De la présence à l’absence
Selon sa notice, le décret du 27 novembre 20201 « étend […] la possibilité de statuer sans audience et précise cette procédure ainsi que les procédures dans lesquelles le juge dispense une partie de se présenter à une audience ultérieure ». Ces dispositions entrent en vigueur le 1er janvier 2021 et s’appliquent aux instances en cours à cette date.
De fait, le décret n° 2020-1452 du 27 novembre 2020 apporte des changements à la dispense de présentation judiciaire : il retouche notamment l’article 446-2 du code procédure civile (disposition générale relative à la procédure orale) pour mieux l’articuler avec la procédure sans audience et il réécrit diverses dispositions spéciales pour faire apparaître une nouvelle chronologie procédurale et aussi pour décharger le juge. Le décret modifie et complète aussi la réglementation de la procédure sans audience, tant pour ce qui est de son organisation – très laconique jusque-là, surtout en procédure orale – que de son domaine – étendu expressément à quatre autres procédures devant le tribunal judiciaire.
C’est l’occasion de faire un point sur la dispense de présentation – qui s’inscrit plus largement dans une conception originale de l’oralité – et la procédure sans audience, procédure protéiforme récemment inscrite dans le code de procédure civile. Si la procédure sans audience est une création du décret du 11 décembre 2019 et qu’elle joue autant en procédure orale qu’en procédure écrite devant le tribunal judiciaire, la dispense de présentation a vu le jour il y a dix ans pour les autres juridictions connaissant de la procédure orale2. Ces deux formes procédurales ont en commun de réduire, voire sacrifier, l’audience, ceci selon des règles qui leur sont propres. Elles partagent aussi une curieuse faveur du législateur (tant pouvoir législatif que réglementaire) qui n’a d’égales que la méfiance, l’incompréhension, voire l’hostilité des justiciables et de leurs conseils : la dispense de présentation n’a jamais suscité un enthousiasme délirant de la part des plaideurs, qui ne s’en sont pas emparés, en dépit d’un élargissement de son domaine et de diverses retouches au fil des années ; l’idée même de la procédure sans audience a, elle, a déclenché l’hostilité des avocats qui se sont opposés à ce qu’elle leur soit imposée par le juge ; le législateur a donc prévu qu’elle relève de leur initiative… tout au moins en temps ordinaire, car la crise sanitaire lui offre, tant au printemps qu’à l’automne, l’occasion d’expérimenter une procédure sans audience imposée aux plaideurs qui pourrait un jour devenir la norme. Le décret du 27 novembre 2020 retouche la dispense de présentation et la procédure sans audience, provoquant la perplexité, voire la crainte… À tout le moins, il suscite le débat.
Commentaires
Très remarquable et complète réflexion sur des questions dont l'auteur a fort raison de souligner l'excessive complexité, et dont la conclusion finale qu'on ne peut que partager fait froid dans le dos : nos pouvoirs publics organisent progressivement et par une lente évolution semblant indolore une organisation judiciaire dans laquelle il n'y aura plus de place pour le débat à l'audience. Non seulement la procédure écrite va supplanter l'oralité, mais encore l'on perçoit bien que l'idée sous-jacente est de gommer le principe général toujours inscrit au CPC selon lequel la procédure civile demeure la chose des parties, avec une immixtion du juge limitée à une certaine "police" du déroulement de l'instance.
Parvenir à ces fins serait une régression excessivement grave, sans compter sur l'impossibilité absolue pour les parties elles-mêmes, dans les matières sans représentation obligatoire, de naviguer dans un dédale de règles dont cette étude éclaire bien l'incertitude, et la difficile combinaison, même pour une personne avertie.
Bonjour,
Remarquable, excellent, plaisant er pertinent. Comme à l'accoutumée.
Merci !
Frédéric Kieffer
Admirons et remercions ceux qui, comme l’auteur, étudient, nous guident et proposent des règles meilleures que celles qui nous transforment en procéduriers malgré nous.
Blâmons la légèreté qui fait écrire « comparaître » au lieu de « se présenter » (!!!) dans un code qu’on ose par ailleurs interpréter « rigoureusement » pour priver le justiciable de son droit et obliger l’avocat à une déclaration de sinistre.
Rappelons que la Justice est au service des justiciables auxquels la loi donne, législature après législature, plus de droits.
Regardons le petit coin de ciel bleu de cet hiver sinistre de douze mois par ans : ne manquons pas une occasion de faire entre avocats la mise en état participative par acte d’avocat enfin entrée dans nos codes mais encore pas dans nos mœurs. Elle est applicable devant toutes les juridictions.
Et passons à 2021 avec confiance : quand on touche le fond, on rebondit.
Merci pour vos commentaires.
Essayons en effet d'être optimistes.
Bonne année 2021, donc, en espérant qu'elle soit meilleure que 2020, à tous points de vue et y compris sur le plan procédural.
Bien à vous.
CB