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Reportage 

Une journée avec… un huissier de justice

Pour la rentrée, la rédaction de Dalloz Actualité s’est tournée vers l’un des grands classiques du droit, l’une des professions les plus connues du secteur juridique. Accueillie au sein de l’étude Safar, entreprise familiale de Melun, notre rédactrice a fait la connaissance des associés, père et fils, tous deux hauts-responsables hier ou aujourd’hui de la Chambre nationale des huissiers de France. L’occasion de découvrir la pratique d’un métier parfois délicat sous le regard de deux générations de professionnels aguerris

par Anaïs Coignacle 16 octobre 2012

La journée type

Un emploi du temps scindé en deux
Depuis son élection au bureau national de la Chambre nationale des huissiers de justice, Patrick Safar reconnaît passer les ¾ de son temps en-dehors de son étude. Préposé aux missions en anglais, l’huissier reçoit régulièrement des ministres de la justice ou délégations étrangères dans le cadre de coopérations. Lui-même voyage tous les ans afin de dispenser des conseils et d’exporter le modèle français auprès de ses homologues étrangers : des huissiers russes, géorgiens, roumains, azerbaïdjanais, camerounais, vietnamiens, kazakh ou même kosovars. Il est aussi le référent sur les questions de formation à l’ENP (école nationale de procédure) qui prépare à l’examen professionnel d’huissier, et ponctuellement chargé de missions diverses pour la Chambre. Lorsqu’il se rend à Melun, Me Safar gère l’étude et le personnel qui le sollicitent pour régler certains points des dossiers en cours. Ces journées-là, l’huissier reçoit des clients, se saisit de la pile des dossiers en attente et réalise des déplacements, notamment des « saisies-ventes » au domicile du particulier débiteur ou au siège de l’entreprise défaillante, et parfois il procède à des expulsions. Autant d’actes non délégables voilà deux ans mais qui peuvent, depuis la loi Béteille, être effectués par un « huissier salarié » (V. interview). Du lundi au vendredi, les journées de Patrick Safar s’étalent ainsi de 7h, 8h ou 9h selon les circonstances, jusqu’à 19h30.

Une entreprise bicéphale
Dans la famille Safar, on est huissier de père en fils depuis quatre générations. Aujourd’hui, à Melun, l’étude éponyme compte deux associés : le père, Fredy, 83 ans dont 56 au travail, un personnage au verbe haut, passionné, et peu décidé à quitter définitivement son bureau, et son fils Patrick, l’iphone toujours dégainé, partisan d’une modernisation de la profession et d’un changement de l’image « poussiéreuse » qu’elle véhicule souvent aujourd’hui, pour reprendre les termes d’un de ses confrères. Deux générations et deux visions différentes d’un métier, finalement assez complémentaires. Quand le premier aime éplucher ses dossiers dans le bureau d’un collaborateur, le second préfère communiquer par email et avoue détester qu’on prenne ses rendez-vous à sa place. Dans ce grand édifice constitué de deux bâtiments de 4 étages au style joliment suranné, les open spaces n’ont pas remplacé les bureaux séparés, les tampons font encore concurrence aux signatures électroniques mais l’informatique est partout, au grand dam de Mme Cholet, collaboratrice de l’étude depuis « 41 ans ». « J’ai été habituée à l’ancienne méthode », reconnaît-elle d’emblée. « Il faut être très disponible pour les gens, pouvoir les recevoir à n’importe quelle heure, y compris le soir et le week-end si ce n’est pas possible autrement. Mais la profession ne travaille plus après 18h », regrette-t-elle. « Les gens ont de plus en plus besoin qu’on les écoute », précise-t-elle. « Beaucoup nous appellent le conseiller du pauvre », ajoute Fredy Safar.

Dans cette grande maison familiale, les relations de travail semblent très spontanées. Beaucoup d’employés ont fait leur carrière ici et certains ont même connu Patrick Safar adolescent. L’étude a traversé les époques, et s’est adaptée aux nouveaux marchés, en a abandonné d’autres, retirés de son monopole. Notamment, les constats amiables en cas d’accident entre deux voitures, car dans les années 1960, il appartenait aux huissiers de les remplir, ou les « protêts » pour constater une absence de paiement par lettre de change ou par chèque, quand il n’était pas encore possible de le vérifier sur un écran d’ordinateur. Aujourd’hui, les huissiers sont mieux équipés. Ils utilisent la photo ou la vidéo pour réaliser leurs constats, des odomètres pour mesurer des distances, des captures d’écran pour prouver l’irrégularité d’un jeux en ligne, des micros HD pour enregistrer des sons en cas de trouble du voisinage et ils sont même habilités à constater des menaces par sms.

Une activité économique en berne
On aurait tendance à penser que l’activité des huissiers augmente en temps de crise : plus d’impayés donc plus d’actes à exécuter, plus de clientèle. Au contraire. « Les huissiers sont prospères en cas de croissance, ils sont en difficultés en cas de grosse période de crise économique », affirme Me Safar père. Une équation qui vaudrait pour toutes les études, partout en France. « La profession travaille sur 1 à 2% de la masse des transactions dans le monde », explique l’huissier. « Or quand la masse des transactions diminue, le travail reste le même ». Me Emmanuel Madiot, associé à Saint-Junien (Haute-Vienne) et délégué de la chambre nationale, croisé dans les locaux de l’institution, évoque deux autres raisons : « le blocage des attributions de crédits dans les établissements bancaires », et « la baisse du nombre de constats » parce qu’en temps de disette, « on rogne sur tout ».

À Melun, les associés ont dû se résoudre à...

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